Manuel de la parole/15/39

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J.-P. Garneau (p. 217-219).

FILS DE CROISÉS ET FILS DE VOLTAIRE


Messieurs, il faut bien vous le persuader, le catholicisme ne craint ni les violences de l’émeute, ni les violences de la loi. Dans la lutte qui commence et qui ne finira pas, croyez-le bien, par le vote de tel ou de tel projet de loi, il s’agit non pas d’une question de parti, mais d’une question de conscience. On n’en finit pas avec les consciences comme avec les partis. On vous dit d’être implacables et inflexibles. Mais savez-vous ce qu’il y a de plus inflexible au monde ? Eh ! ce n’est ni la rigueur des lois injustes, ni le courage des politiques, ni la vertu des légistes, c’est la conscience des chrétiens convaincus.

Permettez-moi de vous le dire, Messieurs, il s’est levé parmi vous une génération d’hommes que vous ne connaissez pas. Qu’on les appelle néo-catholiques, sacristains, ultramontains, comme on voudra, le nom n’y fait rien, la chose existe. Cette génération prendrait volontiers pour devise ce que disait, au dernier siècle, le manifeste des généraux Polonais qui résistèrent à Catherine II : « Nous qui aimons la liberté plus que tout au monde, et la religion catholique plus encore que la liberté. »

Nous ne sommes ni conspirateurs, ni complaisants ; on ne nous trouve ni dans les émeutes, ni dans les antichambres ; nous sommes étrangers à toutes vos coalitions, à toutes vos récriminations, à toutes vos luttes de cabinet, de partis ; nous n’avons été ni à Gand ni à Belgrave-Square ; nous n’avons été en pélerinage qu’au tombeau des apôtres, des pontifes et des martyrs. Nous y avons appris, avec le respect chrétien et légitime des pouvoirs établis, comment on leur résiste quand ils manquent à leurs devoirs, et comment on leur survit. Nés et élevés au sein de la liberté, des institutions représentatives et constitutionnelles, nous y avons trempé notre âme pour toujours. On nous dit : Mais la liberté n’est pas pour vous, elle est contre vous ; ce n’est pas vous qui l’avez faite. Il est vrai que la liberté n’est pas notre œuvre, mais elle est notre propriété, et qui oserait nous l’enlever ? À ceux qui nous tiennent ce langage, nous répondrons : Mais vous, avez-vous fait le soleil ? Cependant vous en jouissez. Avez-vous fait la France ? Cependant vous êtes fiers d’y vivre…

Dans cette France accoutumée à n’enfanter que des gens de cœur et d’esprit, nous seuls, nous catholiques, nous consentirions à n’être que des imbéciles et des lâches ! Nous nous reconnaîtrions à tel point abâtardis, dégénérés de nos pères, qu’il nous faille abdiquer notre raison entre les mains du rationalisme, livrer notre conscience à l’Université, notre dignité et notre liberté aux mains de ces légistes, dont la haine pour la liberté de l’Église n’est égalée que par l’ignorance profonde de ses dogmes ! Quoi ! parce que nous sommes de ceux qu’on confesse, croit-on que nous nous relevions des pieds de nos prêtres, tout disposés à tendre les mains aux menottes d’une légalité anticonstitutionnelle ? Quoi ! parce que le sentiment de la foi domine dans nos cœurs, croit-on que l’honneur et le courage y aient péri ?

Ah ! qu’on se détrompe. On vous dit : Soyez implacables. Eh bien ! soyez-le ; faites tout ce que vous voudrez et tout ce que vous pourrez : l’Église vous répond par la bouche de Tertullien et du doux Fénelon : « Nous ne sommes pas à craindre pour vous, mais nous ne vous craignons pas. »

Et moi, j’ajoute au nom des catholiques laïques comme moi, catholiques du XIXe siècle : Au milieu d’un peuple libre, nous ne voulons pas être des ilotes ; nous sommes les successeurs des martyrs, et nous ne reculerons pas devant les successeurs de Julien l’Apostat ; nous sommes les fils des Croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire.

Montalembert.