Mes mémoires (Groulx), tome I/vol. 1/Souvenirs de collège

La bibliothèque libre.
Texte établi par Notes de Juliette Lalonde-RémillardFides (p. 41-66).

IV

SOUVENIRS DE COLLÈGE

En septembre 1891, je partis donc pour ce que l’on appelait par chez nous le « grand collège ». J’aurais même pu partir l’année précédente. Une longue et cruelle maladie de ma mère, atteinte de typhoïde, l’empêcha de préparer son collégien. Je dus retourner à l’école où, sauf le gain de mes lectures, je perdis mon temps. Donc, un de ces premiers jours de septembre 1891, je quittais pour de bon, cette fois, la maison paternelle. Mon cœur d’enfant battait fort, partagé entre la joie d’accéder à la plus chère de mes espérances et quelques secrètes appréhensions devant l’inconnu du lendemain. En ces temps où n’existaient, pour les collégiens, que les vacances d’été, je partais, je ne l’ignorais point, pour dix longs mois. Et je m’en allais à Sainte-Thérèse, à cinquante milles de mon chez-moi : distance considérable pour le petit campagnard qui n’avait bougé de la maison paternelle que pour une promenade de trois jours chez les grands-parents, dans la paroisse voisine de Saint-Lazare, et pour deux courses à Montréal, courses où j’avais accompagné ma mère pour l’aider à porter ses paquets. À Montréal, nous n’étions guère allés plus loin que la partie ouest de la rue Notre-Dame, point extrême de la grand-ville que n’osaient d’ordinaire dépasser les gens de la campagne. Et Sainte-Thérèse, c’était pour moi le pays inconnu ; je n’y connaissais presque personne, sauf un séminariste et deux collégiens de ma paroisse, beaucoup plus âgés que moi. Mon père, ce matin du départ, avait attelé son quatre roues pour me conduire à la gare. Dans la maison, ma mère, qui voyait à mes derniers préparatifs, ne cachait pas ses larmes ; mes petites sœurs pleurnichaient dans les coins. J’étais le premier à quitter le foyer. N’importe, je tins bon. Je me gardai les yeux secs ; je fis mon petit homme et sautai lestement dans la voiture. À la gare, mon père me confiait à un élève finissant de Sainte-Thérèse, Aldéric Robillard, futur avocat et futur juge. Ce co-paroissien se chargeait de me conduire au Séminaire. Or, arrivés à Montréal, ce grand collégien me conduisit à l’ancienne gare Dalhousie et, ne désirant pas s’embarrasser d’un galopin dans ses courses à travers la ville, me laissa seul, dans la gare déserte, après m’avoir fait la recommandation bien superflue de n’en pas sortir. « Ce soir, m’annonça-t-il, un autre viendra te prendre pour te mettre dans le train de Sainte-Thérèse. » C’était le matin. Je me mis à compter les heures. Qu’elles me parurent longues, interminables ! Que faire pour les raccourcir ? Je me risquais bien au bord du trottoir. J’écoutais la rumeur de la vaste fourmilière, les mugissements du monstre. Mais je n’osais m’aventurer plus loin, tant il me semblait que de terribles sortilèges, pires que l’herbe écartante, auraient pu me happer. Je pensai à mon chez-moi. L’image d’une maison chérie, loin, bien loin là-bas, me passa devant les yeux. Quelque chose me mordit au cœur : l’ennui, le terrible ennui. Hélas, le petit homme vint sur le point de s’effondrer. De nouveau, il lui fallut s’armer de tout son courage pour attendre patiemment le train du soir. Enfin, l’heure arriva. Depuis quelque temps, je l’avais observé : la gare s’emplissait de jeunes gens qui se saluaient, riaient fort, se donnaient de faux airs de joie. L’un d’eux, un grand, se dirigea vers moi. Il me reconnut, sans doute, à cet air spécifique, fait d’ingéniosité et de gaucherie, qui caractérisait alors ceux que, dans les collèges, on appelait « les nouveaux » ou « les navets ». — « Vous êtes le petit Un tel ? Aldéric Robillard m’a chargé de vous conduire à Sainte-Thérèse ; suivez-moi. » Je sus plus tard que ce grand, un rhétoricien, futur avocat et futur religieux de la Fraternité Sacerdotale, s’appelait Arthur Geoffrion. C’est sous son escorte que j’arrivai à Sainte-Thérèse où, tout de suite, je dus apprendre à me débrouiller seul.

Pourquoi ne pas l’avouer tout de suite ? Pendant les quatre premiers mois, j’ai cru mourir d’ennuyance. Impossible de retrouver ma belle contenance du moment du départ à Vaudreuil. Peu de jours passeront que je ne pleurniche comme une Madeleine. Une impression morbide ne me quitte point : celle d’un absolu, d’un affreux isolement. Pauvre arbrisseau transplanté en terre étrangère, au milieu d’autres dont il ne sait ni l’essence ni l’histoire. Dans mon petit roman, Au Cap Blomidon, j’ai décrit les terribles effets des mirages de l’ennui. Effets qui étaient pour moi choses vécues. Donc, en ce mois de septembre 1891, des lettres arrosées de larmes affluaient à la maison des Chenaux. On finit par s’y alarmer. En vain mes professeurs s’employaient à me consoler. N’y tenant plus, ma mère entreprit le grand voyage à Sainte-Thérèse. Elle m’arriva le 11 octobre, date que je n’ai jamais oubliée. De son mieux, elle me remonta ; je parus consolé, résigné. Le lendemain matin, avant de partir, elle risqua une dernière visite au collège pour me réconforter une dernière fois. Ma pauvre maman posait là un geste bien téméraire. Avais-je prémédité ce plan ? Ou fut-ce, de ma part, geste spontané ? D’un bond je sautai dans l’omnibus qui partait pour la gare. Tout éplorée, ma maman ne savait que faire. Heureusement deux prêtres du Séminaire, qui revenaient de l’église, passaient près de nous. Elle les appela à son aide. Prestement ces deux messieurs descendirent de la voiture le marmot en pleurs et le ramenèrent à sa classe dont l’heure était sonnée. Ai-je, ce jour-là, joué mon avenir ? Je ne le crois pas. À la vérité je ne voulais pour rien au monde quitter le collège, abandonner mes études. Tout au plus, souhaitais-je aller revoir mon chez-moi, persuadé, en mon esprit d’enfant, qu’un court voyage me guérirait, me délivrerait de l’ensorcellement qui me tenait envoûté. Psychologie qui n’était peut-être pas si méprisable. Cette année-là, une épidémie de grippe, grippe bienfaisante, passablement provoquée et entretenue par les élèves, força les autorités du Collège à nous envoyer chez nous, en janvier, pour une huitaine. Je revins content de mon séjour en ma famille et parfaitement débarrassé de ces images irréelles dont nous obsède ce grand peintre et magicien qu’est l’ennui. Mais le choc avait été dur, la séparation trop brusque, trop complète. Il en resta, dans ma sensibilité, une blessure qui, j’en ai peur, ne s’est jamais complètement refermée. Toujours, à chacune de mes rentrées au collège et ce, jusqu’à la fin de mes études, je connaîtrai les mêmes crises d’ennui. Et combien souvent, pendant l’année scolaire, me reviendra l’image obsédante du foyer. En mon premier Cahier de notes de lectures, aux pages 45 et 46, je retrouve ces lignes écrites en mon année de Versification, à la date du 11 mai 1895 :

Il est six heures du soir. Je suis à l’étude, passablement ennuyé, ne sachant que faire. De ma fenêtre, j’aperçois au loin la forêt. Elle me semble bien belle avec son feuillage d’un vert tendre. Mais je ne lui accorde qu’un regard et je porte mes yeux plus loin. Dans la brume du soir, à sept lieues environ, je distingue encore la crête des monts d’Oka. Longtemps mes yeux s’y arrêtent. Je voudrais pouvoir regarder au-delà. Car les monts d’Oka, ce sont presque les montagnes de mon pays. À leurs pieds dort un lac, sillonné en tous sens par les barges et les vapeurs de la Compagnie Murphy et Davidson. Sur la rive ouest de ce lac, autour d’une baie fermée par les eaux de l’Outaouais, est assis le village de Vaudreuil, avec ses maisons élégantes et coquettes et son clocher d’argent. Déjà les souvenirs et les affections se pressent en foule dans mon cœur. Vaudreuil, c’est mon village, mon foyer… et pourtant j’en suis bien loin. Je revois, par la pensée, la maison paternelle, humble, il est vrai, mais gardienne d’un véritable bonheur. Les figures souriantes de mon père et de ma mère, de mes frères et de mes sœurs, passent en défilant devant moi. Et ces grands arbres qui entourent notre demeure, c’est sous leur ombre, il m’en souvient que, la Rome et Lorette de Louis Veuillot à la main, j’ai passé mes loisirs des vacances dernières. Je revois aussi la rivière belle et limpide, ses îles verdoyantes autour desquelles j’aimais tant naviguer. Et penser que tout cela me sera bientôt rendu ! Songer que j’irai reprendre ma place au foyer, à ce foyer où tant de liens, tant de fibres me rattacheront toujours !

C’est cette page qui prendra la forme d’un petit poème en mon année de Belles-Lettres :

« Il est là-bas où le soleil se couche… »

Longtemps, je resterai l’adolescent mélancolique que la pensée du chez-soi secouera d’émotion.

■ ■ ■

Mes maîtres de ce temps-là

Premières années de collège

Je n’ai pas gardé grand souvenir de mes maîtres, du moins jusqu’en Versification. Nous avions affaire à d’excellents séminaristes ou prêtres. En ce temps-là les professeurs agrégés à l’institution avaient en réalité l’esprit d’une communauté religieuse. On entrait dans la communauté pour y donner sa vie et pour y mourir, le tout pour un salaire nominal. Le groupe se recrutait par cooptation, invitant ceux-là à s’agréger qui, parmi les séminaristes ou les jeunes prêtres, paraissaient aptes à l’enseignement ou à la vie communautaire. Ces prêtres étaient généralement des prêtres modestement cultivés. La minorité d’entre eux avaient eu la chance d’aller faire des études de philosophie et de théologie à Rome. Rares ceux qui passent par Paris et ont l’occasion de se spécialiser en littérature, en histoire ou en sciences. Le goût de la lecture et de la culture est néanmoins assez répandu parmi ces professeurs de collège. Quelques-uns deviennent d’excellents amateurs, des autodidactes remarquables, sinon des spécialistes. D’aucuns écrivent joliment leur langue. Mais surtout le spectacle quotidien de ces hommes sacrifiant gratuitement leur vie à la jeunesse, toute leur vie, offrait quelque chose d’émouvant, même à nos esprits distraits.

Malheureusement, dans les premières années du cours, nous avions affaire au régime des séminaristes-professeurs. Régime qui devait être le mien, un jour à Valleyfield, et où j’appris qu’en face de leur tâche, ces pauvres tâcherons de l’incompétence étaient moins des coupables que des victimes. On sait en quoi consistait cet ancien régime : enseigner tout en faisant sa théologie. Enseigner, cela voulait dire 3 à 4 heures de classe par jour, des heures encore plus longues de surveillance en récréation, au dortoir, etc. Faire sa théologie, cela signifiait, après une journée de travail éreintant, accorder à cette étude primordiale, pour un séminariste, une heure écourtée, celle de 5 à 6 de l’après-midi, sans autre maître trop souvent qu’un professeur improvisé. Faisait aussi partie de ce régime, le salaire exorbitant de $40 par année : ce qui permet de supputer la part faite, par les pauvres petits jeunes gens que nous étions, à l’achat de livres ou d’abonnements à des revues utiles. Mais surtout quel pouvait être l’enseignement de ces jeunes maîtres ? On le devine sans peine. Pour toute science, ils n’apportaient que leur science de collégiens d’hier, et pour aptitudes, la plus complète improvisation pédagogique. D’ordinaire, les quatre premières années du cours leur étaient abandonnées. Pendant ces quatre ans, l’on aperçoit ce que pouvaient devenir l’enseignement du français, du grec et du latin, l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Sur toute la ligne, triomphaient des méthodes primaires, culture intense du plus parfait psittacisme. Nous traduisions les vieilles langues en français et le français dans les vieilles langues, sans rien soupçonner des caractères différents ni des exigences essentielles des unes et de l’autre. Bien entendu, nos horizons ne s’étendaient pas au-delà de l’écorce du texte. Aucun aperçu sur l’art des anciens. Pas un commentaire pour livrer à nos jeunes intelligences un peu de la moelle de la grande antiquité. Pour l’histoire, du reste, les collégiens de mon temps n’avaient rien d’autre où étudier les civilisations anciennes et modernes que les petits manuels de Riquier ou de Rioux. Encore nos tristes maîtres, jugeant trop corpulents les minuscules manuels, entreprenaient-ils de nous en dicter des résumés et des tableaux plus ou moins synoptiques dont il fallait se bourrer la mémoire. Et cette fois encore, bien entendu, nul commentaire des faits, nul élargissement des perspectives par lectures appropriées à l’événement ou à l’époque. L’enseignement de la géographie se portait à peine mieux. Celui-là aussi se réduisait à la science exclusive du manuel, à la simple récitation sans commentaires, trop souvent même sans l’usage de la carte. Je n’ai gardé bon souvenir que d’une tranche de la géographie : celle de l’Amérique du Sud. Un professeur suppléant, l’abbé Aldéric Desjardins, eut la bonne idée de nous contraindre à fabriquer des cartes de cette Amérique ; il s’avisa même de compléter le manuel par la lecture d’explorations fort intéressantes, admirablement faites pour aiguillonner nos imaginations d’adolescents.

Le pire inconvénient de ce système d’appel trop exclusivement à la mémoire, c’était d’engourdir l’intelligence, de nous rendre peu exigeants, peu réalistes. Nous nous nourrissions de mots plus que de choses, d’à peu près plus que de vérité. Le psittacisme nous pourrissait l’esprit. Je n’en donnerai qu’un exemple. À Sainte-Thérèse, dans les quatre premières années du cours, à titre d’exercice de mémoire, l’on nous faisait apprendre l’entier fablier de La Fontaine. Chaque matin, c’était de tradition, la classe s’ouvrait par la récitation d’une fable. Pratique excellente pour peu que, la veille, le professeur se fût donné la peine de nous lire le petit poème intelligemment, une de ces lectures qui valent un commentaire. Encore aurait-il pu attirer notre attention sur le vocabulaire, nous en indiquer l’évolution depuis le dix-septième siècle, disserter rapidement sur la langue du fabuliste, si primesautière, si agile, si populaire, comparativement à la langue solennelle, aristocratique de Racine, de Bossuet. De cette récitation de fable, encore eût-on pu faire une leçon de diction, nous apprendre à parler tout naturellement. Hélas, c’était trop demander. On nous disait : « Demain vous réciterez Le Loup et l’Agneau ! » Et le lendemain l’on récitait Le Loup et l’Agneau, le plus recto tono du monde, sans pause ni aux virgules ni aux points, au rythme d’un dévidoir. Qui avait récité sans perdre souffle obtenait les points. Et l’exercice s’arrêtait là. « Demain, vous réciterez Le Loup et le Chien. » Et l’on passait à autre chose. Un matin donc, c’était jour de revue. Pour la circonstance, le professeur avait invité un nul autre personnage que le supérieur de la maison, l’abbé Antonin Nantel, esprit grincheux mais cultivé, exigeant, et qui ne se payait pas de mots. La revue débute, tout naturellement, par la récitation des fables. Un élève est debout, M. le Supérieur, qui a le livre dans les mains et qui fait mine de l’examiner, pose cette simple question : « Eh bien, mon enfant, qu’est-ce qu’une fable ? » Consternation du professeur ! Consternation non moindre des élèves. M. le Supérieur fait le tour de la classe. Tout le monde est collé. L’examinateur ne se tient pas pour découragé. Il ouvre de nouveau son livre et pose cette deuxième question : « Et ce La Fontaine, qui est-il ? » Nouvelle consternation. Au début du volume, l’éditeur avait bien inséré une notice biographique du fabuliste. Mais qui avait songé à la lire ? Ni les élèves, ni même le professeur. De nouveau la classe se trouva collée. Je m’en tiens à ce seul fait. Il suffit à définir l’enseignement d’une époque et l’effroyable gaspillage que de pauvres maîtres, trop improvisés, et point par leur faute, pouvaient faire de nos intelligences d’enfant.

Parmi les professeurs de mes premières années de collège, je fais exception néanmoins pour l’un d’entre eux, l’abbé Pilon (Anthime, je crois), fils d’un avocat et qui devint avocat lui-même. Ce séminariste, professeur d’anglais sans en beaucoup savoir, avait le goût de la lecture. En récompense, quand nous étions sages — ce qui nous arrivait parfois même à cette classe d’anglais ―, notre séminariste nous lisait les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet et quelques romans de Jules Verne, v. g. Le Tour du monde en quatre-vingts jours. L’abbé Pilon lisait bien. Quels quarts d’heure charmants me sont restés en mémoire ! Le professeur n’omettait même pas en Daudet « L’Élixir du Père Gaucher ».

En dépit de mon ennui, je ne néglige pas trop mon travail. Facilement, trop facilement, je prends la tête de ma classe. D’ordinaire, j’expédie thèmes et leçons à l’étude du matin. À l’étude du soir, je me laisse gagner par ma passion de la lecture. Et qu’ai-je lu ? Je lis, je lis, je lis à tout hasard, sans direction, personne ne s’avisant de m’offrir ce rare privilège. Je lis des romans d’aventures, ceux de Mayne Reid, ceux de La Mothe, d’autres. Le Robinson suisse emporte de haut toutes mes préférences. À la bibliothèque collégiale, chaque élève n’a droit qu’à un livre par semaine. Mais le livre de la semaine dûment lu, rien n’empêche d’échanger avec un camarade. Et alors, parmi les jeunes tricheurs, c’est à qui, à la fin du mois, pourra vaniteusement afficher la plus longue liste de volumes avalés. Le niveau de mes lectures s’élève pourtant peu à peu. Dans ma classe, à Sainte-Thérèse, nous étions presque tous des enfants de parents pauvres. Notre argent de poche ne trouait pas nos pantalons. N’importe. Pour suppléer à l’indigence de la bibliothèque du Séminaire, nous nous cotisions, entre confrères, pour l’achat à la douzaine, dans les librairies de Montréal, des fascicules à trois sous de la Bibliothèque Populaire de France. Il nous en revenait un choix d’œuvres assez mêlé. Je me souviens, par exemple, d’une traduction de poètes bretons que je m’entêtai à lire. Il nous venait aussi des œuvres classiques. En Syntaxe latine, je me risque dans Corneille. Celui qui fut, en son temps, le poète de la jeunesse, dut me séduire. Le supérieur, M. Nantel, de passage dans la salle de récréation, vient m’enlever mon livre « Que lisez-vous ? — Hum ! Du Corneille ! — La récréation, mon jeune ami, c’est d’abord pour jouer. » Pour faire obstacle à ma fringale de liseur, on m’impose des travaux supplémentaires : traductions de textes grecs et latins. Je traduis du Thucydide et surtout du Virgile. Le Supérieur s’en mêle, me distribue ces travaux, les surveille et les revise. En Méthode, ces sortes de corvées me valent, de la part de M. Nantel, à la fin de l’année, Le Siècle de Louis XIV de l’historien Gabourd. J’y gagnerai ma première initiation au grand siècle : initiation assez médiocre, mais enfin…

En Versification seulement, mon professeur de cette année-là, l’abbé Delphis Nepveu — plus tard je devais le retrouver à Valleyfield — entreprend de diriger mes lectures. Pour m’initier à Veuillot, il me fait lire les Lettres à sa sœur. Je suis charmé, conquis. J’abandonne les romans d’aventures, et pour jusqu’à la fin de mon cours, la littérature romanesque. J’ignore, du reste, les romans de ce temps-là. Dans les années qui vont suivre, tout Veuillot y passera : Corbin et d’Aubecourt, Rome et Lorette, les Pèlerinages de Suisse, Çà et là, Le Parfum de Rome, Les Odeurs de Paris, Les Libres Penseurs, volumes qui, pour la plupart, me seront donnés en prix. Aujourd’hui qu’il est de mode, mode de snobs ou d’esprits libéraux et pédantesques, de mépriser profondément Veuillot, je le confesse sans honte, Louis Veuillot fut longtemps mon auteur de chevet. Sans doute, mes vieux maîtres ont-ils abusé. Il ne faut pas lire que Veuillot. Mais je crois, avec le fin critique que fut Jules Lemaître, qu’il y a charme et profit à lire cet écrivain de race. Veuillot savait sa langue ; artiste aux dons divers, il pouvait assouplir le talent. Et m’est avis également que beaucoup de jeunes esprits encore à la période de formation seraient de meilleure santé et de plus ferme équilibre, si, en leurs lectures, ils avaient accordé aussi large place à Veuillot et à de Maistre qu’à Gide, Sartre ou Malraux. Puisque j’ai prononcé le nom de de Maistre, je bénis celui de mes maîtres qui fit qu’à la fin de ma Philosophie 1ère année, on me donna en prix Du Pape du célèbre écrivain. J’en garde encore l’exemplaire avec mes barbouillages au crayon. Je reviens un moment à Veuillot. Je sais qu’il n’est pas bon de se vanter de l’avoir lu. Les catholiques de France d’aujourd’hui sont profondément injustes et ingrats à l’égard de Veuillot. Ils lui prodiguent rancunes, mépris et anathèmes, encore plus généreusement qu’à ses adversaires de l’époque, même incroyants. Il leur a rendu la fierté de leur foi et ils ne lui en savent pas gré. Pour ne pas se laisser prendre aux attitudes émollientes de ces catholiques de France et même de notre pays, je conseillerais à la jeunesse de lire la magnifique préface que Claudel a bien voulu écrire pour le Louis Veuillot de François Veuillot (éd. Alsacia). Elle y verra combien Claudel admirait « l’indignation généreuse », la « fureur sacrée » de Louis Veuillot. En la personne de Veuillot, écrit encore Claudel, « la France… suivant l’invitation prophétique de Joseph de Maistre, se réconciliait avec le Pape ».

Incontestablement Veuillot avait reçu le jour de sa conversion un don de foi extraordinaire. Un don de cette sorte ne va point sans beaucoup de clairvoyance humaine et beaucoup de charité. Veuillot voyait clair sur les hommes de son temps. Il aimait ses frères ; il aimait surtout l’Église. De là ses colères contre les mécréants et autres qui préparaient l’incroyance de deux à trois générations de Français. Il est inconcevable que des catholiques, des religieux, des évêques n’aient pas mieux compris, même aujourd’hui, la mission du grand polémiste.

Pour lors cependant, les pronostics sur mon avenir littéraire se font plutôt modestes. Parmi mes confrères, je suis surtout réputé pour un fort en mémoire et en thèmes, sans dispositions bien marquées pour la littérature. Ce sera un jeu pour moi d’apprendre, de mémoire, en quelques heures, le deuxième livre de l’Énéide. Après traduction en classe, j’apprends de même l’homélie de saint Jean Chrysostome sur les Spectacles. Entre le latin et le grec, je me souviens que mes préférences vont au grec. Je me débrouille mieux en version grecque qu’en version latine. Mon professeur de Versification, M. Nepveu, prend plaisir à me faire réciter par cœur, après chaque classe de latin ou de grec, les 25 ou 30 lignes traduites pendant l’heure. Exercices de virtuosité plutôt discutables et qui ne m’avancent pas à grand-chose. La mémoire des mots ! C’est Chateaubriand qui a écrit, je pense : « la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds qu’elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. »

Heureusement mes plus vifs soucis se portent ailleurs. Je vise plus haut. Un espoir, une ambition m’obsède : écrire. Saurai-je jamais écrire ? Naïvement je me figure parfois porter en ma tête, des idées ou pensées étrangères à tous mes camarades ; et ces idées, il m’arrive de les habiller d’une forme que je crois merveilleuse. Pour forcer le destin, je m’acharne dans tous les exercices préparatoires alors en vogue à Sainte-Thérèse. Exercices non recommandés par nos maîtres, mais passés en tradition parmi les collégiens, d’une génération à l’autre, qui se les transmettaient comme recettes infaillibles. J’apprends par cœur l’Athalie de Racine ; je transcris la tragédie je ne sais combien de fois. Je pastiche du Veuillot, des pages du Journal et des Lettres d’Eugénie de Guérin, surtout, hélas, le Télémaque de Fénelon. Ce livre-là, c’était comme l’enchanteur, le livre mystérieux, plein d’irrésistibles sortilèges. Qui se mettait à son école devenait immanquablement écrivain. J’ai lu aussi et pastiché, en mes jeunes années, les Caractères de La Bruyère, prix reçu en Versification. Je le lis, sans trop le goûter cette première fois. Mais c’est alors mon habitude de lire par raison plutôt que par goût, tant j’avais foi en la société des maîtres. Tout de même, comment ne pas songer avec un peu de mélancolie que, nous autres, petits collégiens d’avant 1900, eussions pu être autre chose, un peu mieux dirigés et avec d’autres lectures. Qui sait ? Quand je me retourne aujourd’hui vers ces lointaines années, années d’enfance, années de collège, ce dont je souffre le plus cruellement, c’est d’avoir manqué de livres et de vrais maîtres. Des maîtres, je n’en ai trouvé que dans mes livres.

En Belles-Lettres

Après cette préparation suffisamment gauche, j’abordai mes classes de littérature. M’y pouvais-je promettre quelque succès ? Et d’abord quels professeurs me réservait la Providence ? Mon professeur de Belles-Lettres, l’abbé Aristide Sauriol (qu’on appelait le Petit-Ariste, à cause de sa petite taille), possède quelque érudition littéraire, du goût, un ensemble de dons que, par manque d’esprit de travail, il n’utilise que modestement. Son plus grave tort est de ne corriger nos copies qu’avec la plus régulière négligence. Ce qui nous vaut de cultiver, avec persévérance et religion, nos défauts et carences, sans grande possibilité d’en sortir. Dès le début de l’année, le cher maître nous abonne à une note critique qui, au coin de notre composition hebdomadaire, revient implacablement comme un ne varietur. Ainsi j’apprends, dès ma première composition, que je souffre d’un style « monotone et rocailleux ». Qu’était-ce qu’un style « monotone et rocailleux » ? Je passai l’année à me le demander, tout comme on passa le même temps à me le reprocher. Le professeur nous abonne aussi à une note ou cote d’appréciation qui reste invariablement au même chiffre. Méthode discutable comme stimulant au travail. Une semaine que le choix du sujet de composition est resté à notre gré, un malin camarade s’avise, pour mettre à l’épreuve la diligence et la sagacité du professeur, de lui remettre tout bonnement une description du printemps empruntée mot pour mot à Eugénie de Guérin. Le camarade en est quitte pour se voir attribuer la même observation critique avec un fléchissement notable de ses points coutumiers. Une seule fois, au coin de ma copie, la note et la critique vont varier quelque peu. Il s’agit encore d’un sujet libre. Je remets une petite pièce de vers : quatre strophes qu’un jour d’ennui m’avait inspirées la crête lointaine des Deux-Montagnes aperçue de ma fenêtre de la salle d’étude. Cette crête évoque pour moi tout le pays natal. On se rappellera la page du journal que le paysage m’inspirait l’année de ma Versification. Voici donc le poème en vers de dix syllabes que je soumets au crayon du professeur :

Il est là-bas où le soleil se couche.
S’élevant sombre au grand horizon bleu,
Un mont altier que le nuage touche,
Et qui le soir se couronne de feu.

Il est là-bas où le soleil se couche,
Au pied du mont, le géant de granit,
Un lac dont l’onde au grand fleuve débouche.
Un lac uni, grand miroir du zénith.

Il est là-bas où le soleil se couche,
Au bord du lac, au rivage béni
Où l’Outaouais au Saint-Laurent s’abouche,
Dans un village, un vieux clocher jauni.

Il est là-bas où le soleil se couche,
S’élevant humble, à l’ombre du clocher,
Auprès des blés qui remplacent les souches,
Un toit chéri, c’est le mien, mon foyer !

La rime « ouche » n’avait rien de la suprême élégance. Pourtant, cette fois, le professeur m’a lu. Un peu soupçonneux, il me pose même cette question naïve : « Est-ce vous qui avez fait ces vers ? » Je réponds : « Qui voulez-vous qui les ait faits ? » Pour ce coup, mon style n’avait paru ni « monotone ni rocailleux ». Mes points ont même quelque peu monté. Avais-je enfin touché le succès ? Pas encore.

En Rhétorique

En Rhétorique, j’aurai, cette année-là, pour professeur, mon directeur de conscience, l’abbé Sylvio Corbeil. Professeur d’un goût littéraire plutôt faux, mais qui a la réputation d’un travailleur acharné. Esprit dynamique, il sait faire aimer le travail ; il passionne ses élèves. Sa vie, son exemple de prêtre très digne valent une haute prédication. Ce qui lui manque à lui aussi, c’est la préparation et peut-être le don littéraire tout court. Simple porteur de diplômes de philosophie et de théologie, il n’ira poursuivre des études de littérature à Paris que sa carrière de professeur de Rhétorique à peu près terminée. Professeur de littérature, il accorda plus d’importance à la technique qu’à l’art. Et encore la technique, une technique forgée par lui, est-elle fort contestable. Il croit, par exemple, et d’une foi forcenée, à la puissance du « tableau » pour renforcer une argumentation ou illustrer une idée. Il corrige pourtant avec assez de justesse nos compositions. Il voit mieux nos travers que les siens. Il s’essaie à faire de l’explication d’auteur, explication qui, par l’heureux choix des auteurs analysés, nous livre quelques secrets du grand et terrible métier. Explication d’idées plus que de forme néanmoins. Dissection de la pensée plus que démonstration d’art littéraire.

Quand je me rappelle l’enseignement de mes deux professeurs de littérature à Sainte-Thérèse, une chose entre autres me laisse rêveur aujourd’hui : que je les trouve peu à la page ! Pauvres professeurs de petit salaire et pauvres de fortune presque tous, sans doute étaient-ils munis de pauvres bibliothèques ! À l’époque où je fais mes classes de lettres, Brunetière, Faguet, Lemaître figurent parmi les dieux de la littérature. Or je ne crois pas me souvenir qu’en classe l’un ou l’autre de nos professeurs n’ait jamais prononcé l’un de ces noms, ni ne nous ait lu une ligne des maîtres alors régnants. Le nom de Brunetière, nous ne l’entendrons prononcer qu’en ma dernière année de Philosophie, alors que le directeur de la Revue des Deux-Mondes, de passage au Canada, après une tournée de conférences aux États-Unis, viendra à l’Université Laval de Montréal, parler de Bossuet. Petit événement en notre monde littéraire qui se répercutera jusqu’en nos collèges. Quelques professeurs du Séminaire s’étaient rendus à Montréal entendre Brunetière. Servant à la table des prêtres, j’entendis parler de la conférence sur Bossuet.

Mes débuts de rhétoricien me réservaient un peu de réconfort et une surprise. Pour deuxième sujet de composition, l’abbé Corbeil nous propose : La trahison de Condé. Nous sommes encore à l’époque où nul sujet n’a l’heur d’effrayer ni les maîtres ni les collégiens. Il s’agit, en l’espèce, d’exposer la crise psychologique qui finira par amener le vainqueur de Rocroi à trahir son roi. Nous ne connaissions Condé que par l’oraison funèbre de Bossuet, étudiée en classe. Nos manuels d’histoire moderne insistaient peu sur le personnage. Du reste, vers 1894, il n’est pas encore question de nous documenter minutieusement avant d’expédier nos devoirs d’écolier. Une composition, un discours, cela s’écrit avec un crayon et une feuille de papier, et les yeux vers le plafond inspirateur. Pour l’occasion, j’aurai cette chance d’avoir fréquenté la tragédie du Grand Siècle. Par Corneille et Racine, je sais un peu comment bander les ressorts d’une crise psychologique telle que celle du grand Condé. Trahira-t-il ? Trahira pas. Trahira. On connaît le classique balancement. Le jour arrivé du compte rendu du devoir, mon travail produit une petite sensation. L’abbé Corbeil entreprend de lire, devant la classe, ma Trahison de Condé. Il y met un peu de plaisir, et voire quelque emphase, profitant même de l’occasion pour indiquer où peut mener le travail persévérant. Pour un peu, je me serais cru lancé. Je prends foi en moi-même. L’encouragement va décupler mon acharnement au travail. Mon année de Rhétorique, grâce à l’enthousiasme contagieux du professeur, sera, je crois bien, la grande année de mon cours d’étude : celle où je travaillai avec le plus de goût et le plus d’élan. Avec un espoir encore inquiet, je me repose la question : saurai-je jamais écrire ? Saurai-je jamais tenir une plume, écrire dans les journaux, dans les revues ? Je n’ose pas encore ajouter : écrire des livres ?

Cette année-là se termina par un incident que je ne veux pas passer sous silence, pour ce qu’il peut signifier sur l’esprit de l’époque. En ce temps-là, je veux dire en 1897, la correction des épreuves du baccalauréat a lieu dans les collèges. Tout élève détenteur des quatre cinquièmes des points conquiert le droit de concourir pour un prix intercollégial, appelé le « Prix du Prince de Galles ». Le concours a lieu d’ordinaire le jour même du départ des élèves pour les vacances, et comporte une double épreuve : une composition littéraire, un thème ou une version en langue latine ou grecque. Ce matin de juin 1897, pendant que le Séminaire s’emplit du brouhaha et des cris de joie d’une sortie générale, nous montons en classe, quatre ou cinq confrères. L’abbé Sylvio Corbeil décachète la petite enveloppe qui contient le sujet et canevas du discours et lit :

Pendant que l’Angleterre et la France se faisaient la guerre à propos de la Succession d’Autriche, les puritains de la Nouvelle-Angleterre conçurent l’audacieux projet de s’emparer de Louisbourg et du Cap-Breton. En janvier 1745, Shirley, gouverneur du Massachusetts, proposa à la cour générale une expédition exclusivement coloniale contre la forteresse française. Comme l’Assemblée hésitait, un puritain se leva pour appuyer la motion de Shirley. Il s’agissait de promouvoir les intérêts des colonies, d’humilier le nom français, et surtout de combattre une religion exécrée, le papisme. Faire son discours.

On a bien entendu. Des petits rhétoriciens catholiques et canadiens-français invités à traiter un tel sujet ! Nous échangeons un regard. Le professeur, interdit lui-même, attend notre réaction. Ma décision est tôt prise. Je quitte la classe suivi de tous mes camarades, sauf un. Et je cours à la gare prendre le train en partance. De cet incident, je garderai longtemps un souvenir amer. Et quand il me reviendra plus tard, j’y verrai un terrible document sur l’état d’esprit d’une génération. Certes, à cette époque de 1897, les sujets de composition littéraire ne manquaient pas. Sans sourciller, l’on nous faisait discourir sur tout le champ de l’Histoire universelle, établir des parallèles entre Charlemagne et Othon le Grand, César et Annibal, Louis XIV et Napoléon. En quel esprit avait donc pu germer l’idée biscornue d’inciter des petits Québecois, pour un prix à gagner, — le prix du Prince de Galles, il est vrai, — à requérir l’expulsion de la France du continent et à dénoncer une « religion exécrée », le papisme. Vers 1920, pour démontrer jusqu’à quel degré d’inconscience peut descendre un peuple sans tradition historique et qui en est venu là — par un enseignement défectueux ou inexistant de l’histoire nationale en ses collèges et universités — je citerai ce canevas de 1897 pour discours de rhétoricien. Je vois encore la surprise scandalisée, les remous de stupeur dans mes auditoires. Pour un peu, on croirait que j’invente. J’y reviendrai en 1922, lors d’une polémique autour de l’un de mes petits romans, L’appel de la Race, et pour écrire cette fois :

Certes, nous nous garderons de rien exagérer. Nous ne voulons pas tirer d’un fait douloureux comme celui-là, des conclusions illégitimes. Il serait bien injuste de faire porter à une vénérable institution le poids d’une faute qui, en toute vraisemblance, reste imputable à un seul homme. Mais, en 1923, un sujet de composition comme ce discours d’un puritain serait un scandale pour le public ; il soulèverait une véritable révolte parmi la jeunesse et ses maîtres. Il y a vingt-cinq ans, cet incident passa presque inaperçu. Cela suffit à marquer la différence de deux époques.

En Philosophie

J’avais beaucoup aimé mon année de Rhétorique. Je ne goûtai pas moins mes deux années de Philosophie. La Providence m’y réservait encore cette fois un excellent professeur en la personne de l’abbé Arthur Jasmin, diplômé des universités romaines. Il maniait le latin avec une sorte de virtuosité. Esprit brillant, d’une rare clarté, il savait éveiller nos curiosités, élargir les perspectives de la redoutable discipline. De temps à autre, fatigué, dégoûté, semblait-il, du manuel de Zigliara, il quittait sa tribune, venait s’asseoir à revers sur l’un ou l’autre des pupitres de la rangée d’avant. Et là, quel régal intellectuel c’était pour nous de le voir se lancer en quelque spéculation de métaphysique. Il nous ouvrait des horizons. Il était de ces maîtres qui ne craignaient pas d’appeler l’intelligence du disciple au dépassement continuel. Plus tard, je ne devais pas entendre mieux, ni au Grand Séminaire, ni aux universités romaines. J’aimai beaucoup la philosophie, autant à tout le moins que la littérature. Je l’aimai pour ce qu’elle mettait, ce me semble, de discipline, d’ordre, en mon esprit. J’y ai toujours vu une irremplaçable maîtresse pour ce qu’elle rend exigeant de clarté et de précision. On a fait de moi, dans la suite, un professeur de rhétorique. Tout aussi volontiers, si je ne me suis pas payé d’illusion, eussé-je enseigné la philosophie.

Les philos à Sainte-Thérèse vivaient alors des années extrêmement actives. Les sociétés écolières reposaient sur eux. Au sommet de toutes, j’aperçois l’Académie Saint-Charles, cénacle d’accès difficile, où dix tout au plus des hautes classes prenaient place, après aptitudes littéraires dûment constatées : académiciens solennels qui, en nos jeunes années, nous impressionnaient fortement avec leur étoile d’or ou d’argent sur la poitrine. Il y avait aussi la Société Ducharme, sorte de parlement-école. À cette société-là, dans un décorum impeccable, l’on s’exerçait à l’art de la parole, à l’improvisation, tout en débattant des sujets d’histoire ou autres. Joutes oratoires qui faisaient parler d’elles dans tout le collège, et où se fondaient de jeunes renommées. On s’y passionnait au possible. Souvent la discussion commencée à la salle académique se continuait chaudement au réfectoire, à la récréation. L’Académie me prit beaucoup de mon temps, mes confrères, en ma dernière année, m’y ayant confié le fardeau de la présidence. En première année de Philosophie, assisté de mes deux confrères, Gédéon Rochon et Septime Laferrière, je soulève un long débat à la Société Ducharme. Par une longue et solennelle résolution, nous proposons une réforme foncière de ladite Société — on dirait aujourd’hui une réforme de structure ―, la disant vieillotte, déchue de son ancienne splendeur. Là-dessus s’engage une discussion pathétique avec nos aînés de Philo II. Alfred Langlois, président de l’Académie, est le premier à nous servir la réplique. Il parle déjà avec l’aisance et le brio qu’il fera voir plus tard, évêque. Il nous réfute en habile homme, nous prodiguant les éloges, insistant avec malice sur la notoriété que nos talents de debaters confèrent à « la vieille et routinière société ». Débat qui fit du bruit. Nos camarades eurent tôt fait de coller à notre trio l’épithète de « Les Trois Réformateurs », appellation que je retrouve au bas d’une photo que, pour perpétuer, sans doute, le souvenir de ce grand jour, nous avions fait prendre chez un photographe du village.

Ce petit tapage à la Société Ducharme, j’ai lieu de le croire, inquiéta quelque peu mes maîtres. On me trouvait des idées et des passions de novateur. Et je leur paraissais entrer dans la vie en mécontent par trop décidé.

Un autre fait révélera peut-être ma tendance à nasarder, en ce temps-là, les pontifes de la gent écolière. En ma dernière année de collège, je fonde, avec mes deux confrères, Gédéon Rochon et Septime Laferrière, un club de ballon et de baseball, recruté exclusivement parmi les maladroits, ceux qui ne jouaient pas ou ne savaient pas jouer en récréation. Ne connaissant pas mieux, nous appelons notre club d’un nom aussi grotesque que symbolique, les « Green ». Un « Green », en ce temps-là, c’est un timide, un gauche, un mal vêtu, presque un malotru. Le club était formé de deux équipes : l’une de ballon, l’autre de baseball. Il eut sa constitution, son exécutif, son chant national dont je composai les strophes, et Laferrière, la musique. Les jours de congé, nous quittions la cour des grands avec éclat, nos couleurs au vent, en route pour le coteau Morris où nos deux équipes s’en donnaient à cœur joie. La journée ne se terminait jamais sans force discours drolatiques. Les orateurs célébraient les gloires du jour sur le terrain. Foison de coups de voix, beaucoup de bruit. Histoire de nous amuser, de nous exercer à parler, et aussi de narguer les « professionnels » du baseball et du ballon au Séminaire. Pourtant le frondeur ou le réformateur que j’étais restait singulièrement conservateur. Un discours que j’improvisai quelques mois avant mon départ du collège, à l’Île-Ducharme, propriété du Séminaire, dans la rivière des Mille-Îles, le prouve surabondamment. C’était au soir de la « Fête des jeux », fête annuelle qui convoquait sur les lieux toute la communauté. Depuis quelque temps, le directeur des élèves s’appliquait à supprimer, fort habilement, du reste, ce que l’on appelait des « privilèges », des « traditions », petites fêtes écolières, exemptions au règlement, faveurs, congés, dont profitaient surtout les élèves des hautes classes. Procédés qui nous alarmaient et nous révoltaient un peu. Dans mon allocution, le soir, du haut de la galerie de la maison de campagne, j’entrepris de rappeler à mes camarades, « petits et grands », le prix des traditions collégiales : j’allai même jusqu’à les exhorter à les conserver et, au besoin, à les défendre. L’allusion était transparente et peut-être plus qu’il ne fallait. Je sus qu’on en parla « chez les prêtres » et que d’aucuns s’alarmèrent de mes audaces d’esprit.

Je n’entretenais pourtant nulle malveillance à l’égard des maîtres de ma jeunesse. Heureuses années, en somme, que celles de mon temps de collège ! Je n’en ai gardé que d’excellents souvenirs. Mes camarades m’y avaient comblé de leur amitié et de leur confiance. Tous les postes, tous les hochets de la gloire collégiale, on me les avait prodigués. Chez les grands comme chez les petits, on m’avait élu capitaine de la milice, corps de cadets qui, chaque printemps, faisait les exercices militaires, était de toutes les fêtes collégiales et où le capitaine portait gravement l’épée. Chez les « petits » comme chez les « grands », on m’avait encore élu préfet de la Congrégation de la Sainte-Vierge. Finissant, j’étais devenu président de l’Académie et vice-président de la Société Ducharme. J’ai noué à Sainte-Thérèse quelques-unes des amitiés qui ont embaumé ma jeunesse : celle d’Alfred Langlois, futur évêque de Valleyfield, qui me précède d’un an ; parmi les aînés, celle d’Arthur Papineau, futur évêque de Joliette, après avoir été fondateur du Collège Saint-Jean-sur-Richelieu. Dans ma propre classe, je cueille des amitiés non moins précieuses : celle de Gédéon Rochon, futur avocat et député de Terrebonne, mort prématurément, esprit critique, caustique, dont l’impitoyable raillerie m’apprit à surveiller mes opinions. Mais je cite surtout avec émotion l’amitié de trois de mes confrères de classe : celle d’Alfred Émery, futur curé dans la péninsule d’Essex, en Ontario, principal « résistant » au Règlement XVII et à l’évêque Fallon en son milieu ; l’amitié d’Onésime Boyer, Franco-Américain, futur curé d’Ellenburg, É.-U., et propagandiste de la cause de la petite stigmatisée Rose Ferron ; l’amitié, en troisième lieu, de Frank Laurendeau, futur curé de Ford City et, à cette époque-là, d’un esprit assez opposé à celui de son cousin, Émery. Ce sont ces trois qui, dans quelques années, fait assez peu ordinaire entre confrères de classe, rendront possible mon séjour d’étude en Europe.

Quant à mes maîtres, je dois le dire, ils m’ont toujours traité en enfant privilégié. En Philosophie 1re année, on me fait lecteur au réfectoire des prêtres : ce qui, pendant deux ans, me vaudra de manger à une table spéciale, non toujours débordante de reliefs d’ortolan, mais assez bien fournie pour exciter la jalouse gourmandise des confrères moins fortunés. L’emploi me vaudra surtout d’excellentes leçons de lecture et de diction, et de la part d’un expert, l’abbé Pilon, auteur d’un petit traité de prononciation. Car, au réfectoire des prêtres, sauf les jours de congé ou de grande visite, il y a lecture pendant le dîner et le souper et une lecture, non pas recto tono, mais qui doit se plier aussi intelligemment que possible aux exigences du texte. La première année, je partage la tâche avec Alfred Langlois qui m’avait précédé l’année d’avant. En mon année de finissant, on me confère un autre poste de confiance : celui de « lampiste », l’homme au trousseau de clés, chargé d’aérer salle d’étude, salle de récréation et dortoir, et qui, pour cela même, possède la clé de la liberté, fée merveilleuse qui le tire hors de la discipline, l’autorise à circuler librement à l’intérieur et à l’extérieur du collège, véritable clé des champs qui, les jours de congé, lui vaut de petites randonnées à travers coteaux et ravins des environs où promener ses fantaisies de jeune rêveur. Parmi ces promenades, quelques-unes me reviennent en particulier : celles qu’avec mon ami Langlois, nous avons refaites plusieurs fois, au bas des coteaux qui longent maintenant la grande route vers les Laurentides. Alfred Langlois était finissant ; il jouissait de tous les privilèges du lampiste. À titre de compagnon de lecture, au réfectoire des prêtres, il m’entraînait avec lui les après-midi de congé. Il était pour moi l’ami à qui je pouvais confier mes sentiments et mes pensées les plus intimes. Que de causeries nous avons tenues au bas de ces coteaux, assis tous deux sous un ombrage, près d’un mince ruisseau qui filtrait ses eaux à travers les herbes. Je traversais des mois d’émotion fébrile. Je lisais des vies de Lacordaire, de Montalembert, d’Ozanam, de Garcia Moreno. Ces lectures me passionnaient à l’extrême. Combien médiocre m’apparaissait le milieu collégial et que j’eusse souhaité trouver quelque part la compagnie des grandes âmes dont se nourrissaient mes lectures ! Étrange puissance de certains propos, de sentiments et confidences échangés aux heures de jeunesse et d’exaltation ! Ce petit lieu poétique, au bas des coteaux de Sainte-Thérèse, est resté gravé comme sur plaque d’acier, en ma mémoire. Je revois encore la source, les hautes herbes, leur couleur ; je revois le petit saule qui, ainsi qu’en une rêverie romantique arrangée tout exprès, nous dispensait l’ombre et ajoutait au minuscule tableau, une pointe de mélancolie. En souvenir d’Horace, nous appelions la source, la Tibérine. Et encore aujourd’hui, après plus de soixante ans, mon ami et moi, nous ne rappelons jamais ces causeries sans un pincement au cœur. Le souvenir m’en resta si fort qu’en ma Croisade d’adolescents, je le recueillis et lui accordai une couple de pages pour évoquer l’état d’esprit d’une certaine jeunesse aux approches de 1900. Heures d’exaltation, ai-je dit, où chante encore en moi toute ma jeunesse !

Et je reviens aux autorités collégiales. Mes maîtres m’ont prodigué bien d’autres marques de leur paternelle bienveillance. On me sait de santé délicate. Or, à une époque où la discipline collégiale se montre si sévère pour les moindres sorties, régulièrement, en mes quatre dernières années, j’ai pu jouir de vacances supplémentaires et sans avoir à les solliciter. Un de ces jours, le directeur m’abordait : « Vous me paraissez fatigué. Vous ne prendriez pas deux ou trois semaines de repos dans votre famille ? N’en parlez à personne. Faites vos malles et partez demain matin. »

Chaque fois, naturellement, je cédais sans trop de résistance. Ah, les beaux congés que ces congés supplémentaires, en des saisons que depuis longtemps l’on n’a pas vécues chez soi ! Vacances du temps des sucres, à l’époque encore de la crémaillère, où le soir tombant, près du brasier rouge sous les chaudrons gonflés d’écume dorée, je regardais l’autre brasier, l’immense brasier du soleil descendre à l’horizon et enflammer l’érablière. Vacances du temps des semences, des labours fumants, des soleils chauds et qu’on dirait jeunes, alors que, près d’un étang, produit par la crue des eaux, repassant mes manuels d’histoire en vue du baccalauréat prochain, je taquinais la perchaude, tout en me grisant à l’approche du soir des vocalisations ensorcelantes des rainettes folles d’amour et de joie.

M. Corbeil, pauvre lui-même, allait jusqu’à m’acheter parfois des chaussures, croyant deviner d’où me venaient mes mauvais rhumes. La délicate générosité du Séminaire, j’aurai l’occasion de l’éprouver, de façon très particulière, en ma dernière année de collège. Mon beau-père désirait fort envoyer aux études classiques, son fils aîné, Charles-Auguste. Mais comment assumer les frais de pension et d’enseignement de deux collégiens ? Ne voulant pour rien au monde me mettre en travers de l’avenir de mon jeune frère, je prends une résolution subite. J’écris aux autorités de Sainte-Thérèse ; je leur mets mon sort entre les mains. Ou j’abandonnerai mes études, ou l’on voudra bien m’accepter in forma pauperis. En ce cas, je m’engagerai, par billet, à verser, à la procure, la somme de $100 après ma sortie du collège, quand la chose me sera possible. Le Séminaire me fait savoir de revenir et d’amener mon frère, sans plus m’inquiéter. Hélas, mon pauvre billet, je ne l’acquitterai que bien des années plus tard, et sans qu’on m’y ait jamais pressé.

N’eussé-je profité que de la direction spirituelle de l’abbé Sylvio Corbeil que j’aurais contracté, envers mon collège, une dette inestimable. Que n’ai-je aussi accepté la direction intellectuelle de l’abbé Antonin Nantel, maintes fois supérieur de la maison ? À plusieurs reprises, il tente de m’attirer chez lui. Il me prête des livres. C’est lui qui, en mes jeunes années, pour m’empêcher de perdre mon temps et réprimer mes débauches de liseur, me propose des travaux supplémentaires pour lesquels il me récompense généreusement. L’abbé Nantel était un saint prêtre. C’était aussi un esprit cultivé, un homme de goût qui écrivait très purement sa langue. Que de services il m’eût rendus ! Malheureusement le cher abbé avait un caractère grincheux, un tour d’esprit pointilleux. Il avait une façon de vous interroger sur votre état spirituel qui ne laissait pas d’embarrasser. Il vous demandait, par exemple :

— Eh bien mon cher, vous sentez-vous devenir meilleur ?

Si l’on répondait : — Il me semble, M. le Supérieur.

— De l’orgueil, de l’orgueil, répliquait-il.

Si l’on répondait : — Pas beaucoup M. le Supérieur, on l’entendait se récrier :

— Mais que faites-vous ? Que faites-vous ?

Que n’a-t-il possédé, et dès ce temps-là, l’esprit paternel avec lequel, plus tard, vieilli et devenu Mgr Nantel, il accueillera les anciens de passage au Séminaire ! Quel bien eût fait cet homme ! Et quels services il m’eût rendus ! Mais la jeunesse ne pèche pas toujours par excès de clairvoyance.

À Sainte-Thérèse, on m’y avait inculqué, ce me semble, d’excellents principes chrétiens et la détermination de les vivre, avec la grâce de Dieu, quel que fût mon état de vie. J’allais connaître bientôt l’atmosphère d’autres maisons d’enseignement et de formation. Je n’eus pas à souffrir des comparaisons qu’elles m’imposaient avec l’atmosphère de mon alma mater, dans la dernière partie de mon cours. C’est à Sainte-Thérèse que, par Veuillot, je fus conduit à l’école catholique de 1830 en France. C’est là que je lus ma première vie de Montalembert (celle de Bouthors), que je commençai à connaître Lacordaire, Ozanam, O’Connell, Garcia Moreno, Berryer, vies modèles dont j’allais tant m’éprendre. C’est après ma Rhétorique que je lus le Garcia Moreno du Père Berthe et la biographie de Pierre-Antoine Berryer, par Lecanuet. Moreno m’inspira le goût des caractères héroïques ; Berryer m’enchanta par sa puissance oratoire et son exemplaire fidélité à la maison royale des Bourbons, fidélité à une cause perdue. Si, au collège, quelques-uns de mes maîtres m’ont parfois déçu, il est arrivé que, par mes lectures, lectures où d’autres maîtres furent pour quelque chose, j’ai pu combler au moins quelques lacunes en mon esprit et en mon caractère. C’est ainsi que parmi mes prix, à la fin de ma première année de Philosophie, je l’ai dit plus haut, je trouvai Du Pape de Joseph de Maistre. De Maistre deviendra un autre de mes auteurs de choix. Dans la suite, je lirai à peu près tous ses ouvrages. En attendant, je passai mes vacances de cette année-là à l’analyse minutieuse, paragraphe par paragraphe, de ce livre Du Pape, livre fort et dense quoique assez mal bâti, que je m’acharnai à lire pour ce qu’il m’ouvrait de vastes perspectives, pour ce qu’il me forçait à réfléchir.


La mère de Lionel Groulx à vingt ans, en 1869


Première communion à huit ans (1886)

Ainsi, me revient cette époque de ma jeunesse. En mes années de Versification et de Belles-Lettres, j’ai été, comme tous ceux de mon âge, un adolescent rêveur, qui se plaisait même volontiers en quelques heures de mélancolie. Ai-je jamais cédé à ce que l’on appelle les bleus, rêveries morbides où se dissout la volonté, abandon de l’âme aux voluptés des sens et des instincts ? En ces moments, je me complaisais volontiers en la lecture de certaines pages de Chateaubriand, de Maurice de Guérin, en quelques élégies de Lamartine. Mes nerfs solides de fils de paysan, l’équilibre mental que je tenais des miens m’ont toujours protégé contre les excès de la nervosité. Je reprenais facilement mon aplomb. D’où me venaient ces accès de mélancolie ? Sans doute d’une sensibilité trop vive, de la nostalgie du chez-moi, de la vie campagnarde dont je ne me suis jamais guéri. Je souffrais aussi d’un grand vide en moi, du besoin d’une affection vive, éthérée, un peu chimérique, que je n’arrivais pas à trouver en mon milieu. Mes amitiés les plus chères me laissaient toujours de la déception. Une piété plus profonde, plus éclairée, m’eût peut-être apporté le remède, la pacification spirituelle que je cherchais. Hélas, je dois le dire, ni l’enseignement religieux, ni même la direction spirituelle qu’on m’avait libéralement dispensés n’avaient réussi à me dévoiler Notre Seigneur Jésus-Christ comme l’être historique et vivant, le Maître divin qui peut combler l’affection humaine la plus exigeante. Le Christ restait pour moi un Dieu, un ami lointain et flou que je croyais aimer plus que je ne l’aimais en réalité. En vain, en mon année de Rhétorique, m’étais-je mis régulièrement à la lecture de l’Évangile, dans l’espoir d’atteindre l’être mystérieux, de me composer sa figure divine et vraie. Mal préparé à cette lecture, manquant des contextes nécessaires, cette lecture m’avait profité, non sans me laisser quelque autre déception. Combien alors j’ai désiré trouver le livre qui me révélerait l’unique Visage et qui mettrait le suprême Ami tout près de moi ! Aucun de mes professeurs ne m’a vraiment fait aimer l’enseignement de la religion. La fierté de son baptême, le rôle, la mission d’un petit peuple catholique, le bonheur, le privilège d’y appartenir, autant de réalités parfaitement ignorées de mon temps. Heureusement l’enseignement de la philosophie pour laquelle je m’épris, puis la rencontre de l’école catholique de la France de 1830 me préservèrent des mauvaises neurasthénies. La rencontre de cette école, de ces magnifiques coryphées de la pensée catholique, fut pour moi la grâce suprême de mes années de collégien.

Je quittais le collège à 21 ans. Quelle route allais-je prendre dans la vie ? Il est temps, je crois, de faire connaître mon option. Je transcris tout simplement ici un chapitre que j’écrivis, en juin 1954, pour un volume publié, en collaboration avec d’autres, par l’Œuvre des vocations du diocèse de Montréal[NdÉ 1].


Note de l’éditeur
  1. Le volume a pour titre : Comment ils sont devenus prêtres (Maison Saint-Pie-X, Montréal, 1954).