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Manuel de la parole/15/23

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J.-P. Garneau (p. 191-192).

LE LION ET LE MOUCHERON


« Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre. »
Tantôt C’est en ces mots que le Lion
Tantôt Parlait un jour au Moucheron.
Tantôt L’autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Tantôt Me fasse peur ni me soucie ?
Tantôt Un bœuf est plus puissant que toi :
Tantôt Je le mène à ma fantaisie. »

Tantôt À peine il achevait ces mots,
Tantôt Que lui-même il sonna la charge,
Tantôt Fut le trompette et le héros.
Tantôt Dans l’abord il se met au large,
Tantôt Puis prend son temps, fond sur le cou
Tantôt Du Lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit : on se cache, on tremble à l’environ,
Tantôt Et cette alarme universelle
Tantôt Est l’ouvrage d’un Moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l’échine et tantôt le museau,
Tantôt Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir

Qu’il n’est griffe ni dent, en la bête irritée,
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs.
Bat l’air, qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.

L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
Tantôt L’embuscade d’une araignée ;
Tantôt Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire.
Tantôt Qui périt pour la moindre affaire.

La Fontaine.