Mars ou la Guerre jugée (1921)/45

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Éditions de la NRF (p. 97-98).

CHAPITRE XLV

LES PARTIS

L’Impérialisme a pour fin la Puissance ; et l’Ambitieux est le type de l’homme impérialiste. Il me semble qu’il y a toujours quelque faiblesse dans l’ambition ; il n’est pas naturel que celui qui a la force désire beaucoup le pouvoir ; et l’on a souvent remarqué que les athlètes sont rarement méchants. Par les mêmes causes les sots sont aisément fanatiques, parce qu’ils ne savent ni expliquer, ni prouver. D’après cette idée, les plus pauvres dans tous les sens du mot seraient volontiers impérialistes. La foule inorganisée, toujours ramenée à l’inférieur par la contagion, envie et admire le pouvoir, même s’il s’exerce contre elle ; c’est par là que la crainte s’accorde avec un genre d’adoration. Est donc impérialiste celui qui dans ses rêves se voit adoré et suivi. Une nation est impérialiste lorsque le citoyen sent avec ivresse que son seul titre de citoyen lui assure en tous lieux la prééminence et l’attention adoratrice. C’est cet effet immédiat, dans l’apparence, qui est aimé ; ainsi agissent les costumes, les insignes et le nom. Une brillante comédienne est impérialiste par son métier.

Le Socialisme a pour fin la Justice. Mais il n’est point par cela seul directement opposé au Pouvoir. Pourquoi ? Parce que la résistance au pouvoir, qui est contre les prestiges et apparences, suppose une justice d’esprit sans aucune règle préalable ; au lieu que le Socialisme, formé par la pratique des métiers, veut une justice mesurable, et dans les choses ; aussi est-il plutôt opposé à ce genre de pouvoir que donne la richesse ; ce qui explique peut-être que, voulant s’opposer à l’impérialisme par la force de son organisation égalitaire, il vise pourtant à côté, et ainsi ne développe presque aucune résistance efficace, comme on l’a trop bien vu. L’esprit socialiste n’a pas assez mesuré ce genre de pouvoir qui dépend de l’obéissance commune et surtout du groupement militaire. Peut-être faut-il dire que le maniement habituel des choses prépare mal à comprendre les faits purement humains, qui dépendent des passions, et met hors d’état de les prévoir assez.

Je voudrais appeler Humanisme l’autre parti, dont nous ne connaissons, sous le nom de radicalisme, qu’une esquisse assez mal formée. L’Humanisme a pour fin la Liberté dans le sens plein du mot, laquelle dépend avant tout d’un jugement hardi contre les apparences et prestiges. Et l’Humanisme s’accorde au Socialisme, autant que l’extrême inégalité des biens entraîne l’ignorance et l’abrutissement des pauvres, et par là fortifie les pouvoirs. Mais il dépasse le Socialisme lorsqu’il décide que la Justice dans les choses n’assure aucune liberté réelle du jugement, ni aucune puissance contre les entraînements humains, mais au contraire tend à découronner l’homme par la prépondérance accordée aux conditions inférieures du bien-être, ce qui engendre l’Ennui Socialiste, suprême espoir de l’ambitieux. L’Humanisme vise donc toujours la puissance réelle en chacun, par la culture la plus étendue, scientifique, esthétique, morale. Et l’Humaniste ne connaît de précieux au monde que la culture humaine, par les œuvres éminentes de tous les temps, en tous, d’après cette idée que la participation réelle à l’Humanité l’emporte de loin sur ce qu’on peut attendre des aptitudes de chacun développées seulement au contact des choses et des hommes selon l’empirisme pur. Ici apparaît un genre d’égalité qui vit de respect, et s’accorde avec toutes les différences possibles, sans aucune idolâtrie à l’égard de ce qui est nombre, collection ou troupeau. Individualisme, donc, mais corrigé par cette idée que l’individu reste animal sous la forme humaine sans le culte des Grands Morts. La force de l’Humanisme est dans cette foule immortelle.