Marie-Claire/28

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Eugène Fasquelle (p. 99-101).



Je me trouvai bientôt installée au milieu de paniers vides dans une voiture couverte d’une bâche, et quand le cheval s’arrêta de lui-même dans la cour de la ferme, il y avait déjà longtemps qu’il faisait nuit.

Le fermier sortit de la maison avec une lanterne qu’il balançait au bout de son bras et qui n’éclairait que ses sabots ; il s’approcha de nous et m’aida à descendre de la voiture, puis il haussa sa lanterne jusqu’à ma figure et il dit en se reculant :

— Quelle drôle de petite servante !

La fermière me conduisit dans une chambre où il y avait deux lits. Elle me montra le mien et me dit que le lendemain je resterais seule avec le vacher, parce que tout le monde irait à la fête de la Saint-Jean.

Dès que je fus levée, le lendemain, le vacher m’emmena dans les étables, pour l’aider à donner le fourrage aux bêtes ; il me montra la bergerie et m’apprit que je serais bergère d’agneaux à la place de la vieille Bibiche. Il m’expliqua que chaque année on séparait les agneaux d’avec leur mère et qu’il fallait une deuxième bergère pour les garder. Il m’apprit aussi que la ferme s’appelait Villevieille, et que personne n’était malheureux ici parce que maître Sylvain et Pauline sa femme étaient de braves gens.

Quand toutes les bêtes furent soignées, le vacher me fit asseoir près de lui dans l’allée des Châtaigniers. De là on voyait le tournant du chemin qui montait vers la route et tout l’intérieur de la ferme. Les bâtiments formaient un carré, et l’énorme fumier qui était au milieu dégageait une odeur chaude qui dominait l’odeur des foins à moitié séchés.

Un grand silence s’étendait autour de la ferme, et de tous côtés on ne voyait que des sapins et des champs de blé. Il me semblait que je venais d’être transportée dans un pays perdu, et que je resterais toujours seule avec le vacher et les bêtes que j’entendais remuer dans les étables. Il faisait très chaud, j’étais comme engourdie par une lourde envie de dormir ; mais la peur de tout ce qui m’entourait m’empêchait de céder au sommeil. Des mouches de toutes couleurs tournaient autour de moi en ronflant. Le vacher tressait une corbeille de jonc, et les chiens dormaient tranquillement.

Au coucher du soleil, la voiture qui ramenait les fermiers parut au détour du chemin. Il y avait cinq personnes dans la voiture, deux hommes et trois femmes. En passant devant moi la fermière me sourit et les autres se penchèrent pour me voir. Peu après la ferme s’emplit de bruit, et comme il était trop tard pour faire la soupe, tout le monde dîna d’un morceau de pain et d’un bol de lait.