Meschacébéennes/Le Vaillant

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Librairie de Sauvaignat (p. 82-85).


 
Though the strained mast should quiver as a reed,
And the rent canvass fluttering strew the gale,
Still must I on…
(BYRON.)




Oui, le Vaillant a bien accompli son voyage !
Il a franchi le golfe en cinq jours de sillage.
Le Vaillant fait honneur au chantier de Bordeaux :
Ainsi que l’alcyon il glisse sur les eaux.
Oh ! comme avec amour, par une nuit tranquille,
J’écoutais son doux bruit d’harmonieuse quille,

Ce bruit qui fait rêver, assoupissant écho,
Soit qu’il cinglât vainqueur en face d’Abaco,
En de moins tièdes flots baignant ses flancs arides,
Soit qu’il bondît, doublant le long cap des Florides !
Et puis, quand vers le nord dans sa course emporté
Mon vaisseau fut soudain par l’ouragan heurté
De front, à la hauteur des bancs de Terre-Neuve…
Oh ! comme, avec vigueur, il subit cette épreuve !
A la cape, trois jours, sur la vague affermi,
Comme un oiseau des mers, il semblait endormi.
Sur le pont ruisselant, debout, calme poëte,
J’aimais ce souffle aigu, ces cris de la tempête.
A mon cœur épuisé, triste, chargé d’ennuis,
Océan, il fallait tes orageuses nuits !
Lorsque ta grande voix s’élève solitaire,
Tu nous verses la paix et l’oubli de la terre !…

Mais l’orage a cessé… Chantez, gais matelots !
Poursuis, poursuis, Vaillant, ta course sur les flots,
Vogue avec majesté sur les vagues sonores.
Courage, mon vaisseau ! nous touchons aux Açores ;
Courage ! Il ne faut plus qu’un vigoureux élan…
Terre ! terre ! Je vois la tour de Cordouan

Se dressant dans les cieux, immobile colonne.
Étreins, avec amour, ta mère la Garonne !
Dans ses bras assoupi, tu peux, ainsi qu’un Dieu,
Rentrer dans ton repos. Adieu, Vaillant, adieu !






Bordeaux, 8 juillet 1838.