Mes paradis/Dans les remous/Ballade de l’ours

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LXXVIII

BALLADE DE L’OURS


Orphée, aux temps où tu vécus,
Bêtes, arbres, la fleur, la graine,
Et jusqu’aux rochers convaincus,
Écoutaient ta voix souveraine.
La lyre était la grande reine
De tous les êtres prosternés.
Aujourd’hui, le monde l’embrène.
Il faut mener l’ours par le nez.

L’aigre musique des écus
Est la seule dont on s’éprenne.
Chante-la donc, en cris aigus,
Si tu veux être la sirène
Aux pieds de laquelle on se traîne.

Alors les muffles enchaînés
Se laisseront passer la rêne.
Il faut mener l’ours par le nez.

Ou bien sois fort. Tous ces cocus,
À ta puissance suzeraine,
De leurs femmes, cœurs, seins et culs,
Offriront humblement l’étrenne.
La bassesse contemporaine,
Docile aux coups bien assénés,
A pour sceptre un bâton de frêne.
Il faut mener l’ours par le nez.

ENVOI

Prince, adieu la lyre sereine !
Ronflez, tambours ! Cuivres, sonnez !
La Muse est dompteuse foraine.
Il faut mener l’ours par le nez.