Mille et un jours en prison à Berlin/12

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L’Éclaireur Enr (p. 57-60).

Chapitre XI


citoyen britannique


Au commencement de février 1915, après le départ du dernier officier allemand que nous ayons eu à héberger, nous étions, ma femme et moi, au bureau central pour l’émission des sauf-conduits, à Anvers, et nous soumettions aux deux officiers en charge de ce bureau notre demande de l’autorisation nécessaire pour quitter la Belgique.

— « Où voulez-vous aller ? », demanda le premier officier.

— « En Hollande. »

— « Pour quoi faire ? »…

— « Pour aller en Amérique. »

— « Pourquoi aller en Amérique ? »

— « Pour retourner chez-nous, en Canada, où j’habite. »

— « Alors, vous êtes sujet anglais ? »…

— « Oui. »

Étonnement de l’officier qui se retourne du côté de son compagnon, et qui nous regarde ensuite, des pieds à la tête, ma femme et moi.

— « Vous êtes sujet anglais ? », reprit-il.

— « Vous l’avez dit ! »

— « Depuis combien de temps êtes-vous ici ? »

— « Je suis arrivé en Belgique quelques jours, je crois, avant vous, c’est-à-dire en juillet 1914. »

— « Que faites-vous ici ? »…

Il s’engagea alors, entre ces deux officiers et nous, un colloque qui dura quelques minutes seulement, mais qui suffit à faire comprendre à ces messieurs, et sans trop de difficulté, que ma présence en Belgique n’avait rien de mystérieux, pas même pour un Allemand.

Apparemment convaincu qu’il n’avait pas affaire à un espion à la solde du gouvernement anglais, le premier officier confessait qu’il ne voyait pas d’objection sérieuse à ce qu’un permis de quitter la Belgique nous fût donné, mais ses instructions étant catégoriques en ce qui concernait les sujets britanniques, il ne pouvait, sans l’autorisation de son chef militaire, le major Von Wilm, donner le sauf-conduit demandé. Il nous conseilla d’aller voir ce major. Nous nous rendons immédiatement à son bureau. Chemin faisant, je faisais simplement remarquer à ma femme qu’une fois entré dans ce nouveau bureau où l’on nous envoyait, il pouvait bien se faire que je n’en sortisse jamais. Le major Von Wilm nous reçoit avec une certaine affectation de civilité et écoute attentivement l’histoire que nous lui racontons.

Il fut convaincu lui aussi, en apparence, qu’il n’avait pas affaire à un espion. Il ne prévoyait pas d’obstacle à l’émission d’un sauf-conduit, mais il devait en causer, au préalable, avec le gouverneur de la place fortifiée. Il nous engageait à retourner à Capellen, et y attendre un mot de lui.

Quelques jours plus tard, une lettre du major nous arrivait, conçue en ces termes :

(TRADUCTION)


« Anvers, 8 février 1915.


« Monsieur et Madame Béland,

« Starenhof, Capellen.


« Monsieur et Madame,

« Nous référons à notre conversation d’il y a quelques jours passés.

« J’ai l’honneur de vous dire qu’un sauf-conduit vous sera donné à deux conditions : la première, c’est que M. Béland devra s’engager formellement à ne jamais porter les armes contre l’Allemagne pendant toute la durée de la guerre, et ensuite que toutes les propriétés que vous avez en Belgique, en territoire occupé, seront soumises, après votre départ, à une taxe décuplée.

« Signé : VON WILM,
« Major. »

Il nous restait donc à décider ce que nous avions à faire. Il nous parut opportun de retourner à Anvers, pour discuter plus longuement avec le major cette question du décuplement de la taxe. Après un long entretien que nous eûmes avec lui, après les assurances renouvelées qu’il me donna que je pourrais demeurer en territoire occupé sans crainte d’être ennuyé, molesté ou emprisonné, eu égard précisément à ma profession et aux services médicaux que je rendais à la population, nous décidâmes d’attendre jusqu’au mois d’avril. C’est à cette époque que les taxes devaient être payées, et alors, ce haut officier allemand, fonctionnaire important de la province d’Anvers, s’engageait à discuter avec les autorités financières allemandes, de Bruxelles, la question de savoir s’il ne serait pas possible de faire disparaître les conditions particulièrement onéreuses qui consistaient à soumettre à une taxe multipliée par dix toutes les propriétés que nous avions en Belgique.

Au mois d’avril, les taxes furent payées au taux ordinaire, et je me rendais de nouveau à Anvers, chez le major, pour l’engager à entrer en négociations avec les autorités financières allemandes au sujet de la majoration des taxes.

Il me promit de considérer la chose aussitôt que ses nombreuses occupations lui en laisseraient le loisir. Enfin, il me renouvela l’assurance de sa haute protection, me conjurant de vivre en parfaite sécurité, qu’il ne saurait être, à mon sujet, question d’un internement.

Quant à la question des taxes, il n’en avait aucun doute, elle serait réglée à notre entière satisfaction.