Malte-Brun - la France illustrée/0/7/9

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Jules Rouff (1p. cxviii-cxix).

§ Ier. À l’exception de la grande colonie phénicienne de Marseille et des établissements qu’elle avait fondés sur divers points, le commerce extérieur n’était guère représenté que par quelques tribus de la basse Aquitaine et de l’Armorique transportant par mer, les premiers, en Espagne, de la résine, du miel, du vin et les produits de leur pêche ; les autres, sur les rivages correspondants de la Grande-Bretagne, quelques ouvrages d’argile qu’ils façonnaient avec habileté, des ustensiles en poterie, des légumes, des fruits et des bestiaux. Certains auteurs ont voulu trouver dans quelques ruines découvertes à l’est et au centre de la Gaule les restes d’importantes cités commerçantes et industrielles. Ces assertions reposent sur des données tellement vagues, que nous les consignons sans en assumer aucunement la responsabilité, renvoyant pour l’appréciation de ces hypothèses à nos notices sur les départements et les villes principales.

L’amélioration des voies de communication étant un des éléments essentiels de la prospérité du commerce, la Gaule aurait vu sans doute ses relations au dedans et au dehors s’accroître et s’étendre considérablement pendant l’occupation romaine, si le commerce avait reçu des vainqueurs les mêmes encouragements que l’agriculture. Mais le génie de nos ancêtres pas plus que celui des Romains n’était tourné de ce côté ; aux Grecs de Marseille succédèrent pendant tout le moyen âge les Juifs, les Lombards ; et aujourd’hui sait-on bien quelle part de notre commerce est chez nous-mêmes aux mains de l’étranger ? Flamands au nord, Suisses en Franche-Comté, Espagnols à Bordeaux, Génois à Marseille, Anglais partout, dans la banque, dans nos chemins de fer, ne prouvent-ils pas la persistance d’un instinct répulsif et notre permanente infériorité dans cette carrière ?

En France, à l’égard du commerce, il reste encore beaucoup des vieux préjugés nobiliaires ; le fils d’un commerçant enrichi dédaigne généralement la boutique de son père : il ambitionne de devenir médecin, avocat ou notaire ; toute intelligence élevée s’éloigne du comptoir, on se fait artiste ou soldat sans déroger ; la qualification d’épicier est une injure ; et tandis qu’ailleurs les travaux et le crédit du fils, s’ajoutant à ceux du père, constituent des maisons d’une solidité incontestée et d’une notoriété européenne, chez nous, en ce genre, rien de durable ne se fonde, et c’est au milieu des défiances qui s’attachent à tout début qu’il faut lutter contre des réputations séculaires, contre l’expérience et les ressources accumulées de plusieurs générations. Cette digression sur l’état actuel n’est pas sans utilité pour l’intelligence du passé.