Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/I/15

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XV


CHAPITRE XV.


révélation.


Mme Perrine et Bruyère arrivèrent bientôt auprès des ruines de l’ancien fournil ; il n’en restait que deux pans de murailles à demi écroulés, formant un angle droit. Au milieu de l’une d’elles on voyait l’orifice du four, grossièrement bouché au moyen de tuiles reliées ensemble avec de la terre ; grâce à cette précaution, cette cavité ne pouvait servir de retraite ou d’embuscade aux fouines, aux putois, aux renards, et autres implacables ennemis des basse-cours. Le lierre, les ronces, couvrant cette maçonnerie, ne laissaient apercevoir à l’éclatante clarté de la lune que le demi-cintre de briques autrefois noircies et calcinées par les tourbillons de flamme qui sortaient de la bouche du four.

À quelques pas de ces ruines, situées sur la crête de la berge, les roseaux, dont l’étang était entouré, élevaient leurs tiges déjà fanées ; au milieu d’elles apparaissait, au-dessus du niveau de l’eau, la partie supérieure d’une porte d’écluse, destinée à déverser, dans un large canal couvert de joncs, les eaux de l’étang, lorsqu’on le mettait à sec, afin de le pêcher.

L’agitation de Mme Perrine augmentait à chaque instant. Les divers incidents de ce jour, les souvenirs sur lesquels elle s’était tue, mais qui n’en avaient pas moins un grand retentissement dans son cœur ; les demi-aveux, le trouble de Bruyère, causaient à Mme Perrine une émotion extrême ; car, depuis sa guérison, sa vie s’était passée dans le calme, dans l’isolement le plus complet… Elle attribua donc aux singulières circonstances de cette soirée l’espèce d’étourdissement fiévreux, qu’elle ressentait depuis quelques moments.

— C’est là !… — lui dit Bruyère, en s’arrêtant dans l’angle formé par les deux pans de mur du fournil, et désignant l’orifice du four à Mme Perrine.

Celle-ci reprit ;

— La cachette est du moins bonne, en cela que l’on passerait mille fois à cet endroit… sans se douter de rien…

— Oh ! dame Perrine,… comme le cœur me bat, — dit Bruyère en tremblant ; — c’est là, pourtant.

— Croyez-moi, mon enfant… ne vous abusez pas d’un trop vif espoir… Mais, hâtons-nous ;… je ne sais si c’est la fraîcheur de la nuit, — ajouta Mme Perrine, d’une voix plus brève et en tressaillant, mais je frissonne de tout mon corps.

À peine elle avait prononcé ces mots, que Bruyère, avec l’énergie et l’agilité d’une fille des champs, s’arma d’un débris de solive, gravit les décombres, arriva près de l’orifice du four, en écarta le lierre et les ronces, et fit facilement une trouée à travers la maçonnerie de briques et de terre.

Soudain, au loin,… et comme si ce bruit fût venu de l’extrémité nord de l’étang,… retentit, dans les airs, le cri de l’aigle de Sologne ;… mais la distance affaiblissait tellement ce cri, qu’il était à peine perceptible.

Cependant il frappa l’oreille de Bruyère, elle se redressa inquiète, attentive.

— Qu’avez-vous ?… — lui demanda Mme Perrine, qui n’avait rien entendu ; — que vous arrive-t-il, mon enfant ?…

Bruyère, toujours muette, immobile, fit de la main un geste suppliant à Mme Perrine, pencha la tête, et écoula de nouveau avec anxiété.

Elle n’entendit plus rien…

Soit que le cri n’eût pas été répété, soit qu’il eût été refoulé, par une des légères rafales de vent qui, soufflant de temps à autre dans une direction justement contraire, avaient apporté naguères et venait d’apporter encore le bruit de plus en plus rapproché de plusieurs chevaux lancés au galop.

— Mon enfant, — dit Mme Perrine, d’une voix qui trahissait l’angoisse et la souffrance, — je vous en prie, hâtons-nous, je ne me sens pas bien.

Ces mots rappelèrent Bruyère à elle-même ; en peu d’instants elle eut pratiqué une ouverture suffisante pour pénétrer dans la sombre cavité, mais Mme Perrine la saisit par ses vêtements, et lui dit :

— Mon enfant… prenez garde… il y a de dangereux serpents dans le pays… si quelque reptile était caché dans ce trou…

— Ne craignez rien, dame Perrine ; ce n’est pas encore le temps où les serpents gîtent pour s’engourdir.

Ce disant Bruyère, d’un léger mouvement, se dégagea des mains de Mme Perrine, dont le cœur se serra en voyant disparaître la jeune fille au milieu des ténèbres formées par la voussure du four.

À ce moment… mais Bruyère ne pouvait plus l’entendre, retentit de nouveau, et cette fois… perçant, distinct et rapproché, le cri de l’aigle de Sologne.

— Un oiseau de proie… c’est triste… mauvais présage… — dit tout bas Mme Perrine, en tressaillant.

Puis, comme si cette pensée eût redoublé ses craintes pour la jeune fille, elle se pencha vers la noire entrée du four, et s’écria :

— Bruyère… mon enfant… parlez-moi donc…

— Je cherche au long de la voûte, et partout… dame Perrine ; et je ne trouve rien… — répondit tristement la jeune fille.

— J’en étais sûre… pauvre enfant !… — dit Mme Perrine.

Puis, prêtant l’oreille du côté d’où venait le vent, elle ajouta à demi-voix :

— C’est singulier… on dirait le galop de plusieurs chevaux qui approchent.

Elle écouta de nouveau et reprit :

— Ce sont les poulains de quelque métairie voisine qui restent la nuit dans les prés, et s’ébattent au clair de lune…

— Tout-à-coup la jeune fille poussa un cri perçant.

— Qu’y a-t-il ?… — dit Mme Perrine avec effroi. — Bruyère… en grâce… répondez !…

— Un petit coffre… dame Perrine !

— Et, presque aussitôt, la jeune fille, toute palpitante d’une joie inespérée, reparut à l’entrée de la voûte.

Un peintre aurait fait de cette scène un tableau d’une originalité charmante.

La vive clarté de la lune éclairait en plein Bruyère, qui, à genoux à l’entrée de la voûte, tenait le coffre entre ses bras ; les feuilles vertes des lierres, les rameaux des ronces empourprées par l’automne encadraient, de leurs souples guirlandes, le demi-cintre rempli d’ombres, au milieu desquelles resplendissait, inondée d’une blanche lumière, la figure de la jeune fille, immobile, agenouillée, les yeux noyés de larmes et levés au ciel avec une expression d’ineffable espérance.

Malgré son agitation, ses inquiétudes, et la curiosité mêlée de sollicitude que lui inspirait la découverte de Bruyère, Mme Perrine resta un moment muette à la vue de ce délicieux tableau.

— Merci, mon Dieu ! le père Jacques ne m’avait pas trompée,… peut-être je vais connaître ma mère,… disait Bruyère d’une voix palpitante d’émotion ; puis, d’un bond, elle fut auprès de Mme Perrine et lui dit :

— Voici le coffret…

Ce coffret n’avait de remarquable que sa forme, assez bizarre : il était rond, à fond plat et à couvercle bombé ; on voyait, à quelques lambeaux d’étoffe épargnés par le temps et par l’humidité, qu’autrefois il avait été recouvert en serge verte, fixée au bois par de petits clous à tête de cuivre, alors rongés par le vert de gris ; ce coffret avait dû servir d’étui à un métier à dentelle, à-peu-près pareil à celui que l’on a vu dans la chambre de Mme Perrine, auprès de son fauteuil.

Les têtes des clous destinés à retenir la serge, après avoir formé quelques grossiers arabesques sur le couvercle, s’arrondissaient en lettres cursives, qui dessinaient ce nom :

PERRINE MARTIN

Mme Perrine, à la vue du coffret, était d’abord restée frappée de stupeur, comme si elle eût cherché à rassembler ses souvenirs ; mais bientôt, en lisant à la resplendissante clarté de la lune ce nom qui était le sien, elle poussa un grand cri.

— Oh ! mon Dieu !… dame Perrine,… qu’avez-vous ?… — dit Bruyère.

Mme Perrine, sans lui répondre, prit le coffret pour l’examiner de plus près encore, et, les mains tremblantes, les yeux hagards, elle s’écria d’une voix entrecoupée, sans songer à la présence de Bruyère :

— Cet étui,… c’est à moi ;… comment se trouve-t-il ici ? je l’avais emporté,… dans cette maison,… je m’en souviens ; oui,… dans cette maison,… où l’on m’a conduite quand je n’étais pas encore… tout-à-fait folle.

— Vous,… folle ?… — s’écria Bruyère avec terreur.

— Dans cette maison, — poursuivit Mme Perrine, de plus en plus égarée, — dans cette maison, où l’on m’a si long-temps gardée… et quand j’en suis sortie… guérie… je me le rappelle bien… j’ai demandé… cet étui… et d’autres choses aussi… auxquels je tenais… oh ! je tenais tant… et l’on m’a répondu… qu’on ne savait pas… ce que je voulais dire…

— Ce coffret… vous appartient… — s’écria Bruyère, et un moment un fol espoir vint luire à sa pensée. Si dame Perrine était sa mère… mais elle se rappela bientôt que, peu de moments auparavant, celle-ci lui avait exprimé le regret de n’avoir jamais eu de fille. N’osant parler, Bruyère attendait avec une angoisse inexprimable, l’éclaircissement de ce mystère.

Mme Perrine avait placé le coffret sur un décombre. Faisant alors jouer, non sans difficulté, à cause de la rouille, un petit crochet presque inaperçu, qui fermait l’étui, elle l’ouvrit et y prit d’abord un vieux hochet en osier, garni de grelots, ainsi qu’en ont quelquefois les petits enfants pauvres.

— Son hochet !… — s’écria Mme Perrine, — le hochet de mon fils ; je le croyais perdu… Quel bonheur… le voilà, — et après avoir couvert ce jouet de baisers joyeux, elle le replaça dans l’étui ; puis ce fut le tour d’un petit portefeuille de maroquin, garni d’ornements d’argent noircis par le temps, et parmi lesquels figurait une couronne de comte.

— Le portefeuille… que son père… avait une fois laissé tomber, — s’écria Mme Perrine, — et qui contenait ces lettres… ces lettres funestes… Et puis voilà ces deux petits fuseaux de bois sculptés… pour moi, par ce pauvre Claude, le meilleur, le plus malheureux des hommes… Oh ! quel bonheur ! mes trésors chéris, mes reliques sacrées, si long-temps pleurées… je vous retrouve enfin — et Mme Perrine couvrait ces objets de larmes et de baisers, avec une exaltation fiévreuse et funeste, car à ses sanglots se joignirent bientôt des mouvements convulsifs.

— Mais,… ceci,… je ne le reconnais pas, je n’avais pas laissé cela,… dit tout-à-coup Mme Perrine.

Et elle mit la main sur une bourse de peau assez lourde, qui, sans doute atteinte par l’humidité, creva sous le poids de son contenu : un grand nombre de pièces d’or en tombèrent.

— De l’or !… — s’écria Mme Perrine avec une surprise croissante, puis elle ajouta :

— Qu’est-ce que ce parchemin ?

En effet, à la bourse était attaché un morceau de parchemin jauni et évidemment arraché à la couverture d’un vieux livre.

— Il y a quelque chose d’écrit !… — s’écria Mme Perrine.

— Lisez !… oh !… lisez !… — murmura la Bruyère, dont les idées commençaient à se troubler en présence de faits si inattendus.

Grâce à l’éblouissante clarté de la lune, Mme Perrine put lire ce qui suit :

Ce coffret et ce qu’il renferme, doit appartenir à la mère de ma fille qui, à cette heure, a cinq ans… Je suis forcée de m’expatrier, de l’abandonner,… Je la confie à un homme fidèle… Ces objets aideront ma fille à se faire reconnaître un jour de sa mère, si je le juge à propos ;… plus tard, je donnerai d’autres instructions… Mais, comme je puis être tué bientôt, ces mots me serviront de testament,… et dans ce testament je veux consigner un aveu qui m’oppresse.

Moi, qui ai jusqu’ici tout bravé, tout osé,… j’éprouve en ce moment un remords… J’ai commis un crime affreux,… sans nom ;… il faut que je commence de l’expier, en le dévoilant à celui qui doit lire… ceci,… et que…

À cet endroit, l’humidité ayant maculé et pénétré le parchemin, beaucoup de mots se trouvaient presque illisibles, d’autres complètement effacés, de sorte que les dernières lignes devenaient incompréhensibles. Mais Mme Perrine, de plus en plus égarée et emportée par l’élan d’une curiosité dévorante, continua de lire ces mots incohérents, comme s’ils avaient présenté un sens complet :

. . Il fal. . mais. . . . ien résolu. . la nuit. . . . je m’étais introduit. . . . . . pour folle. . . . . . mais si belle. . . et. . . . . voul. . . dan. aussi. . . . . . horreur de moi. . . . . . au point du jour… alors. . . . . . . . . . emporté. . . . l. . coffr. . . . sav. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . m’a poursuivi partout, jusques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Revenu en. . . parvenir. . ma fille. . . la mère toujours folle, ne sachant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . j’ai soustrait. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . on ne lui apprendra… et. . que lorsqu’elle aura. . . . . . . pour raisons à moi. . et imp. . . . . . . donnera le nom de Bruyère à. . . . . . fille. . . et le. . . mon…

Le parchemin tomba des mains de Mme Perrine.

Cette nouvelle et terrible secousse rendit, pour un instant, si cela se peut dire, l’équilibre à son esprit,… de même qu’un monument, dérangé de sa base par une oscillation profonde, est remis momentanément en place par une oscillation contraire, jusqu’à ce qu’une dernière commotion le fasse écrouler avec fracas.

Si incomplet que fût le sens de ces mots à demi effacés, Perrine Martin comprit vite leur signification. Ainsi, un infâme, frappé de la beauté de cette infortunée, avait abusé de l’état d’insanité où elle était plongée ; Bruyère était le fruit de ce crime affreux, et elle, Perrine Martin, avait été rendue mère sans en avoir gardé la conscience et le souvenir.

À cette épouvantable révélation le cœur maternel de cette infortunée ne ressentit qu’une chose,… une joie immense,… divine ;… une fille lui était née ;… cette fille,… elle pouvait la presser sur son cœur…

Aussi s’écria-t-elle en tendant ses bras à Bruyère :

— Tout-à-l’heure je me sentais redevenir folle,… maintenant je ne crains plus rien… Viens, viens, ma fille,… tu me rends la raison…

Et elle disait vrai ; il est des situations données où une mère ne veut pas devenir folle, et ne le devient pas.

— Vous !… ma mère !… — s’écria Bruyère avec stupeur, car elle était trop naïve pour pénétrer le sens odieux des demi-mots lus par sa mère avec égarement.

— Oui, ta mère !… je suis ta mère ! — disait Mme Perrine en sanglotant, et couvrant Bruyère de pleurs et de caresses, — peu nous importe le reste ;… vois-tu ? tu es ma fille ;… que nous faut-il de plus ? Oh ! mon Dieu !… et moi qui disais tantôt : J’aurais été si heureuse d’avoir à la fois une fille,… et un fils à adorer… J’avais déjà un fils… Oh ! un digne fils !… Oh ! comme tu l’aimeras, ton frère !

— Une mère !… un frère !… — murmurait Bruyère, en rendant à sa mère larmes pour larmes, caresses pour caresses, bonheur pour bonheur.

Tout-à-coup Perrine Martin tressaillit, et dit tout bas à Bruyère, qu’elle tenait serrée contre son sein :

— On t’appelle !…

— Moi, ma mère ?

— Oui,… tiens,… écoute…

En effet, à travers un bruit de sabres traînants, de pas de chevaux, de grosses bottes ferrées, de cris confus, tumulte croissant que l’émotion de Perrine Martin et de sa fille ne leur avait pas jusqu’alors permis d’entendre, retentissait la voix perçante et importante de M. Beaucadet.

— Il nous faut Bruyère, — disait le sous-officier de gendarmerie, — au nom de la loi, que personne n’est censé ignorer, où est Bruyère,… je viens l’arrêter…

Il est impossible de rendre l’étreinte de maternité sauvage avec laquelle Perrine Martin, lorsque ces mots parvinrent jusqu’à elle, serra sa fille contre son sein, en s’accroupissant dans l’angle formé par les deux murailles du fournil, qui projetaient à cet endroit une ombre assez profonde.

— Arrêter… Bruyère, — criait la virile et bonne Robin, — est-ce que vous êtes fou… Monsieur Beaucadet ?… arrêter cette pauvre petite ! la providence du pays !

— C’est vrai, — reprenaient les garçons de ferme, — arrêter cette pauvre petite… et pourquoi ?

— Parce qu’elle est accusée d’in-fan-ticide, — répondit Beaucadet d’un ton péremptoire en scindant les mots selon sa coutume.

— Qu’est-ce que vous nous chantez là ? — reprit la Robin, — vous parlez votre patois.

— En d’autres termes, ignare que vous êtes, — reprit dédaigneusement Beaucadet, — Bruyère est prévenue d’avoir tué son enfant.

À ces mots, deux cris terribles se firent entendre derrière l’angle formé par les murailles délabrées du fournil.

Au moment où Beaucadet accourait dans cette direction, suivi de ses gendarmes, Bruyère, avec la rapidité de l’éclair se dégagea de l’étreinte convulsive de sa mère, d’un bond franchit les décombres du fournil, et de cette hauteur se précipita dans l’étang.

Tout ceci s’était passé en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.

Lorsque Beaucadet, accompagné de ses soldats et des gens de la ferme, arriva dans l’angle formé par les deux pans de muraille dont l’élévation leur avait caché la funeste action de Bruyère, ils ne trouvèrent que Perrine Martin.

La malheureuse mère, la tête renversée sur une pierre, les bras raidis, les mains crispées, les yeux fixes et demi-clos, les dents serrées, était en proie à un effrayant paroxysme nerveux.

— Dame Perrine… — s’écria la Robin en se jetant à genoux auprès d’elle pour lui porter secours pendant que les gendarmes l’entouraient.

— La Robin !… au secours ! — s’écria tout-à-coup une voix de l’autre côté des ruines du fournil.

C’était un des garçons de ferme qui, entendant le bruit du corps de Bruyère tombant à l’eau, avait couru au bord de l’étang pendant que les autres acteurs de cette scène se précipitaient vers les ruines.

— La Robin ! — cria-t-il de nouveau, — Bruyère s’est jetée dans l’étang… voilà un de ses petits sabots dans les joncs… vite… au secours… démarre la toue (le bateau)… on pourra peut-être encore la sauver.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant que Perrine Martin, privée de tout sentiment, était transportée dans la métairie, le bateau fut démarré, l’étang parcouru, sondé en tous sens par la Robin, les garçons de ferme et les gendarmes…

On ne retrouva pas le corps de Bruyère…

La Robin, éclatant en sanglots, emportait comme une relique précieuse le petit sabot de la jeune fille… puis se ravisant tout-à-coup, la Robin dit au charretier :

— Nous sommes bêtes de pleurer… une créature charmée comme était Bruyère, ça ne meurt pas… Nous la reverrons.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

M. Beaucadet, après avoir dressé un procès-verbal du suicide, remonta à cheval et regagna en hâte le château du comte Duriveau pour y porter cette funeste nouvelle.

Au bout de quelques instants de marche, le vieux soldat, qui plusieurs fois pendant cette journée avait témoigné de l’impatience que lui causait la ridicule importance que se donnait Beaucadet, dit à demi-voix, en s’adressant à son camarade et lui montrant le maréchal-des-logis :

— Je l’ai bien vu tout-à-l’heure, il a pleuré en montant à cheval… Tant mieux… je l’avais toujours soupçonné d’être plus bête que méchant.