Midraschim et fabliaux/Le Pli de la feuille de rose

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 37-40).

Un sage disait au passant :
Il faut souffrir de quelque chose ;
Redoutez surtout, mon enfant,
Le pli de la feuille de Rose.

Prenant en pitié les humains,
Voulant faire un heureux sur terre,
La fée aux bienfaisantes mains
Choisit une jeune bergère.

Rose venait d’être chassée
Par un maître injuste et cruel,
Et, de toute part, repoussée,
Elle implorait en vain le ciel.


« Sèche tes pleurs, lui dit la fée,
Le sort cesse de s’acharner.
À toi, les joies de l’empyrée ;
Le bonheur est de le donner.

— N’insultez pas à la misère,
Voyez, contemplez mes tourments,
Mes pieds noirs meurtris par la pierre…
— Tais-toi, regarde, écoute, attends ! »

Un grand Roi, cherchant une femme,
Passait précisément par là :
Lors la fée enflamma son âme,
Le Roi vit Rose et l’épousa.

L’histoire est peut-être écourtée :
J’ai passé la scène d’amour,
Elle fut souvent racontée,
C’est la même qui sert toujours.


LE PÉDANT


— Quoi ! petit rimeur, l’art de dire
N’est-il pas celui de redire ?
Et n’est-ce plus en disant mieux
Qu’un poète devient fameux ?


Tout est créé, tout se transforme ;
Sous le soleil, rien de nouveau ;
Les livres vivent par la forme.
Allons ! reprends ton fabliau. —

— Au bout d’un temps, la bonne fée,
Souffrant beaucoup d’un panaris,
Pour se distraire eut la pensée
D’aller voir Rose en son logis.


LE PÉDANT


— Un panaris ; mais tu plaisantes,
Au ciel on ne souffre jamais.
— Si, docteur, les mains bienfaisantes
Souffrent partout de leurs bienfaits.

Donc, en plein paradis, la fée
Cherchant à se désennuyer
Voulut revoir sa protégée.
Un vieux moyen de s’égayer.

Elle trouva notre bergère
Dans un palais d’or et de fleurs ;
Mais ses yeux fuyaient la lumière
Et son visage était en pleurs.


— Madame, vous m’avez trompée :
J’étais plus heureuse autrefois.
— Que souffrez-vous donc ? dit la fée.
— Toutes les douleurs à la fois…

Et, dans son oubli du passé,
Devant sa bienfaitrice, elle ose,
Montrer son petit pied, froissé
Du pli d’une feuille de rose.

De ce récit, de cette fable,
Voici l’esprit, mon cher lecteur :
L’absence du mal véritable
Engendre la fausse douleur.


LE PÉDANT


Ainsi que le plaisir, la peine est nécessaire :
Sans le soleil, la pluie aurait noyé la terre,
Sans le chagrin, la joie aurait séché le cœur.
C’est la loi naturelle, et cette loi féconde
Commande tour à tour, renouvelant le monde,
La pluie et le soleil, la joie et la douleur.