Midraschim et fabliaux/Akiba

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 53-55).

Une grande dame romaine
Voulut voir le rabbi fameux
Qui, par sa raison surhumaine,
Avait renversé les faux dieux.

Dès qu’elle aperçut ce fier sage,
Le trouvant un peu contrefait,
Elle s’écria : « Quel dommage
Qu’un si grand savant soit si laid ! »

Sans s’émouvoir de sa faiblesse,
« Me voilà, lui dit Akiba,
Comme un Salomon, sans sagesse,
Devant la reine de Saba. »


Lorsque la dame fut charmée,
Il ajouta : « Vous possédez
Une cave très renommée.
— Oui, venez la voir, descendez.

— Ah ! que leur enveloppe est laide,
Dit-il ; ces tonneaux sont affreux ;
Permettez-vous que j’intercède
En faveur de vins merveilleux ?

C’est dans le marbre, dans l’ébène,
Les bois de pays peu connus,
Taillés en forme de sirène,
Qu’ils devraient être contenus.

— Ce vin, dans le marbre ou l’ébène,
Jamais ne se conserverait. »
Akiba dit : « Belle Romaine,
C’est pour cela que je suis laid !

— Je connais pourtant, reprit-elle,
De grands savants, fort avenants.
— Si leur figure était moins belle,
Ces savants seraient plus savants.


La beauté, la grâce, la force
Résident aussi dans l’esprit ;
La matière n’est que l’écorce ;
Par elle, jugez-vous le fruit ?

— C’est vrai, la beauté nous possède,
Répondit-elle avec douceur. »
La Romaine était un peu laide,
Heureusement pour le docteur.



D’après le Talmud (Traité taanith, folio 7 a. — Traité nedarim, folio 50 b).