Manuel des expressions vicieuses les plus fréquentes/S
S
SAFE. — Armoire de sureté. Jadis, on disait coffre-fort, mais depuis que ce meuble affecte la forme d’une armoire, il a bien fallu modifier son nom.
SALLE. — Pour indiquer qu’à une représentation, à un concert ou autre amusement public il y avait un auditoire assez nombreux, l’anglais se sert de la locution : There was a good house, et cette locution, bien des gens se contentent de la traduire mot à mot, car il arrive souvent d’entendre dire qu’il y avait une bonne salle au spectacle dont ils veulent parler.
SAMPLE. — Presque toujours nos marchands se servent de ce terme anglais, tout en prononçant à la française, car ils disent un ou des simples. Nous croyons, cependant, qu’ils connaissent le mot français échantillon.
SANTÉ (Bureau de). — C’est une mauvaise traduction de Board of Health, qu’il faut rejeter et remplacer par celle plus exacte de conseil de salubrité.
SATISFACTION. — Employé par bien des gens dans une acception anglaise. Exemple : De manière à vous satisfaire, je vais démontrer que vous avez tort, au lieu de : Je vais vous convaincre, etc. Il nous souvient d’avoir entendu un avocat de la couronne s’exprimer de la même façon. « Après les nombreux témoins entendus dans la boîte, » dit-il, « Votre Honneur sera satisfait de la culpabilité du prisonnier ! » Saint Yves, qui était Français, n’a pas dû être satisfait de cette manière de s’exprimer.
SAUCE-PAN. — Poêlon.
SAVONNETTE. — Ici encore l’on constate que ce mot est généralement mal appliqué. Savonnette est le morceau de savon ordinairement parfumé et dont la mousse sert à enduire la partie du visage que l’on veut raser, et pinceau à barbe ou blaireau est l’objet avec lequel on applique cette mousse.
SAVATER. — Corruption du verbe saveter, qui signifie gâter un ouvrage en le faisant ou en le raccommodant malproprement ; mais, lorsque nous employons ce mot, nous le faisons synonyme de Salir, acception que le dictionnaire ne lui donne pas.
SAVOYANE. — Terme par lequel nous désignons l’ellébore à trois feuilles.
SCARFING. — Mettre des pièces de bois bout à bout et assembler leurs extrémités par le moyen d’entailles. C’est ce que l’on appelle enter ; mais nos charpentiers de navire ont francisé le mot anglais, et ils disent aujourd’hui scarfer une quille, etc.
SCRAPER. — Les ébénistes et menuisiers ne connaissent pas le nom français de cet outil, qui sert à racler le bois ; aussi, disent-ils toujours un scraper au lieu d’un racloir, scraper au lieu de racler.
SECONDEUR. — Dans nos assemblées délibérantes, on ne procède pas toujours de la même manière qu’en France. Là, pour mettre un sujet en délibération, il suffit d’un proposant, tandis qu’ici, où la coutume anglaise est suivie, il faut à toute proposition un secondant, et non un secondeur, mot trop imité de l’anglais et que nous n’avions pas le droit de créer, vu qu’en pareil cas, si le verbe existe, on peut facilement transformer en substantif le participe présent. Voir Proposeur.
SECOUPE. — Corruption de soucoupe.
SECTION. — L’anglais désigne par ce mot l’article d’une loi ; aussi s’est-on empressé de l’adopter. Ici, cependant, il existe un correctif : le mot propre se trouve dans le code bas-canadien.
SERVIR. — Verbe employé à tort par beaucoup de nos hommes de loi pour signifier une sommation, etc. Que voulez-vous ? l’anglais dit to serve a summons ! Jamais on ne pourra trop le répéter : c’est la traduction servile qui, petit à petit, défigure notre bel idiome franc !
SET. — Mot anglais qui s’applique à mille choses et qui est presque passé dans notre langage. Pour éviter l’ambiguïté, nous allons indiquer en anglais les principaux cas où ce substantif est employé, tout en les faisant suivre de la traduction : Set of friends, cercle d’amis ; set of crochey, service de vaisselle ; set of studs, garniture de boutons de chemise, set of furniture, assortiment de meubles ; set of tools, assortiment d’outils.
SHAFT. — Il est rare que nos ouvriers mécaniciens désignent autrement l’arbre de couche.
SHAPE. — Beaucoup de personnes emploient ce mot anglais pour désigner, soit une forme de chapeau, la taille ou la mine bonne ou mauvaise d’une personne.
SHAVE (To). — En Amérique, l’on fait ce verbe anglais synonyme d’action usuraire et nos hommes d’affaires l’ont adopte en le francisant un peu. Exemples : un tel m’a shévé ; un tel est un vrai shéveur ; c’est, le shévage qui l’enrichit. L’usage de termes aussi barbares serait peut-être excusable s’il n’y avait, pas d’équivalents dans notre langue, que nous nous plaisons à abâtardir en empruntant au pauvre idiome saxon des mots comme ceux que nous venons de citer ; mais, en ce cas comme en bien d’autres, nous ne pouvons nous prévaloir de cette excuse, car, pour remplacer les termes corrompus de shévé, shéveur, et shévage, nous avons les expressions suivantes, qui sont autrement caractéristiques : un tel m’a juivé : un tel est un véritable usurier ; c’est l’usure qui l’enrichit.
SHEERING. — Nos marins disent rarement qu’un navire a fait des embardées. Ils ont au contraire francisé le verbe to sheer et en disant, comme ils le font aujourd’hui, qu’un navire a pris une shire, qu’un vaisseau shirait, au lieu de : prenait des embardées, ils ont certainement perdu au change.
SHIFTING. — Un chargement de navire a shifté, disent les charpentiers et arrimeurs, et pourtant, ils savent tous que désarrimé est le mot français.
SHIRTING. — Calicot, coton blanc ou coton à chemise.
SHOOTING-STICK. — Décognoir. Morceau de bois avec lequel on serre et desserre les formes dans les imprimeries.
SIDE-BOARD. — Buffet est le nom français de cette espèce d’armoire où l’on met la vaisselle et le linge de table. D’après le Vocabulaire de l’abbé C., buffet serait synonyme de garde-manger. Étant certain du contraire, le présent article va faire double emploi. Bien que l’Histoire des Trois-Rivières soit muette sur ce point, il se peut qu’au chef-lieu de ce district le buffet soit en même temps un garde-manger ; mais, de ce, il serait arbitraire de conclure que ces deux mots ne désignent pas deux choses distinctes. Une telle conclusion serait même on ne peut plus inconsidérée ; car, si l’on doit s’en rapporter à nos meilleurs lexiques, garde-manger est le lieu particulièrement affecté aux aliments. L’on donne même ce nom au châssis garni de toile ou d’un tissu métallique, et dans lequel les aliments sont mis à l’abri des mouches.
SINK. — Boîte ordinairement foncée en plomb, avec un trou au milieu pour l’écoulement des eaux, et dans laquelle se lave la vaisselle. Évier est le nom français.
SITE. — Partie du paysage considérée relativement à l’aspect qu’elle présente. Ce mot n’a pas d’autre acception dans notre langue ; mais site, en anglais, signifie emplacement de maison, etc. Ce dernier mot étant bien connu, il serait donc repréhensible de lui préférer site, qui, en français, n’a que la signification donnée plus haut.
SKY-LIGHT. — Abat-jour. Mais, sur un navire, sky-light signifie écoutille vitrée.
SLAB. — Tous nos charpentiers de navire désignent par ce mot anglais la croûte qu’on enlève aux pièces de bois de construction avant de les refendre en poutres, etc., de l’épaisseur voulue. Voir Croûtes.
SLACK. — Ce mot anglais est passé dans le langage de tous nos ouvriers et marins, qui disent slaquer au lieu de larguer une amarre ; donner du slack au lieu de donner du jeu à une porte, à un tiroir, etc. Ils disent aussi : les temps sont slack pour : les temps sont durs.
SLEEPING CARS. — Voitures de chemin de fer qui ont des lits. Coupés-lits est le nom français qui correspond.
SLIP. — Cale. Partie ménagée dans un quai, dans un port à marée et formant une rampe. Le plancher de quelques-unes de ces cales monte et baisse avec la marée. Le mot anglais seul semble connu dans notre principal port.
SLIPPERS. — Pantoufles. Souliers à semelle mince, sans oreille et que l’on ne porte qu’à la maison.
SLUR (To). — Friser ou papilloter. On dit d’un tirage qu’il frise, lorsqu’il manque de netteté, et lorsque l’impression se projette au-delà de l’œil de la lettre.
SMART. — Ce mot anglais qui signifie badinage, est bien celui dont l’emploi peut jeter le plus de ridicule sur nous ; car il ne comporte pas le sens que nous lui donnons d’ordinaire. Lorsqu’on dit : c’est un homme smart, toujours nous entendons la capacité, l’habileté, la finesse ou l’esprit de la personne ainsi désignée ; pourquoi, alors, ne pas dire de préférence : c’est un homme habile, capable, fin ou d’esprit ?
SNACK. — Mot anglais qui signifie manger un morceau et beaucoup disent faire, donner un snack, au lieu de donner un repas ou un régal. Nous avons là une des mille preuves que nous tombons dans le ridicule chaque fois que nous remplaçons par une expression étrangère, un mot ou une locution de notre langue.
SNOQUE. — Jouer à la snoque. C’est la locution anglaise let us knock, qui a été ainsi corrompue par les enfants, et qui, pour eux, sert à désigner une des variations au jeu de billes, dont tapette est le nom français. Ainsi, au lieu de jouer à la snoque, ils devront dire : jouer à la tapette.
SOLAGE. — Vieux mot qui signifie sol, et qu’à tort l’on emploie pour mur de fondation.
SPAN. — Une span de chevaux, des chevaux qui spannent bien. Évitez de faire usage d’expressions aussi vicieuses, en les remplaçant par celles-ci : une paire de chevaux ; des chevaux bien appareillés. Span signifie aussi empan, espace compris entre l’extrémité du pouce et celle du petit doigt dans leur plus grand écart.
SPARE BALL. — Se dit au jeu de quilles pour indiquer qu’en deux boules on les a renversées toutes, et qu’avec la troisième qui reste, on peut encore faire des points en sus des dix déjà faits. Spare ball peut, en conséquence, se traduire par boule de réserve.
SPELL. — J’ai donné une bonne spell à cet ouvrage, disent bon nombre d’ouvriers ; mais ceux qui ne se servent pas de cette locution anglaise emploient d’ordinaire celle-ci : J’ai donné une bonne escousse à cet ouvrage. Inutile de dire que ces deux expressions devraient être rejetées : la première parce qu’elle est anglaise, et l’autre parce qu’elle signifie prendre son élan pour mieux courir. J’ai bien, ou J’ai beaucoup avancé tel ouvrage, ou toute autre expression analogue pourrait facilement les remplacer.
SPOKE-SHAVE. — Outil de charron et de menuisier d’invention allemande. Plane allemande est le nom que les Français lui donnent.
SPOT. — Au jeu de trou-madame (Pigeon hole), ce mot indique d’abord la place où l’on met la bille qui sert de premier but ; en ce cas c’est placer le but qu’il faut dire ; mais lorsqu’il s’agit de tirer pour savoir lequel des joueurs aura la main, le gagnant doit se servir de cette locution : « À moi la main, » au lieu de : « À moi le spot. »
SPREE. — Le dictionnaire anglais ne reconnaît pas ce terme, que nous croyons appartenir à l’argot américain. Il ne s’en est pas moins glissé dans notre langage, car nous entendons dire bien souvent : Pierre ou Paul est en spree, au lieu de Pierre ou Paul fait la noce.
SPRING. — Le mot français correspondant est bien connu, mais nous ne nous abstenons pas pour cela de dire : voitures à spring pour : voitures à ressorts ; bottines à spring, au lieu de bottines à tige élastique.
STAMP. — Bouche-trou. Espèce d’étampe dont se servent les cordonniers pour cacher, en l’imprimant sur une semelle, les trous qu’y ont faits les deux chevilles qui la tenaient appliquée sur la forme.
STARTING. — Ce verbe est fréquemment employé par les charpentiers de navire, qui ont pris le soin de le franciser, car ils disent : Ou va starter tel ouvrage, au lieu de commencer. Ils disent aussi : les écarts d’un bordage ont starté, pour : se sont éloignés ou disjoints.
STATE-ROOMS. — Cabines de pont. Cabinets placés sur le deuxième pont d’un bateau à vapeur.
STEAM-SHOVEL. — Terrassier à vapeur, engin employé pour les grands travaux de terrassement, que nécessite la construction de chemins de fer, etc.
STEWARD. — Commis des vivres d’un navire ou bateau à vapeur.
STEWPAN. — Casserole.
STRAP. — Ce mot anglais est très répandu, car toujours l’on s’en sert pour désigner une mentonnière de casquette, des sous-pieds, courroies, etc.
STRING, HALF-STRING. — Ces deux mots se disent au jeu de quilles, et ils signifient, l’un la grande, et l’autre la petite partie. La grande partie est de trente boules et la petite de quinze.
STUFF. — Ce mot est souvent employé au lieu du français étoffe.
SUGGESTTON. — Ce substantif ne doit s’employer qu’en mauvaise part. Exemples : faire une chose à la suggestion d’un tel ; céder aux suggestions de l’amour-propre. Il s’ensuit, par conséquent, que nous faisons erreur en l’employant comme synonyme de recommandation, avis ou conseil.
SULKY. — Voiture particulière aux entraîneurs de chevaux trotteurs, à une seule place, et qui, en français, se nomme désobligeante.
SWINGER. — Les arrimeurs désignent par ce nom le travailleur qui leur amène pièce à pièce le bois près du navire dont ils ont à faire le chargement. Flotteur est le nom français qui correspond à swinger.