Marie-Claire/57

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Eugène Fasquelle (p. 221-224).

Je fus toute surprise de me retrouver devant la maison de la colline ; et en même temps, je m’aperçus que la neige tombait en tourmente. J’entrai dans la maison pour m’abriter, et j’allai tout de suite dans la pièce qui donnait sur le jardin.

Je cherchai à fixer ma pensée ; mais mes idées tournoyaient dans ma tête comme les flocons de neige qui paraissaient monter de la terre et tomber du ciel en même temps ; et chaque fois que je faisais un effort pour penser, ma mémoire ne m’apportait que les bribes d’une chanson que les petites filles chantaient joyeusement dans leurs rondes et qui disait :

On a tant fait sauter la vieille,
Qu’elle est morte en sautillant,
Tireli,
Sautons, sautons, la vieille !

Je me trouvais bien dans cette maison silencieuse.

La neige s’arrêta de tomber, et les arbres me semblèrent aussi beaux que le jour où je les avais vus tout fleuris ; et brusquement le souvenir de ce qui venait de se passer, se précisa dans mon esprit. Je revis la main aux doigts carrés de Mme Deslois ; un grand frisson me secoua ; quelle vilaine main, et comme elle était grande !

Puis l’expression du regard de M. Alphonse, quand il me prit le bras. Maintenant que j’y pensais, je me rappelais avoir déjà vu ce regard à une petite fille.

C’était un jour que je venais de voler un fruit tombé ; elle s’était précipitée sur moi, en disant :

— Donne-m’en la moitié, et je ne le dirai pas.

Une grande répugnance m’était venue de partager avec elle, et, au risque de me faire voir par sœur Marie-Aimée, j’étais allée reporter le fruit sous l’arbre.

Et voilà qu’à penser à ces choses un désir violent me venait de revoir sœur Marie-Aimée. J’aurais voulu partir tout de suite. Mais, en même temps, je pensai qu’Henri Deslois avait dit hier en partant : « À demain ! »

Peut-être était-il déjà à la ferme, m’attendant et s’inquiétant de ce que je pouvais être devenue.

Je sortis de la maison pour courir à Villevieille.

Je n’avais fait que quelques pas, lorsque je le vis venir sur le chemin.

La jument blanche gravissait difficilement le sentier plein de neige.

Henri Deslois était tête nue comme la première fois qu’il était venu ici ; sa blouse se gonflait sous le vent, et il se retenait à la crinière de sa bête.

La jument s’arrêta devant moi.

Son maître se pencha, et saisit mes deux mains que je levais vers lui.

Il y avait sur son visage quelque chose de tourmenté que je n’y avais jamais vu. Je remarquai aussi que ses sourcils se rejoignaient comme ceux de Mme Deslois. Il dit un peu essoufflé :

— Je savais que je vous retrouverais ici.

Il ouvrit encore la bouche, et je fus tout de suite sûre que ses paroles allaient me donner de la joie.

Il serra davantage mes mains, et dit de la même voix essoufflée :

— N’ayez pas de haine contre moi.

Il détourna les yeux des miens :

— Je ne peux plus être votre ami.

Aussitôt, je crus que quelqu’un me donnait un coup violent sur la tête.

Il se fit dans mes oreilles un grand bruit de scie. Je vis Henri Deslois frissonner longuement, et j’entendis encore qu’il disait :

— Oh ! comme j’ai froid !

Puis, je ne sentis plus sur mes mains la chaleur des siennes ; et quand je compris que je restais seule sur le chemin, je ne vis plus qu’une masse d’un blanc gris, qui paraissait glisser sans bruit sur la neige du sentier.