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Marie-Claire/50

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Eugène Fasquelle (p. 187-189).



Maintenant, je n’avais plus d’amis.

Je ne reconnaissais plus la ferme ; tous ces gens s’y mettaient à leur aise, et il me semblait que c’était moi la nouvelle venue. La servante me regardait avec méfiance, et les laboureurs évitaient de me parler.

La servante s’appelait Adèle. Tout le jour, on l’entendait bougonner et traîner ses sabots. Elle faisait du bruit même quand elle marchait sur la paille. À table, elle mangeait debout, et elle répondait sans politesse aux observations des maîtres.

M. Alphonse avait fait enlever le banc de la porte et mettre à sa place des petits arbustes verts qu’on avait enclos d’un treillage.

Il avait fait aussi enlever le vieil orme où la hulotte était venue chanter, les soirs d’été.

Il devait y avoir longtemps que le vieil arbre ne donnait plus d’ombrage au seuil de la maison : il ne portait plus qu’un bouquet de feuillage tout en haut, et cela lui faisait comme une tête, qui se penchait pour écouter ce qui se disait en bas.

Les bûcherons qui vinrent pour l’abattre furent d’avis que cela ne serait pas facile. Il menaçait, en tombant, de démolir la toiture de la maison.

Enfin, après bien des discussions, et bien des tours autour de lui, on décida de l’enserrer de grosses cordes qui le feraient pencher et l’obligeraient à tomber sur le fumier.

Il fallut la journée de deux hommes pour l’abattre, et au moment où on croyait qu’il allait se coucher tranquillement, une des cordes se desserra et le vieil orme se releva pour retomber de côté. Il glissa sur le toit en entraînant la cheminée et une grande quantité de tuiles, et après avoir écorché le mur, il se coucha en travers de la porte : et pas une de ses branches ne toucha le fumier.

M. Alphonse ne put retenir un cri de colère. Il saisit la hache d’un des bûcherons, et il frappa l’arbre d’un coup si violent qu’un morceau d’écorce sauta dans la fenêtre de la lingerie et cassa un carreau.

Mme Alphonse vit des éclats de verre tomber sur moi, elle se leva avec une vivacité que je ne lui connaissais pas, et avec des mains tremblantes et des yeux peureux, elle examina minutieusement chaque endroit de la nappe que j’étais en train de broder.

Mais elle ne vit pas que j’essuyais avec mon mouchoir une petite coupure que le verre m’avait faite à la joue.

Elle eut si peur qu’il n’arrivât malheur aux piles de linge qui commençaient à s’entasser, qu’elle m’emmena le lendemain chez sa mère pour me faire voir comment il fallait ranger les armoires.