Marceline Desbordes-Valmore d’après ses papiers inédits/01

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MARCELINE DESBORDES-VALMORE



CHAPITRE PREMIER

ENFANCE


Le père, la mère le frère et les sœurs de Marceline. Sa maison. — Sa trop douce grand’mère. — Marceline aimait toutes choses et un petit garçon. — Elle récite une harangue civique sous la Révolution. — L’héritage des grands-oncles de Hollande. — Incertitude. Desbordes refuse vertueusement. — Brouille dans le ménage. — Départ pour la Guadeloupe.


S’ils fermaient les églises, les sans-culottes ne roulaient point carrosse, et c’est pourquoi M. Antoine-Félix-Joseph Desbordes, de Douai, sentait pour eux une aversion extrême. Non que M. Desbordes eût de la fortune ou de l’orgueil, et qu’il aimât à éblouir ses concitoyens par le faste de ses équipages ou le luxe de sa livrée ; seulement il était doreur et peintre en blasons, en voitures et en ornements d’église, et cette profession, encore que modeste, le portait aussi naturellement au royalisme et à la piété qu’à la haine d’une révolution qui supprimait les processions, abolissait les armoiries, faisait cacher les carrosses, et le contraignait à mourir de faim.

Il habitait à Douai, avec Catherine Lucas, son épouse, une humble maison au n° 32 de la rue Notre-Dame. Là, dame Catherine avait fort à faire pour tenir propre et net, à la flamande, le ménage de son mari, et pour veiller à ses enfants, car elle en avait eu huit, dont quatre vivaient encore. C’étaient Cécile, Eugénie, Félix, et une petite fille vive et gaie qu’on appelait Marceline, et qui devait être un jour la tendre Desbordes-Valmore[1]. Marceline était blonde, comme sa mère, dont elle a dépeint quelque part la beauté flamande et savoureuse[2] :

Qu’elle était calme, et blanche, et paisible, le soir,
Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir,
Aux ruisseaux de la Bible, une fraîche laveuse[3].

« Mon père m’a mise au monde à Douai, son pays natal, écrivait Mme Desbordes-Valmore à Sainte-Beuve. J’ai été reçue et baptisée en triomphe, à cause de la couleur de mes cheveux, qu’on adorait dans ma mère… » Et sans doute ses parents gâtèrent-ils de leur mieux la petite fille qui leur était ainsi née toute rose et dorée, car Marceline garda toujours un souvenir ravissant de ces premières années de l’enfance, « où tout est beau quand même, où l’on accueille le bonheur comme une chose due et le malheur comme s’il se trompait d’adresse[4] ». En mai 1824, lorsqu’elle était à Bordeaux, l’envoi de quelques pauvres fleurs, mais cueillies sous les remparts de Douai, lui inspirait toute une élégie : la Fleur du sol natal ; et elle s’en souvenait encore près de dix ans plus tard, quand elle écrivait à M. Dutilhæil, pour le remercier d’un article sur les Pleurs : (1)

« Cet (sic) analyse qui vaut cent fois le livre, et dont chaque ligne m’est entrée dans le cœur, peut-il ne pas être de monsieur Duthillœil ? Toul ce que j’ai aimé dans mon pays natal et le pays lui-même, je l’ai revu ! je l’ai ressaisi pendant cette lecture. J’ai reçu les émotions que m’ont apporté à Bordeaux les lleurs de Douai (que j’ai toujours), el qui m’ont fait du bien jusqu’à me faire du mal, car j’en étais demeurée stupide de joie… »

— CC

(Nota bene. Stupide de joie » équivaut, dans la langue de Marceline, à « très contente » ; il faut, quand on lit cette étonnante plainte en neuf cents couplets qu’est sa correspondance, transposer d’un ton pour la comprendre ; cela dit une fois pour toutes : (1) 21 octobre 1833. (Lettre communiquée par M. Louis Loviol.) Ce Dutilheil était alors juge de paix à Douai. les vrais romantiques, quand ils traitent de leurs sentiments, s’expriment à la fois avec un sérieux excessif et une conviction merveilleuse, et Mme Desbordes-Valmore eût inventé le romantisme plutôt que de s’en passer.) Donc, elle adorait son pays natal, et elle n’oublia jamais le patois qu’elle parlait « quand j’étos une liote bringande », disaitelle (1). Trois ans avant sa mort, la vieille dame de soixante et onze ans qu’elle était devenue se remémorait avec un attendrissement que tout le monde, d’ailleurs, comprendra sans peine, le temps lointain où clle allait en jupe courte faire pèlerinage à Notre-Dame des Affligés, et où les bonnes femmes de Douai l’appelaient : « Chère petite No’Dame. » (2)

Maison de la naissance, ô nid, doux coin du mondel O premier univers où nos pas ont tourné ! Je m’en irais aveugle et sans guide à ta porte, Toucher le berceau nu qui daigna me nourrir. (1) M. Benjamin livière a publié Trois poésies en palois de Marceline Desbordes-Valmore (Douai, 1896), dont la première est de 1827 et la dernière de 1849. (2) Lettre & Adèle Desloges (Pongin, pago 355). Si je deviens âgée et faible, qu’on m’y porte ! Je n’y pus vivre enfant, jy voudrais bien mourir, Marcher dans notre cour où croissait un peu d’herbe, Où l’oiseau de nos toits descendait boire, ei puis, Pour coucher ses enfants, becquetait l’humble gerbe Entre les cailloux bleus que mouillait legrand puits (1) La maison natale de Marceline porte aujourd’hui, à Douai, le n° 36 de la rue de Valenciennes. C’est une modeste batisse à un étage, serrée et comme étouffée par ses voisines. Trois fenêtres accolées s’ouvrent sur son étroite façade et deux mansardes sur la pente de son toit. On y pénètre par une porte basse, surmontée d’une niche où, du temps de Marceline, une petite madone de plâtre bénissait les passants. D’ailleurs, il ne s’y trouve pas la moindre cour, et c’est sans doute dans celle de l’auberge voisine que ce petit oiseau romantique et touchant à l’excès, qui paraît trop souvent dans les vers de Mme Desbordes-Valmore, venait recueillir les brins de paille entre les pavés

En face de la maison s’étendait l’ancien (1) II, 3. C’est la version du manuscrit. Le texte original de l’édition donne « entre les cailloux blancs ». (Pauvres Fleurs, 1839.) — cimetière de l’église Notre-Dame : c’est aujourd’hui le « square Jemmapes », et on y a placé une statue de Marceline qui représente avec beaucoup de ressemblance, paraitil, la femme du sculpteur, sinon celle de l’architecte du monument, et dont le socle porte les noms de M. le comte Robert de Montesquiou, « président du Comité », de M : Ed. Houssin, de M. Ferd. Dutert, sans oublier celui de Mme Desbordes-Valmore. Non loin du cimetière, le vicux rempart de Douai élevait ses talus gazonnés : on en a fait le « boulevard Delbecque », sillonné par une ligne de chemin de fer. Seule, l’église Notre-Dame dresse encore sa façadc non loin de la maison des Desbordes. Mais, au temps de Marceline, la Révolution avait voué à l’abandon ce « temple de la superstition », et les enfants couraient librement sur les tombes cn-{lcurs du cimetière ou sous les voûtes silencieuses de l’église, qu’envahissait peu à peu la verdure : Douce église ! sans pompe, et sans culte, et sans prêtre, Où je faisais dans l’air jouer ma faible voix, Où la ronce montait, fière, à chaque fenêtre, Près du Chrisl mutilé qui m’écoutait peut-être, N’irai-je plus rêver du ciel comme autrefois ? Oh ! n’a-t-on pas détruit cette vigne oubliée, Balançant au vieux mur son fragile réseau ? Comme l’aile d’un ange aimante et dépliée, L’humble pampre

embrassait l’église humiliće De sa pale verdure où tremblait un oiseau. L’oiseau chantail, piquait le fruit mur, et ses ailes Frappaient l’ogive sombre avec un bruit joyeux ; Et le soleil couchant dardail ses étincelles Aux vitraux rallumés de rougealres parcelles Qui me restaient longtemps ardentes dans les yeux (1) (Que jo regrette, dans ces beaux vers, ce rallumé de rougeâtres parcelles !) Outre la charge de sa femme et de ses quatre enfants, Félix Desbordes avait encore celle de sa mère, qui vivait chez lui. C’est peut-être de cetle Marie-Barbe Quiquerez que Marceline tenait sa douceur, sa patience et sa résignation. Marie-Barbe avait eu pour époux un assez singulier personnage : c’était un horloger genevois nommé Antoine Desbordes. Il avait l’humeur inquiète et l’imagination romanesque, et tout en raccommodant ses montres, il ne rêvait que voyages et aventures. Alors, la ville où il demeurait, la maison où il logcait lui (1) T, 220. paraissaient la plus insupportable des prisons, et, un beau jour, il les quittait et s’en allait chercher fortune par le monde. Il abandonnait ainsi pendant des années sa bonne femme ; puis, un soir, Marie-Barbe le voyait revenir, silencieux et chargé de mystère ; ou bien elle recevait une lettre par laquelle il lui mandait qu’elle eût à le rejoindre. Et elle obéissait avec soumission au voyageur, ou elle l’accueillait tendrement — si tendrement qu’elle en demeurait cnceinte ; aussitôt, Antoine Desbordes repartait. C’est ainsi, nous apprend une note de famille (1), que Marie-Barbe eut de son mari, à Bruxelles, à Mons, à Courtrai, trois filles et trois garçons. L’avant-dernier, qui fut le père de Marceline, vint au monde à Douai, lc 25 scptembre 1751. Sa naissance ſut le signal d’une nouvelle séparation des époux, qui dura onze ans. Après ce temps, Antoine Desbordes revint auprès de sa femme, la rendit mère de Constant-Marie, et repartit encore… Quand il arriva pour la dernière fois au Canteleu (faubourg de Douai), il était mourant. Son fils Félix (1) Comsauniquée par M. Delhasse à M. Pougin. avait vingt-cinq ans et allait se marier. Le vieux chemineau était descendu à l’auberge du Signe de la Croix. Il refusa d’entrer dans sa maison et se fit porter à l’hospice. C’est là que, trois mois plus tard, il manda ses enfants et leur donna solennellement sa bénédiction ; après quoi il rendit à Dicu son âme aventureuse. Sa veuve, ajoute la note, lui garda, mort, le respect qu’elle lui avait toujours témoigné vivant… Certes, la douce Marceline devait aimer beaucoup cette grand’mère là.

Aussi bien, elle aimait à peu près toutes choses. Sans doute, c’est avec beaucoup de complaisance qu’elle s’est appliquée plus tard à dessiner dans le goût romantique son personnage de petite fille tendre, « A quelque chère idole en tout temps asservie », poétiquement émue par les fleurs, les oiseaux, et, bien entendu, par le « vicux prisonnier de la haute tourelle », qui < respire à travers les barreaux » et « partage son pain avec la tourterelle » (1) ; mais (1) I, 182. nous savons qu’elle éprouvait déjà quelques amitiés passionnécs et un amour, un vrai amour, à l’age où les fillettes ordinaires n’aiment profondément que leur mère ou leur bonne. Elle n’oublia jamais ni cette petite Albertine Gantier (1), avec qui elle dansait des rondes devant le beau jardin de M. Leurs (2), ni cette sage Rosc-Marie à la voix « frèle et sonore » (3), ni son premier amoureux qui s’appelait Henry et qui avait dix ans (4). Une note de ses papiers manuscrits (5) conte avec beaucoup de gout leur histoire d’enfants :

« J’étais sur la porte de ma mère quand il ne faisait ni jour ni nuit. Je l’entrevoyais dans ce voile doux qui couvre les rues à l’heure du soir. Ses pas se pressaient ; sa tête blonde et bouclée se dirigeait comme une tête d’ange vers notre maison. Il sortait du vieux cimetière qui bordail. notre vieux rempart, il venait. Vous nous regar(1) Elle la chanta encore dans ses poésies posthumes (11, 357). CI. I. 222, 225. (2) II, 318.

(3) T, 129. (4) II, 32.

(5) Que conservait M, Felix Delhasse. Cr, aussi Fleur d’enfance, dans Pauvres Fleurs (édition Bruxelles, 1839), pages 68-69. dions sérieusement, nous parlions bas et peu : « Bonsoir ! » disait-il, ct je recevais de ses mains, qu’il avançait vers moi, de larges feuilles vertes et fraîches, qu’il avait été prendre sur les arbres du rempart pour me les apporter. Je les prenais avec joie, je les regardais longtemps, et je ne sais quel embarras attirait enfin mes yeux à lerre. Je les tenais alors fixés sur ses pieds nus, et l’idée que l’écorce des arbres les avait blessés me rendait triste. Il le devinait, car il disait : « Ce n’est rien ! » Nous nous regardions encore, et, par un mouvement soudain du caur, en forçant ma voix faible de prononcer sans trembler : « Adieu, Henry ! » İl avail dix ans et j’en avais sepl… >> Et cetle idylle se passait sous la Terreur. Encore que catholique et royaliste, Desbordes père ne manquait pas de donner des preuves de civisme et de prudence. C’est ainsi qu’il assistait à ces banquets où les citoyens, assis à une même table dans la rue, prouvaient, en se nourrissant tous ensemble de mets grossiers mais substantiels, l’ardeur de leur patriotisme et celle de leur appétit. Même, Desbordes père faisait du zèle. Un jour, à la fin d’une de ces agapes, les assistants virent qu’on hissait sur la table une très petite fille en robe blanche, toute couverte de rubans tricolores, une cocarde et sans doute un bonnet rouge sur ses cheveux blonds. C’était Marceline. Et l’enfant prononça de sa petite voix une harangue où les aristocrates se voyaient flétris comme il sied, tandis que le peuple souverain y étail comparé à Hercule, appuyé sur sa massue toute fumante des monstres qu’il venait d’écraser. Elle déclama ce beau discours avec infiniment de grâce et de sensibilité, — et ce fut le premier succès d’actrice de la sensible Valmore. (1) Donc Marceline était précoce, mais ses parents no la « poussaient » pas beaucoup, comme on dit. Le pauvre peintre en armoiries et sa femme étaient des commerçants modestes ; ils cstimaient’sans doute que « il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une femme étudic et sache tant de choses ». Marceline nous a dit elle-même qu’elle ne savait rien, à dix ans, qu’être heureuse (2). Elle devait oublier bien vite cette science-là.

Félix Desbordes était très attaché à la (1) Elle aimait, parait-il, à raconter cette histoire, recueillie par M. Pougin, pages 15-17. (2) II, 5. C’était sa scur ainée qui lui avait appris à lire (II, 67). religion catholique. Il descendait pourtant d’une vieille famille de calvinistes et, si son père, le singulier époux de Marie-Barbe Quiquerez, n’avait par hasard embrassé le catholicisme au cours d’un de ses voyages (1), on peut croire que Félix se fût trouvé aussi bon huguenot qu’il était excellent papiste. Car il était naturellement pieux et honnête, comme sa fille aimait à le donner à entendre par l’histoire suivante : (2) « Les grands-oncles de mon père, exilés autrefois en Hollande à la Révocation de l’Edit de Nantes, offrirent à ma famille leur immense succession si l’on voulait nous rendre à la religion protestante. Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat, à Amsterdam, où ils avaient transporté et fondé une librairie. J’ai des livres imprimés par eux. « On fit une assemblée dans la maison. — Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. Enfin on refusa la succession dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en —

(1) « Mon grand-père s’était fait catholique, étant horloger de la princesse de Brabant. » Note manuscrite de Marceline dans ses papiers (Pougin, page 7). (2) Lettre à Sainte-Beuve, écrite apparemment en 1833, el publiec tout d’abord dans les Portraits contemporains, II, page 99, note. mois, jusqu’à causer un déchirement d’intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère. » Malheureusement Sainte-Beuve ne croyait pas trop aux grands-oncles centenaires, non certes qu’il suspectat la bonne foi de Marceline, mais il lui semblait que cette histoire touchante pouvait bien avoir subi, dans l’imagination de l’enfant, « quelque chose de la transformation propre aux légendes » (1). Pourtant Marceline se rappelait bien la scène ; elle voyait encore son père déplier la lettre, écrite en grands caractères à la Louis XIV, où les deux libraires, ågés, l’un de cent vingt-quatre, l’autre de cent vingt-cinq ans, et qui avaient vu la Révocation, promettaient à leurs arrièrepetits-neveux de les faire riches. Le 3 mars 1851, elle écrivait à son frère : « Je ne sais s’il ne t’arrivera pas de rire tont scul d’unc idéo qui m’est venue de faire prendre des renseignements à La Haye sur nos grandsoncies Desbordes, imprimeurs, dont l’un s’appelait Ilenry, et l’autre, je crois, Antoine (2), tous (1) Loc. cit., pages 127-128. (2) A Sainte-Beuve, elle avait dit qu’ils se nommaient Jacques et Antoine. deux centenaires et millionnaires, disait-on. Quelqu’un de très capable nous conseillait de savoir au juste où a passé leur succession, si elle est passéo au gouvernement de la Ilollande… Je ne me souviens au juste que de la dernière lettre de notre grand-oncle, âgé de cent vingt-quatre ans, et que j’ai entendu lire, rue Notre-Dame, où il offrait de nous faire ses héritiers si l’on nous rendait à la religion protestante. C’est papa qui lisait cela et les caractères de la lettre me sont encore présents. >> Vérification faito, il semble bien que les souvenirs de Marceline l’aient trompée. D’abord les libraires Desbordes, de llollande, semblent n’avoir fait à aucun moment de brillantes affaires, loin de là. Ensuite ils paraissent s’être tous mariés. De plus on ne voit pas qu’aucun d’eux soit mort à un âge très avancé. Enfin les deux derniers Desbordes dont, au XVIIIe siècle, on trouve mention à Amsterdam, s’appelaient : Jacques, mort en 1742, ct Martin-François, décédé avant 1753 (1). Donc Marceline n’avait peutO) II. Clouzot, Notes pour servir à l’histoire de l’imprimerie à Niort et dans les Denz-Sèvres, pages 91-97. France protestante, nouvelle édition. Journal des Débats, 23 juillet 1891 : Histoire et légende, par L. B.Rivière, I, pages 197-198. être pas du tout de grands-oncles de Hollande, et en tout cas, ils n’étaient ni centenaires, ni millionnaires… Cela cst fort contrariant. Pourtant, puisquc Marceline en était sûre et que Constant Desbordes, le frère de son père, âgé de vingt-huit ans en 1790, avait confirmé le fait à M. Cornc (1), il nous faut bien croire, à tout le moins par politesse, que quelque membre de la nombreuse famille Desbordes avait offert son héritage aux cnfants du peintre en armoiries, à condition qu’on leur fît embrasser le protestantisme. Vertueusement, Félix Desbordes refusa. Et ce fut très bien. Sculement, de ce jour la discorde s’assit à son foyer, comme Marceline nous le laisse entendre discrètement. C’est que, si les hommes et les femmes ont parfois la force de s’élever jusqu’à la vertu, ils n’ont pas souvent la constance de ne le regretter point ; en sorte que c’est un des effets les plus ordinaires de l’héroïsme que de troubler les ménages. Catherine Desbordes ne manqua donc pas de reprocher aigrement à son mari (1) Corne, La Vie et les cuvres de Vareeline DesbordesValmore (Paris, 1876). d’avoir refusé la fortune des oncles de Hollande, bien qu’elle lui eût peut-être conseillé d’agir de la sorte. Quant à Félix Desbordes, il dut trouver mauvais, sans nul doute, que sa femme l’aidàt si mal à supporter son héroïsme. Bref, les choses se gåtèrent à tel point que dame Catherine parla de se retirer chez un de ses parents, en Amérique. Et un beau jour elle partit récllement pour la Guadeloupe. Elle emmenait avec elle Marceline, âgée de quatorze ans à peine. On était en 1800 environ. (1) (1) Dans la Guirlande de Rose-Marie (1, 129), Marceline nous dit que son voyage dura deux ans. Or elle revint en France en 1802.

  1. Catherine-Cécile-Josèphe, née le 21 décembre 1777 ; Marie-Eugénie-Josèphe, née le 17 novembre 1780 ; Félix-Henri, né le 8 juillet 1982. Voici l’acte de baptême de Marceline (Arch. municipales de Douai, GG 537, fo 23) : « L’an mil sept cent quatre-vingt-six, le vingt-deux juin, je, curé soussigné, ai baptisé une fille, née le vingt dudit mois, cinq heures du matin, en légitime mariage du sieur Antoine-Félix-Joseph Desbordes, maître peintre, et de Catherine-Josèphe Lucas, habitans de cette paroisse, a laquelle on a imposé le nom de Marceline-Félicite-Josèphe. Le parrain a été monsieur Jacques-Joseph Crunelle, avocat au Parlement, de la paroisse de Notre-Dame de la Chaussée, à Valenciennes, et la marraine D. Marie-Marcelline Hochart, épouse de maître Joncque, avocat au Conseil d’Artois, de la paroisse de Saint-Nicaise en la cité d’Arras. » Suivent les signatures.
  2. III, 254.
  3. II, 1.
  4. Lettre à Constant Desbordes, 24 janvier 1825. (Catalogue de la librairie Charavay, juin 1898.)