Meuse/p3/s9
SCÈNE IX.
Liège.
La scène est à Liège sur la place Verte. À gauche, dans le fond, la statue de Grétry. Dans le fond, vieilles maisons que surplombe la vieille église. Arbres de la place Verte ; échoppes de marchandes de fleurs.
Quand le rideau se lève, des gamins jouent, courant en s’interpellant autour des échoppes. Des promeneurs s’arrêtent devant les fleurs. Des marchandes s’affairent ; bruits de tramways, claksons, de marteaux battant le fer ; un homme chante dans une maison, des merles sifflent. Cris d’une marchande que l’on ne voit pas :
 kute peûre[1] !
 houïe[2] !
Tu ne m’auras pas, valet.
Tu vas bien l’voir, vieux coïon.
Hé là, sales gamins !
Vive Trinette ! vive Trinette !
Liège !
Liège !
Liège ! Épanouissement de la vallée entre les collines de Saint-Gilles, Saint-Laurent, Saint-Martin, Sainte-Walburge et Vivegnis, la plaine où s’étale, souveraine, la Meuse.
Liège, la cité ardente,
l’Athènes du Nord,
le bastion de la civilisation latine.
Liège, sur laquelle plane l’ombre de Charlemagne.
Et l’ombre de Notger.
Et qui déroule, tumultueuse, généreuse et fière, sa vie autour de la statue de Grétry, cœur au rythme saccadé battant contre ce grand cœur endormi.
« Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille. »
Liège, le clair pays du peuple libre de Wallonie.
Mon Dieu, Trinette, que tu es belle ; quand je te reluque je ne vois plus tes fleurs et quand je reluque tes fleurs, tu es la plus belle de toutes.
Laissez-moi, bougez vos mains, mal honteux que vous êtes…
Si Nanesse vous entendait, que feriez-vous donc, beau galant ?
Nanesse !… Nanesse… Qu’elle aille baiser Brizette[3], Trinette de mon cœur.
Tchantchès ! Tchantchès ! Tchantchès !
Quoi n’y a-t-il donc, mes crapaudes parfumées ?
Tchantchès ! Tchantchès ! Tchantchès ! voilà Nanesse.
Ah ! c’est ainsi. Ah ! c’est cela que tu appelles « aller toucher ton chômage ».
Allez Tchantchès ! allez Tchantchès !
Quel est ce drôle de petit bonhomme ?
C’est Tchantchès.
Je l’ai entendu, mais encore !
Tchantchès ?, comme dit le poète wallon,
Il n’a point de parents sur terre
On peut fouiller la nuit des temps,
Seule Wallonie est sa mère,
Tous les Wallons sont ses parents.
Tchantchès ? Il est vieux comme Liège. On dit qu’il naquit un jour des eaux de la Meuse, comme Vénus naquit de la mer, si j’ose comparer.
Une Vénus au nez de rose.
Il ne serait point Tchantchès s’il n’avait le nez rouge comme une fraise de Saint-Lambert.
Et s’il n’était tel que je suis, Madame, ainsi que tu peux voir, pour vous servir.
Et Nanesse ?
Tais-toi, va. Je te l’ai conduite dans un bon petit cabaret où le pèket est fris’ comme le sourire de Trinette. Donne-lui z’en deux litres que j’ai dit au patron. C’est le règlement, hein ! Alors, tu comprends bien, hein, nous avons bien le temps, sais-tu.
C’est votre femme ?
Tu l’as dit, binamée crapaude. Ne te fâche pas, sais-tu Môssieu.
C’est votre homme ce laid-là, Madame ?
On dirait tout à fait Mathieu Lansberg.
Tchantchès ! Je suis Tchantchès !
Ne cherchez pas à me donner un âge, Et vu mon toit brûlé par l’Autrichien, |
Quand la reprise est finie tous crient :
Vive Tchantchès ! Vive Tchantchès !
Venez, mes belles crapaudes, venez que je vous présente, mes amies de toujours, au môssieu et à la Madame.
— Celle-ci c’est la joie, le mouvement, la gaîté, la vie.
— Celle-ci c’est la gouaille, la verve, la fronde, et l’esprit.
— Celle-ci c’est la plus chère de toutes : LA LIBERTÉ.
Elle m’aime. Et je l’aime. Elle m’aime : en moi se réunissent tous ses amants de tous les temps.
Allons, venez vous tous…
Aux soldats de Loncin se joignent et se scellent
Ceux de l’an trente.
Et de quatre-vingt-neuf.
Pères de la Cité, Beeckman et La Ruelle,
Ces vieux mayeurs loyaux qu’un prince odieux occit.
Leur peuple refusait de se courber ; eux-mêmes,
Puisqu’ils étaient ce peuple, avaient dressé leur front.
On les tua.
Pour y mourir, dans la forêt, fuit le Bourbon.
La Marck tombe à son tour.
Un autre tout pareil à ceux qu’on crut matés,
Que rien, ni fer, ni feu, ni famine ne lassent
et qui plus que la vie aiment la liberté.
Louis XI, Charolais, Jean Sans Pitié, le Boche
Tuez, noyez, pillez, brûlez hommes et toits,
Vous n’aurez point brisé de Liège, la caboche.
L’âme de ceux de Fexhe et des Franchimontois.
Y ne faut pas pleurer, sais-tu Madame ; si nous avons la tête dure, nous aussi, nous avons l’âme tendre.
Qu’en dis-tu donc, toi, Trinette ?
Ah ! binamé valet.
Allons, ainsi, vous autres, et, en route, pour le crâmignon. Chantons notre terre bien-aimée comme la chanta Defrecheux. Célébrons la vierge adorable, l’image douce et fière de notre pays de Meuse. Allons, main dans la main, par les prés embaumés où glisse la rivière, où passa l’enfant pure, si légère que les herbes n’étaient point couchées où elle avait passé.
On dîmègne qui dj’côpéve dès fleûrs divins nosse pré[4],
Dji vèya ’ne bèle djône fèye ad’lé mi s’arèster.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
Dji vèya ’ne bèle djône fèye ad’lé mi s’arèster.
— « Dji m’a pièrdou, di-st-èle, aîdîz-me a m’ritrover. »
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
— « Dji m’a pièrdou, di-st-èle, aîdîz-me a m’ritrover. »
— « Djisqu’a pus lon, lî di-dje, tot dreût dji v’va miner. »
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
— « Djisqu’a pus lon, lî di-dje, tot dreût dji v’va miner. »
Dj’èl louka tot-a mi-åhe tot rotant so s’costé.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
Dj’èl louka tot-a mi-åhe tot rotant so s’costé.
Elle aveût l’pê pus blanke qui l’margarite dès prés.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
Elle aveût l’pê pus blanke qui l’margarite dès prés.
Sès-oûy èstît pus bleûs qui l’cîr d’on djoû d’osté.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
Sès-oûy èstît pus bleûs qui l’cîr d’on djoû d’osté,
Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré,
Nole jèbe n’èsteût coûkèye wice qu’èlle aveût roté.
Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?
- ↑ À la poire cuite : cri populaire liégeois.
- ↑ À la houille : cri populaire liégeois.
- ↑ Expression liégeoise : le derrière d’une chèvre.
- ↑
Un dimanche, cueillant des fleurs dans notre pré,
Je vis une belle jeune fille auprès de moi s’arrêter.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
Je vis une belle jeune fille auprès de moi s’arrêter.
— « Je me suis perdue, dit-elle, aidez-moi à me retrouver. »
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
— « Je me suis perdue, dit-elle, aidez-moi à me retrouver. »
— « Jusque plus loin, lui dis-je, tout droit je vais vous mener. »
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
— « Jusque plus loin, lui dis-je, tout droit je vais vous mener. »
Je la regardai tout à mon aise, en marchant à son côté.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?Je la regardai tout à mon aise, en marchant à son côté.
Elle avait le teint plus blanc que la marguerite des prés.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
Elle avait le teint plus blanc que la marguerite des prés.
Ses yeux étaient plus bleus que le ciel d’un jour d’été.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
Ses yeux étaient plus bleus que le ciel d’un jour d’été,
Elle avait, comme les anges, les cheveux d’un blond doré.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?
Elle avait, comme les anges, les cheveux d’un blond doré,
Nulle herbe n’était couchée où elle avait marché.
Ah ! ah ! ah ! dites-moi, l’avez-vous vu passer ?