Malte-Brun - la France illustrée/0/6/10

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Jules Rouff (1p. xc-xci).

Bourgogne. — Au nord de Lyon, nous trouvons Autun, la cité druidique que les Romains dépouillèrent de tout, pour la punir de la vénération qu’elle inspirait ; mais ils ne purent lui enlever ce génie austère qui en avait fait le centre de la lugubre religion de nos ancêtres. Jusqu’aux temps modernes, elle a donné des hommes d’État, des légistes, le chancelier Raulin ou Rolin, les Montholon, les Jeannis et tant d’autres. Et cet esprit sévère ne se borne pas dans Autun : Théodore de Bèze, né à Vézelay, fut l’orateur du calvinisme, le verbe de Calvin. Mais la gaie et vineuse Bourgogne ne ressemble en rien à ce triste et désolé pays du Morvan. « La Bourgogne est le pays des orateurs, celui de la pompeuse et solennelle éloquence. C’est de la partie la plus élevée de la province, de celle qui verse la Seine, de Dijon, de Montbard que sont parties les voix les plus retentissantes de la France, celles de saint Bernard, de Bossuet et de Buffon. Mais l’aimable sentimentalité de la Bourgogne est remarquable sur d’autres points, avec plus de grâce au nord, plus d’éclat au midi : vers Semur, la bonne Mme de Chantal et sa petite-fille Mme de Sévigné ; à Macon, Lamartine, le poète de l’âme religieuse et solitaire ; à Charolles, Edgar Quinet, celui de l’histoire et de l’humanité... Il ne faut pas oublier non plus la pittoresque et mystique petite ville de Paray-le-Monial, où naquit la dévotion du Sacré-Coeur, où mourut Mme de Chantal. Il y a certainement un souffle religieux sur le pays du traducteur de la Symbolique et de l’auteur de Solitude, MM. Guigniaut et Dargaud. »

La Bourgogne est aussi la patrie du grand orateur religieux de notre siècle, le P. Lacordaire.

Mais, si ce pays est celui de la grande éloquence, il est aussi celui de l’esprit et de la gaieté. Armand Gouffé, Radet, les gais chansonniers ; Bernard de La Monnoye, conteur charmant, auteur des Noëls bourguignons et en même temps savant distingué ; Papillon, contemporain et rival de Marot ; Piron, le fécond et spirituel épigrammatiste et l’auteur inspiré de la Métromanie, tous appartiennent à la Bourgogne, ainsi que les poètes Longepierre, Briffaut ; Boursault, l’auteur d’Ésope à la cour et à la ville, et Crébillon, le terrible tragique.

C’est encore là que sont nés Mme de Genlis, dont les nombreux écrits ne lassent pas l’intérêt ; Rétif de La Bretonne, le romancier si étrange, si effréné ; et Clément l’inclément, comme l’appelait Voltaire, et Berchoux, l’aimable chantre de la gastronomie.

Du reste, dans cette province, l’imagination et la poésie n’ôtent rien à la solidité de l’esprit ; et si la Bourgogne peut opposer avec orgueil ses poètes et ses orateurs à toute comparaison, elle n’a pas moins de savants : Clémencet, l’auteur de l’Art de vérifier les dates ; l’érudit et judicieux Bouhier ; Larcher, le savant helléniste et l’habile traducteur ; Saumaise, le prince des commentateurs, dont le nom est devenu synonyme d’érudit ; Sainte-Palaye, l’historien de la chevalerie ; Vauban, l’immortel ingénieur et le profond économiste ; Daubenton, le collaborateur et l’ami de Buffon ; et enfin Buffon lui-même, qui, au génie scientifique et à une vaste érudition, joignit une imagination si riche et une éloquence si splendide, l’éternel désespoir des historiens de la nature.