Malvina (Ménard, 1824)/2

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Ménard et Desenne, fils (2p. 16-22).


CHAPITRE II.

Portrait[1]

Infortunée Malvina ! enfin tu as cessé de souffrir ; enfin le repos apporte son baume sur ta profonde blessure, et quelques instans, du moins, tu vas oublier que tu es restée seule au monde : mais, durant ce moment de calme, je veux dire ce qu’était Malvina, je veux rendre, s’il est possible, quelques traits de cette femme charmante, dont les qualités, l’esprit et la figure formaient un ensemble qui n’a appartenu qu’à elle, et que la terre n’offrira pas deux fois. Mais ou trouver des couleurs pour la peindre ? Il en est de fraîches pour la beauté, de suaves pour les grâces, de brillantes pour l’esprit ; mais pour ce charme pénétrant qui savait tout enlacer, et faire aimer jusqu’à ses défauts, où en est-il ?

Ce n’est point en disant ce qu’était, mais ce qu’inspirait Malvina, qu’on pourrait la faire connaître ; ce ne sont point les éloges qui accompagnaient son nom, mais l’émotion avec laquelle on le prononçait, qu’il faudrait rendre. Tout être qui, admis dans son intérieur, avait pu la voir et l’écouter, éprouvait, en pensant à elle, un sentiment différent que pour toute autre personne, et dont il ignorait le nom ; car ce qui plaisait le plus en elle n’en avait point : avec beaucoup d’esprit, elle possédait quelque chose de mieux qui le faisait oublier ; et tandis que beaucoup de femmes s’enorgueillissent des louanges qu’on donne au leur, Malviua aurait beaucoup perdu si on avait pensé au sien.

Je ne prétends pas dire que Malvina fût sans défauts ; mais chez elle ils semblaient un attrait de plus : je n’en saurais donner d’autres raisons, que de dire qu’ils étaient ceux de Malvina, et qu’on ne la voulait pas mieux, parce qu’on ne la voulait pas autre. Ce n’était ni tel agrément, ni telle qualité qu’on remarquait en elle ; car, à l’exception de cette bonté qui suppose tant de vertus, et qui n’en parait pas une, rien ne semblait saillant dans son caractère, parce que tout était en harmonie.

Malvina possédait cette complaisance que la politesse copie et n’imite point : ce n’était ni par effort ni par calcul, qu’elle pliait son goût à celui des autres, mais parce que l’image du plaisir d’autrui lui arrivait toujours avant celle du sien.

Malvina obligeait un étranger comme on sert un ami ; mais en servant ses amis, elle trouvait pour eux quelque cllose de mieux encore : sans doute il faudrait avoir été cher à Malvina, il faudrait avoir été milady Shéridan elle-même, pour connaître dans toute son étendue ce qu’est le dévouement de l’amitié ; celle-là seule, à qui elle avait donné le nom d’amie, pouvait dire avoir été véritablement aimée, puisqu’elle avait inspiré ce sentiment inconnu de nos jours, qui donne sa fortune sans calcul, comme sa vie sans efforts.

Afin de finir le portrait de Malvina, je ne parlerai point de sa bienfaisance, car ce sujet serait inépuisable ; je n’aurais jamais assez dit le charme secret et doux qu’elle trouvait à être l’auteur de la prospérité d’autrui, ni comment un long usage de ce plaisir y rendait chaque jour son cœur plus sensible, au point de lui faire croire qu’elle perdait tout ce qu’elle ne donnait pas.

S’il est vrai que les vertus nous furent données par l’Être-Suprême comme une lumière pour le connaître, et un moyen de nous rapprocher de lui, qui, plus que Malvina, devait avoir cette confiance profonde de l’existence d’un Dieu, et cette piété sincère qui ne fait voir dans cette vie qu’un moyen d’en obtenir une plus heureuse ?

Quoique douée d’un cœur tendre et même passionné, Malvina n’avait jamais aimé que son amie. Habituée, dès son enfance, à ne vivre que pour elle, à ne jouir que de son amitié, elle ne se figurait pas qu’il existât d’autres biens. Sans doute une vive passion aurait pu l’arracher à cette erreur ; mais l’homme auquel on l’avait unie n’était pas propre à la lui inspirer, tant à cause de la disproportion des âges que du peu de rapport des caractères : aussi Malvina ne recueillit-elle d’autre fruit d’une union si désassortie, qu’une douceur à toute épreuve, et la conscience d’avoir rempli ses devoirs avec la plus austère rigidité. Elle avait fini même par gagner la confiance de son mari ; car si sa touchante beauté faisait naître des desirs, sa pudeur les enchaînait : timide, modeste, rougissant d’être remarquée, ses yeux, toujours baissés, lui laissaient ignorer qu’elle était l’objet de tous les regards ; et comme il n’y avait point de femme qu’elle n’effaçât par ses charmes, il n’en était point qu’elle ne surpassât davantage par ses vertus : tous la voyaient avec admiration, elle seule n’en savait rien.

Sans doute ceux qui l’avaient aimée en silence durant son mariage, osèrent le lui dire lorsqu’elle fut libre ; mais son âme, fatiguée par une longue tyrannie, avait plus besoin de repos que d’agitation : elle ne voulait, ne désirait que l’amitié. Milady Sheridan était l’idole qu’elle déifiait : elle vola dans ses bras, et ne voulut plus d’autre plaisir : son amie était malheureuse, sa tendresse redoubla. Ah ! sans doute, qui n’a pas vu souffrir ce qu’il aime, ne sait point encore jusqu’où il peut aimer !

Ainsi Malvina, arrivée à vingt-quatre ans sans avoir connu l’amour, ne se croyait pas susceptible d’en éprouver ; mais, pour y avoir été étrangère, on n’y est pas inaccessible. Hélas ! pourquoi l’ignorait-elle !

Non-seulement elle croyait avoir la certitude que ce sentiment ne pouvait rien sur elle, mais elle y joignait la ferme résolution de le repousser. N’avait-elle pas promis de servir de mère à Fanny ? Ne devait-elle pas consacrer sa vie entière à remplir ce devoir ? et n’aurait-elle pas regardé comme un crime tout ce qui aurait pu l’en distraire ? Dans ces dispositions, rien ne pouvait lui convenir davantage que la retraite où elle se trouvait : aussi l’idée d’y vivre loin du monde, et de pouvoir s’y livrer entièrement à ses regrets et à son enfant, avait-elle répandu une sorte de douceur sur l’amertume de sa peine.

  1. Quelques personnes ont prétendu me faire un reproche de la longueur de ce portrait ; peut-être l’eussé-je abrégé de beaucoup, s’il n’eût été que l’ouvrage de mon imagination ; mais presque tous ses principaux traits étant pris dans un caractère qui m’est bien connu, je n’ai pu me résoudre à en sacrifier aucuns.