Mes châteaux en Espagne

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MES CHÂTEAUX EN ESPAGNE



Je voudrais, pour mon entretien,
N’avoir que mille écus de rente !
Deux amis, y compris mon chien,
M’aideraient à manger mon bien,
Que confondrait avec le sien
Une douce et jeune parente…
Dieux, pour qu’il ne manque rien,
Donnez-moi mille écus de rente !

J’aimerais pourtant beaucoup mieux
Avoir deux mille écus de rente…
Dans un boudoir délicieux,
Jusqu’à trente ans quel train joyeux !
Petite cave de vin vieux
Me rajeunirait à soixante…
Oui, je le sens, pour être heureux,
Il faut deux mille écus de rente.

Mais on dit que le jeune Armand
A dix mille livres de rente ;
Dans un cabriolet charmant
Il se promène mollement ;

Chantant, dansant, buvant, aimant,
Il charme ainsi sa vie errante…
Bornons-nous donc décidément
À dix mille livres de rente.

C’est pourtant un bien bel avoir
Que vingt mille livres de rente ;
Ce lot comblerait mon espoir.
J’aime beaucoup à recevoir,
Et tout Paris viendra me voir :
D’ailleurs, mon voisin en a trente…
Or, le moins, que je puisse avoir,
C’est vingt mille livres de rentes.

Mais pourquoi Mondor, sans parents,
A-t-il vingt mille écus de rente !
Je me marierai ce printemps ;
Dans dix ans, j’aurais treize enfants,
Car ma femme n’a que seize ans,
Et ma femme est, ma foi charmante.
À mon tour, enfin, je prétends
Avoir vingt mille écus de rente.

Mais rien n’est tel pour vous lancer,
Que cent mille livres de rente.
Comme cela vous fait percer !
Vous êtes certain de passer
Pour mieux écrire et mieux penser
Que tous les savants qu’on nous vante
Je ne puis donc pas me passer
De cent mille livres de rente.

À présent me voilà jaloux
D’avoir cent mille écus de rente :

Si je les avais, entre nous,
Ce serait pour vous loger tous,
Et tenir au milieu de vous
Table splendide et permanente…
Jugez donc s’il me serait doux
D’avoir cent mille écus de rente.

AUX CONVIVES DU CAVEAU.

Mais pour moi (puis-je l’oublier !)
Il est une plus douce rente ;
Voici le jour de mon quartier ;
Le plaisir va me le payer ;
Je vis depuis un mois entier
Dans cette espérance enivrante :
Votre Apollon est mon banquier,
Et je touche aujourd’hui ma rente