Midraschim et fabliaux/Le Nazir

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 56-59).

Gardien des troupeaux de son père,
Un berger, dans sa chasteté,
Vivait en son humble chaumière,
Sans se douter de sa beauté.

Un jour, après lointaine course,
Pendant qu’il se désaltérait,
Il aperçut dans une source
Un homme inconnu, son portrait.

C’était bien lui ; sa chevelure,
Comme un voile autour de trésors,
Encadrait sa grande figure
Et lui descendait à mi-corps.


Elle était dorée et soyeuse,
Et son coloris flamboyant
Exhalait l’odeur amoureuse,
De certain parfum d’Orient.

Notre berger se glorifie,
Prend en pitié le genre humain ;
Il se croit roi des Juifs, Messie ;
L’orgueil a pénétré son sein.

Toutefois, son âme étant fière,
Son naturel étant exquis,
Le berger revint en arrière
Sans que le péché l’eût conquis.

Puis sa grande délicatesse,
Qui n’avait éprouvé d’abord
Qu’un repentir de sa faiblesse,
Sentit l’aiguillon, du remords.

Pour retrouver la paix suprême,
La paix du for intérieur,
Enfin l’estime de lui-même,
Le berger fut chez un docteur.


Il lui conta son ignorance,
Sa faute, puis son repentir,
Et, rasant sa tête d’avance,
Il dit : « Je veux être nazir.

— Mais, mon fils, à quel Dieu sauvage
Parles-tu donc ? Écoute bien :
La dévotion, pour le sage,
N’est pas un but, c’est un moyen.

Dieu n’a nul besoin de louanges,
D’encens, de génuflexions,
De vœux, de prières étranges,
Pleines de contradictions.

Ce qu’il veut, c’est qu’une âme pure,
Libre de toute vanité,
Cherche sa loi dans la nature,
Son esprit dans la vérité.

Que sa vertu spirituelle
Développe son sens moral ;
Que sa pensée habituelle,
Le préserve à jamais du mal.


Celui qui croit payer sa faute
Par un cérémoniel vain,
Et qui marche après, tête haute,
Retombera le lendemain.

Quoi ! du repentir talmudique,
Ce nazir, se faisant un jeu
Se figure qu’une pratique,
Une feinte, trompera Dieu.

Non, non, la faute ne s’efface
Que par un réel repentir ;
Il est en toi : donc je t’embrasse,
Comme un modèle de nazir. »



Source. — Talmud, Midrasch Rabba Bamidbar, chap. X. — Talmud de Jérusalem, Nazir, chap. Ier. — Talmud de Babylone Nedarim, folio 9° — Idem, Nazir, folio 4°. — (Traduction libre et traduction littérale, Hippolyte Rodrigues, saint Paul, chap. VII, page 229.)