Max Havelaar/Notes

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Traduction par A. J. Nieuwenhuis et Henri Crisafulli.
Dentu (p. 207-227).

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS,


AJOUTÉS PAR L’AUTEUR


À LA 4ième ÉDITION, DE 1875.


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C’est à moi, et non à la bonne volonté de mon éditeur, qu’il faut reprocher le retard apporté à la publication de la présente édition.

Et, encore, est-ce bien reprocher qu’il faut dire ?

Le droit de reproche implique une idée de culpabilité ; et, je vous le demande, peut-on incriminer l’antipathie invincible que je ressens pour un travail me forçant à traverser de nouveau, page par page, mot à mot, lettre par lettre, le drame lugubre, qui m’a dicté ce livre ?

Ce livre !

Le lecteur n’y voit pas autre chose.

Mais, pour moi, ces feuilles représentent un chapitre de ma vie ; … pour moi, la correction de ces épreuves a été un long supplice depuis la première ligne jusqu’au mot : fin !

Chaque fois, la plume me tombait des doigts, chaque fois, mon œil, se troublait, en relisant l’esquisse imparfaite et adoucie de ce qui se passa, il y a vingt ans, dans le coin de terre, jadis inconnu, qui porte le nom de Lebac.

Et, combien plus profonde encore devait être l’impression de ma tristesse, en songeant aux quinze années, qui ont succédé à la publication de mon livre, Max Havelaar !

À tous moments, je jetais les épreuves de côté, m’efforçant de jeter les yeux de mon âme sur des sujets moins tragiques que ceux, qui m’étaient rappelés par les vains efforts de Max Havelaar.

Des semaines, des mois entiers, — mon éditeur est là pour en rendre témoignage — je ne pouvais trouver le courage de jeter un regard sur les épreuves qu’on m’envoyait.

Ce n’est pas sans peine, et sans ennui que je suis venu à bout de cette correction, correction qui m’a plus coûté que l’enfantement de mon livre.

Ce fut en 1860, en plein hiver, à Bruxelles, sur une table sale, et boiteuse d’estaminet que j’écrivis mon Max Havelaar, au milieu d’un tas de buveurs de faro, débonnaires, mais inesthétiques ; je croyais créer, faire quelque chose.

Cette espérance me soutenait, cette espérance me rendait éloquent par-ci, par-là.

Je me souviens encore de l’émotion que je ressentis en lui écrivant, à Elle : » mon livre est fini ! mon livre est fini ! À présent, avant peu, tout ira bien ! »

Je venais de traverser quatre années longues et difficiles, — quatre années perdues inutilement, hélas ! — en m’efforçant de produire quelque chose qui pût améliorer la situation sous laquelle se courbe le Javanais.

J’avais agi, sans publicité, sans attirer l’attention, et surtout sans vouloir provoquer l’ombre d’un scandale.

Le misérable Duymaer van Twist, qui, pour peu qu’il eût eu le moindre sentiment d’honneur, devait être mon allié naturel, ne put se résoudre à me prêter la main.

La lettre que je lui adressai a été publiée mille fois ; elle contient à peu près tous les points principaux du procès Havelaar.

Cet homme ne m’a jamais répondu ; jamais il n’a montré la moindre intention de rémédier à tout le mal qu’il avait fait ou fait faire. Forcé, par la souplesse de cette conscience élastique, à m’adresser au public, obligé de changer de voie, je ne pus résister à mon indignation.

Cette même indignation me donna les moyens d’atteindre à l’impossible ; j’obtins un moment d’audience.

Ce que la lâche impassibilité de Duymaer van Twist ne voulut pas m’accorder, grâce à mes efforts désespérés, la nation me l’accorda.

On… m’entendit.

Hélas ! entendre et écouter sont deux choses bien distinctes.

Tiens ! disait-on de tous les côtés, voilà un joli livre… et… vraiment, si l’auteur a encore un petit conte, comme celui-là, dans ses cartons…

Oui, on s’était amusé en le lisant, et l’on ne se donnait pas la peine de réfléchir, — ou l’on feignait de ne pas comprendre, — que moi, qui me trouvais au milieu de ma vie, je n’avais pas abandonné une carrière promettant de devenir brillante, rien que dans un but d’amusement personnel, et pour mon plaisir.

On ne pourrait pourtant pas supposer que c’était par pure distraction que j’avais bravé le poison, oui, la mort par le poison, pour moi, pour ma courageuse femme, et pour notre enfant adoré.

Max Havelaar était un livre réellement intéressant !

On le disait.

On le répétait.

Et parmi ses prôneurs, il se trouvait des gens qui auraient poussé des cris de terreur, et de désespoir au moindre danger couru, je ne dis pas par leur propre personne, mais par une partie minime de leur prospérité, et de leur situation !

La plupart de mes lecteurs semblaient croire que je nous avais exposés, moi et les miens, à la pauvreté, à l’humiliation, à la mort même, tant simplement dans le but de leur procurer une lecture amusante !

Cette erreur… !

Mais, en voilà assez, là-dessus ! Ce qu’il y a de certain, c’est que je n’avais pas le pressentiment d’une Lapalissade pareille, d’une naïveté si cruelle, quand je m’écriais joyeusement :

Mon livre est fini !
Mon livre est fini !

La conviction où j’étais d’avoir toujours dit la vérité, d’avoir toujours fait ce que j’écrivais, me fit perdre de vue que le public, lecteur, auditeur ou spectateur, s’était habitué à n’écouter que des balivernes, des palinodies, et des contradictions régulières entre le dire et le faire d’un auteur…

Cette conviction, me donna, en 1860, tout le courage nécessaire pour exécuter la tâche pénible, qui consistait à écrire Max Havelaar.

Mais, aujourd’hui, quinze années se sont écoulées, et je vois clairement que la nation se range du côté des Duymaer Van Twist et consorts, c’est-à-dire, du côté du brigandage, de la rapine, et de l’assassinat, prenant parti contre moi, qui représente le droit, l’humanité, et une politique intelligente.

Aujourd’hui, il m’est mille fois plus pénible qu’en 1860 de m’occuper de ces corrections, quoique déjà à ce moment-là une amertume douloureuse menaçât plus d’une fois d’envahir mon âme.

Par-ci, par-là, tome I, page 152 par exemple, malgré tous mes efforts, je ne pus l’empêcher de se faire jour.

Ajoutez au chagrin d’un insuccès continuel de tant d’efforts, la douleur causée par la perte de celle qui accepta héroïquement à mes côtés la lutte contre le monde, de celle qui ne sera pas là, quand sonnera l’heure de la victoire.

L’heure de la victoire ! oui, lecteur, l’heure du triomphe !

Que cela vous étonne ou non, je vaincrai !

En dépit de l’artifice, et de l’escroquerie, en dépit de la mauvaise foi des hommes d’Etat minuscules auxquels la Hollande confie ses intérêts les plus chers ; en dépit de notre absurde constitution, qui prime le génie et le talent au profit de la médiocrité et de la nullité, qui écarte les esprits éclairés capables de guérir la pourriture rongeant ouvertement nos institutions, notre existence politique et l’Etat lui-même ; en dépit du nombre de coquins ayant intérêt à ce que l’injustice subsiste ; en dépit de la misérable et basse envie, qui décrie mon talent d’écrivain … n’est-ce pas ainsi qu’on me traite … eh bien ! non, messieurs les faiseurs-de-livres, qui voulez absolument voir en moi un collègue et un concurrent … non … je ne suis pas un écrivain…, je vous le jure ! en dépit de la calomnie la plus stupide, calomnie ne reculant devant rien, en fait de sottise et de grossièreté, pour obstruer et anéantir mon influence, en dépit, enfin, de la lamentable tiédeur de la nation, qui continue à supporter tout cela… je vaincrai.

Ces temps derniers, nous avons vu sortir de dessous terre quelques soi-disant écrivains, qui m’ont reproché de n’avoir rien fait, rien changé, rien amélioré, ou de n’avoir pas assez fait, changé, amélioré.

Je reviendrai, tout à l’heure, sur la source, qui a lancé de pareilles accusations.

Quant à la chose elle-même…, je reconnais pleinement que rien n’est amélioré, aux Indes ; mais… changé ?

Dès l’apparition de Max Havelaar, les individus, qui, grâce à notre pauvre système de bascule constitutionnelle, profitèrent de l’agitation produite par mon livre pour arriver au pouvoir, n’ont pas fait autre chose que changer.

N’était-ce pas cela que je demandais ?

Leur métier lui-même, leur métier de saltimbanques politiques les y força.

Cette bande de maltôtiers, dont une partie était incapable, et dont l’autre était malhonnête, cette bande, qui, après 1860, tomba en haut, grâce à son manque de pesanteur, comprit qu’il fallait faire quelque chose, tout en ne préférant pas faire le bien, ce qui, je le reconnais avec eux, leur aurait laissé un arrière-goût de suicide.

Rendre justice aux malheureux Javanais, mais, c’eût été exalter Max Havelaar, et pour la plupart d’entre eux, c’était se condamner soi-même.

Il fallait pourtant avoir l’air d’agir autrement que par le passé, et de suivre de nouveaux errements.

On jeta un os à ce peuple frémissant d’indignation, non pour apaiser sa faim d’amélioration, mais, pour occuper ses mâchoires.

Un caquetage économico-politique fit l’affaire.

Les hommes qui tenaient le gouvernail jetèrent à leurs collègues électoraux, à leurs fabricants de journaux, et à tutti quanti, public de guinguettes et de cafés, de petits os à sucer sous la forme de questions que j’ai baptisées, une fois pour toutes, du nom de monnaie hors cours.

Déjà, durant des années, et même avant Max Havelaar, la liberté du travail était le plat du jour, la pièce de résistance de ce perfide menu.

Pour changer, ces messieurs servirent à leurs convives débonnaires les questions en vogue sur le système monétaire, dans les Indes.

Apres cela vint la question du cadastre, la question concernant le pays de Preang, la question des émoluments relative à la culture, la question de comptabilité, la question de la loi agraire, la question de la propriété foncière personnelle, et ceci et cela, et encore autres vétilles du même tonneau.

À une nouvelle loi succédait une loi nouvelle ; et chaque fois les hommes en place, conservateurs ou libéraux, s’arrangeaient pour faire accroire au peuple que cette dernière loi était l’unique dénouement, le seul remède au mal, qu’il fût possible de trouver.

Il n’y avait plus à barguigner, cette fois-ci on avait trouvé la seule panacée.

C’était une chose facile à prouver.

À chaque expérience usée succédait une expérience nouvelle. Un boniment trop connu faisait place à un autre boniment ! À chaque nouveau ministère on inventait un nouvel arcane ! À chaque nouvel arcane on donnait un ministère nouveau !

Il y avait la Chambre des Députés à faire bavarder… les collèges électoraux à noircir ou à blanchir le peuple à écouter !…

Toutes ces nouveautés éternelles étaient proposées, examinées, discutées.

Dans les Indes, avec tous les continuels changements à vue, on irritait les chefs indigènes, on indisposait les fonctionnaires européens, et l’on exaspérait la population…

Et l’on osait prétendre que rien ne serait changé après l’apparition de Max Havelaar !… à la suite de Max Havelaar !… allons donc !

Peu de temps après la publication de ce livre, et grâce à ce livre, il est arrivé aux Indes, ce qui arriva à la montre de Polichinelle.

Uu jour, on fit remarquer à ce philosophe que le mouvement de sa montre était encrassé, et que partant elle marchait mal.

Il prit sa montre, la trempa dans le ruisseau, et la nettoya avec une étrille.

Selon la tradition du Guignol de la Haye, notre profond politique se contenta de l’écraser sous le talon de son sabot.

Eh bien ! lecteur, je vous le certifie sur mon honneur, il y eut bien du changement dans l’intérieur de cette montre !

La Hollande n’a pas trouvé bon de rendre justice à Max Havelaar, dans le procès qu’il intentait.

Aussi long-temps que deux fois deux feront quatre, il est certain que ce déni de justice, ce crime, sera le point de départ de la perte de ses colonies.

Quiconque osera rire de cette prophétie sous le fallacieux prétexte que voilà quinze ans que cette prophétie a été faite, que voilà quinze ans que je me suis vu forcé d’étaler toutes ces plaies au grand jour, et que malgré cela, le drapeau hollandais flotte toujours à Batavia quiconque osera en rire ne fera guère preuve d’une longue vue politique.

Croit-on qu’un bouleversement pareil à celui qui se prépare dans l’Empire d’Insulinde, bouleversement dont le principe est un fait acquis, — ne le sentez-vous pas, ô Hollandais ! — puisse se produire dans un laps de temps qui suffirait à peine à un événement de la vie quotidienne !

Dans la vie des nations, quinze années passent comme une seconde.

Et pourtant la catastrophe aura un dénouement fatal, et rapide.

La guerre faite si malencontreusement à Atchin fut un des derniers guet-à-pens tendus par un ministre, qui avait besoin de détourner l’attention publique, pour cacher son incapacité ; on verra dans peu que le résultat en sera aussi funeste, que le dessein, conçu par un cœnr léger, en a été coupable et criminel.

Mais, avant que les suites désastreuses de cette sottise cruelle ne se fassent jour, n’a-t-on pas à compter avec la responsabilité ministérielle qui l’a pris de si haut ?

Est-ce qu’aujourd’hui la nation n’a plus qu’à la subir, et à s’y résigner ?

Un Fransen van de Putte aura-t-il eu la satisfaction de la mettre dans une situation, qui, sans parler de la perte néfaste de son prestige dans l’Archipel indien, lui coûte tant de millions, et tant d’hommes !

Mais, j’en suis sûr, le nom de cet homme est inscrit sur le tableau des retraites !

C’est bien ; les contribuables hollandais ont de l’argent de trop !

Quant à la guerre avec Atchin, dans les observations ultérieures sur Max Havelaar, je serai bien obligé d’y revenir de temps à autre.

Pour le moment, je me contenterai de remarquer, à ce propos, qu’en lisant ce livre, on ne m’a pas toujours accordé l’attention nécessaire.

Je n’ai que rarement, pour ne pas dire jamais, reçu de communication me prouvant que mes lecteurs s’étaient donné la peine de trouver une corrélation entre la guerre actuelle et ma prophétie faite à ce sujet.

Pourtant, le contenu du treizième chapitre de Max Havelaar, vue prise de la grande notoriété de mon livre, qui s’est publié à tant de milliers d’exemplaires, fait que je suis bien en droit de trouver étranges cette abstention et ce silence.

Mon Epitre au Roi n’a-t-elle pas été saisie, en 1872, aux premiers jours du printemps, de la dite déclaration de guerre ?

Sont-ils donc si rares ceux de mes lecteurs, se souvenant, que, déjà en 1860, j’avais vu combien nos relations avec l’Empire d’Atchin étaient tendues !

Dès ce moment, n’ai-je pas prouvé que sur ces affaires-là j’en savais plus long que nos journalistes et nos représentants !

S’il n’en avait pas été ainsi, peut-être mon avertissement si précis, donné en Septembre 1872, aurait-il porté de meilleurs fruits !

Ou bien, est-ce que l’antique Jupiter rend toujours aveugles, sourds, insensés, conservateurs ou… libéraux, les rois et les peuples qu’il veut perdre !

Conservateurs ou libéraux, c’est tout un.

La question capitale est, et reste, la même :

Chercher la vérité,
Reconnaître la force de la vérité,

et, surtout, agir, en s’y prenant ainsi, d’après les données qu’on estime vraies.

En dehors de ce principe, tout le reste ne sera jamais qu’un mensonge, une inspiration détestable et diabolique.

Oui, la Hollande perdra ses possessions indiennes, parce qu’on ne ma pas rendu justice, parce qu’on a dédaigné, foulé aux pieds les efforts que j’ai faits pour défendre et protéger les Javanais contre les malversations et les mauvais traitements.

Il y en a beaucoup, encore aujourd’hui, qui ne voient pas de rapports entre ces deux faits !

Est-ce ma faute ?

Étouffer une plainte, c’est écraser la vérité, c’est protéger le mensonge !

Est-il donc si difficile de comprendre qu’à la longue on ne peut gouverner des possessions si étendues, quand on se plaît à recevoir des rapports mensongers sur le pays et la population.

Pour régulariser, régner, gouverner, avant tout, il faut savoir dans quel état se trouvent les affaires à traiter ; et tant qu’on mettra sous le boisseau les lumières fournies par Max Havelaar on ne saura rien de tout cela.

Autre chose encore.

Ce livre démontre que les lois actuelles ne sont pas mises en vigueur. Alors, sur ma foi, pourquoi, dans les élections, à la Haye, a-t-on l’air de croire qu’il faut faire des lois nouvelles ? Je persiste à soutenir que les principes généraux des anciens réglements n’étaient pas tant à dédaigner.

Seulement, on trouve bon de ne pas les suivre. Toute la question est là !

Là, et non dans des raisonnements, sans queue ni tête, sur des motifs d’intérêt politique ou de quelque chose d’approchant, bons tout au plus pour des journalistes, qui ne savent où prendre leur Premier-Paris, pour des ministres, qui veulent garder leur portefeuille vingt-quatre heures de plus, ou pour des représentants, qui désirent faire la roue devant la Chambre, mais inutiles au point de vue du but véritable, et ne lui faisant pas faire un pas en avant, ce but n’étant autre que la protection à accorder aux Javanais contre la cupidité de ses chefs appuyée par une administration hollandaise pourrie !

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Pour en revenir à cette nouvelle édition, et au besoin, qui se fait sentir à chaque page, de notes et d’éclaircissements, je me trouve en face d’une double difficulté :

la première consiste dans l’explication à donner de tout mot malais ou étranger, qui peut paraître bizarre,

la seconde réside dans la constatation des faits relatés dans Max Havelaar.

Je ne sais toujours pas au juste à quoi m’en tenir sur la confiance accordée par le public à cette phrase avancée par l’ex-Gouverneur-général Duymaer van Twist et ses pareils :

— » Cet homme n’a écrit qu’un roman ! »

Ose-t-on déclarer faux les documents officiels que j’y ai insérés ?

Il ne m’est rien venu à l’oreille, qui ressemble à une pareille accusation.

Mais, puisqu’on refuse de m’accorder la place qui m’est due, dès que ces documents sont reconnus authentiques, il m’est fort difficile de trouver un juste milieu !

Comment me justifier, si je n’ai pas besoin de justification ?

Comment ne pas rester en-deça ?

Comment ne pas aller au-delà ?

À chaque instant, je risque de passer sous silence un point, qui aurait besoin d’être acertainé, aux yeux de quelques lecteurs, ou de donner un éclaircissement inutile, faute qui m’exposerait à subir la fausse interprétation du proverbe connu :

Qui s’excuse, s’accuse.

Quant à cela, moi, qui ai fait mon devoir, je n’ai à m’excuser de rien. C’est à la Hollande, qui n’a pas fait le sien de faire amende honorable, elle qui a pris le parti d’un tas de gredins contre Max Havelaar.

Voilà tout !

Ainsi, mon hésitation sur la façon de procéder que je dois employer me gêne de beaucoup.

De plus, arrivé à la fin ou presqu’à la fin de mon travail d’annotations, voilà que je me vois sur le point de dépasser de beaucoup la place qui m’a été concédée, place qu’antérieurement je croyais suffisante.

Mes notes, commentaires, éclaircissements philologiques, géographiques, ethnographiques ou historiques menacent de dépasser en longueur le texte original.

Il me faut les écourter, et je me plais à croire que le lecteur y perdra quelque chose.

Je laisse tels quels les pseudonymes de Filandré, Dipanon, Declari et Sloterin, aujourd’hui que ces noms sont devenus populaires.

Mon prédécesseur assassine s’appelait : Carolus, le contrôleur Dipanon, van Hemert, et le commandant Declari, Collard.

Le préfet de Bantam répondait au nom de Brest van Kempen, et Michiels était celui du petit Napoléon de Padang.

En confiant mon manuscrit à une tierce personne, je pris la résolution de taire les noms véritables.

Tout en priant le lecteur de se reporter à la fin du XIXe chapitre, je me contenterai de lui dire que j’ai voulu mettre à l’abri de toute rancune le contrôleur, homme honnête, sinon héroïque.

Bien qu’il ne m’eût jamais assisté dans mes efforts, il n’avait jamais jeté de bâtons dans mes roues.

Parfois, même, sur ma demande expresse, il s’empressa de faire des déclarations loyales.

C’était déjà beaucoup, et cela eût pu lui être imputé à crime.

Le surnom de Filandré m’a permis de faire un type, de mon modèle.

Et, enfin, le changement des noms Carolus en Sloterin, et de Collard en Declari n’a fait que suivre des substitutions antérieures.

Ce n’était vraiment pas le mystère que je cherchais, ce qui du reste se voit bien dans la tendance entière de mon œuvre, mais, il me répugnait d’exposer aux préventions du public des personnes désignées.

Dans le monde officiel, dont c’était l’affaire, on devait bien savoir, selon moi, à qui s’adresser, pour se renseigner sur les choses que je mettais en lumière.

Tout est arrivé comme je l’avais prévu.

Immédiatement après la réception de Max Havelaar, aux Indes, le Gouverneur-général s’est mis en route pour Lebac, dans le but d’y faire une enquête sur quelques plaintes relatives à divers abus.


Reprenons, s’il vous plaît, l’accusation portée contre moi, accusation prétendant que jusqu’à présent je n’ai pas fait grand’chose !…

Accusation et reproche pas trop maladroits…, dans un pays où cela donne droit envers moi à une distinction officielle !…

Ce que j’ai fait, Messieurs ?

Eh bien ! J’ai fait ce qui est écrit dans le Max Havelaar, n’est-ce pas assez, cela ?

Qu’est-ce que vous avez donc fait, vous ?

Ce que j’ai fait, moi ?

Je le répète :

J’ai entrepris, seul, en face de la mort, en sacrifiant mon bien-être, ma situation, j’ai entrepris de lutter contre des êtres de votre trempe, c’est-à-dire, un combat mortel entre l’honnêteté et l’injustice !

Allez, et faites en autant !

Maintenant, que mes efforts n’aient pas été couronnés de succès… que je me trouve encore le point de mire, facile à atteindre, et à prime certaine, du premier venu qui pense savoir le métier de phraseur, quoique souvent je n’aie affaire qu’à de bien pauvres sires !… et, enfin, ce qui est plus important, que la situation des Indes soit plus terrible que jamais !… Est-ce ma faute ? Est-ce à moi qu’on a le droit de s’en prendre ?

J’ai exécuté tout ce qu’un homme était à même de réaliser dans de telles circonstances !

Et, certes, j’en suis convaincu, je suis allé plus loin qu’aucun Hollandais n’aurait essayé d’aller.

Mépriser, bafouer la stérilité de mes efforts, qu’est-ce pas agir comme les misérables matelots de Christophe Colomb, en Septembre 1492.

Cette engeance-là, aussi, abreuva son Amiral d’outrages et de dégoûts !…

Qu’y gagna-t-elle ? Je n’en sais rien.

Ainsi, mon travail n’a pas porté de fruits !

Ce n’est pas ici le moment ni la place de rechercher l’influence que j’ai pu exercer sur tout autre terrain qu’aux Indes.

Je me permets de croire que mes écrits ont donné lien à un mouvement salutaire sur le vaste champ de la morale et de la religion, disons plutôt, sur le champ de l’intelligence.

De maints côtés, j’ai reçu des preuves me témoignant que j’ai frayé le chemin de la pensée à bien des esprits.

Que celui qui doute de mon assertion ou qui la nie, signe de son nom ce doute ou ce démenti ; il récoltera la juste honte de sa plate jalousie !


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Tome I. Page 28.

J’y consentis pourvu qu’on sût que je ne m’occupais pas de ces vétilles là.

Je suis bien loin de désapprouver tout ce que débite Duchaume. Il se soucie peu de ces vétilles, de ces poésies, qui ressemblent à celle qui suit et dont il s’agit. Eh bien ! moi non plus !

La seule différence entre lui et moi est dans la raison de cette aversion.

Qu’an cœur jeune et ardent, ayant soit d’idéal, séduit par la biologie d’une littératurerie autoritaire frappe un faux accord, dès le début, et prenne pour de la poésie, ce qui n’est que de la rimaillerie, je le conçois ; c’est non seulement pardonnable ; c’est inévitable. Il faut en passer par là.

Le tronc du chêne destiné à produire, à donner du bois sec et solide n’a forcément été, dans le principe, qu’une racine pleine de sève.

Mais les Duchaume n’ont jamais eu trop de sève ; ils n’ont jamais eu besoin de changer pour devenir ce qu’ils sont, desséchés et propres à rien. Ils ne se trouvent pas au-dessus, mais, au-dessous de la faute des autres ; et, de plus, ils donneraient à l’instant même de la valeur à ces poésies, à ces vétilles, si ces sortes d’objets étaient cotés à la Bourse.

Pour peu, néanmoins, que leurs boutades réalistes servent à empêcher la fausse poésie de s’introduire dans le cœur de notre jeunesse, je les recommande à l’attention des parents, instituteurs et critiques.

Quant à moi, s’il me fallait choisir entre Duchaume et certains faiseurs de vers… je… je… eh bien ! ma foi, non, je ne le choisirais pas !

Mais, je l’avoue, cet acte de justice me serait fort pénible.

Tome I. Page 44.

Il s’y trouvait un poème, qui m’aurait paru plus qu’infâme, si j’en avais achevé la lecture,

De quel poème s’agit-il ici ?

Par ordre chronologique ; nous ne pouvons pas penser, en cette occurrence, au poème :


LE DERNIER JOUR DES HOLLANDAIS, À JAVA,


PAR


SENTOT.


Cette pièce de vers n’a été faite qu’après Max Havelaar, et peut-être même sous l’impression de Max Havelaar.

N’ayant pas sous la main le paquet de l’Homme-au-châle, et désirant toutefois mettre le lecteur à même de se faire une idée de l’indignation de Duchaume, je me permets de placer l’œuvre de Sentot sous les yeux de mes concitoyens.

L’historien de l’avenir pourra dire que les avertissements n’ont pas manqué à la nation.

Quelques uns prétendent que mon ami S. E. W. Roorda van Eysinga a été chassé des Indes pour avoir perpétré cette pièce de vers.

Le sieur Van der Wijck, membre du conseil des Indes, passant en cette qualité pour un des propulseurs de cette sentence d’exil, a nié le fait.

D’autres gouvernants, du même acabit, prétendent qu’il n’y a aucun rapport entre la prophétie de Sentot et la vie errante, pénible, imméritée de Roorda van Eysinga.

On pensa que ces ténèbres s’éclairciraient le jour où l’affaire de Roorda van Eysinga serait discutée dans la Seconde Chambre, autrement dite Chambre des Députés.

On s’attendait au dépôt, exigible de par le présent règlement gouvernemental des Indes, au dépôt, dis-je, du décret d’exécution de cet acte d’autorité.

Mais, le ministre Fransen van de Putte jugea suffisant de remettre un extrait de cette disposition, et les membres de la Chambre approuvèrent de nouveau cette illégalité.

À propos de ce document, il nous est bien permis de demander ce qu’il y avait dans la partie non publiée !

Sans doute quelque paragraphe relatif au chant de malédiction, lancé par Sentot.

Peut-être le chant de malédiction lui-même ?

Y avait-il donc un sentiment de culpabilité quelconque, qui fît redouter la publicité de ce chant ?

De toutes façons, ç’a été un coup de bâton dans l’eau, car — en admettant que Roorda van Eysinga n’ait jamais prêté la main à cette publication, — elle n’en a pas moins paru souvent, et partout ; je l’ai vue, moi-même, reproduite dans plusieurs feuilles de province.

Ce chant trouve, ici, sa vraie place ; et cela, tant à cause de la noble indignation qui y brille, que de son mérite littéraire.

J’ai déjà fait remarquer autre part que la malédiction de Sentot peut rivaliser victorieusement, par sa vigueur et sa flamme avec les célèbres imprécations de Camille.

Ce chant, le voici :


LE DERNIER JOUR DES HOLLANDAIS, À JAVA,


PAR


SENTOT.


Nous foulerez-vous encore longtemps sous vos pieds,
Pour remplir vos coffres-forts de nos sueurs !
Et sourds à la voix de la justice, et de la raison,
Forcerez-vous toujours notre paisible sang à bouillonner contre vous ?

Que le buffle, alors, nous serve de modèle,
Lui, qui, poussé à bout, aiguise ses cornes,
Jette en l’air son maître barbare,
Et l’écrase sous son pied lourd !

Alors, que le feu de la guerre réduise en cendres vos champs,
Que la vengeance roule et éclate, des montagnes aux vallées,
Que vos palais se dispersent en fumée,
Et que l’espace frissonne, et retentisse de l’écho des massacres !

Alors, le cris de terreur de vos femmes
Caresseront nos oreilles,
Alors, nous entourerons gaîment
Le chevet de votre tyrannie !

Alors, nous mettrons vos enfants en lambeaux,
Et dans leur sang se désaltéreront les nôtres.
Pour que la dette séculaire soit payée,
Avec intérêt, avec usure.

Et, quand le soleil descendra à l’horizon,
Dans un immense nuage de sang,
Il recevra dans le râle des mourants
Le dernier saint, l’adieu hollandais !

Et quand le voile de la nuit,
Aura enveloppé la terre fumante,
Quand la hyène fouillera les monceaux de cadavres,
Et qu’elle les rongera, les dévorera, et boira leur sang ;


Alors, nous enlèverons vos filles,
Et chaque vierge nous servira de femme !
Alors, nous nous reposerons sur leurs seins blancs,
De l’alarme meurtrière, et des horreurs de la guerre.

Et quand leur déshonneur sera accompli,
Et que, lassé de leurs baisers,
Chacun de nous aura assouvi jusqu’à la satiété,
Son esprit de vengeance, et les appétits de sa chair,

Alors, nous nous asseoirons à un vaste banquet,
Et notre premier toast sera : Au boni des Indes !
Le second : À Jésus-Christ !
Et notre dernière coupe : À la Gloire du Dieu de la Hollande !

Et, quand le soleil se lèvera, à l’Orient,
Chaque Javanais s’agenouillera devant Mahomet,
Qui aura délivré le peuple le plus doux de la terre,
De ces chiens de chrétiens !


Le lecteur attentif, et intelligent, doit voir que le consciencieux Duchaume eut tort de s’indigner contre une pareille poésie.

Aussi Fransen van de Putte aurait-il pu déposer intégralement, et en toute sécurité, le décret du gouvernement par lequel le sieur Roorda van Eijsinga se vit envoyer en exil.

Sentot ne dit pas qu’il en sera ainsi forcément !

Non, il ne fait qu’avertir que cela arrivera, si les Hollandais, continuent à remplir leurs coffres-forts du fruit des sueurs de ses frères, et s’ils continuent à les fouler aux pieds.

Puis qu’il n’est pas présumable que ce cas se présente, — surtout après la fondation de la Société au profit des Javanais, et après tous les débats qui viennent d’avoir lieu à la Chambre, — la chose finira bien mieux que Sentot ne se le figura dans un accès de désespoir.

Mentionnons ici pour tous les lecteurs qui peuvent l’ignorer, que le pseudonyme Sentot rappelle avec assez d’-à-propos le souvenir de la dernière guerre de Java.

Sentot n’était pas autre chose que le nom de guerre de Alibassa Prawiro Dirdjo ; le chef suprême des rebelles ; nom dont le chauvinisme hollandais baptisa le parti de Diépo Negoro.

C’est une faute de traduction que commirent également les Espagnols envers les Hollandois, au moment où ces derniers essayèrent de se débarrasser d’un tas d’étrangers gênants et malhonnêtes.

La justesse plus ou moins grande de ces expressions-là dépend souvent de la situation géographique, des dates, de la couleur de la peau, de la croyance, et de la chance de tel ou tel individu.

Souvent aussi, les rebelles de la veille passent héros ou martyrs, le lendemain !

Du reste, pour ce qui regarde Sentot, on l’a traité avec égard, une fois la guerre de Java terminée.

Il vécut ses dernières années, pensionné par la Hollande ; et ses soldats se virent incorporés dans l’armée des Indes, mais non en qualité de corps régulier… et cela pour de bonnes raisons.

De mon temps encore, — et mon temps commence pour les Indes en 1839, — de mon temps, les ci-devant soldats de l’armée régulière de Sentot se distinguaient par leur bonne conduite, leur discipline, et leur tenue militaire.

Il n’était pas rare, lors d’une inspection on d’une revue, d’entendre un officier supérieur s’exprimer ainsi sur le compte d’un sujet hors ligne :  » — En voilà encore un, qui est un homme de Sentot !  »

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Tome I. Page 44.

Des Romances malaies.

Sans m’occuper ici de ce que Duchaume a pu avoir sous les yeux, il est certain que j’ai écrit en malais l’original de la plainte de Saïdjah.


Tome II, Voir page 133.

Je ne sais ce que cette pièce est devenue, et, en ce moment, il ne me serait guère possible de la donner en cette langue.

Probablement, cela doit se trouver dans un des coffres ou dans un des paquets de papiers, qu’après mon départ de Lebac, j’ai dû semer à droite et à gauche, pendant ma triste Odyssée.

Je pense que la dite pièce verra le jour après ma mort, quand je ne serai plus là pour en demander la provenance.

On en fera une spéculation de faux articles posthumes.

Je n’ai pas besoin de le dire ; dans notre siècle de falsification, si ce travail de sophistication s’en tenait aux écritures, il serait encore supportable pour un mort. Mais les tours d’adresse qu’on fera, les sauts de carpe auxquels on se livrera sur ma vie, sur ma manière d’être, sur mes actes, sur mon caractère… voilà ce qui sera vraiment révoltant !

Dès aujourd’hui, je lis journellement, j’apprends des choses me concernant, des événements dans lesquels je joue le premier rôle, et qui me surprennent plus moi-même qu’ils ne peuvent surprendre un étranger.

Les contes qui circulent sur moi, y compris ceux dans lesquels on m’épargne l’injure ou la calomnie, sont plus que grotesques, sont idiots pour les personnes, qui me connaissent réellement.

Sans vouloir en donner des preuves ici même, et rien que pour constater comment on écrit l’histoire, je ferai remarquer que certain auteur de morceaux choisis se permit de reculer de deux ans mon départ pour les Indes, et pourtant, aujourd’hui, il n’y a que trente sept ans, de cela !

À quelles inexactitudes, à quelle incurie ne doit-on pas s’attendre dans l’ordre chronologique des dynasties chinoises ?… et surtout sur quelle intégrité positive et morale peut-on compter, dans les descriptions de caractères !

Cette faute, néanmoins, peut servir de leçon. En face de telles bévues, que le lecteur s’habitue à demander à leur auteur : » Dites moi donc, seigneur compilateur, êtes-vous bien sûr de savoir ce que vous prétendez nous apprendre ? Si non, de quoi vous mêlez-vous ? »

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Tome I. Page 44.

Car tout était signé par d’autres personnes, comme conforme à l’original.

Il en est réellement ainsi pour toutes les pièces et documents que je publie dans Max Havelaar, et dans les Billetts doux

J’ai fait également authentiquer plusieurs autres pièces, pensant qu’un jour il serait possible qu’on cherchât à les vérifier ; mais on ne s’est jamais donné cette peine, ce qui me paraît assez significatif.

Il va sans dire que je suis toujours à la disposition de toute personne cherchant la vérité, et que je lui mettrai sous les yeux tout document dont elle pourra avoir envie ou besoin.

Pour le moment, je me contenterai de sommer encore une fois Duymaer van Twist :

De prouver que les pièces livrées par moi au public, comme authentiques, sont fausses et fictives.

Tant qu’il n’osera pas le faire, je demande qu’on s’en rapporte à ces pièces pour faire justice.

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Tome I. Page 45.

Peut-être me serais-je décidé à le secourir, et le lendemain ses paperasses seraient devenues ma propriété.

Duchaume se repentit de ne pas avoir escamoté à l’Homme-au-châle les droits qu’il pouvait avoir sur son propre ouvrage.

Il est probable qu’en esquissant cet hypocrite coquin, ce trait me parut nécessaire.

Je ne me doutais pas alors, que, ce faisant, je serais prophète… partiellement du moins.

En effet, la propriété et la disposition du livre Max Havelaar sont tombées dans d’autres mains, qui s’en sont servies de la même façon exactement, que Duchaume regrettait tant !…

Le secours qui me fut offert ou plutôt imposé, à ce moment-là, devait servir à me donner six mois de repos, après ma vie errante, et fatale, ce secours, qui devait m’aider à attendre le résultat de la publication de Max Havelaar le succès de mon plaidoyer, n’a été qu’un moyen souterrain employé pour ôter à mon plaidoyer son instance.

Et cela s’est fait de propos délibéré !

Dans une Epître à mon adresse, publiée par lui, le Sieur Van Lennep déclare qu’il n’a qu’un but, empêcher la popularité de mon œuvre !

Et cet homme, se drapant derrière une ardente et fausse sympathie, me demandait expressément d’en faire la publication, à ses frais !

Pourtant, je dois cet hommage à la justice : il ne faut pas que le lecteur confonde le Sieur Van Lennep avec ce méprisable Duchaume.

Quand Van Lennep commença à se mêler de l’affaire Havelaar, il était sincère.

Mais, une fois le premier pas fait, le repentir le prit, et sa faiblesse se fit jour à un tel point qu’il préféra me trahir !

Ce dut être un grand crève-cœur pour lui, car ce n’était pas un méchant !

Mais, il aima mieux commettre cette lâcheté que passer pour le protecteur d’une cause injustement décriée, d’une cause soi-disant révolutionnaire !

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Tome I. Page 51.

Que le titre serait des ventes de cafés de la société hollandaise de commerce.

Le titre est une épigramme.

Tome I. Page 60.

La chaussée, à Java.

Cette route va d’Anjer, situé au détroit de Sounda, jusqu’à Banjouwangie, qui se trouve en face de Bali.

Elle a deux cent soixante dix lieues de longueur.

Le travail auquel il fallut se livrer pour la parachever ut un vrai travail de géant ; il ne pouvait être mené à bonne fin que par un homme de la valeur de Daendels.

Daendels joignait une grande force de volonté au dédain le plus profond, le plus extravagant même, des intérêts particuliers.

Comme preuves de sa rudesse, on cite des faits et des choses incroyables.

Néanmoins, dans certains cas, les hommes de cette trempe sont indispensables, ou, tout au moins, nécessaires.

Aujourd’hui encore, je le prétends, il est vraiment besoin d’hommes, comme lui, ayant le courage, et la force de rompre avec la routine, et ne craignant pas d’engager leur responsabilité personnelle.

Assurément, de nos jours, dans nos Indes, il reste bien des choses à faire, en face, en comparaison desquelles, l’exécution de cette route postale n’est qu’un jeu d’enfant.

Mais, le Daendels nécessaire, attendu, désiré, pouvant suffire à cette rude tâche, grâce aux qualités qu’il montrait et qu’il possédait à cette époque-là, existe-t-il ?

Voilà qui me semble plus que douteux.

Le texte parle : des difficultés créées par ses adversaires dans la mère-patrie.

À quoi ne doit pas s’attendre, aujourd’hui, à quel triste sort ne doit-il pas se résigner, celui, qui veut entreprendre d’améliorer quoi que ce soit, aux Indes.

Bien que la tâche de Daendels fût plus que laborieuse, il n’avait pas à lutter ni contre une Chambre ignorante, ni contre les ministères qui en sortent.

Quant à notre Maréchal, — qui n’est Maréchal qu’en Hollande, puisqu’après l’incorporation de la Hollande dans l’Empire Français, il rentra dans le cadre des généraux, — quant à notre Maréchal, il est à regretter pour lui, que, nous autres, Hollandais, nous soyons si à court de mémoires dans notre littérature !

Cette pénurie enlève toute sève et toute vie à notre histoire.

En effet, elle devient compréhensible seulement pour ceux, qui n’ayant pas assez de jugement pour ne pas comprendre, acceptent et avalent n’importe quelle absurdité.

La vie de Daendels fut tout un drame.

On peut déduire cette conséquence du peu qu’on sait de lui, soit officiellement, soit des mille et un contes inventés, et débités sur lui, aux Indes.

Une biographie exacte de cet homme tirerait au clair une époque mémorable de notre histoire, en partant de la période patriotique, et en arrivant à la restauration.

Quand en pense que lui, qui, lors de l’incorporation de notre pays, joua le rôle d’un caméléon, lui, notre Maréchal de Hollande, était un ci-devant patriote, et l’un des patriotes les plus ardents, on reste confondu d’un tel manque de caractère chez cet homme.

Oui, confondu !…

Et, pourtant, cette maladie, cette lèpre est si générale, si ordinaire qu’on en est venu à contempler pareille monstruosité sans étonnement, ni dégoût !

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Tome I. — Page 196.

De petits empires, plus ou moins indépendants, situés dans la région septentrionale.

Dans ces contrées il y a une légion de petits souverains plus ou moins indépendants.

En général, Natal était très fréquenté par les Atchinois.

J’ai donc rencontré mille occasions d’étudier leur tempérament, surtout ayant eu affaire à la naïve et timide Si-Oepi, l’une de mes nombreuses et premières amours.

Cette ingénue était Atchinoise.

Mais, les éléments précis, les données spéciales me font défaut pour donner une ethnographie complète des Atchinois.

C’est à peine si j’ose me risquer à prétendre que, pris en masse, ils ont l’air de posséder quelques qualités remarquables. Leur fierté est chose certaine.

Leur vaillance ne peut être mise en doute.

Quand, lors de la déclaration de guerre adressée par le Roi de Hollande au Sultan d’Atchin, un ministre, en pleine Chambre des Députés, accusa les Atchinois de piraterie, il prouva une fois de plus que pour gagner le Parlement et sa majorité, il ne faut reculer devant aucune niaiserie.

Depuis que les ports Atchinois sont bloqués, la piraterie a-t-elle diminué le moins du monde, dans l’Archipel Indien ? Non, mille fois, non !

Si le Gouvernement hollandais veut combattre, et détruire les pirates qu’il déclare la guerre au Sultan des Iles de Soulou, aux Illanois, à Magindanao, et définitivement à tous les souverains et à tous les peuples de cette île si vaste !

C’est de ces contrées et de ces ports-là que sortent les essaims de vaisseaux, qui, depuis des siècles, prélèvent un tribut de rapines, de massacres et d’incendies, aussi bien sur les possessions des Sultans Atchinois que sur celles du Gouvernement hollandais.

Ce tribut est honteux pour ceux, qui le subissent, tout autant que pour ceux qui l’imposent !

Pour en finir avec la guerre actuelle, faite par la Hollande à l’Empire d’Atchin, je ne puis que dire, et redire :

C’est d’Atchin que datera notre défaite !
C’est d’Atchin que datera notre ruine, aux Indes !


FIN