Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/5

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Jules Rouff (1p. lxv).
DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES AU PALAIS DE L'INDUSTRIE (Exposition de 1878)

DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES AU PALAIS DE L'INDUSTRIE (Exposition de 1878)
RESTAURATION.

Les armées alliées, victorieuses par le nombre, rentrèrent à Paris ramenant derrière elles Louis XVIII et tous les émigrés. Tandis que Napoléon allait expier sa gloire à Saint-Hélène, les Bourbons remontaient l’escalier des Tuileries et s’installaient de nouveau dans ce palais

Où plane encor l’aigle du grand César.

Il fut triste pour cette famille antique, mais sans énergie, de triompher sur les ruines de la France, plus triste encore pour la France de recevoir son gouvernement des mains de l’étranger. Cependant telle était la lassitude des esprits qu’on se résigna à le subir comme un refuge ouvert à la paix. À la vérité, ces vingt-cinq ans de guerre avaient grandi la gloire de la France, mais au prix de son sang et de sa fortune. Nous avions perdu toutes les conquêtes de la République et de l’Empire. Repoussée des bords du Rhin et du pied des Alpes, la France se vit renfermée dans ses limites de 1790. Pendant près de cinq mois, une partie du territoire fut occupée par les armées alliées, qui y vécurent sans rien payer. Quand le traité du 20 novembre, qu’il fallut accueillir avec joie dans nos malheurs, les eut écartés, ce fut à condition que la France payerait à ses ennemis une indemnité de 700 millions et que 150,000 soldats alliés occuperaient à nos frais une partie de nos places frontières. Et quand, en 1818, des négociations habiles eurent avancé de deux ans l’évacuation de ces places, il fallut encore se réjouir de ce qui n’était que la fin d’un long outrage national.

La Restauration fut une triste époque, non seulement à son début, mais dans toute sa durée. On vit d’abord éclater cette persécution de toutes nos gloires qu’on a appelée la Terreur blanche. Celle-ci n’avait pas pour motif et pour excuse de cruelles nécessités et le salut du pays, mais des passions basses, la haine et la vengeance. Nos plus glorieux généraux de la Révolution et de l’Empire furent frappés. On fusilla Ney. Aujourd’hui, par une réparation tardive, la statue qui s’élève dans un coin du carrefour de l’Observatoire rappelle aux passants et les traits de ce vaillant général et le lieu où il tomba sous les balles. On fusilla Labédoyère. Non satisfait des conseils de guerre et des cours prévôtales, le gouvernement appela encore à son aide dans le midi de la France les passions ardentes d’un peuple facile à se soulever. C’est ainsi que Brune, un des plus honnêtes généraux de notre armée, fut massacré à Avignon, Ramel à Toulouse et plusieurs autres dans d’autres villes.

Ce régime odieux, qui ne laissait de sécurité à aucun des personnages marquants des vingt-cinq dernières années, qui par une défiance inique offensait l’armée jusqu’au fond du cœur, provoqua des conspirations nombreuses, qui furent étouffées dans le sang. Didier à Grenoble, le colonel Caron en Alsace, Berton dans l’Ouest, et ces quatre hardis sergents de La Rochelle exécutés à Paris, et tant d’autres moins connus payèrent de leur vie la noble tentative de rendre à leur pays un régime plus digne et plus libre.

Pendant ce temps, la Chambre introuvable, à qui ces rigueurs semblaient encore insuffisantes, achevait sa destinée. Un ministre sans principes, arrivé par l’intrigue et par une bonne grâce extérieure, M. Decazes, essayait un système de bascule dans l’intérêt de son pouvoir plus que du pays. Le meurtre du duc de Berry amena sa retraite. Il eut pour successeur M. de Villèle, ministre habile, mais peu scrupuleux sur le choix des moyens. Mais si les hommes changeaient, le système ne changeait pas, et la réaction contre les idées libérales suivait son cours. Comme la pensée, la parole n’était pas libre. Pendant que la censure muselait la presse, la représentation nationale était muselée dans la personne de Grégoire, exclu de la chambre comme indigne, et dans celle de Manuel, arraché de la tribune par les gendarmes. Puis on envoya notre armée au delà des Pyrénées pour y défendre l’absolutisme. Après cette campagne, dont l’épisode le plus remarquable fut le siège et la prise du Trocadéro, la révolution espagnole fut renversée, le roi Ferdinand rétabli et la réaction européenne satisfaite ; — mais Louis XVIII ne jouit pas longtemps de la triste gloire que sa politique avait retirée de cette expédition. Il mourut, en effet, le 16 septembre 1824. Charles X, son frère, lui succéda. Héritier de son trône, mais non de sa sagesse, n’ayant rien oublié, rien appris, plein des idées de l’ancien régime, il voulut y ramener la France, et il se jeta dans une voie au bout de laquelle il devait trouver sa chute : le milliard des émigrés, la loi du sacrilège, la loi d’amour, la dissolution de la garde nationale étaient autant d’actes contre-révolutionnaires. La charte n’était plus une garantie, et le roi ne s’en servait que pour saper les institutions nouvelles qu’elle consacrait. Il avait cependant des sentiments chevaleresques sa politique ne manquait pas d’une certaine dignité à l’extérieur, et la Grèce lui dut en grande partie son affranchissement. Nos marins se couvrirent de gloire à Navarin ; mais la Russie fut pleine de joie en voyant les puissances occidentales contribuer elles-mêmes à l’affaiblissement de la Turquie. Après avoir délivré la Grèce du joug du croissant, Charles X voulut purger les mers des pirates qui les infestaient, et il entreprit la conquête d’Alger, conquête vainement tentée par Louis XIV. Ce fut au milieu de la joie publique, excitée par la nouvelle de la prise de cette ville, qu’il rendit ces fameuses ordonnances contre la presse et contre la Chambre, et qui provoquèrent une révolution nouvelle. Pendant trois jours, le sang coula dans Paris hérissé de barricades. On se battait aux cris de Vive la charte ! Quand le roi voulut retirer ses ordonnances et renvoyer ses ministres, on lui répondit qu’il était trop tard. Déclaré déchu du trône par les Chambres, il reprit avec sa famille le chemin de l’exil, pendant que le duc d’Orléans était proclamé sous le nom de Louis-Philippe Ier (1830).