Mais ne prenons pas non plus
L’air trop modeste, que diantre !
Pas de marmiteux saluts
À plat ventre !
Pas d’aveux flûtant ceci :
« J’ai tort d’oser ce que j’ose.
« Ça que je vous offre est si
« Peu de chose ! »
Pas un ton d’humble bedeau
De qui l’oremus glouglotte,
Pendant qu’il tend au cadeau
Sa calotte !
Moi, cafard, l’œil en dessous,
À toi, lecteur, dure engeance,
Moi, mendier des gros sous
D’indulgence !
Moi, devant toi, le tyran,
Moi, m’aplatir en cloporte !
Comme si c’était du bren
Que j’apporte !
Allons donc ! C’est tout mon cœur
Et c’est toute ma pensée ;
C’est dix ans d’âpre vigueur
Dépensée,
Et dépensée âprement,
Largement, sans frein, sans digue,
Sans compter un seul moment,
En prodigue ;
C’est tous mes désirs qui vont,
D’une irrésistible envie,
Partout et toujours au fond
De la vie ;
C’est, parmi tous les écueils
De cette vie en alarmes,
Les rires de mes orgueils
Et leurs larmes ;
Dans cette vie en périls
C’est tout l’essor de mes transes
Vers l’annonce des Avrils
D’espérances ;
C’est tous les Eldorados
Dont le songe me console
De voguer sur des radeaux
Sans boussole ;
C’est, quand au vent mes cheveux
Claquent comme des écoufles,
Dans les clairons de mes vœux
Tous mes souffles ;
C’est tous mes rêves cherchant,
Fût-ce en folles équipées,
À fleurir, fût-ce au tranchant
Des épées,
Fût-ce en fleurs rouges, en fleurs
Où tout mon sang vienne éclore,
Mais où flambent les couleurs
D’une aurore ;
C’est tout cela, tout cela,
Ô lecteur, que je te livre ;
C’est tout moi qui ruissela
Dans ce livre ;
C’est, qu’il soit bon ou mauvais,
De tout moi, de tout mon être,
Frère cruel, que je vais
Te repaître.
J’ai donc bien le droit, lecteur,
D’avoir l’altière et sereine
Vertu d’un gladiateur
Dans l’arène.
Sûre d’être, jusqu’au bout
Comme à l’abord, résolue,
Toute ma fierté debout
Te salue ;
Mais c’est sans te courtiser,
Empereur des jeux funèbres
Pour qui je m’offre au baiser
Des ténèbres.
L’Ave Cæsar qu’il te faut,
Je le lance digne et grave,
À voix pleine et le front haut,
Comme un brave.
Que le geste de tes doigts
Me soit la fourche ou la palme,
J’aurai fait ce que je dois,
Je suis calme.
Avec grâce, en beau guerrier,
Je tomberai, si je tombe,
Pour qu’on plante un vert laurier
Sur ma tombe.
Tout le reste m’est égal,
Ma conscience étant sauve.
À présent, prends ton régal,
Bête fauve !
Que peut m’importer, mon cher,
Ou ton blâme ou ta louange ?
Voici mon sang et ma chair.
Bois et mange.
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