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Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/2

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Jules Rouff (1p. lxi-lxii).
RÉPUBLIQUE.

Ce fut le lendemain de cette victoire que s’ouvrit la Convention nationale (21 septembre 1792). Son premier acte fut d’abolir la royauté et de proclamer la République, le seul gouvernement qui fût conforme à l’état des choses et qui pût opposer aux puissances ennemies une résistance victorieuse. La rupture avec l’ancien régime ne parut même pas suffisante encore aux hommes les plus énergiques. Danton, qui avait naguère ordonné les journées de septembre pour terrifier l’aristocratie, voulut aussi imprimer l’effroi à la coalition des princes qui prétendaient relever la royauté en France, et la tête du malheureux Louis XVI tomba le 21 janvier 1793. C’est ainsi que ce faible et infortuné prince expia les scandales et les abus des règnes précédents !

Attaquée au dehors par une coalition formidable, agitée au dedans par les factions et par la révolte de la Vendée, trahie par quelques généraux, la Convention triompha de tous les périls en devenant terrible. Carnot jeta quatorze armées à la frontière. Douze cent mille hommes étaient sur pied. « La République, dit Barère au sein de la Convention, n’est plus qu’une grande ville assiégée ; il faut que la France ne soit plus qu’un vaste camp. Tous les âges sont appelés par la patrie à défendre la liberté. Les jeunes gens combattront, les hommes mariés forgeront les armes, les femmes feront les habits et les tentes des soldats, les enfants mettront le vieux linge en charpie et les vieillards se feront porter sur les places publiques pour enflammer tous les courages. » Les résultats furent admirables. Toutes nos frontières, entamées en août 1793, étaient délivrées en décembre ; Hoche avait purgé d’ennemis toute l’Alsace et hivernait dans le Palatinat. L’année suivante, l’Espagne, les Pays-Bas, la Hollande furent envahis. Nos soldats entrèrent dans Amsterdam tels que les peint le poète :

Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes.

« Cette cité fameuse par ses richesses, dit le général Jomini, vit avec une juste admiration dix bataillons de ces braves sans souliers, sans bas, privés même des vêtements les plus indispensables et forcés de couvrir leur nudité avec des tresses de paille, entrer triomphants dans ses murs au son d’une musique guerrière, placer leurs armes en faisceaux et bivouaquer pendant plusieurs heures sur la place publique au milieu de la glace et de la neige, attendant avec résignation et sans un murmure qu’on pourvût à leurs besoins et à leur casernement. » Carnot, qui savait ce qu’on peut faire avec de tels soldats, avait imaginé, pour dérouter la tactique prussienne et autrichienne, la guerre par masses et d’élan. L’Espagne et la Prusse étaient forcées à la paix.

Victorieuse au dehors, la Convention l’était aussi au dedans. Toulon était repris, les Vendéens battus, les Anglais et les émigrés anéantis par Hoche à Quiberon. Cependant la terreur était à l’ordre du jour. Comme le royalisme, la modération devint suspecte, et les girondins furent sacrifiés. Bientôt les hébertistes et les dantonistes les suivirent sur cet échafaud dont ils s’étaient si longtemps faits les pourvoyeurs. Resté seul maître du pouvoir, le triumvirat de Robespierre, Couthon et Saint-Just tombe à son tour le 9 thermidor. Cependant, quoique mutilée, la Convention conserve encore assez de force pour étouffer le complot royaliste du 13 vendémiaire, et bientôt elle abdiqua le pouvoir entre les mains du gouvernement directorial (1795). Au milieu d’une lutte effroyable, elle avait continué l’œuvre de la Constituante, établi l’unité des poids et mesures, fondé notre instruction publique, nos grandes écoles, préparé la rédaction du Code civil, etc.

Le Directoire n’eut point la même énergie. S’il sut étouffer les complots royalistes et anarchiques, il compromit le gouvernement et la République par ses mœurs suspectes. Au dehors, cependant, le général Bonaparte le faisait respecter par son épée. L’on connaît son admirable campagne d’Italie de 1796. Tandis qu’il imposait à l’Autriche le traité de Campo-Formio, les autres généraux de la République s’éclipsaient pour la plupart. Pichegru et Moreau étaient, l’un, condamné à la déportation, l’autre, destitué pour avoir conspiré. Hoche, ce grand citoyen, cet homme supérieur, mourait à vingt-neuf ans pour le malheur de la France. L’expédition d’Égypte ajouta un nouveau prestige à la gloire de Bonaparte ; mais la République avait perdu toutes ses conquêtes quand il revint. Nos frontières menacées, nos armées désorganisées, nos finances en mauvais état accusaient la faiblesse et l’incurie du gouvernement directorial. On sentait le besoin de sortir enfin des orages de la Révolution, et quelle main plus ferme pouvait opérer ce changement que celle du vainqueur de l’Italie et de l’Égypte ? Bonaparte comprit qu’il était l’homme de la situation, et le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) il fit envahir par ses grenadiers la salle des Cinq-Cents, et dispersa la représentation nationale. Nommé consul avec Sieyès et Roger-Ducos, il sauva la France ; mais ce fut aux dépens de sa liberté.