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Michel Servet, sa doctrine et sa vie/02

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Michel Servet, sa doctrine et sa vie
Revue des Deux Mondes, période initialetome 21 (p. 817-848).
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MICHEL SERVET.




DEUXIEME PARTIE.
LE PROCES ET LA MORT DE MICHEL SERVET.




I. Trechsel. — Die Protestantischen Antitrimitarier vor Faustus Socin : Erstes Buch. Michael Servet und seine Vorgaenger. — Heidelberg, 1839, in-8o.

II. De Valayre. — Fragment historique sur Michel Servet, dans les Légendes et Chroniques suisses. — Paris, 1842, in-12.
III. Rilliet de Candolle. — Relation du procès criminel intenté à Genève, en 1553, contre Michel Servet, dans les Mémoires et Documens publiés par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome III, livraison Ire, 1844.

IV. J. A. Galiffe. — Notices généalogiques sur les familles genevoises. 3 vol. in-8o. — Genève, 1831-1836.





Pour peu qu’on ait présente à l’esprit la doctrine philosophique et religieuse qui fait le fonds de la Restitution du Christianisme, on se figurera aisément les impressions que dut ressentir Calvin lorsqu’il reçut, par les mains de son ami le libraire lyonnais Jean Frellon, un des premiers exemplaires de l’ouvrage. L’audacieuse entreprise de Michel Servet le blessait profondément dans les deux parties les plus sensibles de sa nature, je veux dire dans sa foi de réformateur et dans son orgueil de théologien. Il n’avait point suffi à Servet de compromettre et de déshonorer à la face du monde le principe protestant, en le faisant servir au renversement des dogmes les plus révérés ; il prenait à partie l’auteur de l’Institution chrétienne, dont il prétendait abattre d’une main et refaire de l’autre l’œuvre tout entière. Enfin, comme pour envenimer encore la blessure, il avait annexé à son livre[1] une série de lettres à Calvin, où le réformateur de Genève était réfuté avec une hauteur magistrale. — « Tu te trompes grossièrement (lettre XIII). » - « Tu n’as pas encore bien compris en quoi consiste la vraie régénération (lettre XV). »- « J’admire, en vérité, qu’un homme d’un esprit sain, comme tu te vantes de l’être, ait cédé à de si futiles motifs (lettres VIII et XII). » -En d’autres endroits, c’est un ton de protection qui eût fait sourire un autre homme que Calvin, mais qui exaspéra cette ame irascible : « Je t’ai souvent averti que tu t’égarais en admettant cette monstrueuse distinction de trois choses divines (lettre III). » -« Puisque tu ne discernes pas bien la différence qui sépare le gentil du juif et du chrétien, je vais, en peu de mots, te la faire comprendre (lettre XIX). » - La dernière lettre se termine ainsi : « Puisse le Seigneur te donner la bonne intelligence de toutes ces choses et t’animer de l’esprit de vérité, au nom de Jésus-Christ et de Dieu le Père ! Amen. »

C’est avec ces airs de supériorité que Michel Servet osait écrire à un homme dont le nom, en Europe, balançait seul celui de Luther, et à qui les Mélanchthon, les Bucer, les Capito, avaient décerné le titre qui pouvait le plus flatter son orgueil, en l’appelant le théologien. L’irritation de Calvin fut à son comble. S’il avait eu l’ame grande, le vif sentiment de ses griefs personnels l’eût détourné de tout dessein violent, même contre un dangereux novateur. En détestant les doctrines, en poursuivant le livre, il eût craint de nuire à l’homme. Malheureusement, il faut le dire, Calvin ne portait point un cœur qui fût au niveau de son génie. Il écouta les conseils de la haine, et forma contre son ennemi un des desseins les plus perfidement atroces que la fureur théologique ait jamais inspirés.

C’est à Genève qu’on fait généralement commencer le combat des deux adversaires. Voltaire lui-même, à qui le bûcher de Servet a inspiré une indignation si éloquente, Voltaire ne paraît pas avoir connu la première partie de la lutte[2], celle où Calvin, caché dans l’ombre, avec l’arme lâche et perfide de la dénonciation, porte à son adversaire le premier coup.

Le drame, en effet, a deux actes. Il se dénoue à Genève, c’est à Vienne qu’il commence. A Genève, Servet a pu paraître l’agresseur ; à Vienne, l’agresseur, c’est évidemment Calvin. A Genève, la conduite de Calvin peut être expliquée sans trop de dommage, je ne dis pas pour la noblesse et la générosité de son caractère, mais du moins pour sa loyauté. A Vienne, elle ne souffre aucune justification. On conçoit que les écrivains qui éprouvent encore aujourd’hui pour Calvin une sympathie assez naturelle, M. Guizot en France, M. Paul Henry en Allemagne, et en Suisse M. Rilliet de Candolle, aient laissé dans l’ombre l’affaire de Vienne[3] ; mais l’histoire ne connaît pas les ménagemens des partis ; c’est cette odieuse affaire qu’elle doit d’abord éclaircir.


Parmi les réfugiés qui entouraient Calvin à Genève et formaient le cœur de son parti, il y avait un Lyonnais, nommé Guillaume Trie, qui, par zèle religieux et aussi peut-être par suite de mauvaises affaires, s’était expatrié et avait embrassé la religion réformée. Il entretenait une correspondance suivie avec un de ses parens, Antoine Arneys, établi à Lyon, catholique ardent, qui voyait avec grand déplaisir un membre de sa famille engagé dans l’hérésie, et s’efforçait de le ramener au giron de l’église. Guillaume Trie, homme simple et sans lumières, incapable de répondre aux objections qu’on lui adressait, montrait les lettres de son parent à Calvin, qui lui dictait ses réponses. La docile simplicité de Guillaume Trie et le zèle fanatique d’Arneys furent les deux instrumens dont Calvin résolut de se servir pour perdre son ennemi.

Le 26 février 1553, Trie écrivit à son parent la lettre suivante, où tout était visiblement calculé avec la plus adroite perfidie pour porter Arneys à une dénonciation[4]. Calvin[5] a nié toute participation à cette lettre flétrissante, mais sa trace y est partout empreinte, et il est incontestable aujourd’hui qu’il l’a dictée.

« Monsieur mon cousin,

« Je vous remercie bien fort de tant de belles remontrances qu’avez faictes et ne doubte point que vous n’y procediez de bonne amitié, quand vous taschez à me réduire au lieu dont je suis party. D’aultant que je ne suys homme versé aux lettres comme vous, je me deporte de satisfaire aux poincts et articles que vous m’alléguez. Tant y a qu’en la cognoissance que Dieu m’a donnée, j’auroys bien de quoy respondre… Vous m’osez reprocher entre aultres choses que nous n’avons nulle discipline ecclesiastique, ny ordre, et que ceulx qui nous enseignent ont introduit une licence pour mestre confusion par-tout ; et cependant je veois (Dieu mercy) que les vices sont mieulx corrigez de par deçà que ne sont pas en toutes vos officialitez. Et quant à la doctrine et qui concerne la religion, combien qu’il y ait plus grande liberté que entre vous, neantmoins, l’on ne souffrira pas que le nom de Dieu soit blasphémé, et que l’on seme les doctrines et mauvaises opinions que cela ne soit reprimé. Et je vous puys alleguer ung exemple qui est à votre grande confusion, puisqu’il le fault dire. C’est que l’on soutient de par de-là un heretique qui merite bien d’estre bruslé par tout où il sera… »


Cet hérétique, Trie va le nommer tout à l’heure : c’est Michel Servet. Il est déjà étrange qu’il le connaisse ; mais une chose plus étrange encore, c’est qu’il connaisse sa doctrine, c’est qu’il en raisonne en théologien, c’est qu’il cite les propres phrases de la Restitution du Christianisme :


« Car combien que nous soyons différens en beaucoup de choses, si avons nous cela commun que en une seule essence de Dieu il y a trois personnes et que le Père a engendré son Fils qui est sa sagesse éternelle devant tout temps, et qu’il a eu sa vertu éternelle qui est son Sainet-Esperit. Or, quand ung homme dira que la Ternité, laquelle nous tenons, est un cerberus et monstre d’enfer et desgorgera toutes les villenies qu’il est possible de penser contre tout ce que l’Escriture nous enseigne de la génération éternelle du Fils de Dieu, et que le Sainct-Esperit est la vertu du Père et du Fils, et se mocquera à gueulle desployée de tout ce que les anciens docteurs en ont dict, je vous prye en quel lieu et estime l’aurez-vous ?… »


Comment Trie peut-il citer des phrases d’un ouvrage qui n’est point encore dans la circulation ? Ce n’est rien encore : cet ouvrage ne portait point de nom d’auteur ni d’imprimeur. Or, Trie sait quel en est l’auteur ; il le nomme et raconte son histoire. Il connaît et désigne jusqu’au nom de l’imprimeur. Enfin, il a l’ouvrage entre ses mains, et en envoie la première feuille à son parent, comme preuve du fait et comme échantillon de la doctrine :


« L’homme dont je vous parle a esté condemné en toutes les églises lesquelles vous reprouvez. Cependant il est souffert entre vous, voire jusques à y faire imprimer ses livres, qui sont si pleins de blasphèmes, qu’il ne fault point que j’en die plus. C’est un Espagnol Portugallois nommé Michaël Servetus de son propre nom, mais il se nomme Villeneufve à présent, faisant le médecin. Il a demeuré quelque temps à Lyon, maintenant il se tient à Vienne, où le livre dont je parle a esté imprimé par un quidam qui a là dressé imprimerie, nommé Balthazard Arnoullet. Et afin que vous ne pensiez pas que j’en parle à crédit, je vous envoie la première feuille pour enseigne… »

Trie termine en feignant de s’être laissé entraîner par une pieuse indignation à s’écarter de l’objet de sa lettre :

« Je me suis quasi oublié en vous récitant cet exemple, car j’ay esté quatre fois plus loin- que je ne pensois ; mais l’énormité du cas me faict passer mesure, et voilà qui sera cause que je ne vous feray plus long propos sur les aultres matières. »

Cette lettre était accompagnée du titre, de l’index et des quatre premières feuilles de la Restitution du Christianisme. Ainsi que Calvin l’avait prévu, le fanatique Arneys n’eut rien de plus pressé que de porter le tout à l’inquisition.

Lyon avait alors pour gouverneur et pour archevêque le cardinal de Tournon, si célèbre par son zèle ardent contre les hérétiques. Pour seconder ses vues, il avait demandé à Rome un inquisiteur nommé frère Mathieu Ory, qui prenait la qualité de pénitencier du saint-siège apostolique et d’inquisiteur général au royaume de France et dans toutes les Gaules.

Averti par l’inquisiteur, le cardinal, de concert avec le vicaire-général de l’archevêque de Vienne, écrit à M. de Maugiron, lieutenant-général pour le roi en Dauphiné, qui mande aussitôt Michel Servet. Celui-ci, après s’être fait attendre plus de deux heures, qui furent sans doute employées à faire disparaître tout papier suspect, se présente d’un air fort assuré. On lui parle de certains livres suspects d’hérésie. Il répond « qu’il a souvent fréquenté avec les prescheurs et autres faisant profession de théologie, mais qu’il est prêt d’ouvrir partout son logis pour ôter toute sinistre suspicion. » On visite, en effet, tous ses papiers, sans y trouver ce qu’on cherchait.

Guillaume Gueroult et Balthazard Arnollet sont interrogés tour à tour. On visite l’imprimerie, on interroge séparément les ouvriers, on leur fait voir les feuilles de la Restitution du Christianisme, on leur demande s’ils en connaissent les caractères et quel est le nombre, la qualité et le format des livres qu’ils ont imprimés depuis dix-huit mois. Cette enquête n’ayant produit aucune découverte, il est décidé qu’il n’y a point encore d’indice qui autorise à faire aucun emprisonnement.

L’inquisiteur ne se rebute pas. Il retourne à Lyon, fait venir Arneys et lui dicte une lettre à Guillaume Trie, où celui-ci est pressé d’envoyer à Lyon le traité entier de la Restitution du Christianisme ; mais déjà Calvin, qui suivait de Genève le progrès de son dessein, se disposait à faire mieux. Qu’importait, en effet, d’envoyer le traité entier ? Servet pouvait renier le tout comme il avait fait la partie. Il fallait une pièce convaincante, irrécusable, une pièce écrite de la propre main de Servet. Or, Calvin était dépositaire de divers manuscrits de son constant contradicteur et d’une série de lettres, imprimées depuis dans la Restitution du Christianisme : livrer ces pièces à des mains catholiques, c’était livrer Servet au bourreau. Calvin n’hésita point.

Il semble que Servet eût pressenti lui-même que sa confiance en Calvin lui serait funeste. Dans une lettre inédite que nous avons lue à la bibliothèque de Genève et dont une copie est entre nos mains[6], il écrivait à Calvin : Remitte igitur scripta mea ; mais Calvin n’eut garde de se dessaisir de ce gage, et quand l’occasion préparée par lui fut venue, en homme à qui tous les moyens sont bons pourvu qu’ils soient infaillibles, il fit servir des lettres confidentielles écrites sur la foi de l’honneur à la satisfaction de sa vengeance. On ne peut lire sans un profond dégoût la seconde lettre qu’il dicta à Guillaume Trie. Jamais haine plus implacable n’a suivi des voies plus tortueuses ; jamais elle n’a paru plus laide en essayant de se déguiser sous les couleurs d’une modération hypocrite.

« Monsieur mon cousin,

« Quand je vous escripvis la lettre que vous avez communiquée à ceulx qui y estoient taxés de nonchalance, je ne pensois poinct que le chose deust venir si avant. Seulement mon intention estoit de vous remonstrer quel est le beau zele et devotion de ceulx qui se disent pilliers de l’Église, bien qu’ils souffrent tel desordre au milieu d’eulx, et cependant persecutent si durement les pauvres chrestiens qui désirent de suyvre Dieu en simplicité. Pour ce que l’exemple estoit notable et que j’en estois adverty, il me sembla que l’occasion s’offroit d’en toucher en mes lettres selon la matière que je traitois. Or, puisque vous en avez déclaré ce que j’avois entendu escripre privément à vous seul, Dieu veuille pour le mieulx que cela proufite à purger la chrestienté de telles ordures, voyre de pestes si mortelles. S’ils ont tant bon vouloir de s’y employer comme vous le dictes, il me semble que la chose n’y est pas trop difficile, encore que ne vous puisse fournir pour le present de ce que vous demandez, assavoir du livre : car je vous mettray en main plus pour le convaincre, assavoir deux douzaines de pieces escriptes de celui dont il est question, où une partie de ses heresies est contenue ; si on luy mettoit au devant le livre imprimé, il le pourroit regnyer, ce qu’il ne pourra faire de son escripture. Parquoy les gens que vous dictes ayant la chose toute prouvée, n’auront nulle excuse s’ils dissimulent plus ou différent à y pourvoir. »

Ainsi Calvin se montre plus pénétrant et plus zélé que l’inquisition elle-même. Il communique des pièces qu’on ne lui demandait pas, et cependant il feint de se les faire arracher par une sorte de violence :

« Tout le reste est bien par deçà, tant le gros livre que les aultres traités escripts de la même main de l’auteur ; mais je vous confesseray une chose, que j’aye eu grand peine à retirer ce que je vous envoye de monsieur Calvin ; non pas qu’il ne desire que tels blasphernes execrables ne soyent reprimez, mais pour ce qu’il luy semble que son debvoir est, quant à luy qui n’a poinct de glaive de justice, de convaincre plustost les heresies par doctrine, que de les poursuyvre par tel moyen ; mais je l’ay tant importuné luy remonstrant le reproche de legiereté qui m’en pourroit advenir s’il ne m’aydoit, qu’en la fin il s’est accordé à me bailler ce que verrez. Au reste j’espere bien quand le cas se demeneroit à bon escient par delà avec le tems recouvrer de luy une rame de papier ou environ, qui est ce que le galant a faict imprimer. Mais il me semble que pour ceste heure vous estes garny d’assez bon gaige et qu’il n’est jà mystère d’avoir plus pour se saisir de sa personne et luy faire son procès. »

Trie ou plutôt Calvin termine ainsi cette lettre mémorable où l’hypocrisie, le fanatisme et la haine réunis forment le plus horrible assemblage :

« Quant de ma part je prye Dieu qu’il luy plaise ouvrir les yeulx à ceulx qui discourent si mal, afin qu’ils approuvent de mieulx juger du desir duquel nous sommes meus[7]. »

Muni par Arneys de toutes ces pièces, Mathieu Ory se rendit chez le cardinal de Tournon, qui habitait alors son château de Roussillon, près Vienne. Là, le cardinal et l’archevêque de Vienne réunis, après avoir pris l’avis de leurs grands-vicaires, de l’inquisiteur et de plusieurs ecclésiastiques et docteurs en théologie, décidèrent « que Michel de Villeneufve médecin, et Balthazard Arnollet libraire, seroient pris au corps, mis et constitués prisonniers pour respondre de leur foy, charges et informations faites contre eux, » Le vibaillif fut averti, et il fut convenu que, pendant que le grand-vicaire de Vienne ferait conduire Arnollet aux prisons de l’archevêché, le vibaillif se chargerait lui-même de l’arrestation de Servet. En effet, il se rendit chez M. de Maugiron, où était Michel de Villeneufve, servant ce seigneur dans sa maladie. Il lui dit « qu’il y avoit au palais Delphinal plusieurs prisonniers malades et blessés, comme aussi à la vérité il y en avoit, et qu’il le prioit de vouloir bien venir avec lui les visiter. » A quoi M. de Villeneufve répondit « que, sans compter que sa profession de la médecine l’obligeoit à faire telles bonnes œuvres, il y estoit encore porté par son bon naturel. » Ils se rendirent donc dans les prisons royales, et, pendant que Servet faisait sa visite, le vibaillif envoya prier le grand-vicaire de le venir joindre. Dès qu’il fut arrivé, ils dirent à Servet « qu’il y avoit certaines charges et informations contre luy, qui avoient été communiquées au seigneur cardinal de Tournoie, et que présentement il étoit constitué prisonnier dans le palais Delphinal jusques il eût respondu aux dittes charges et que aultrement fût ordonné. » Ils firent ensuite appeler Me Antoine Bonin, viguier et geôlier du palais, auquel fut enjoint de le garder sûrement, et que, au surplus, il le traitât honnêtement selon sa qualité. On lui laissa son laquais, nommé Benoît Perrin, âgé de quinze ans, et qui depuis cinq ans était à son service, et ses amis eurent la liberté de le voir ce jour-là.

Mathieu Ory accourut le lendemain de Lyon pour commencer l’instruction. Ce zélé personnage pressa tellement sa monture, qu’averti le matin seulement, il se présenta devant dix heures chez l’archevêque. Servet subit trois interrogatoires consécutifs. Dans le premier, on se borna à lui présenter quelques notes marginales écrites de sa main dont on lui demanda l’interprétation. Elles étaient assez innocentes. Il tomba dans le piège, et, après quelque hésitation, reconnut son écriture et essaya d’adoucir sa pensée ; mais, le lendemain, on lui montra ses lettres à Calvin : ces pièces étaient accablantes. Servet prétendit les avoir écrites comme pur exercice de dispute théologique, et, niant toujours qu’il fût vraiment Servet, il imagina de dire qu’il avait seulement pris les opinions de cet auteur et en avait joué le personnage. Ce roman ne pouvait tromper les juges, et le geôlier reçut l’ordre de mettre Servet au secret et de le surveiller étroitement. On lui laissa pourtant le temps d’envoyer son laquais demander une somme de trois cents écus qui lui était due, et qui ne fut probablement pas inutile à son évasion.

Il y avait dans la prison un jardin avec une plate-forme qui regardait sur la cour du palais de justice. Au-dessous de la plate-forme était un toit, d’où l’on pouvait descendre au coin d’une muraille, et de là se jeter dans la cour. Quoique le jardin fût toujours soigneusement fermé, on en permettait quelquefois l’entrée à des prisonniers au-dessus du commun, soit pour se promener, soit pour d’autres nécessités. Servet y était entré la veille, et avait tout bien examiné. Le 7 d’avril, il se leva à quatre heures du matin, et demanda la clé au geôlier qui allait faire travailler à ses vignes. Ce bonhomme, le voyant en bonnet de nuit et en robe de chambre, ne soupçonna nullement qu’il fût tout habillé, ni qu’il eût son chapeau caché sous sa robe. Il lui donna la clé, et sortit quelque temps après avec ses manœuvres. Lorsque Servet les crut assez éloignés, il laissa au pied d’un arbre son bonnet de velours noir et sa robe de chambre fourrée, sauta de la terrasse sur le toit, et parvint jusque dans la cour sans se faire le moindre mal. Il gagna promptement la porte du pont du Rhône, qui n’était pas éloignée de la prison, et passa dans le Lyonnais, ainsi que le déposa une paysanne qui l’avait rencontré, mais qu’heureusement pour lui on n’interrogea que trois jours après. Plus de deux heures s’écoulèrent avant que l’on s’aperçût de son évasion. La femme du geôlier en fut avertie la première, et fit cent extravagances, qui marquaient son désespoir. Elle s’arracha les cheveux, battit ses domestiques, ses enfans, et tous les prisonniers qu’elle rencontra, et, sa colère lui faisant braver le péril, elle courut sur les toits des maisons voisines pour tâcher de découvrir le captif évadé. Le vibaillif, de son côté, donna ordre que les portes fussent fermées et gardées cette nuit prochaine et les suivantes. Après les proclamations à son de trompe, on fit des perquisitions exactes dans presque toutes les maisons, de même qu’à Sainte-Colombe. On écrivit aux magistrats de Lyon et des autres villes où l’on présuma que Servet aurait pu chercher un asile. On n’oublia pas de s’informer s’il avait de l’argent en banque, et tous ses papiers, meubles et effets furent inventoriés et mis sous la main de la justice.

L’opinion commune à Vienne fut que le vibaillif, ami intime de Servet, qui avait guéri sa fille unique d’une dangereuse maladie, favorisa l’évasion du prisonnier. Il est certain que Michel Servet s’était fait beaucoup d’amis à Vienne, qu’il y jouissait d’une grande considération par son habileté dans l’art de la médecine et par la douceur de son caractère, qu’on lui laissa dans sa prison beaucoup de liberté et des sommes considérables d’argent. Enfin, si la procédure instruite contre le geôlier le disculpa de toute complicité, il fut prouvé qu’une de ses servantes avait dit à Benoît Perrin, en présence de plusieurs personnes : « Laquais, allez dire à vostre maistre qu’il se sauve par derrière le jardin[8]. »

Après l’évasion de Servet, le procès continua. L’imprimerie clandestine d’Arnollet fut découverte ; les balles d’exemplaires de la Restitution du Christianisme, envoyées à Pierre Merrin, à Lyon, furent saisies ; enfin le vibaillif prononça sa sentence conformément aux conclusions du procureur du roi. Elle condamnait Michel Servet en la somme de mille livres tournois envers le roy daulphin,

« Et a estre incontinent qu’il sera aprehendé, conduit sur ung tombereau avecque ses livres à jour prochain de marché de la porte du pallaix delphinal par les carefours et lieux accoustumés jusques au lieu de la hasle de la présente cité, et subséquemment en la place appelée le Charnève, et illec estre brûlé tout vif à petit feu, tellement que son corps soit mis en cendre. Et cependant sera la présente sentence exécutée en effigie avecques laquelle seront les dits livres bruslés. »


A partir du 7 avril, jour de l’évasion de Servet, l’histoire perd sa trace pendant plus de trois mois. Isolé dans un pays étranger, condamné à mort, où cet infortuné trouva-t-il un asile ? C’était la triste suite de sa position exceptionnelle, de l’audace et de la singularité de ses opinions, qu’il ne pût s’appuyer sur aucun parti, avoir des amis et des défenseurs sur aucune terre européenne. Également odieux aux protestans et aux catholiques, l’Espagne et l’Allemagne lui étaient fermées. Comment sortir de France ? Il paraît qu’il s’arrêta au projet de gagner l’Italie, où ses idées avaient une certaine faveur, où peut-être il avait noué des relations, et d’aller s’établir dans le royaume de Naples, placé alors sous la domination espagnole ; là, grace à son art de médecin, il aurait trouvé, parmi ceux de sa nation, une clientelle assurée[9]. Deux routes étaient devant lui, celle de la Suisse et celle du Piémont. Il eut le malheur de se décider pour la première. Pourquoi la choisit-il ? On ne peut le dire avec certitude. Peut-être n’eut-il d’autre motif, sinon que cette route était la plus prochaine et le dérobait plus promptement à la terrible sentence qui était suspendue sur sa vie. Le 16 juillet, il arrive à pied au petit village de Leluysed, où il passe la nuit ; le lendemain, il loue un cheval à Salenone, arrive à Genève, descend à l’hôtellerie de la Rose, et demande, à ce qu’il paraît, qu’on lui procure un bateau pour traverser le lac et gagner Zurich. Cependant son séjour se prolonge pendant près d’un mois, et le 13 août, sur la dénonciation de Calvin, il est arrêté.

Comment expliquer ces vingt-sept jours passés à Genève ? est-ce un hasard fatal ou une aveugle imprudence, ou des desseins hostiles qui retinrent Servet ? venait-il combattre Calvin dans sa capitale même et se liguer avec ses ennemis ? En dénonçant une seconde fois Servet, Calvin fut-il une seconde fois l’agresseur, ou se borna-t-il à prévenir une attaque certaine par une offensive hardie ? Long-temps obscures, ces questions, sans avoir cessé entièrement de l’être à quelques égards, ont reçu de la critique et du temps des éclaircissemens considérables ; mais, pour les résoudre, il faut d’abord se rendre un compte exact de l’état politique et religieux où était Genève au moment où Servet y mit le pied.

Deux partis étaient en lutte ouverte : d’un côté, Calvin, autour duquel se groupaient les ministres et les réfugiés ; de l’autre, ceux qu’on appelait les libertins ; à leur tête, le capitaine-général Amied Perrin, le fils de l’héroïque Berthelier, et d’autres citoyens considérables de Genève. Le premier de ces partis dominait dans le consistoire, le second dans les conseils[10]. Chacun d’eux invoquait des sentimens puissans et s’appuyait sur de graves intérêts. La réforme à maintenir, les mœurs à purifier, telle était la mission où Calvin puisait sa force. À ces puissans ressorts de la religion et de la vertu, les adversaires de Calvin opposaient ceux de la liberté et de la patrie.

Il faut rappeler ici qu’en 1532, lorsque Farel vint prêcher la réforme à Genève, plusieurs causes concoururent au succès de cette audacieuse prédication. La première fut sans doute cette cause générale qui agissait alors sur toute l’Europe, et conviait tous les esprits à une révolution religieuse. La même force, secrète et irrésistible, qui arma Luther à Wittenberg et à Worms, qui soutint Zwingle à Zurich, OEcolampade à Strasbourg, Bucer à Bâle, fit triompher à Genève trois pauvres missionnaires, Farel, Viret et Froment. Mais, indépendamment de cette première cause, générale et européenne, il y en eut une autre, locale et genevoise pour ainsi dire, qui ne servit pas d’une manière peu efficace l’entreprise des réformateurs : c’est qu’en rompant avec le catholicisme, Genève coupait le dernier lien qui la rattachait à la domination savoyarde ; par là même, elle resserrait son alliance avec Berne et les autres cantons suisses, et ainsi fortifiait et consacrait irrévocablement son émancipation politique. Voilà le sérieux intérêt qui séduisit à la réforme les citoyens les plus notables de Genève ; leurs motifs furent politiques plus que religieux. Comme le dit fort bien un Genevois contemporain, ils étaient plus dévots à la patrie qu’à l’Évangile[11].

En acceptant la réforme, les patriotes genevois n’en avaient pas adopté l’esprit ni prévu les suites, plusieurs même espéraient y gagner une liberté plus grande dans les opinions et les mœurs ; mais quand ils virent se développer l’esprit nouveau, quand surtout à Farel, Viret et Froment vint se joindre, en 1536, l’austère et inflexible Calvin, cette religion sombre, qui tenait la créature dans une dépendance et un tremblement continuels, ce culte sévère, impérieux dans ses prescriptions, autant que simple dans ses cérémonies, cette morale presque farouche qui faisait du luxe un crime et de la joie un outrage à Dieu, ces règlemens minutieux sur les mœurs et les costumes, cette inquisition dont l’exil inquiet et vigilant pénétrait jusqu’au foyer domestique ; toutes ces mesures qu’amenait l’une après l’autre l’esprit intérieur du calvinisme soulevèrent une vive opposition. Chaque jour, l’influence politique, le gouvernement et l’administration elle-même passaient des mains des laïques en celles des ministres. L’état devenait une théocratie, et les citoyens de Genève n’étaient plus que les sujets d’un petit nombre de ministres, sujets eux-mêmes de Calvin, lequel, appuyé au dehors sur ce bataillon chaque jour plus nombreux de réfugiés accourus de France autour d’un Français, dominait les trois conseils du sein du consistoire et paraissait à la fois le roi et le pontife souverain de la cité[12].

Un parti puissant se forma, appuyé sur l’esprit de localité et sur l’esprit de liberté, conduit par les patriotes les plus illustres de Genève, fort des récens et glorieux souvenirs de la lutte contre la maison de Savoie. Ce parti fut assez fort pour emporter, en 1538, l’exil de Calvin et de Farel ; mais, au bout de deux ans, la force des choses ramena dans Genève protestante le législateur du protestantisme, et Calvin profita de ce retour triomphal pour accomplir l’établissement définitif de ses réformes religieuses, politiques et administratives.

La lutte recommença bientôt avec un redoublement de violence. Calvin entreprit de déconcerter ses adversaires par l’audace, la promptitude et la vigueur de ses coups. Amied Perrin se déclare contre lui : il fait citer sa femme devant le consistoire comme menant une vie scandaleuse. Le conseiller Pierre Ameaux se permet de qualifier Calvin de très méchant homme : il est condamné à faire amende honorable la torche au poing. François Favre refuse d’être capitaine des arquebusiers, s’il doit y avoir des Français dans sa compagnie : Calvin le fait jeter en prison. Les libertins d’esprit sont plus cruellement traités encore que les libertins politiques. Bolsec est exilé pour avoir défendu le libre arbitre. Pierre Gruet, pour avoir affiché à Saint-Pierre un écrit dans lequel il attaquait les censures du consistoire, est mis à la torture et condamné, pour crime d’irréligion, à avoir la tête tranchée.

Ainsi le sang de Gruet fumait encore à Genève, quand Servet commit la fatale imprudence de s’y arrêter. D’un autre côté, l’opposition contre Calvin était arrivée à son plus haut degré d’énergie, et le parti des libertins venait de remporter contre lui trois avantages notables. D’abord le conseil des deux cents et le conseil-général avaient exclu du petit conseil un certain nombre de partisans dévoués de Calvin pour y substituer plusieurs de ses plus ardens adversaires. Une seconde victoire, c’était l’ordre de désarmer les étrangers, qui étaient le bras du parti calviniste. Enfin il avait été interdit aux ministres de siéger comme les autres citoyens dans le conseil-général. A toutes ces mesures, où éclate l’opposition de l’esprit laïque contre l’esprit ecclésiastique, et de l’esprit local contre l’influence française, ajoutez qu’au moment même où s’engagea l’affaire de Servet, le consistoire ayant fait défense à Berthelier de se présenter à la cène, on demandait avec instance que ce droit d’interdiction passât du consistoire au petit conseil[13].

Calvin était exaspéré. Il écrivait à cette époque à un de ses amis « Depuis quatre ans, les méchans ont tout fait pour amener peu à peu le renversement de cette église, déjà bien imparfaite. Dès l’origine, j’ai pénétré leurs trames ; mais Dieu a voulu nous punir, ne pouvant nous corriger. Voici deux ans que notre vie se passe comme si nous étions au milieu des ennemis déclarés de l’Évangile. »


Ce fut au milieu de cette crise que Servet entra dans Genève. Si l’on en croit ses apologistes, il n’avait nulle intention d’y séjourner. Voltaire dit même[14], sans autre autorité, je crois, que sa vive imagination, que Calvin le fit arrêter au moment où il quittait l’hôtellerie de la Rose pour s’embarquer sur le lac. Également féconds en suppositions arbitraires, les apologistes de Calvin ont soutenu que Servet venait s’unir au parti des libertins pour faire avec eux la guerre à l’ennemi commun. C’est cette thèse qu’un écrivain genevois, M. Rilliet de Candolle, s’est efforcé récemment d’étayer de toutes les ressources d’une adroite érudition, habile à l’industrieux rapprochement des faits et aux inductions spécieuses.

Essayons de démêler la vérité au milieu de ces assertions et de ces conjectures contradictoires. Ce qui est certain, c’est que Servet n’est point venu à Genève avec le dessein de s’y établir. La première preuve que j’en donnerai, c’est sa déclaration expresse et réitérée qui, dans le cours du procès, ne fut en rien démentie, et aux termes de laquelle il se tenoit depuis quelques jours caché à Genève tant qu’il pouvoit, afin de s’en pouvoir aller sans estre cogneu. Il avoit déjà parlé à l’hoste et à l’hostesse pour trouver une barque pour aller tant hault par le lac qu’il pourroit, pour trouver le chemin de Zurich. Une seconde preuve, tout-à-fait décisive, c’est que Calvin, si visiblement intéressé à présenter l’arrivée de Servet à Genève comme un défi et un commencement d’hostilités, Calvin, qui accusa tout haut les libertins d’avoir défendu Servet pendant son procès, Calvin n’a jamais reproché à celui-ci d’être venu à Genève dans le dessein de le combattre. « Il fut conduit à Genève, dit-il, par sa mauvaise étoile, malis auspiciis appulsum[15]. » Et ailleurs : « Peut-être qu’il n’avait pas d’autres desseins que de passer par cette ville, car on ne sait pas encore pourquoi il y est venu ; il y a été reconnu, et j’ai cru qu’on devait l’arrêter[16]. » Voilà des paroles qui font crouler tout l’échafaudage ingénieux de M. Rilliet de Candolle.

Toutefois, s’il est certain que Servet, en mettant le pied dans. Genève, ne voulait que la traverser pour gagner l’Italie, on peut conjecturer avec quelque vraisemblance qu’une fois arrivé, trouvant autour de lui une violente opposition contre Calvin, il se complut dans cette atmosphère favorable et put même caresser l’espoir de réaliser enfin un projet long-temps poursuivi, celui d’engager avec Calvin une controverse publique où il pût montrer au grand jour et faire triompher son système. Un des traits les plus saillans du caractère de Servet, c’était l’ardeur des controverses. A Bâle, il avait provoqué OEcolampade, à Strasbourg, Bucer et Capito. Nous l’avons vu, à Paris, défier Calvin et lui adresser un cartel théologique. Cette occasion manquée, il ne cessa d’en chercher de nouvelles. A Lyon, à Charlieu, à Vienne, sa pensée s’échappait en quelque sorte pour habiter Genève, et on sait qu’il avait engagé avec Calvin, par l’intermédiaire du libraire lyonnais Frellon, une controverse suivie. Quand le réformateur genevois, lassé et irrité tout ensemble, rompit toute correspondance, Servet s’adressa tour à tour à Viret et à un autre collègue de Calvin nommé Abel Poupin. Nous avons lu aux archives de Genève une lettre qu’il écrivait à ce dernier et qui est restée annexée aux pièces du procès. Chose étrange ! Servet y pressent que son zèle pour la polémique lui sera fatal, et, parlant de sa mort comme d’un martyre, il la prophétise à un de ceux qui devaient y concourir. « Je sais, dit-il, je sais comme une chose certaine que je suis destiné à mourir pour confesser la vérité ; mais mon ame ne perd point courage, et je veux être en tout un disciple digne du divin maître[17]. » - Il semble, en vérité, qu’une fatalité mystérieuse et irrésistible poussât l’infortuné jusqu’au bord de l’abîme. Non content de combattre Calvin par lettres et par livres, il voulait voir en face son adversaire et brûlait d’aller à Genève engager le combat. Il fit demander à Calvin une sorte de sauf-conduit : celui-ci ne répondit qu’en écrivant ces paroles cruellement prophétiques, ces paroles sanglantes dont l’authenticité, long-temps contestée, est aujourd’hui parfaitement établie : « Servet désire venir à Genève sur mon appel et sur ma foi. Je ne lui engagerai point ma parole ; car, s’il met le pied à Genève, ou mon autorité est bien peu de chose, ou il n’en sortira pas vivant[18]. »

C’est en février 1546 que Calvin écrivait ces lignes. Lors donc qu’en août 1553 Servet arriva à Genève, on peut dire que depuis sept ans le parti de Calvin était pris. Rien d’ailleurs dans la situation présente n’était fait pour l’en détourner ; la politique et la haine lui conseillaient la même conduite. Engager la lutte avec ses adversaires sur une question religieuse, c’était un véritable coup de maître. Calvin prévoyait que les libertins ne résisteraient pas au plaisir de défendre contre lui un homme qui se portait son adversaire : personnage savant d’ailleurs, célèbre, persécuté par les catholiques, et dont les doctrines reposaient sur une métaphysique trop subtile pour que des hommes étrangers à la théologie en pussent démêler aisément le vrai caractère et les conséquences. L’affaire une fois engagée, Calvin, dans le domaine de la pure théologie, se sentait fort, non-seulement de l’ignorance de ses adversaires politiques, mais de la supériorité que lui donnait sur la métaphysique obscure, raffinée, téméraire, de Michel Servet, son sens ferme et droit, son érudition exacte, son christianisme simple, logique et précis. Sûr d’avoir raison et de triompher, du même coup il en finissait avec un adversaire mortellement odieux, et il forçait ses ennemis politiques ou à rompre avec leur parti pour s’unir à lui contre un impie, ce qui jetait la division dans leur camp, ou à prendre en main la cause d’un hérétique, ce qui les déshonorait aux yeux de tous les croyans. Ainsi Calvin mettait les intérêts de sa politique et de sa haine sous la protection des intérêts sacrés de la foi[19].

D’ailleurs, il est juste de le dire, Calvin ne croyait pas qu’on pût rien faire de plus légitime et de plus utile que d’étouffer une voix hérétique, et son sentiment sur ce point était celui de tous les hommes du XVIe siècle, particulièrement des principaux réformateurs. C’est sans doute une contradiction sur laquelle on ne peut trop insister, de voir des bout des hommes qu’on eût brûlés à Rome comme hérétiques s’arroger à Genève le droit de punir de mort l’hérésie ; mais cette contradiction même prouve la parfaite bonne foi des réformés. Conduits au bûcher pour crime d’impiété, ils protestaient contre la fausse application du droit, mais ils ne contestaient pas le droit lui-même. Ils mettaient d’ailleurs une sorte d’horrible émulation à poursuivre l’hérésie avec autant de zèle et à la frapper avec autant de rigueur que les catholiques ; c’était pour eux, c’était surtout pour Calvin une affaire d’honneur. On accusait le législateur de la réforme de détruire le principe de l’autorité religieuse : il mettait sa gloire à faire voir au monde que ce principe entre ses mains n’était point affaibli. Tout concourait donc à disposer Calvin aux plus violentes résolutions, la vengeance, le fanatisme, la politique ; ajoutez enfin qu’il s’était déjà trop avancé pour reculer. Logicien dans sa haine comme en toute chose, il ne pouvait épargner à Genève celui qu’à Vienne il avait dénoncé.

Sa résolution arrêtée, Calvin marcha à son but avec une vigueur, une suite et une résolution indomptables. Laissant la ruse, les ménagemens, et tout ce cortége de moyens détournés et de précautions hypocrites qu’il avait employés à Vienne, il leva le masque et combattit à visage découvert. C’est lui qui dénonce Servet aux syndics et le fait arrêter ; c’est son secrétaire qui se porte partie civile et à qui il dicte en trente-huit articles l’acte d’accusation de Servet ; c’est son propre frère qui donne caution pour l’accusateur. Dès les premiers interrogatoires, Calvin paraît en personne et conduit le débat. Pendant le procès, il prêche contre Servet prisonnier. Quand on consulte les églises suisses, il écrit à ses amis et use de toute son influence pour provoquer les conseils les plus rigoureux. Enfin il ne s’arrête qu’après avoir obtenu contre son adversaire une sentence de mort.

Servet, de son côté, résolut de combattre avec énergie. Si, dès les premiers jours, il eût consenti à s’humilier, avoué ses erreurs, abandonné ses doctrines ou essayé de les atténuer, il est très probable qu’il eût sauvé sa vie. Comme Bolsec en 1551, comme plus tard Gentilis, il en eût été quitte pour une rétractation et l’exil ; mais fier, opiniâtre et brave comme un véritable Espagnol, sincère d’ailleurs avant tout et pleinement convaincu de la vérité de ses systèmes, se sentant peut-être aussi soutenu par une opposition puissante, il accepta la lutte, prit même l’offensive et accusa Calvin de l’avoir dénoncé à l’inquisition catholique. Non content de maintenir ses doctrines, il attaqua avec violence celles de Calvin, qui étaient celles de Genève ; il alla jusqu’à demander la vie de son adversaire en offrant la sienne pour enjeu ; il fit tout en un mot pour exaspérer et pousser à bout un homme qui n’eût point été déjà décidé à se porter jusqu’aux dernières extrémités.

La défaite de Servet était certaine. Au point de vue théologique, le seul où on pût se placer, Calvin avait raison sur tous les points essentiels. Examinez à fond les trente-huit articles de la plainte qui servit de base au procès[20], vous voyez se détacher dans cette foule de chefs d’accusation trois inculpations formidables que Calvin, sous vingt formes différentes, lançait à son ennemi :

Je vous accuse de nier la Trinité ;
Je vous accuse de nier la divinité de Jésus-Christ ;
Je vous accuse d’être panthéiste.

Sur ces trois points, Calvin avait raison, et il résumait le fond du système. Sur d’autres articles, notamment sur l’immortalité de l’ame, qu’on reprochait à Servet de nier absolument, l’accusé pouvait répondre ; mais qu’importaient quelques exagérations de détail quand le fond de l’accusation était absolument irrécusable ? Le procès cependant dura trois mois, et l’issue, plus d’une fois, put en paraître douteuse. Suivons rapidement la marche des faits.


Le 13 août 1553, Servet est arrêté. Où et comment ? on ne sait. Des légendes populaires ne sont pas des témoignages historiques. Est-il vrai qu’il ait cédé à la curiosité d’assister à une prédication genevoise, et qu’avant le début du prêche il ait été reconnu et dénoncé ? Cela est peu probable ; mais ce qui est très certain, c’est qu’il fut découvert par les espions de Calvin et que Calvin lui-même requit son emprisonnement de l’un des syndics. Nous le savons par son propre aveu. « C’est sur ma demande, écrit-il à Sulzer, qu’un des syndics le fit conduire en prison, cet homme que sa mauvaise étoile amenait à Genève, et je ne dissimule pas que j’ai cru de mon devoir de faire tout ce qui était en ma puissance pour que cet hérétique obstiné et indomptable fût hors d’état de répandre ses poisons[21]. »

Il ne suffisait pas de faire arrêter Servet ; il fallait, selon les lois de Genève, trouver un homme qui se portât partie criminelle contre l’accusé et qui consentît non seulement à se constituer prisonnier, mais à risquer, en cas d’acquittement, de subir la peine qu’eût méritée le coupable, c’est-à-dire ici la mort. Plusieurs penseront peut-être qu’il eût été noble à Calvin de jouer sa vie contre celle de Servet ; mais ce serait oublier qu’il ne pouvait convenir au chef de la réforme genevoise de traiter avec un homme qu’il poursuivait comme hérétique sur le pied de l’égalité. Écoutons Calvin s’expliquer lui-même : « Que les malveuillans ou mesdisans iargonnent contre moy tout ce qu’ils voudront, si est-ce que ie déclare franchement… que pour faire venir un tel homme à raison, ie fis qu’il se trouva partie pour l’accuser[22]. »

Cet homme fut son propre secrétaire, Nicolas de La Fontaine, qu’il appelle nettement un homme à lui, Nicolaus meus[23]. Au surplus, Calvin n’avait aucun doute sur l’issue du procès : « J’espère, écrivait-il à son ami Farel dès le 20 août, que la peine sera capitale[24]. »

Le lendemain de l’arrestation, le seigneur lieutenant Pierre Tissot se rendit à l’évêché où Servet et La Fontaine étaient emprisonnés et interrogea l’accusé. La base de cet interrogatoire et de tout le procès, ce fut une plainte évidemment dictée par Calvin à son secrétaire et où la vie et la doctrine de Servet se résumaient en trente-huit articles qui formaient autant de chefs d’accusation d’une précision et en général d’une exactitude accablantes. Les réponses de Servet furent consignées sur un procès-verbal, après quoi « le dict de La Fontaine et le dict Servet ont été remis à Jehan Grasset, serviteur de carcerier, à peine de sa vie, comme criminels. Et a déclairé le dict Servet qu’il a remys au dict Grasset nonante sept escus soleil, item une chesne dor poilant environ vingt escus, item six anneaux dor. » Cet argent et ces bijoux, qui se composaient d’une « grande torquoisse, un saphyr blanche, une table de dyamant, un rubys, une grande emyraude du Perruz, ung anneaulx de cornaline à caicheter[25] » furent, non pas volés, comme le conte Voltaire[26] mais déposés entre les mains de Pierre Tissot, qui en rendit à la seigneurie un compte exact quand le procès fut terminé.

Le 15 août, Servet comparaît devant le petit conseil. Interrogé de nouveau sur chacun des trente-huit articles, il reproduit ses réponses elles sont remarquables de franchise et d’habileté. Il ne dissimule rien, ne rétracte rien ; mais il présente ses opinions sous le jour le plus spécieux, glisse sur les questions théologiques, et s’applique à montrer en lui un savant paisible, un homme d’étude et de cabinet, objet de la haine personnelle de Calvin. Il accuse hautement le réformateur de l’avoir dénoncé à Vienne, « tellement qu’il n’a tenu audict Calvin qu’il nayt été bruslé tout vifz[27]. »

Bien que ce système de défense fût habilement approprié à une assemblée plus politique que théologienne, et où Calvin avait beaucoup d’ennemis, le conseil jugea l’accusation assez fondée pour ordonner la mise en liberté de La Fontaine sur caution. Nous avons dit que cette caution fut fournie par le propre frère du réformateur, Antoine Calvin,

On peut conjecturer que l’accusation qui parut la plus grave au conseil fut celle qui passerait aujourd’hui pour la plus légère, je veux dire l’accusation relative au baptême des petits enfans. Servet se trouvait malheureusement d’accord sur ce point avec les anabaptistes, secte détestée qui avait failli perdre le protestantisme en l’égarant des questions religieuses aux questions sociales, en niant avec l’autorité de l’église celle du magistrat et avec le baptême la propriété. C’était une bonne fortune pour Calvin, que de signaler un trait d’analogie entre son adversaire et des sectaires factieux. Servet ne sut pas ou plutôt ne voulut pas éviter l’écueil. Sommé de répondre s’il a enseigné « que le baptesme des petis enffans est une invention diabolique, une faulseté infernalle pour destruire toute la chrestienté, — confesse avoir dict et escript tout le dict interrogat[28]. »

Le lendemain, 16 août, l’audience du conseil est reprise, et nous y voyons paraître pour la première fois deux personnages importans, Colladon et Berthelier ; Colladon, le bras droit de Calvin, comme lui réfugié et Français, comme lui jurisconsulte, et comme lui aussi fanatique et sans pitié. Il prend place au sein de l’assemblée en qualité de parlier ou avocat de La Fontaine. Berthelier préside le conseil. Le parti des libertins et des patriotes, dont il est avec Amied Perrin le plus illustre chef, est en face du parti des réfugiés et des vrais calvinistes, personnifié dans Colladon. Il paraît que Berthelier ne cacha pas son intention de servir d’appui à l’accusé. Aussi, à la séance suivante (17 août), Calvin se présente et vient combattre de sa personne, escorté d’un certain nombre de ministres.

On ne saurait donner aujourd’hui une juste idée de ces étranges débats où les passions les plus ardentes se recouvrent, pour ainsi dire, d’une croûte épaisse de pédantesque érudition, où la théologie la plus raffinée fournit seule les armes dont les deux adversaires cherchent à se frapper mortellement. A des inculpations sérieuses se mêlent d’atroces chicanes. Ainsi, Colladon et Calvin ne rougissaient pas d’imputer à Servet, comme un crime, une phrase de la géographie de Ptolémée, éditée par ses soins, où la Terre-Sainte est représentée comme une contrée stérile, à l’encontre du récit de Moïse, qui en vante la fertilité. C’est là, disaient à Servet ses accusateurs, le discours d’un athée. — « Oncq n’ai fait que translater, répondait l’accusé, c’est Ptolémée qui est athéiste. » Sur quoi Calvin, prenant la parole : « Je fus bien aise, dit-il, de clore la bouche à ce mécréant, et je lui demandai pourquoi alors il avait signé le travail d’un autre. Tant y a que ce villain chien, estant ainsi abattu par si vives raisons, ne put que torcher son museau en disant Passons outre, il n’y a point là de mal[29]. »

Calvin raconte un autre incident de la discussion, où, comme on pense bien, tout l’avantage est de son côté. Il s’agissait de savoir si les pères antérieurs au concile de Nicée, notamment saint Justin, avaient reconnu explicitement la Trinité. Servet soutenait la négative, et non sans raison. Calvin, à l’appui de la thèse contraire, apporte un passage de l’écrivain grec :

« Or, nous dit-il, cest habile homme de Servet, qui se glorifiait partout d’avoir le don des langues, sent presque aussi bien lire en grec qu’un enfant qui serait à l’a, b, c. Se voyant prins au trébuschet avec grande confusion, demanda en colère la translation latine.- Je respondi qu’il n’en y avoit point, et que lamais homme n’en avoit imprimé. Sur quoy je prins occasion de lui reprocher son impudence. — Que veut dire cecy ? Le livre n’a point esté translaté en latin et tu ne sais lire en grec ? Néantmoins tu fais semblant d’avoir familièrement conversé en la lecture de Iustin. Je te prie, d’où te viennent ces tesmoignages que tu produis si franchement comme si tu avois l’autheur en ta manche ? — Luy, avec son front d’airain selon sa coustume, sauta du, coq à l’asne et ne donna le moindre signe du monde d’estre touché de vergongne[30]. »

Si ce récit n’est pas entièrement véridique, il est très propre du moins à peindre cette espèce de pédanterie féroce qui fit le caractère de tout le débat. Une discussion plus sérieuse s’engagea sur l’article du panthéisme. Servet, à qui son adversaire reprochait de ne pas séparer Dieu du monde, essaya de se tirer d’affaire, comme tant d’autres l’ont fait et le font encore après lui, en disant qu’il reconnaissait entre Dieu et le monde une distinction formelle et un intermédiaire nécessaire, savoir, les idées[31] ; mais, vivement pressé par Calvin, emporté d’ailleurs par sa conviction, il s’écria que toutes choses, même le pavé que nos pieds foulent, sont de la propre substance de Dieu.

Le résultat de la séance du 16 août fut de mauvais augure pour Servet : le conseil décida que Nicolas et sa caution étaient libérés de toute responsabilité. Servet cependant ne perd point courage. Averti par l’effet terrible qu’a produit contre lui le soupçon d’anabaptisme, il voit où est le péril, et essaie de le conjurer. Dès le lendemain, il adresse au conseil une requête où il représente avec force qu’il n’est point un séditieux, mais un savant paisible ; qu’une opinion n’est pas un crime ; « que c’est une novelle invention ignorée des apostres et disciples, et de l’église ancienne, de faire partie criminelle pour la doctrine de l’Écriture, ou pour questions procédantes d’icelle. » S’il s’est trompé, qu’on le bannisse, comme on faisait autrefois les hérétiques. « En oultre que les anabaptistes séditieux contre les magistrats, et qui voliont faire les choses communes, il les a toujours reprouvés et reprouve. » Enfin, « pour ce qu’il est estranger, et ne suit les costumes de ce pays, ni comme il fault parler et procéder en jugement, vous supplie humblement luy doner un procureur, lequiel parle pour luy. Ce fesant farés bien, et nostre Seigneur prospérera vostre république. »

Le conseil fut sourd à cette requête, pourtant si légitime. Le procureur-général Rigot, qu’on croit avoir été un des partisans déclarés de Calvin, motiva par les raisons les plus cruellement futiles un refus qui était un véritable déni de justice. « Veu qu’il sait si bien mentir, n’y a raison à ce qu’il demande ung procureur. Car qui est celuy qui luy peust ou voullust assister en telles impudentes menteries et horribles propos ? Joinct aussi qu’il est deffendu par le droict, et ne fut jamais veu, que tels séducteurs parlassent par interposition de procureur. Et davantage, n’y a ung seul grain d’apparence d’innocence qui requiere ung procureur. Parquoy doibt sur le champ estre débouté de telle requeste tant inepte et impertinente, et respondre pertinemment sur les articles suyvantz. » Ces nouveaux articles donnèrent lieu, du 23 août au 1er septembre, à une nouvelle série d’interrogatoires, où non-seulement la doctrine de Servet, mais sa vie et sa personne, devinrent l’objet de l’inquisition la plus soupçonneuse et la plus minutieusement sévère. On en jugera par les extraits suivans :


« Dix-huitième interrogat. — S’il a esté marié et s’il respond que non, sera interrogé, veu son âge, comment il s’est peu tant longuement contenir de se marier.

«  Respond Servetus : Que non jamais, et que c’est pour ce qu’il ne se sentoit pas potent, quum ex una parte ablatus, ex altera ruptus esset.

« Dix-neuvième interrogat. — Attendu qu’il se trouvera qu’il a mené vie dissolue, et qu’il n’a heu zèle ny cure de vivre chastement et en vray chrestien, qui c’est qui l’a meu et incité à traicter tant avant des choses principales et fondement de la religion chrestienne.

« Respond Servetus : Qu’il a esté estudiant de saincte Escriture, ayant zèle de vérité et pense avoir vescu comme ung chrestien.

« — En jouant avec l’hôtesse de la Rose, vous avez dit qu’il y avoit assez de femmes sans se marier. — Vrayment, dit Servet, j’ai tenu ce propos et gaudissois pour donner à entendre quod impotens non eram, car je n’avois que faire de le laisser savoir. »


Ces nouveaux interrogatoires n’ayant donné aucun résultat décisif, il fut résolu que la discussion théologique serait reprise, mais cette fois par écrit, et que les pièces en seraient mises sous les yeux des églises suisses, à qui Servet en avait appelé.

Ce débat remplit presque tout le mois de septembre. Cependant la lutte du parti des libertins contre Calvin était arrivée au dernier degré de violence. Il semble que Servet, quoique séparé de l’extérieur avec une sévérité rigoureuse, au point qu’on avait fait murer les fenêtres de sa prison[32] ; il semble, dis-je, qu’il ait entendu un écho de cet orage, quand on le voit adresser à ses juges une série de lettres où à un tableau déchirant de ses souffrances se joignent des paroles de colère et presque de rage contre son ennemi :


« Mes très-honorés seigneurs,

« Je vous supplie très-humblement que vous plaise abréger ces grandes dilations, ou me mettre hors de la criminalité. Vous voyès que Calvin est au bout de son roulle, ne sachant ce que doyt dire, et pour son plaisir me voult icy faire pourrir en la prison. Les poulx me mangent tout vif, mes chausses sont descirées et n’ay de quoy changer, ni perpoint, ni chemise, que une méchante…

« Messeigneurs, je vous avoys aussi demandé un procureur ou advocat, comme aviés permis à ma partie, laquiele n’en avoyt si à faire que moy, que je suis estrangier, ignorant les costumes de ce pays. Toutefois vous l’avez permis à luy, pas à moy, et l’avès mis hors de prison davant de cognoistre. Je vous requier que ma cause soyt mise au conseil de deux-cents aveque mes requestes ; et si j’en puis appeler là, j’en appelle, protestant de tous despans, dommages et intérès, et de poena talionis, tant contre le premier accusateur que contre Calvin, son maistre, que a prins la cause à soy.

« Faict en vos prisons de Genève, le 15 septembre 1553.

« Michel Servetus,

« En sa cause propre. »


Ne recevant ni réponse, ni soulagement, Servet redouble ces plaintes déchirantes et ces violentes récriminations :

« Très honorés seigneurs[33],

« Je suys détenu en accusation criminelle de la part de Jehan Calvin, le quiel ma faulsamant accusé, disant, que javes escript

«  Que les ames estiont mortelles. Et aussi

«  Que Jesu Christ navoyt prins de la Vierge Maria que la quatriesme partie de son corps.

« Ce sont choses horribles et exécrables. En toutes les aultres hérésies et en tous les aultres crimes, nen a poynt si grand que de faire lame mortelle. Car a tous les aultres il y a sperance de salut, et non poynt a cestui cy. Qui dict cela, ne croyt poynt qu’il y aye Dieu, ni iustice, ni résurrection, ni Jesu Christ, ni sainte escripture, ni rien : sinon que tout e mort, et que home et beste soyt tout un. Si javes dict cela, non seulement dict, mays escript publicamant, pour enfecir le monde, je me condêntres moy mesme a mort.

« Pour quoy, messeigneurs, je demande que mon faulx accusateur soyt puni poena talionis, et que soyt detenu prisonnier comme moy, jusques a ce que la cause soyt diffinie pour mort de luy ou de moy, ou aultre poine. Et pour ce faire je me inscris contre luy a la dicte peine de talion. Et suys content de morir, si non est convencu, tant de cecy, que d’autres choses, que je lui mettre dessus. Je vous demande iustice, messeigneurs. Justice, iustice, iustice.

« Fait en vous prisons de Geneve, le 22 de septembre 1553.

« Michel Servetus,

« En sa cause propre. »


Les cruelles souffrances de Servet avaient exaspéré son ame et troublé son esprit. Quand vint la réfutation écrite de Calvin, au lieu d’y répondre, il se borna à couvrir les marges du manuscrit et les intervalles des lignes d’invectives redoublées : « Tu en as menti. — Tu rêves. — Tu extravagues. — Tu m’imposes ceci impudemment. — Méchant brouillon ! O l’impudent ! O Simon le magicien ensorcelé ! Tu en as mentit tu en as menti ! » A la fin de cette pièce étrange, au-dessous des noms des treize ministres qui avaient signé avec Calvin, on lit ces lignes fières et courageuses : « Michel Servetus signe seul, mais il a dans le Christ un protecteur assuré[34]. »

Il est évident qu’en renonçant à répondre, en ne repoussant une réfutation précise, régulière, que par des injures et des démentis, Servet courait à sa perte. Comptait-il obtenir, au prix de ces violences, la protection du parti libertin ? Était-il informé de la situation critique de Calvin ? Recevait-il d’Amied Perrin et de Berthelier des avertissemens et des conseils par l’intermédiaire du geôlier ou soudan de la prison, Claude de Genève, qui, à ce qu’il paraît, était de leur parti ? Ce sont là des conjectures que d’habiles rapprochemens peuvent rendre assez spécieuses[35] ; mais si un parti puissant encourageait Servet, si le geôlier s’intéressait à lui, pourquoi faisait-on murer les fenêtres de sa prison ? pourquoi le laissait-on dans un si cruel dénûmnent, sans linge, sans secours et presque sans vêtemens ? Était-ce le moyen de soutenir son courage ? Ce qui prouve du moins qu’il y avait dans le conseil un parti qui s’opposait aux violences de Calvin, c’est que ce fut malgré lui, nobis reclamantibus, dit-il lui-même, que fut prise la résolution de communiquer aux églises suisses les pièces de la discussion et de leur demander leur avis.

Dans l’affaire de Bolsec, l’église de Berne, consultée, avait adressé aux Genevois cette noble et mémorable réponse (1551) :


Plus nous y réfléchissons, plus nous sommes convaincus qu’il ne faut pas procéder avec trop de sévérité contre ceux qui sont dans l’erreur, de peur qu’en voulant maintenir à tout prix la pureté des doctrines, nous ne manquions à la règle de l’esprit du Christ… Christ aime la vérité, mais il aime aussi les ames, même lorsqu’elles s’égarent… Nous approuvons votre zèle pour maintenir la vérité, toutefois nous vous conjurons de réfléchir combien on ramène mieux les esprits dans le droit chemin par la mansuétude que par la rigueur… »


Pourquoi la réforme n’est-elle pas restée fidèle à ces maximes vraiment évangéliques ? pourquoi l’ame de Calvin ne s’est-elle pas ouverte une seule fois à cet esprit de douceur et de pardon ? Loin de là : l’unique préoccupation de ce cœur implacable, c’est que les églises suisses ne conseillent pas la mort ; et, comme il n’avait pas hésité à prêcher publiquement contre son adversaire absent et prisonnier[36], il employa toute son influence à obtenir des églises suisses des paroles qui fussent mortelles pour un ennemi déjà vaincu. Ses lettres à Bullinger, chef de l’église de Zurich, et à Sulzer, pasteur de Bâle, attestent l’excès de son acharnement. Nous voyons par la réponse de Bullinger que Calvin, feignant un profond découragement, annonçait, comme dans toutes les occasions critiques, qu’il allait se retirer


« Le récit de Walter, mon gendre, m’a rendu triste et inquiet ; n’abandonne pas, je t’en conjure, une église qui renferme tant d’hommes excellens. Supporte tout à cause des élus ; pense quelle joie ta retraite produirait chez les adversaires de la réforme, et de quels périls elle serait accompagnée pour les réfugiés français. Reste ; le Seigneur ne te délaissera pas. Aussi bien a-t-il offert au très magnifique conseil de Genève une bien favorable occasion de se laver, lui et l’église, de la souillure de l’hérésie en livrant entre ses mains l’Espagnol Servet. Si on le traitait comme mérite de l’être un impudent blasphémateur, le monde entier déclarerait que les Genevois ont en horreur les impies, qu’ils poursuivent du glaive de la justice les hérétiques vraiment obstinés, et qu’ils maintiennent ainsi la gloire de la majesté divine. Toutefois, lors même qu’ils n’agiraient pas ainsi, tu ne devrais point, en quittant cette église, l’exposer à de nouveaux malheurs. »


Les manœuvres de Calvin réussirent. Les quatre églises consultées furent unanimes à reconnaître la culpabilité de Servet et à conseiller une répression énergique.

Berne disait : « Nous prions le Seigneur qu’il vous donne un esprit de prudence, de conseil et de force, afin que vous mettiez votre église et les autres à l’abri de cette peste, et qu’en même temps vous ne fassiez rien qui puisse paraître malséant chez un magistrat chrétien. »

C’était indiquer l’exil ou du moins le supplice capital adouci. Zurich était plus sévère : « Nous pensons que vous devez déployer beaucoup de foi et beaucoup de zèle, surtout parce que nos églises ont au dehors la mauvaise réputation d’être hérétiques et favorables à l’hérésie ; mais la sainte providence de Dieu vous offre à cette heure une occasion de vous laver, ainsi que nous, de cet injurieux soupçon, si vous savez être vigilans et habiles à prévenir la propagation ultérieure de ce venin ; nous ne doutons pas qu’en effet vos seigneuries n’en agissent ainsi. »

Schaffouse abondait dans le même sens : « Nous ne doutons pas que vous ne réprimiez, selon votre louable prudence, la tentative de Servet, afin que ses blasphèmes ne rongent pas comme une gangrène les membres du Christ ; car employer de longs raisonnemens à détruire ses erreurs, ce serait délirer avec un fou. »

Bâle enfin demandait explicitement la mort : « S’il se montre incurablement ancré dans ses conceptions perverses, réprimez-le selon votre charge et le pouvoir que vous tenez de Dieu, de telle sorte qu’il ne puisse plus dorénavant inquiéter l’église du Christ et que la suite ne devienne pire que le commencement. Le Seigneur vous accordera pour cette fin son esprit de force et de sagesse. »

Telle fut la réponse des églises ; les gouvernemens, qu’on avait également consultés, donnèrent dans un langage plus réservé un avis analogue. Cette unanimité fut le dernier coup pour l’infortuné Servet. Le 25 octobre, veille de la sentence suprême, Calvin écrivait à Bullinger : « On ne sait ce qui adviendra de l’individu. Je suppose cependant que son jugement sera rendu demain en conseil, et qu’il sera après-demain conduit au supplice. »

En effet, le 26 octobre, le conseil s’assemble solennellement au grand complet. Amied Perrin le préside. Il tente un dernier effort pour sauver Servet[37]. Il demande d’abord qu’il soit déclaré innocent et absous. Vaincu sur ce point, il propose, comme Servet l’avait demandé par le conseil peut-être des libertins, que la cause soit portée au tribunal des deux cents, où le parti hostile à Calvin était en majorité. Une seconde fois vaincu, il essaie de faire adoucir le supplice, et il paraît que c’était aussi le désir de Calvin[38] ; mais, soit que le conseil voulût suivre la lettre de la loi, qui condamnait les hérétiques au feu, soit qu’il tînt à honneur de ne pas rester au-dessous de la sévérité des inquisiteurs catholiques, l’opinion la plus cruelle prévalut, et il fut décidé que Genève aurait aussi son auto-da-fé.

Servet n’était nullement préparé à cet épouvantable dénoûment. La conviction profonde où il était de l’innocence et de la vérité de ses doctrines, plus peut-être que l’appui des libertins, l’avait jeté dans l’illusion ; il espérait. Si l’on en croit le récit de Calvin, la nouvelle de sa condamnation accabla son unie, et il tomba dans un désespoir sans dignité :


« Quand on lui eust apporté les nouvelles de mort, il estoit par intervalle comme ravi ; après il jettoit des soupirs qui retentissoient en toute la salle. Parfois il se mettoit à hurler comme un homme hors de sens. Brief, il n’y avoit non plus de contenance qu’en un démoniaque. Sur la fin, le cri surmonta tellement, que sans cesse, en frappant sans poitrine, il crioit à l’espagnolle : Misericordia ! misericordia ! »


Il est permis de ne pas prendre à la lettre ce récit où une haine qui triomphe étale avec complaisance l’humiliation du vaincu. Le doute augmente, quand on voit l’inébranlable résolution de Servet à ne démentir aucune de ses opinions ; qu’il n’ait pas voulu trahir sa foi, qu’il ait refusé de s’humilier devant un ennemi orgueilleux et cruel, ces deux sentimens sont nobles et ne sauraient partir d’une ame commune.

Farel, accouru de Lausanne à la voix de Calvin pour suivre le condamné jusqu’au moment suprême, fit d’incroyables efforts pour obtenir une rétractation. Il conseilla à Servet de demander une entrevue à Calvin, espérant qu’à eux deux ils vaincraient l’obstination de l’Espagnol. Nous ne connaissons que par Calvin les détails de cette entrevue.

Le réformateur entre dans la prison, précédé de deux conseillers qui demandent à Servet ce qu’il peut avoir à dire à Calvin. — Solliciter mon pardon, répond le condamné. Sur quoi Calvin s’adressant à Servet : « Je proteste que je n’ay jamais poursuivi contre toy aucune injure particulière. Tu dois te ramentevoir qu’il y a plus de seize ans, estant à Paris, ie ne me suis point espargné de te gagner à nostre Seigneur, et si tu t’estois accordé à raison, ie me fusse employé à te réconcilier avecque tous les bons serviteurs de Dieu. Tu as fui alors la lucte, et ie n’ay laissé pourtant à t’exhorter par lettres ; mais tout a esté inutile, tu as ietté contre moy ie ne say quelle rage plustôt que colère. Du reste, ie laisse là ce qui concerne ma personne. Pense plustost à crier merci à Dieu que tu as blasphémé en voulant effacer les trois personnes qui sont en son essence ; demande pardon au Fils de Dieu que tu as défiguré et comme renié pour sauveur. »

À ce langage composé et hautain, Servet sentit que tout espoir était perdu, et il garda le silence. Il se rappelait sans doute avec amertume la dénonciation aux inquisiteurs de Vienne, démenti irrécusable de cette hypocrite et fastueuse hauteur d’ame dont se parait Calvin devant son ennemi terrassé.

Avant de conduire Servet au supplice, on vint lui lire sa sentence. Il s’écria qu’il avait erré par ignorance, et supplia qu’on le fît périr par l’épée. Farel lui dit alors que, pour obtenir cette grace, il devait avouer sa faute et en témoigner du repentir ; mais rien ne put fléchir sa volonté, et Farel en ressentit une telle colère, qu’il le menaça de ne pas le suivre jusqu’au bûcher, s’il s’obstinait à soutenir son innocence. Servet ne répondit qu’en courbant la tête.

Le cortége traversa la ville, en sortit par la porte Saint-Antoine, et se dirigea vers la place du Champel où était dressé le bûcher. Servet marcha d’un pas ferme, toujours en prière, et s’écriant, comme pour confesser sa foi jusqu’au dernier moment : O Dieu, sauve mon ame ! O Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi !

Arrivé en vue du bûcher, il tomba à genoux et pria Dieu ardemment. Tandis qu’il priait, Farel, s’adressant à la foule du peuple, s’écriait : « Voyez quelle force a Satan, quand il possède quelqu’un. Cet homme est grandement savant, et il a peut-être cru marcher dans la bonne voie, mais il est maintenant possédé du diable ; prenez garde qu’il ne vous en arrive de même. » Lorsque Servet eut achevé de prier et se fut relevé, Farel, espérant encore qu’il rétracterait ses opinions, l’engagea à parler au peuple ; mais Servet se borna à s’écrier : O Dieu ! ô Dieu ! — Sur quoi Farel lui demanda s’il n’avait rien autre à dire. — Que puis-je parler, répondit-il, d’autre chose que de Dieu ? — Farel l’exhorta à invoquer Jésus-Christ, non plus comme fils du Dieu éternel, mais comme fils éternel de Dieu, c’est-à-dire comme verbe incarné, comme homme-Dieu, ce qui eût été une rétractation de sa doctrine ; il refusa constamment. Le bourreau le plaça sur le bûcher, au milieu de fagots de chêne encore verts et de branches d’arbre garnies de leurs feuilles. Un pieu s’élevait au centre du bûcher ; Servet y fut attaché par une chaîne de fer, et son cou y fut fixé par une corde épaisse qui faisait quatre ou cinq tours. On avait placé sur sa tête une couronne de chaume couverte de soufre, et son livre de la Restitution du Christianisme avait été lié à sa cuisse. Il pria le bourreau de ne pas le faire souffrir long-temps. Celui-ci mit d’abord le feu en face du condamné et ensuite tout autour de lui. En voyant s’allumer le bûcher, l’infortuné poussa un cri si déchirant, qu’il glaça tout le peuple de terreur. Il souffrit long-temps et criait d’une voix lamentable : Jésus, fils de Dieu éternel, ayez pitié de moi ! On dit que, pour abréger ses souffrances, quelques gens du peuple allèrent chercher du bois mort et le jetèrent dans le bûcher. Après une demi-heure d’affreux tourmens, il expira.


La tradition populaire qui représente Calvin caché derrière une fenêtre pour repaître ses regards du supplice de Servet ne repose sur aucun témoignage authentique ; mais il est permis d’y voir une vive et symbolique image de l’acharnement que déploya Calvin, même après la condamnation de son ennemi. Voici en quels termes il raconte sa mort. Ce sera un dernier trait pour achever le tableau :


« Au reste, afin que les disciples de Servet ou des brouillons semblables à luy ne se glorifient point en son opiniastreté furieuse, comme si c’étoit une constance de martyr : il faut que les lecteurs soyent advertis qu’il a monstré en sa mort une stupidité brutale, dont il a été facile de iuger que jamais il n’avoit parlé n’y escrit à bon escient, comme s’il eust senti de la religion ce qu’il en disoit… Quand ce veint au lieu du supplice, nostre bon frère M. Guillaume Farel eut grand peine à arracher ce mot, que il se recommandast aux prières du peuple, afin que chascun priant avec luy. Or cependant ie ne say en quelle conscience il le pouvoit faire, estant tel qu’il estoit : car il avoit escrit de sa main la foy qui regne icy entre diabolique ; qu’il n’y a ne Dieu, ne église, ne chrestienté, pource qu’on y baptize les petits enfans. Comment doncques est-ce qu’il se conjoignoit en prières avec un peuple duquel il devoit fuir la communion, et l’avoir en horreur ?… Servet prioit comme au milieu de l’église de Dieu. En quoy il montroit bien que ces opinions ne lui estoyent rien. Qui plus est, combien qu’il ne feist jamais de dire un seul mot pour maintenir sa doctrine ou pour la faire trouver bonne, je vous prie que veut dire cela, qu’ayant liberté de parler comme il eust voulu, il ne feit nulle confession ne d’un costé ne d’autre, non plus qu’une souche de bois ? Il ne craignoit point qu’on luy coppast la langue, il n’estoit point baaillonné, on ne lui avoit point défendu de dire ce que bon lui sembleroit. Or, estant entre les mains du bourreau, combien qu’il reffusast de nommer Jésus-Christ fils éternel de Dieu, en ce qu’il ne déclaira nullement pourquoy il mouroit, qui est-ce qui dira que ce soit une mort de martyr[39] ? »

Je ne crois pas que le fanatisme théologique ait jamais rien inspiré de plus froidement atroce que ces paroles. — Quoi ! dirais-je à Calvin, il ne vous a pas suffi d’ôter la vie à Servet, vous voulez encore déshonorer sa mort ! Que vous ayez fait la guerre à ses idées, je le comprends, vous les croyiez fausses ; que vous détruisiez ses écrits, les tenant pour dangereux, j’y consens encore, bien qu’il eût suffi de les réfuter. Que vous portiez la main sur sa personne, que vous punissiez une erreur d’esprit du dernier supplice, c’est un attentat dont vous partagez la responsabilité avec tout votre siècle. Mais après avoir frappé un infortuné dans ses idées, dans ses livres, dans sa vie, respectez au moins son honneur. Prouvez qu’il professe un système absurde, téméraire, impie, mais ne contestez pas sa bonne foi. Dites qu’il blasphème, ne dites pas qu’il ment.

Cette sincérité dont vous voulez dépouiller votre ennemi, comme du seul bien qui lui reste, elle éclate partout : dans ses livres, où à vingt-deux ans d’intervalle, la même doctrine reparaît, toujours plus ardente et plus assurée ; dans ses lettres à Bucer et à OEcolampade, qu’il fatigue et irrite de ses objections persévérantes ; dans ses interrogatoires, où, en adoucissant quelquefois les formes de sa théorie, il en maintient expressément le fond ; dans son appel aux églises suisses, qu’il se flatte de ramener à ses sentimens ; enfin, dans son refus inébranlable de rien rétracter, avant et après la sentence mortelle. Vous ne voulez voir dans cette constance que l’opiniâtreté d’un orgueil qui refuse de s’humilier. Mais quoi ! Servet n’a-t-il pas consenti à faire fléchir devant vous cette fierté espagnole que vous lui imputez à crime ? ne l’avez-vous pas vu à vos pieds ? ne vous a-t-il pas demandé pardon ? Qu’est-ce qui luttait en lui contre vos instances, unies à celles de Farel, quand vous lui demandiez une abjuration, avec la vie pour récompense ? Était-ce encore l’orgueil ? Évidemment non. C’était sa conscience et sa foi.

Pour effacer ces marques éclatantes d’un véritable martyre, à quels misérables subterfuges avez-vous recours ? Vous lui reprochez d’avoir prié Dieu. Mais que pouvait faire, hélas ! cet infortuné, sans patrie, sans famille, sans un seul ami, en face de la mort la plus cruelle, sinon d’élever ses yeux vers le ciel, son unique asile, et d’invoquer le nom du divin maître qui a appris aux hommes à bien mourir ? Vous triomphez des gémissemens de la victime ; mais Jésus-Christ lui-même n’a-t-il point sué une sueur de sang au jardin des Oliviers ? Ne s’est-il point écrié : Mon père, éloignez de moi ce calice ?

Pourquoi, dites-vous, ne confessait-il pas sa croyance ? Était-il bâillonné ? Craignait-il qu’on lui coupât la langue ? — Reproche dérisoire autant qu’inhumain ! Ne semblerait-il pas qu’on faisait une grace à cet infortuné que le bourreau allait brûler vivant à petit feu, en ne le mutilant pas ! Et d’ailleurs, ce peuple qui entourait Servet était-il en état de le comprendre ? Lui-même avait-il la force de parler ? Après trois mois de captivité, livré au fond d’un cachot au plus affreux dénûment, pouvait-il sortir de ce corps martyrisé une voix capable de se faire entendre au peuple et de lutter contre celle de Farel ? Le refus obstiné qu’il opposait aux adjurations et aux menaces de ce fanatique n’était-il pas une protestation suffisante et une confession publique de sa foi ? C’est donc en vain que vous opposez à cette mort héroïque et touchante les scrupules affectés d’une théologie étroite. Avant d’être calviniste, il faut être homme. Au-dessus de toutes les communions particulières, il y a une autre communion universelle et sainte, la communion de la justice et de l’humanité. Cet homme qui meurt pour une idée, ces gens du peuple qui prient avec lui et qui, touchés de ses souffrances, s’efforcent de les abréger, ils appartiennent au même titre à l’église de Dieu. Mais vous, Calvin, qui dénoncez un adversaire personnel à l’inquisition catholique, vous qui demandez la mort quand l’exil eût suffi, vous qui prêchez contre Servet absent et sous le poids d’une sentence capitale, quand vous mettez le comble à tant de noirceurs en venant contester contre l’évidence la bonne foi de votre ennemi, pour travestir et déshonorer ses derniers momens, vous n’appartenez point, non, j’ose l’affirmer au nom de ma foi profonde en un principe éternel de bonté et de justice, vous n’appartenez point à l’église de Dieu.

Si sévère toutefois que doive rester le jugement de l’histoire pour la conduite de Calvin, il ne serait point juste de concentrer sur lui seul la responsabilité du bûcher de Servet. On a vu que les églises suisses contribuèrent à décider le conseil de Genève à porter une sentence de mort. Les églises allemandes ne furent pas plus tolérantes. Melanchthon, le doux Melanchthon, complimenta hautement Genève et Calvin)[40]. Vingt ans auparavant, OEcolampade, Capito, Zwingle, avaient maudit la doctrine et la personne du scélérat espagnol. Bucer avait dit en pleine chaire qu’on ne pouvait discuter avec ce démon et qu’il fallait lui arracher les entrailles et l’écarteler. Tel était l’esprit de cette rude époque. Catholiques et protestans, personne ne doutait qu’une erreur en religion ne fût un attentat punissable et ne dût être réprimée par le magistrat. Il faut entendre le protestant Farel s’écrier : « Parce que le pape condamne les fidèles pour crime d’hérésie, il est absurde d’en conclure qu’il ne faut pas mettre à mort les hérétiques… Pour moi, j’ai souvent déclaré que j’étais prêt à mourir, si j’avais enseigné quoi que ce soit de contraire à la saine doctrine[41]. » On a pu remarquer que Servet, lui aussi, adoptait les maximes de ses bourreaux : « Si j’avais prétendu que l’ame fût mortelle, écrivait-il au conseil de Genève, je me condamnerais moi-même à mort. » Siècle étrange et terrible où toute pensée devient un crime, où au nom de l’Évangile chaque parti lance à tous les autres l’anathème et la mort ! Je ne sais si les derniers excès du fanatisme politique ont pu jamais égaler cet effroyable débordement du fanatisme religieux, et la Terreur seule peut nous donner quelque idée des sanglans orages du XVIe siècle.

On a fait honneur à Luther d’avoir proclamé des maximes plus humaines. « J’ai horreur du sang, disait-il en effet dans les commencemens de sa carrière. Pourquoi tuer les faux prophètes, quand il suffit de les exiler ? » mais bientôt Luther rencontra des résistances, son cœur s’aigrit, et lui aussi appela la violence au secours de la vérité. On cite encore quelques passages des premières éditions de l’Institution chrétienne où Calvin conseillait la douceur dans la répression de l’hérésie. Il était alors errant et menacé. À Genève, après la mort de Servet, il écrivit un livre pour établir le droit du glaive sur l’erreur. Une seule voix s’éleva contre cette doctrine, la voix d’un persécuté, celle de Castalion. Théodore de Bèze répliqua et maintint au nom du protestantisme la doctrine homicide. Au siècle suivant, Bossuet la revendique sans contradicteur au sein d’un siècle de politesse, de douceur et de lumières. Pour la déraciner, il a fallu deux siècles de philosophie, il a fallu Locke et Voltaire, Montesquieu et Rousseau, il a fallu la révolution française.

Ce n’est donc pas Calvin seulement, c’est Farel et Viret, c’est Bucer et Melanchthon, ce sont les églises suisses et les églises allemandes, c’est la réforme tout entière qui a poursuivi et frappé Servet. Cet acharnement universel s’explique à merveille. Le principe posé par la réforme avait en effet deux conséquences nécessaires. Luther et Calvin, en faisant de la raison l’interprète des saintes Écritures, renversaient l’ordre de subordination que le moyen-âge avait établi entre la raison et la foi. Au lieu d’être servante, la raison devenait maîtresse. De là une première conséquence : c’est qu’ayant une fois conquis le droit de nier, elle était irrésistiblement entraînée à l’exercer dans toute son étendue ; c’est qu’après avoir nié la vertu des sacremens et la présence réelle, elle devait de proche en proche nier la divinité de Jésus-Christ, la Trinité, l’incarnation, en un mot tous les dogmes et tous les mystères. Cette conséquence s’appelle le socinianisme.

Si le premier besoin de la raison déchaînée est de nier les dogmes qui la gênent, il est un besoin plus profond qu’elle ne tarde pas à ressentir, c’est de ressaisir ce qu’elle a d’abord brutalement rejeté, non pour s’y enchaîner de nouveau, mais pour le dominer, l’expliquer, le comprendre, pour l’absoudre après l’avoir compris, pour en exprimer toute la vérité et s’en assimiler enfin toute la substance. L’explication des mystères par la raison, et par suite l’absorption de la religion dans la philosophie, telle était la conséquence dernière du principe protestant. Elle s’appelle le rationalisme.

P. Michel Servet est l’homme qui a déduit le premier ces deux conséquences. En niant la Trinité, la divinité de Jésus-Christ, le péché originel, il a suscité Socin. En composant un christianisme rationnel, où tous les mystères sont les développemens d’une donnée philosophique, il a préludé à Malebranche et à Kant, à Schelling et à Hegel, à Schleiermacher et à Strauss. Et il ne faudrait pas croire que ce hardi génie n’eût point mesuré la portée de son entreprise. Les pièces de son procès portent des traces certaines de son étonnante pénétration, de sa haute et sereine confiance dans l’avenir. « Qu’entendez-vous, lui demandait l’accusation, en disant que la vérité commence à se déclairer, et s’achevera à chas peu du tout ? Voulez-vous dire que votre doctrine sera reçue, et que c’est une doctrine de vérité ? — J’entends, disait Servet, parler des progrès de la réforme : Comme quoi la vérité a commencé à estre déclairée du tems de Luther, et a suyvy jusques icy. » Et Servet ajoutait que, le mouvement de la réformation n’ayant pas atteint son terme, celle-ci se déclairerait encore plus oultre. Mémorables et prophétiques paroles, que l’histoire doit recueillir pieusement comme le sacré témoignage d’une foi magnanime qui, loin de fléchir, s’exalte et s’illumine devant la mort. Le seul tort de celui qui les a prononcées est d’être venu deux siècles trop tôt. En 1553, Zurich le jugea digne du dernier supplice ; de nos jours, Zurich lui eût peut-être offert une chaire, comme elle a fait à l’un de ses plus directs héritiers, l’auteur panthéiste de la Vie de Jésus. Profondément isolé au milieu de son temps, également hostile aux protestans et aux catholiques, Servet devait succomber. Esprit confus d’ailleurs, il n’a pas su donner à sa pensée cette précision lumineuse qui fait la vraie force, ce caractère pratique et simple qui donne l’influence. Sa théologie profonde, mais subtile et raffinée, est tombée dans l’oubli, sa philosophie néoplatonicienne a été emportée dans le naufrage ; mais ce qui n’a pas péri, ce qui ne pouvait pas périr, c’est la grande idée d’une explication rationnelle des mystères chrétiens.

Il appartient au XIXe siècle d’accomplir cette entreprise magnifique. L’honneur de l’avoir conçue et d’en avoir essayé la réalisation au prix de son repos et de sa vie suffit pour consacrer à jamais le nom de Michel Servet. Il avait une place parmi les martyrs de la liberté moderne, il était juste de lui en marquer une autre, non moins glorieuse, parmi les théologiens philosophes, parmi les précurseurs du rationalisme.


EMILE SAISSET.

  1. Voici le titre complet de l’ouvrage : Christianismi Restitutio, totius ecclesiœ apostolicœ ad sua limina vocatio, in, integrum restituta cognitions Dei, fidei Christi, justificationis nostroe, regeneratione baptismi et coenoe Domini manducationis. Restituto denique nobis regno coelesti, Babylonis impioe captivitate soluta, et antichristo cum suis penitus destructo. — 734 pages in-8, avec un feuillet d’errata. Au bas de la dernière page sont les initiales de l’auteur et l’année de l’impression M. S. V. [Michaël Servetus Villanovanus] 1553. L’ouvrage fut tiré à mille exemplaires, selon le témoignage de Servet (interrogatoire du 17 août, dans le manuscrit de Genève). Il paraît qu’il n’en reste plus que deux, l’un à la Bibliothèque nationale, l’autre à la Bibliothèque impériale de Vienne. On dit que le premier avait été acheté à la vente de Gaignat, pour le duc de La Vallière, au prix de 3,810 francs. C’est d’après l’exemplaire de la bibliothèque de Vienne que De Murr a donné une contrefaçon de l’ouvrage, imitant l’original ligne pour ligne (Nuremberg, 1790, in-8). Une nouvelle édition, qu’avait entreprise à Londres le docteur Mead, n’est pas allée plus loin que la page 253.
  2. Voltaire, Essai sur les Moeurs, ch. 131. — Comp. Lettre au président Hénaut, 26 février 1768.
  3. Guizot, Vie de Calvin, dans le Musée des protestans célèbres, t. II, part. 2, p. 106. — Paul Henry, Das Leben J. Calvins. Hambourg, 1835-1838. — Rilliet de Candolle, Mémoires et Documens, etc., p. 9 et 10.
  4. Cette lettre a été copiée par D’Artigny aux archives de l’archevêché de Vienne. Voyez D’Artigny, Nouveaux Mémoires d’histoire, de critique, etc., t. II, p. 55 et suiv.
  5. Déclaration pour maintenir la vraye foi, p. 1337.
  6. Nous devons la communication de ce précieux document à l’obligeance de M. Chastel, directeur de la bibliothèque de Genève, auteur de savantes conférences sur l’histoire du Christianisme.
  7. Calvin aurait voulu cacher à la postérité cet abus odieux de confiance. Il fait écrire à Trie : Il me semble que j’avois obmis de vous escripre qu’après que vous auriez faict des épistres, qu’il vous plust ne les esgarer afin de me les renvoyer.
  8. Interrogé à Genève sur son évasion, Servet répondit en ces termes :
    Respond qu’il est vray qu’il fut prisonnier à Vienne à la poursuite de monsieur Calvin et Guillaume Trye, mais qu’il évada de prison pour ce que les prebstre le voulloient faire brûler ; toutesfoys que les prisons lui estoient tenues comme si on eust voullu que se saulvast. (Interrogatoire du 14 août, dans le manuscrit de Genève, pièce inédite.) - Dans la séance du 17 août, au petit conseil, on pressa Servet de s’expliquer plus clairement. Voici ses paroles : Et a respondu qu’il demerit que deux jours en prison, et puys de matin sen sortit. Car le viballifz qui lui portoit faveur commanda au ieolier de le laisser aller par un iardin et de le traicter bien pour ce qu’il avoit aydé de la medecine à mons. de Maugeron duquel le dict vybaillifz estoit amys. (Manuscrit de Genève, pièce inédite.)
  9. A Genève, Servet fut interrogé sur ce point. Sa réponse est consignée dans le procès-verbal de la séance du petit conseil en date du 17 août :
    A respondu que… Puys se saulva et prit le chemin pour aller contre Espagne, dempuys il s’en est revenu à cause des gendarmes qu’il craignait, et s’en voulait passer par icy et par Allemagne pour aller de là les mons pour exercer la médecine.
    (Pièce inédite du manuscrit de Genève.)
  10. Il y avait à Genève trois conseils : le petit conseil ou conseil étroit, le grand conseil ou conseil des deux cents, et le conseil général. Sur les attributions de ces différzns corps, voyez Spon, Histoire de Genève.
  11. M. Rilliet de Candolle, Mémoires et Documens, etc., p, 12.
  12. Sur l’établissement de la réforme à Genève, voyez le beau mémoire de M. Mignet (Notices et Mémoires historiques, tome II).
  13. Voyez Rilliet de Candolle, Mémoires et Documens, p. 11-20.
  14. Lettre au président Hénaut, du 25 février 1768.
  15. Epist. ad Sulcerum, 9 septembre 1553.
  16. Calv. Epist., p. 114.
  17. Je copie ces paroles sur le texte même de la lettre à Abel Poupin : Mihi ob eam rem moriendum esse certo scio, sed non propterea animo deficior, ut fiam discipulus similis proeceptori.
  18. Bolsec, dans son pamphlet contre Calvin, avait cité, déclarant les avoir lues, les paroles suivantes d’une lettre de Calvin à Viret : « Servetus cupit huc venire, sed a me accersitus. Ego auteur nunquam committam ut fidem meam eatenus obstrictam habeat. Jam enim constitutum apud me habeo, si veniat, nunquam pati ut salvus exeat. » - Ce témoignage de Bolsec laissait des doutes, bien que Grotius l’eût confirmé (Opp., t. IV, p. 503). Toute incertitude a disparu depuis que M. Andin a découvert à la Bibliothèque nationale une lettre de Calvin à Farel, où se trouvent ces paroles, parfaitement analogues à celles que cite Bolsec : « Si mihi placeat huc se venturum recipit (Servetus). Sed nolo fidem meam interponere ; nam si venerit, modo valeat mea authoritas, vivum exire nunquam patiar. » Voyez M. Audin, Vie de Calvin, t. II, p. 324. et suiv.
  19. Ce côté de la politique de Calvin a été vivement saisi par un pénétrant écrivain, M. Géruzez (Plutarque français, article Calvin).
  20. M. Rilliet de Candolle a publié le texte de cette plainte dans son mémoire, p.135.
  21. Epist. Calv. Ad Sulcer., 9 sept. 1553.
  22. Déclaration, etc., p. 54.
  23. Calvin à Farel, 15 août 1553.
  24. Calv. Epist., p. 290.
  25. Registres du conseil du 30 octobre 1553. >
  26. Lettre au président Hénaut.
  27. Procès-verbal de la séance du 15 août ; pièce inédite du manuscrit de Genève.
  28. Interrogatoire du 14 août, pièce inédite du manuscrit des archives de Genève.
  29. Tractatus theolog., p. 846. — Déclaration pour maintenir, etc,, p. 1354.
  30. Déclaration, p. 1355. — Refut. error. Serv., p. 703.
  31. On ne connaissait cette curieuse discussion que par Calvin. J’en trouve la trace dans le manuscrit de Genève, procès-verbal inédit de la séance du 15 août. On demande à Servet s’il a enseigné que Dieu est une seule chose contenant cent mille essences, tellement qu’il est une portion de nous et nous une portion de lui. Servet « respond qu’il ne la point dict ainsin, sinon pour les idées. »
  32. Je lis dans le procès-verbal de la séance du 31 août, pièce inédite du manuscrit de Genève :
    « Interrogué si dempuys qu’il est icy, s’il a parlé à personne, respond que non, sinon a ceux de céans qui lui ont baillé a manger. Et que mesme on luy avait cloue les fenestres. »
  33. Nous avons sous les yeux un fac-simile de cette lettre, pris par nous-même aux archives de Genève, et que nous reproduisons religieusement.
  34. A la suite de ces mots, j’ai trouvé dans le manuscrit de Genève une lettre de Servet à Calvin que je crois inédite, et où Servet maintient avec force son principe panthéiste : « Dieu, dit-il, ne serait plus Dieu s’il n’était pas en contact avec toutes choses. Quand l’esprit saint agit en nous, c’est la divinité qui nous touche. »
  35. M. Rilliet de Candolle se fait une arme de ces paroles de Calvin : « Il ne daigna entrer en propos, par quoy il y a une conjecture probable qu’il s’étoit forgé quelque vaine confiance de je ne says où. » (Déclar., p. 1328.) - Il me semble que les mots vaine confiance prouvent qu’il n’y avait aucun concert entre Servet et le parti des libertins. On soutenait l’accusé contre Calvin, mais on ne se commettait pas avec lui.
  36. « Ipse eum in carcere absentem quotidianis concionibus ad populum invidiosissime traduxit. » (Contra libellum Calvini, p. 25.) - Cette accusation est lancée, il est vrai, par un adversaire ; mais elle n’a pas été démentie par les amis de Calvin.
  37. Calvin s’en plaint à son ami Farel avec une amère ironie : « Notre César comique, après avoir fait le malade pendant trois jours, s’est rendu au conseil pour sauver ce scélérat, et il n’a pas rougi de demander que la cause fût évoquée au conseil des deux cents ; mais l’arrêt a été rendu sans contestation. » (Epist. ad Far.)
  38. « Genus mortis conati sumus mutare, sed frustra. » (Ep. Et resp. Calv. Epist. CLXI, p. 304)
  39. Déclaration, etc.., p. 95, 96.
  40. Melanchthon Calvino, 14 oct. 1554.
  41. Lettre à Calvin, 8 sept. 1553.