Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/II/3

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III


CHAPITRE III.


la volière.


Au bruit du coup de feu qui retentit si près de la fenêtre du jardin d’hiver, la stupeur et l’épouvante furent générales ; les femmes poussèrent des cris aigus et se précipitèrent vers les issues de la serre. Plusieurs des convives du comte, qui l’entouraient au moment de l’explosion, s’en coururent aussi de côté et d’autre (M. Chalumeau fut du nombre de ces fuyards) ; quelques-uns, au contraire, se groupèrent courageusement autour de l’amphitryon.

Le comte, un peu pâle, mais toujours ferme, revint auprès de la fenêtre dont Martin l’avait violemment écarté ; et, après un premier mouvement de trouble et de surprise, ne sachant pas encore d’ailleurs la cause du coup de feu, il dit à ses convives avec un sang-froid railleur qui faisait honneur à son courage :

— Rassurez-vous, Messieurs,… c’est sans doute le signal d’un feu d’artifice,… une surprise que me ménageaient mes gens… Seulement mon valet de chambre m’a paru un peu empressé d’aller prendre sa place…

Au moment où il prononçait ces mots, Martin, après quelques minutes d’absence, revint en courant, ouvrit du dehors une porte du jardin d’hiver, entra et dit à son maître d’une voix émue :

— Il s’est sauvé du côté du chalet ; j’ai perdu ses traces dans l’épaisseur du bois.

— Qui cela ? — s’écria le comte.

— L’homme qui était caché là, Monsieur le comte… Je l’avais vu à la clarté des lampes du jardin d’hiver, se lever brusquement de ce massif où il était blotti… Peut-être n’avait-il pas de mauvaise intention ; mais, dans mon premier mouvement, je n’ai pas réfléchi, croyant que M. le comte courait quelque danger, j’ai sauté par la fenêtre pour atteindre cet inconnu ;… dans ma lutte avec lui, un pistolet, dont il était armé, a parti ; je me suis mis à sa poursuite… et…

— Mais vous êtes blessé… — s’écria vivement le comte, en s’approchant davantage de Martin.

— Je crois que oui… Monsieur le comte… à la main… mais c’est peu de chose, la balle m’a effleuré le poignet.

— Il n’importe, il faut vous faire panser, — dit le comte, et comme plusieurs de ses gens étaient accourus au bruit de l’explosion, il dit à l’un d’eux :

— Qu’on aille à l’instant chercher le médecin de Salbres.

— Et ce brigand, quelle figure avait-il ? — dit M. Chandavoine, avec effroi, — c’est peut-être ce scélérat de Bamboche que l’on traque de tous côtés et dont le signalement est affiché.

En apprenant que Bamboche, dont il entendait prononcer le nom pour la première fois depuis son arrivée en Sologne, était traqué de tous côtés, Martin, malgré les émotions qui l’agitaient, tressaillit de surprise ; les paroles expirèrent sur ses lèvres.

Frappé de l’expression de ses traits, le comte lui dit :

— Qu’avez-vous donc, Martin ?

— Rien, Monsieur le comte… rien… Je me sens un peu faible… le sang que j’ai perdu, sans doute…

— Avez-vous au moins pu le bien dévisager, le brigand ? — demanda M. Chandavoine.

— Oui, Monsieur, — reprit Martin, — il était très-petit, très-brun… et très-jeune… dix-huit ou vingt ans au plus, — ajouta Martin avec assurance, — il portait une blouse blanchâtre et une casquette.

— Ce n’est pas là le signalement de Bamboche, — dit M. Chandavoine, — mais puisqu’il portait un pistolet, ça ne peut être qu’un assassin.

— Un assassin ! Et pourquoi diable voulez-vous qu’on m’assassine, mon cher Monsieur ? — dit le comte avec une dédaigneuse insouciance, — à moins que ce ne soit quelque voleur de bois que j’aurai fait arrêter, quelque maraudeur poursuivi par mes gardes. Et encore cette race lâche et abrutie n’a pas même l’énergie de la vengeance. Allons, Messieurs, ceci ne vaut pas la peine de vous occuper un instant : c’est l’affaire du brave Beaucadet, le maréchal des logis de gendarmerie, que je ferai venir demain pour entendre ma déposition… Martin, allez vous faire panser… Vous êtes, je crois, un bon serviteur… Quant au misérable qui vous a blessé… quoiqu’il ait disparu, Beaucadet se mettra sur ses traces ; c’est un fin limier, il le découvrira, j’en suis sûr, et on en fera bonne justice.

Pendant ces dernières paroles du comte, M. Chandavoine avait tiré un papier de sa poche qu’il lisait attentivement, tout-à-coup il s’écria :

— Ah ! voici qui est bien extraordinaire !

Et comme le comte le regardait d’un air interrogatif, M. Chandavoine ajouta :

— Je persistais à croire que l’homme embusqué pouvait être le scélérat nommé Bamboche, et je lisais son signalement qu’on a distribué dans le pays et que j’ai reçu au moment de venir chez vous, Monsieur le comte. Ce signalement, je l’avoue, ne ressemble en rien au portrait, fait par votre domestique, de l’homme qui l’a blessé, mais voici le curieux de la chose : nous avons parlé à dîner de cette fameuse Basquine dont on a dit tant de bien et tant de mal.

— Eh bien ! — fit le comte, — dont le front s’assombrit au nom de cette femme.

— Lisez, Monsieur le comte, — dit M. Chandavoine en tendant le papier à M. Duriveau, qui le prit et le parcourut, — vous verrez que ce brigand de Bamboche porte, tatoués sur le bras, ces mots : Amour pour la vie à Basquine.

— En effet, ce misérable porte écrit sur le bras le nom de cette horrible créature. Quel mystère ! — disait le comte, si profondément étonné, qu’il ne remarquait pas que, selon le signalement, le nom de Martin était aussi tatoué sur le bras de Bamboche.

Soudain, au milieu d’un assez grand tumulte, on vit, à l’extrémité de l’une des allées du jardin d’hiver, déboucher M. Chalumeau, pâle, effaré, courroucé, tenant rudement par le bras Mme Chalumeau, confuse, éplorée, et qui, la tête baissée sur sa poitrine bondissante, aurait voulu, ainsi qu’on le dit vulgairement, « être à cent pieds sous terre. »

Immédiatement après les deux époux venait Scipion, l’air insolent et railleur, les mains plongées dans les poches de son pantalon, et, à quelque distance derrière lui, s’avançaient les autres convives du comte, tellement stupéfaits de l’aventure et de l’audace du vicomte, qu’ils gardaient un profond silence, çà et là interrompu par un bourdonnement de paroles échangées à voix basse.

— Monsieur le comte ! — s’écria M. Chalumeau d’une voix tremblante de colère, en s’approchant du père de Scipion, — c’est une indignité !… et je vous en rends responsable…

— Puis-je savoir, Monsieur ?…

— Je vous dis que vous en êtes responsable, Monsieur le comte ! — s’écria l’électeur infortuné en interrompant M. Duriveau. — Oui, vous êtes cause et responsable de tout ; car lorsqu’on possède un fils comme le vôtre… Monsieur, on l’enferme… oui, Monsieur, on le séquestre lorsqu’on reçoit des dames.

— Mais, Monsieur…

— Mais, Monsieur, — s’écria l’électeur avec indignation, — savez-vous… ce qui vient de se passer ? Savez-vous ce qu’il vient de m’arriver. Monsieur ? Savez-vous où j’ai trouvé mon épouse, Monsieur ?

— Je ne sais rien, Monsieur, — dit froidement le comte, refoulant à grand’peine les violents ressentiments soulevés en lui par cette nouvelle équipée de Scipion. — Mais si vous avez quelques explications à me demander, je vous prie, dans notre intérêt commun, de vouloir bien passer chez moi, afin de ne pas rendre ces explications publiques.

— Ne pas les rendre publiques… — s’écria M. Chalumeau avec un éclat de rire sardonique ; — mais, je voudrais que ma voix pût s’entendre d’ici… à Romorantin, afin de pouvoir proclamer de tous mes poumons que mon épouse est une malheureuse… et que votre fils est un…

Scipion, touchant du bout du doigt l’épaule de M. Chalumeau, l’arrêta net, en lui disant de sa voix claire et hautaine :

— Un ?

L’électeur se retourna brusquement vers le vicomte, le toisa d’abord d’un air indigné ; puis, se campant résolument en face de lui, il s’écria d’un air de bravade :

— Je dis, Monsieur, que vous êtes un homme… un homme pétri de passions adultères… indécemment adultères !

Scipion, qui ne riait jamais, ne put s’empêcher de sourire, et dit à M. Chalumeau avec un geste de descendance :

— Bon… maintenant allez !…

— Comment ! que j’aille ? je ne suis pas votre valet, Monsieur ! Je n’ai pas besoin de votre permission pour…

— Monsieur, — dit le comte, — je vous en conjure ; si ce n’est pour vous, que ce soit au moins pour Madame ;… mettez un terme à cette scène pénible,… et, d’ailleurs, croyez-moi, les apparences sont souvent trompeuses, et…

— Ce ne sont pas les apparences qui sont trompeuses, ce sont les femmes ! — s’écria l’électeur en regardant la trop sensible Chalumeau, comme s’il eût voulu l’écraser sous ce sanglant sarcasme, — des apparences !… — reprit-il exaspéré, — des apparences !… Au bruit du coup de feu, la tête remplie de l’histoire de ce brigand que l’on poursuit, je me sauve, j’ouvre la première porte qui se trouve devant moi,… c’était la serre chaude… je la traverse… j’arrive à une rotonde où était une volière… je m’y réfugie… j’entends à travers une porte comme un frôlement et une voix de femme… Cette voix… je la reconnais : je pousse la porte, c’était un boudoir, et, dans ce boudoir. Messieurs, qu’est-ce que je vois ?… le fils de Monsieur… embrassant mon épouse…

— Je vous répète, Monsieur, — dit le comte pouvant à peine se contraindre, et jetant sur Scipion un regard terrible, — je vous répète, Monsieur, que je suis confus de tout ceci ; mais le scandale que vous faites, est en vérité déplorable !…

— Je fais du scandale !… c’est moi qui fais le scandale ? — s’écria M. Chalumeau exaspéré, — c’est trop fort !… Ah ! l’on a bien raison de dire : tel père tel fils !…

— Monsieur !

— Monsieur ! — riposta l’électeur influent avec un courroux majestueux, olympique, — vous pensez bien que moi et mes amis politiques, nous ne pouvons être représentés devant la France par un père dont le fils nous a…

— Nous a… nous a… — dit à l’électeur son ami Chandavoine, — parle pour toi… Dis donc… t’a…

— C’est vrai, mon pauvre bonhomme… — répondit M. Chalumeau en soupirant, — dont le fils m’a…

Le comte l’interrompit.

Outré de cette scène et voulant y mettre à tout prix un terme, il dit à l’époux outragé :

— Soit, Monsieur ; si précieux que m’eussent été votre suffrage et celui de vos amis… j’y renonce. Maintenant, je l’espère, vous comprendrez que, quelque flatté que je sois de l’honneur que vous m’avez fait de venir chez moi, les choses, à mon profond regret, en sont venues à un tel point que je dois craindre de vous retenir ici plus long-temps.

— Venez, Madame… venez, effrontée, — dit l’électeur d’une voix formidable en entraînant la malheureuse Chalumeau, qui faisait tout au monde pour s’évanouir ; mais sa florissante, rebondissante et luxuriante santé s’opposait à son désir ; il manquait à cette innocente le manège nécessaire pour jouer convenablement un évanouissement simulé.

M. Chalumeau se dirigeait vers la porte, lorsque Scipion lui dit en ricanant : — Ah çà ! vous savez que, quand vous voudrez… je suis prêt…

L’électeur, instruit par quelques mots que son ami Chandavoine lui dit à l’oreille, de la signification des paroles de Scipion, lui répondit avec une dignité suprême :

— Je ne suis pas un spadassin, Monsieur, je suis un époux abominablement outragé.

— Maintenant, — dit Scipion avec une gravité narquoise, — je puis déclarer que Monsieur est dupe d’une illusion, et je dois proclamer la complète innocence de Madame.

— Mon ami… vous l’entendez ? — hasarda la pauvre Chalumeau.

— Belle garantie ! — s’écria l’électeur. — Venez, Madame… venez.

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Le départ des convives du comte s’effectua au milieu d’un profond silence et d’un embarras mortel ; la partie féminine de l’assemblée, qui jalousait généralement Mme Chalumeau, regardée dans le pays comme une élégante, était ravie de l’aventure, et témoignait de sa vertueuse indignation. Parmi les hommes, quelques-uns jalousaient M. Chalumeau, plus gros propriétaire que la plupart d’entre eux ; d’autres s’étaient occupés de Mme Chalumeau ; mais leurs soins n’avaient pas été agréés, bien qu’on eût parlé de certain neveu du mari, colossal lieutenant de carabiniers, qui avait passé plusieurs semestres à la Gaudriole (nom de fantaisie donné par M. Chalumeau à sa villa) ; somme toute, hommes et femmes furent délicieusement satisfaits de l’énorme scandale qui allait pour long-temps défrayer toutes les conversations du pays.

Le comte, doué d’assez d’empire sur lui-même pour se contraindre jusqu’à la fin, s’était tiré de son mieux de la position si difficile où il se trouvait à l’égard de ses convives, et avait courtoisement accompagné jusqu’au perron la femme qui, pendant le dîner, avait été placée près de lui.

Enfin, la dernière voiture sortit du château du Tremblay.

Le comte, au lieu de rentrer chez lui, descendit le perron : suffoquant de rage contenue, il espérait que la marche, que le grand air apaiseraient sa violente surexcitation, et qu’il retrouvait assez de calme pour avoir avec son fils un entretien décisif, entretien rendu plus indispensable encore par ce nouvel incident qui complétait la journée.

Héros, le matin, d’une déplorable aventure qui devait produire sur la population du pays la plus fâcheuse impression, Scipion venait le soir même de combler la mesure, rendant hostiles au comte les gens les plus considérables de la haute bourgeoisie.

Scipion blessait ainsi au vif les deux plus ardentes passions du comte, son ambition et son amour ; son ambition, car la burlesque aventure du vicomte avec Mme Chalumeau ruinait les projets électoraux de M. Duriveau, en lui aliénant les voix qui pouvaient assurer sa candidature ; son amour, car le même jour devait voir son mariage avec Mme Wilson et celui de Raphaële avec Scipion, et celui-ci semblait vouloir, à force de froideur et de scandales, retarder ou compromettre une union qui seule pouvait combler les vœux les plus ardents de son père.

Le comte, dans sa fiévreuse agitation, se promenait de long en large dans la cour d’honneur du château, pressant quelquefois son front brûlant entre ses deux mains crispées, et jetant de temps à autre un regard d’ironie amère sur les clartés resplendissantes qui s’échappaient de toutes les fenêtres de l’immense rez-de-chaussée à travers lesquelles il voyait passer et repasser l’étincelante livrée de ses nombreux domestiques.

Pour la première fois de sa vie, cet homme si infatué de son opulence, cet homme si glorieux de pouvoir dire qu’après lui son fils, et sans doute le fils de son fils, éblouiraient, domineraient les humbles par le prestige de cette immense fortune, cet homme qui ambitionnait surtout la législature afin d’assurer à la propriété, conséquemment à l’héritage, de nouvelles et formidables garanties. Cet homme, poussé par la fatalité de sa position, ressentait pour la première fois une sorte de dépit amer, en songeant que tous ces biens, toutes ces splendeurs, seraient acquises de droit et sans peine à cet insolent et audacieux enfant, contre lequel il ressentait en ce moment presque de la haine ; car, malgré la rare énergie de son caractère, le comte redoutait le flegme glacial et railleur de son fils ; aussi la conscience de cette faiblesse l’exaspérait davantage encore contre lui-même et contre Scipion. Jamais… peut-être le comte n’avait éprouvé plus péniblement le tardif et vain regret de s’être montré jeune père envers ce fils audacieux ; il se voyait, il se sentait débordé, s’il ne tranchait pas dans le vif, si, ce jour-là même, et de haute lutte, il n’imposait pas au vicomte une autorité jusqu’alors méconnue… ou plutôt inconnue.

Une vive lueur, accompagnée d’un bruit de sabre traînant et d’éperons retentissants, arracha le comte à ses pénibles préoccupations ; il retourna la tête, et vit, à la lueur d’une lampe que tenait un de ses gens, M. Beaucadet descendre majestueusement les degrés du perron.

Singulièrement contrarié de cette visite, le comte s’avança vers le sous-officier, et lui dit brusquement :

— Que voulez-vous ?

— Monsieur le comte, — dit Beaucadet d’un air grave et pénétré qui ne lui était pas naturel, — un grand malheur vient d’arriver.

— Quel malheur ?

— J’ai été à la métairie du Grand-Genevrier, afin de procéder à l’interrogation de la fille dite Bruyère, soupçonnée d’infanticide…

— Eh bien ?

— La malheureuse était coupable… car en me voyant, moi et mes hommes… elle s’est jetée dans l’étang…

— Grand Dieu !! — s’écria le comte.

— Et elle s’est noyée… — dit Beaucadet.

— Oh !… c’est affreux, — murmura M. Duriveau avec une expression d’horreur, en cachant sa figure dans ses mains.

— Je suis venu, Monsieur le comte, — reprit Beaucadet, — afin de vous…

— C’est bon… laissez-moi.

— Mais, Monsieur le comte…

— Laissez-moi, vous dis-je.

— Représentant de la loi… — dit Beaucadet de sa voix officielle, — j’ai le droit d’instrumenter en son nom. Je viens d’apprendre que, ce soir, un coup de pistolet a été tiré par un homme embusqué sur un de vos domestiques… Mon devoir, Monsieur le comte, est de verbaliser et de…

— Eh ! verbalisez tant que vous voudrez ; mais laissez-moi en repos, — s’écria le comte hors de lui, en frappant du pied avec fureur.

— Mais, Monsieur le comte, ce n’est pas tout ; le domestique blessé se nomme Martin, et je le soupçonne… de…

Beaucadet n’acheva pas, car le comte, sans l’écouter davantage, disparut dans une des sombres allées du parc.

— Il m’importe peu qu’il ne m’écoute pas, — dit le sous-officier, — l’occasion est fameuse pour interroger ce Martin, que je soupçonne d’être un fier drôle, vu que son nom est écrit sur un des bras de ce brigand de Bamboche… qui s’est fait saluer par mes gendarmes, le grand gueux !…

Ce disant, Beaucadet regagna le château.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une demi-heure environ après sa rencontre avec le sous-officier, le comte gravissait les degrés du perron.

M. Duriveau était pâle, mais parfaitement calme. En entrant dans le vestibule, la première personne qu’il aperçut fut Scipion.

Le vicomte, se disposant à rentrer chez lui, allait allumer son cigare au bougeoir que son valet-de-chambre lui tendait d’une main, tandis qu’il portait de l’autre un flacon de rhum sur un plateau d’argent.

— Scipion… venez… j’ai à vous parler, — lui dit le comte d’une voix tranquille…

— Attends… j’allume mon cigare.

— Vous l’allumerez chez moi, — répondit patiemment le comte.

Scipion, tenant entre ses lèvres le cigare qu’il n’avait pas eu le temps d’allumer, suivit nonchalamment son père à travers les somptueux salons, étincelants et déserts.

Bientôt le comte ouvrit la porte de son appartement particulier, et son fils y entra après lui.