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Malte-Brun - la France illustrée/0/7/1

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Jules Rouff (1p. civ-cvi).

AGRICULTURE

§ Ier. Nous avons souvent eu à constater dans l’histoire particulière des départements l’immense étendue des forêts qui couvraient le sol de l’ancienne Gaule. Pour ne citer qu’un exemple, on sait que la fameuse forêt des Carnutes, touchant au nord-est à celle des Ardennes, dépassait au sud-ouest le territoire d’Orléans ; presque tous les grands plateaux du nord, du centre et de l’ouest étaient boisés. Il ne restait donc dans ces régions que des espaces relativement restreints pour le paturage des bestiaux et la culture des céréales. De cet état primitif des choses il est permis de conclure que les Gaulois vécurent d’abord en nomades dans ces contrées, se nourrissant du produit de leur chasse, du lait de leurs bestiaux, et tirant peu du sol, dont la culture était abandonnée aux esclaves.

C’est dans le midi que pénétra d’abord la civilisation à la suite des Phéniciens, des Carthaginois et des Phocéens. L’olivier, la vigne, le figuier furent plantés par eux sur cette terre dont ils devaient faire la richesse ; puis, autour des villes qui s’élevaient dans les terrains propres au jardinage, les nécessités de l’alimentation, les besoins du luxe firent appliquer les procédés empruntés à la Grèce. L’imitation de ces premiers essais s’étendit

Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris.

Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris.


bientôt sur les deux rives du Rhône et le long des côtes occidentales voisines de l’Espagne. Le degré d’industrie agricole qui appartient en propre à la race gauloise est très difficile à caractériser, comme tout ce qui remonte à cette période si peu connue. La diversité des nations répandues sur ce territoire ajoute encore à cette confusion et à cette obscurité non moins que les différences de température entre la brumeuse Bretagne, le Jura aux sommets neigeux et les plaines brûlées de la Provence. Si l’on en croit Pline et Palladius, on peut attribuer aux Gaulois une certaine habileté à créer des engrais artificiels, l’usage de marner les terres, l’invention d’une machine à récolter et la fabrication de certaines boissons : hydromel, bière, peut-être le cidre et le vin. En agriculture comme dans le reste, l’invasion romaine apporta son contingent au progrès ; à dater de cette époque, d’ailleurs, nous avons des notions plus positives. La Septimanie est renommée pour la qualité de ses salaisons ; les Morins ont, comme on dirait aujourd’hui, une spécialité que les historiens constatent : ils exportent pour la table des riches Romains des oies grasses, qui, hélas ! ne doivent plus sauver le Capitole. Il n’est pas jusqu’aux succulentes et monstrueuses asperges des Gaules dont ne fassent une mention particulière les Brillat-Savarin du temps.

On peut juger par ces détails du développement qu’avaient dû prendre les branches plus importantes de l’agriculture. Les nécessités stratégiques de l’occupation romaine avaient amené de nombreux défrichements ; la construction des camps, des villes nouvelles avait entraîné souvent l’érection de ces aqueducs monumentaux dont la culture sut bientôt tirer parti. Les premiers desséchements des marais, l’établissement de canaux d’irrigation datent de cette même époque ; sur beaucoup de points, le sol s’amende, se transforme. Le paysan gaulois, avec cette finesse qui a traversé tant de siècles, imite et perfectionne bientôt les procédés qu’il semblait se laisser imposer ; il a compris que les vainqueurs ne tarderaient pas à devenir tributaires des vaincus ; et, en effet, voilà Marseille qui succède à la Sicile épuisée et qui devient à son tour le grenier de Rome. Pline constate que non seulement les produits des provinces méridionales, mais ceux aussi de la Gaule centrale, arrivaient par la Saône et le Rhône dans la cité des Phocéens pour être ensuite dirigés sur la ville éternelle, gouffre immense qui absorbait tout et ne produisait plus rien. L’élève du bétail était aussi une des gloires de l’industrie gauloise ; posséder des troupeaux dans les Gaules était un titre dont aimait à se prévaloir la vanité des riches Romains.

La richesse et la variété de ces ressources attiraient l’attention des empereurs : on aime à s’associer à ce qui prospère. Plusieurs d’entre eux attachèrent leur nom à d’utiles innovations en agriculture ; Probus surtout doit être cité pour les encouragements qu’il prodigua aux plantations de vigne. Pendant que ces importantes relations s’établissaient entre l’Italie, l’Orient et les régions méridionales de la Gaule, des rapports analogues commençaient à unir nos côtes de l’ouest aux ports correspondants de la Grande-Bretagne. Sur l’agriculture semblaient se poser les bases d’une organisation régulière ; les voies semblaient s’ouvrir à un avenir de progrès, quand les invasions des barbares remirent tout en question.