Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris/Préface

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PRÉFACE

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La Société royale et centrale d’agriculture de la Seine a toujours porté un grand intérêt à la culture maraîchère de Paris : dès 1810, elle avait ouvert un concours pour la composition d’un manuel pratique de cette culture, afin d’en répandre la connaissance en dehors de la capitale, dans l’enceinte de laquelle elle est à peu près concentrée ; et, quoique ce concours fût resté ouvert pendant dix années, aucun concurrent ne s’est présenté.

En 1842, la Société royale a renouvelé ses instances, par l’organe de M. le vicomte Héricart de Thury, en séance générale présidée par M. le ministre de l’agriculture et du commerce ; l’honorable et savant orateur a si bien fait sentir l’utilité et l’importance de la culture maraîchère, que M. le ministre a, séance tenante, fondé un prix pour être décerné, en 1843, à celui qui ferait le meilleur Traité de la culture maraîchère de Paris, en se conformant au programme que la Société d’agriculture rédigerait à cet effet.

Encouragés par quelques amis, nous nous mîmes sur les rangs. Notre premier travail n’a pas rempli complètement les conditions imposées par le programme ; cependant nous reçûmes la grande médaille d’argent, avec l’invitation pressante de nous représenter au même concours l’année suivante. Flattés de cette première distinction, nous revîmes notre manuscrit, le renvoyâmes au concours, et nous eûmes l’honneur de le voir couronner de la grande médaille d’or de 1,000 francs, en séance solennelle, le 14 avril 1844.

La Société royale et centrale d’agriculture ne s’en est pas tenue à cette marque déjà très-flatteuse pour nous, elle a encore arrêté que notre ouvrage serait imprimé à ses frais dans ses Mémoires, et nous a autorisés à en faire tirer le nombre d’exemplaires que nous jugerions convenable ; ce sont ces exemplaires que nous offrons aujourd’hui au public.

Maintenant nous allons exposer les difficultés que nous avons dû éprouver pour composer cet ouvrage, le plan que nous avons suivi et le but que nous nous sommes proposé.

D’abord nous rappellerons que la culture maraîchère ne s’est jamais apprise ni perfectionnée que par la pratique, et que jamais aucun jardinier-maraîcher n’avait écrit sur cette culture avant nous. Notre première assertion ne peut recevoir aucune objection ; la seconde peut être expliquée par deux raisons que nous allons tâcher de mettre en évidence.

La culture maraîchère, telle qu’elle s’exerce à Paris, ne laisse jamais aucun loisir à celui qui la pratique s’il veut en vivre honorablement ; et, quand l’idée lui vient de transmettre ses connaissances aux autres par le moyen de la presse, sa famille, ses cultures lui montrent assez qu’il n’a pas de temps suffisant à sacrifier à cet objet.

Mais, en supposant que cette première difficulté ne soit pas insurmontable, en voici une seconde non moins grande. Les jardiniers-maraîchers, ne recevant généralement que les premiers éléments de l’instruction, sont effrayés de la distance qu’ils supposent exister entre leurs connaissances et celles de l’homme lettré qui sait communiquer ses pensées par la presse, et ils croient qu’il faut absolument franchir cette distance pour oser se faire imprimer. Nous avons été longtemps arrêtés par cette idée, et si des amis ne nous eussent pas souvent répété : « Travaillez, prenez de la peine ; apprenez à exercer votre intelligence comme vous savez exercer vos bras, et en peu de temps vous saurez expliquer votre pensée vous-même ; » si, disons-nous, des amis ne nous eussent pas encouragés de cette manière, nous aurions continué de nous taire comme se taisent nos confrères.

Nous ne prétendons pas être arrivés à une pureté remarquable, à un style irréprochable ; mais enfin nous croyons pouvoir être lus et compris. D’ailleurs, la Société royale et centrale d’agriculture ayant bien voulu nous faire connaître qu’elle tenait plus au fond qu’à la forme, nous espérons que le public aura la même indulgence.

Quant au plan de notre ouvrage, il nous avait été tracé par le programme de la Société royale d’agriculture, et nous l’avons suivi le plus exactement qu’il nous a été possible. Ce programme demandait positivement un manuel pratique de la culture maraîchère telle que nous la pratiquons dans l’enceinte de Paris, parce que ses procédés, son but et ses résultats, très-différents de ceux de la culture potagère, n’avaient jamais été publiés.

Quant au but de notre ouvrage, il était fondé sur plusieurs raisons que nous allons faire connaître. D’abord nous partagions avec la Société royale d’agriculture le désir qu’un manuel pratique de la culture maraîchère de Paris fût fait et publié ; car, si ceux qui ont écrit sur la culture potagère nous ont emprunté quelques procédés, ils ne les ont jamais rendus avec la précision et tous les détails que les maraîchers seuls connaissent ; et puis, quand on convient généralement que cette culture ne peut être convenablement décrite que par des maraîchers praticiens, on nous pardonnera peut-être d’avoir osé tenter de mettre cette partie importante de l’horticulture au niveau de ses autres branches.

À la vue des chemins de fer qui s’établissent de toute part, à la vue des efforts de l’industrie pour obtenir de la chaleur au meilleur marché possible, il est facile de prévoir que la culture maraîchère de Paris est à la veille de recevoir des modifications, et nous avons cru utile de décrire cette culture telle qu’elle se pratique à Paris en 1844, afin que par la suite on pût mieux juger et apprécier les changements qu’elle pourra subir.

Nous rappelant aussi combien longue est l’expérience, combien il faut d’années à un maraîcher pour acquérir des connaissances solides dans sa profession, nous avons cru abréger le temps d’étude à nos enfants et aux jeunes jardiniers-maraîchers, en leur laissant le fruit de notre pratique et de nos expériences répétées pendant un grand nombre d’années.

Enfin, si notre ouvrage ne répond pas à notre espérance, s’il n’est pas jugé avec l’indulgence que sont en droit de réclamer de simples jardiniers-maraîchers, il nous restera toujours la satisfaction d’avoir les premiers répondu à l’appel de la Société royale et centrale d’agriculture, et l’honneur d’avoir mérité son suffrage.


J. G. MOREAU, J. J. DAVERNE,
JARDINIER-MARAÎCHER, JARDINIER-MARAÎCHER,
rue de Charonne, 80. rue de la Chapelle, 10, à la Villette.
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