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Malte-Brun - la France illustrée/0/6/12

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Jules Rouff (1p. xcii).

Flandre et Artois. — Le tissage des laines a fait de tout temps de la Flandre et de l’Artois des contrées commerçantes ; la fertilité de leur sol y a développé l’agriculture ; aussi personne, au moyen âge, n’entendait-il comme ces populations le commerce, l’industrie, l’agriculture, la vie courante du monde ; nul n’a mieux compris le côté positif et réel de l’existence. Toujours actifs, achetant des laines pour revendre des draps, sans cesse en rapport avec des peuples divers, ils ont pris dans ce commerce continu cet esprit de finesse qui brille d’un si vif éclat dans Comines, et lui mérita l’honneur d’être le confident et le ministre du roi le plus positif et le plus madré du moyen âge. Et cependant, au milieu de cette vie agitée, tourmentée par le mouvement des affaires, mêlée à toutes ces actions que nous content avec tant de charmes leurs historiens, Froissart et Monstrelet, son continuateur, nous trouvons un singulier penchant au mysticisme. Cette imagination du Nord si sensuelle, si emportée dans cette grasse et molle Flandre, où le sang semble bouillonner avec tant de violence, s’adoucit parfois et se perd en longues et douces rêveries. C’est qu’il y a là deux populations bien distinctes : les hommes d’action, les marchands, les artisans, d’un côté ; et de l’autre, ces ouvriers tisserands enfermés dans leurs caves à peine éclairées, solitaires et rêvant un monde inconnu qu’ils ne peuvent connaître. Ce second caractère se fait peu sentir dans la littérature de ces contrées, et il est facile d’en comprendre la raison. Le premier caractère domine, comme il devait dominer, dans la littérature, dans la peinture surtout, où l’on sent mieux que partout ailleurs l’adoration constante de la nature matérielle. Là, la beauté, c’est la réalité. La recherche et l’apothéose de la réalité, il peine idéalisée quelquefois, voilà le trait général de ces écrivains. Histoire, romans, peinture de mœurs, voilà les sujets qu’ils préfèrent.

Nous avons déjà cité quelques historiens, et les plus importants ; il faut y joindre Gaguin de Douai, Oudegherst de Lille, Baudouin et les empereurs historiens de Constantinople, qui sortent de la Flandre ; les érudits Baudius et Gasselin ; le théologien Alain ; les botanistes Matthias de Lobel, Palisot ; le médecin Lecluse ; Merlin de Douai, un des premiers jurisconsultes ; Pigault-Lebrun, le romancier d’une sensualité trop souvent grossière. Robespierre est né à Arras ; à Boulogne, Daunou, historien et critique également solide et judicieux ; à Hesdin, l’abbé Prévost, dont la vie fut si tourmentée et qui connut si bien les passions humaines, l’auteur de tant de romans, et surtout de Manon Lescaut, cette analyse du cœur de l’homme, si profonde et souvent si triste, où ses misères sont dévoilées et mises à nu avec une vérité qui effrayerait, si chacun ne se flattait d’être à l’abri de pareils égarements.

L’Artois a fourni plus d’un nom à notre poésie primitive : Audefroy le Bastard, Jean Bodel, Adam de La Halle, sont d’Arras, mais tous sont des romanciers ou des historiens en vers. L’inspiration lyrique, l’imagination sentimentale et poétique ne se montrent que dans deux écrivains contemporains, Mme Marceline Valmore, le poète des larmes, et Sainte-Beuve, à la fois poète ingénieux et critique délicat.