Mes souvenirs (Massenet)/Appendice/2

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Mes souvenirs (1848-1912)
Pierre Lafitte & Cie (p. 303-304).

MASSENET PAR SES INTERPRÈTES


Deux des plus charmantes interprètes de Massenet ont bien voulu également nous adresser un souvenir sur leur maître et ami :


10 décembre 1911.


Pour parler du maître, je trouve bien intéressant de raconter un peu ce que sont les études avec lui.

Ah ! ce n’est pas toujours un moment agréable, car le maître, lorsqu’il apporte les pages nouvelles d’un ouvrage, voudrait que l’interprète rendît aussitôt le sentiment, le caractère, les nuances… tout, enfin. Il ne peut admettre une hésitation, il se croit à la veille d’une répétition générale… Il exige, dès le premier contact de l’artiste avec le rôle nouveau… la perfection !

Mais, lorsqu’il se sent compris, quel changement se produit ! Il est joyeux, reconnaissant ; il parle avec bonté et vous comble d’éloges. Exagération au début… exagération à la fin.

Tout s’arrange, cependant, et le maître aime tant les artistes qu’il leur donne une place d’honneur parmi les plus chers de sa famille.

Combien aussi les artistes l’aiment, l’admirent et le révèrent !

Lucy Arbell, de l’Opéra.


11 décembre.


Mon grand et cher illustre maître Massenet ne se doute pas qu’il fut le premier à m’applaudir à Paris.

Venant de Bordeaux, je me présentais au concours d’admission du Conservatoire, quand un des membres du jury se mit à battre des mains.

— Eh bien ! vous pouvez être contente, mademoiselle, me dit l’appariteur, c’est M. Massenet qui vous a applaudie !

J’étais follement heureuse. Pensez donc ! Mais, hélas ! ma joie fut courte… À peine rentrée dans le foyer où les « candidates » attendaient leur tour, je me vis assaillie par vingt jeunes filles qui m’interpellaient avec une volubilité rageuse. À travers ce flux de paroles, je distinguais pourtant ces mots :

— En a-t-elle de la chance !

— C’est vrai que Massenet vous a applaudie ?

— Pas possible !

— Si !

— Non !

— Ça se raconte.

Etc.

Heureusement, la mère d’une des concurrentes mit tout le monde d’accord en prononçant, avec autorité, cette phrase venimeuse :

— Je l’avais bien dit à ma fille : « Massenet applaudit toujours… quand on lui chante sa musique. »

Je venais de concourir dans le grand air de la Juive !!!

Julia Guiraudon-Cain.