Marine (Jean Polonius)

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Poésies (p. 72-76).

Marine



 
La vie humaine est une rive
Où, sur le bord, nous attendons
Qu’à son retour le flux arrive
Laver l’empreinte fugitive
Des pas qu’en vain nous y traçons.


Le ciel est bleu, la, mer est belle,
Zéphyrs, oiseaux prennent l’essor ;
Mais lorsque aux jeux tout nous appelle,
Le bruit de la vague éternelle,
De loin, se fait entendre encor.

Au bord de l’onde menaçante,
Les faibles humains répandus
Vont se jouant sans épouvante,
Comme une troupe insouciante
D’enfants ensemble confondus.

Ceux-ci, sur les rochers sauvages,
Grimpent d’un pied aventureux ;
Ceux-là, courant le long des plages,
Poursuivent l’ombre des nuages
Qui fuit et glisse devant eux.

Avec les sables de la grève,
L’un dresse un frêle monument ;

Puis tout à coup le vent se lève,
Et vient disperser, comme un rêve,
Son édifice d’un moment.

Un autre, aux vagues qu’il tourmente,
Lance les pierres de leurs bords,
Comme si l’oncle indifférente
Allait reculer d’épouvante
Devant ses risibles efforts.

Sur cet écueil, au front stérile,
Dont la mer laisse à nu les flancs,
Voyez lutter ce groupe agile,
À qui, du sommet immobile,
Restera maître plus longtemps.

L’un tombe, un autre le remplace ;
Que de combats ! que de clameurs !
Pour s’arracher un faible espace

Que bientôt l’onde qui s’amasse
Aura repris sur les vainqueurs !

Et toi, sous ce roc solitaire,
Que fais-tu là, sans compagnon ?
Dans les entrailles de la pierre,
Ta main, en frêle caractère,
Grave les lettres de ton nom.

En vain la troupe qui t’appelle
T’invite à ses joyeux ébats :
En vain l’air luit, l’onde étincelle ;
Dans l’antre noir qui te recèle,
Tu ne vois pas, tu n’entends pas.

Creuse, travaille, use la pierre !
Perds le temps à t’éterniser,
Jusqu’à l’heure où la vague amère,
Du fond de ton obscur repaire,
À grand bruit te viendra chasser.


Un an, deux ans, la mer encore
Respectera ton souvenir,
En revenant, à chaque aurore,
Laver le pied du roc sonore,
Jusqu’où l’écume va mourir.

Mais si, miné par l’eau mordante,
Ce même roc s’use à son tour ;
Si, sous les coups de la tourmente,
Sa masse, au loin retentissante,
Dans l’Océan s’abîme un jour…..

Des compagnons de ton jeune âge
Suivant l’exemple et le conseil,
N’est-il pas mieux d’aller, plus sage,
Avec eux tous, sur le rivage,
Courir ou t’asseoir au soleil ?