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Millionnaire malgré lui/p2/ch13

La bibliothèque libre.
Combet et Cie Éditeurs (p. 413-444).

XIII

L’ODYSSÉE DE MONA


— La flotte japonaise bloque Vladivostok.

— Les navires nippons occupent le détroit de Sakhaline.

— Hélas !

— Mais alors l’île, les troupes russes qui s’y trouvent ; mon père… sont séparés de la terre ferme ; privés de tout contact avec la Russie.

— Oui ; ma pauvre petite.

— Oh ! tante ; vous dites cela avec calme… Il est vrai que le général Stanislas Labianov n’est pas votre père…

— Il est mon frère, petite Mona, et ma douleur, pour être moins expansive, est aussi profonde que la tienne.

Dans l’hôtel de la comtesse Olga, situé en bordure de la Perspective, ces répliques sonnaient, prononcées par la sœur du général Labianov et la mignonne Mona, dont elle avait accepté la charge cinq mois auparavant.

La jeune fille secoua la tête sans répondre.

Évidemment elle ne partageait pas la façon de voir de sa tante Olga, et qui eût lu dans son esprit, y eût trouvé cette pensée :

— Une sœur, aimer autant qu’une fille. Il faut avoir le titre de tante pour raisonner pareillement.

Cependant, Mme Olga, femme aimable d’environ quarante-cinq ans, offrant dans ses traits, sa structure, sa façon d’être, une frappante ressemblance avec le général Labianov, se tenait à demi étendue sur un divan, occupant un panneau de son salon, luxueusement meublé à la russe, c’est-à-dire d’objets, de sièges, de meubles, de bibelots, de tableaux empruntés à l’Orient et à l’Occident, donnant l’impression d’une race de transition, trait d’union ethnique entre les aryens de la presqu’île, européenne et les Mongols du vaste plateau asiatique.

Après un silence, elle se pencha légèrement en avant.

— Enfin, ma chère petite nièce, le Dieu de la Sainte Russie tient notre sort à tous dans sa main. Nous sommes, toi, une enfant ; moi, une femme sans force. Nos paroles, nos angoisses ne changeront rien à ce qui doit advenir. Nous pouvons seulement prier pour ceux qui sont en danger.

— Prier !

Dans ce mot, toute la volonté de Mona se révélait.

Certes, elle était fervente orthodoxe ; certes, elle se prosternait avec foi devant les saintes Images du rite grec ; mais l’oraison achevée, le tempérament courageux, combatif, qu’elle tenait de son éducation autant que de sa nature, reprenait le dessus.

Ayant imploré l’Infini, Mona recherchait l’Action humaine. Elle n’était point la fillette frêle qui attend passivement le résultat des conflits ; elle voulait y prendre part, agir en un mot.

Alors que sa tante Olga, avec le fatalisme moscovite, semblait avoir pris pour devise :

— Prie et Dieu décidera !

La fille du général Labianov eût volontiers adopté la devise française de notre bon La Fontaine :

— Aide-toi, le ciel t’aidera.

Toutefois Olga s’étant levée et faisant signe à Mona de la suivre, celle-ci ne résista pas.

Dans les traces de sa tante, elle gagna un petit oratoire, voisin de la chambre à coucher de l’excellente dame, et s’agenouilla auprès d’Olga devant les Icônes saintes.

Quand elle se releva, on eût cru qu’une métamorphose morale s’était opérée en elle.

À son agitation de tout à l’heure avait succédé le calme. Tout son être exprimait l’apaisement.

Et cependant, ses yeux brillaient étrangement, sur ses lèvres s’ébauchait un sourire de défi.

Olga ne s’aperçut de rien.

Ses dévotions terminées, elle demanda :

— Alors, petite Mona, tu ne veux point assister au dîner du maréchal de la cour de Saint-Pétersbourg.

— Non, tante, je vous l’ai dit ; je suis trop inquiète. Et puis, au milieu de tout ce monde, où, privilège de l’âge sans doute, on sait parler de nos désastres avec calme, je craindrais de me laisser aller à l’impétuosité de mon caractère. Je suis vive, tante, vive, mais raisonnable, et je me rends compte de ce qui me manque pour devenir digne d’accompagner la chère belle dame que vous êtes.

Que répondre à cette câlinerie d’une nièce bien aimée, à laquelle on avait pris l’habitude de tout pardonner ?

Rien, pensa Mme Olga. Aussi elle embrassa la fillette, puis se retira dans sa chambre, pour se livrer aux mains des femmes de service, qui allaient l’habiller pour la soirée annoncée.

Mona, une fois seule, regagna le salon.

Les fenêtres donnaient sur la cour de l’hôtel, quadrilatère spacieux pavé de cubes rougeâtres de roche de l’Oural, et fermé par un portail géant, portant à son fronton l’écusson de Labianov.

Une voiture élégante, sortie des ateliers d’un maître carrossier de Paris, attelé de deux superbes chevaux noirs de l’Ukraine, stationnait devant le perron-terrasse qui surélevait le rez-de-chaussée.

Sur le siège, cocher et valet de pied, impeccables en leur tenue russe, grise et parements verts, avec leur bonnet circassien orné de la cocarde de la maison, croix de Saint-André émeraude sur fond gris clair, et debout près de la portière ouverte, un valet raide, froid, gourmé, attendant immobile, telle une statue de la Servitude, la venue de la très haute et très noble dame Olga Valestitcheff, née Labianov.

La jeune fille parut s’absorber dans la contemplation de l’équipage.

Les chevaux élégants, admirables de formes, la tête fine, les jambes sèches et nerveuses, piétinaient, grattaient le sol, s’impatientant à se sentir retenus, alors qu’ils avaient hâte de partir à toute allure.

— Ils sont beaux, murmura Mona d’un ton pensif… ; mais ceux de Mongolie ont plus d’ardeur encore.

Et après un silence :

— La Mongolie… les deux tiers du chemin… ! Après, la voie est au pouvoir des Japonais.

Elle alla vers une table chinoise, aux incrustations délicates. Un album se trouvait là.

Elle l’ouvrit, le feuilleta, et s’arrêta à la page sur laquelle était figuré le tracé de l’immense ligne ferrée, dénommée Transsibérien.

Son index courut sur la ligne noire, dont les sinuosités indiquaient celles du long ruban d’acier.

— Après tout, fit-elle encore, c’est une fatigue, mais le danger est nul.

Elle sourit :

— Nul jusqu’à Sakhaline… Une fois là, par exemple, cela change… Oui, mais mon père ne serait plus seul, et s’il doit succomber…

Elle referma l’album et revint à la fenêtre.

D’un regard, elle s’assura que la voiture attendait toujours, puis reprenant la suite de sa rêverie :

— Au bout de six mois, a-t-il promis, il se présentera à Aousa, pour délivrer mon père.

Elle eut un soupir :

— Le délivrer ! il savait donc ce qui devait arriver !

Pendant une seconde, sa parole fut suspendue. Peut-être hésitait-elle à répondre à l’interrogation. Elle se décida pourtant.

— Oui, il savait… mais comment savait-il ?

Avec un geste d’impatience, elle reprit :

— C’est étrange… Et puis ce laissez-passer qu’il m’a remis. Pensait-il donc qu’en apprenant l’investissement de Sakhaline, je ne saurais pas résister au désir de rejoindre mon père… Évidemment, il avait lu en moi plus clairement que je ne vois moi-même.

— Et tout bas :

— Avec ce sauf-conduit, vous passerez partout sans danger… Ce sont ses propres paroles : sans danger !… Et je pourrais protéger mon pauvre, mon bien-aimé père.

Ses regards se levèrent vers le ciel, et lentement :

— Il m’a vue à peine… et cependant, il connaissait de moi ce que tante Olga, ce que mon père, ce que Macelle Lisbe, n’ont jamais découvert. Cela est curieux… Mais tout n’est-il pas singulier chez lui : cette entrevue avec la « Française », son évasion, son arrivée à Saint-Pétersbourg, en institutrice anglaise.

Elle souriait à présent.

— Et pourquoi a-t-il tenu à entraîner M. Kozets ?… Et depuis, ni l’un, ni l’autre, n’a reparu. Où sont-ils ? Que leur est-il arrivé ?

Soudain elle s’interrompit.

Sur le perron, Olga Valestitcheff venait d’apparaître. Le cocher maintenait l’attelage immobile.

La tante de Mona monta légèrement dans la voiture dont la portière armoriée se referma.

Au même instant, le portail s’ouvrit lentement, et les chevaux d’Ukraine, bien tenus en main, exécutèrent une sortie majestueuse.

— Elle est partie, murmura Mona avec un mélange de joie et de regret… j’ai toute la soirée à moi.

Sur ce, d’un pas hâtif, comme si elle craignait de retarder l’exécution d’un projet éclos en sa fantasque cervelle, la jeune fille quitta le salon, traversa plusieurs pièces, et enfin pénétra dans la salle de travail.

C’était là qu’elle se tenait d’habitude, dessinant, étudiant son piano, ou encore se livrant à un travail, soit de broderie, soit de tapisserie.

Macelle Lisbe s’y trouvait penchée sur un livre.

L’Allemande, comme de coutume, étudiait sans les comprendre les beautés de la langue française.

Elle sauta en l’air à l’apparition brusque de Mona, et son émotion réveillant sa manie des mots composés, elle cria d’une voix rageuse :

Quelles manières avez, ma chère, vous comme-un-diable-entrez dans cette de travail-chambre.

Ce à quoi, sans se troubler, la fillette répliqua :

— Je m’empressais pour obéir à ma tante !

— À votre tante ?

— Oui, elle, vient de partir pour la réception du maréchal de la Cour.

— Ah ! ah ! fit l’institutrice en se redressant, de même que si elle participait à l’honneur d’assister à si brillante réunion.

— Or, au départ, tante m’a priée de courir de suite, avec vous, chez le pope de la rue Ovstroski.

— Derrière le Palais d’Hiver ?

— Précisément. Et de rapporter les icônes qu’il a promises… Des icônes admirables, Macelle Lisbe, car toute prière, formulée devant elles, est exaucée.

L’Allemande eut un léger haussement d’épaules.

Comme tout Germain qui se respecte, elle alliait à une grande dévotion apparente un profond scepticisme, et elle méprisait la foi russe, demeurée naïve comme aux premiers jours de l’Église.

— Or, continua Mona, sans paraître avoir remarqué ce mouvement irrespectueux, tante désire, ce soir même, en rentrant, s’agenouiller devant les miraculeuses icônes, pour obtenir le salut de ceux qui défendent Sakhaline.

— Il vaudrait mieux envoyer des soldats, grommela Lisbe, montrant par ces mots la véritable foi teutone, la foi en la force brutale.

Mais la fillette se récria :

— Les saintes images sont plus puissantes qu’une armée.

Et Lisbe ne répondant pas :

— Souvenez-vous de ce qui est arrivé au croiseur cuirassé le Sevas[1]. Il est surpris en mer, près de Formose, par trois cuirassés et sept torpilleurs japonais. Il semblait perdu. Par bonheur, le capitaine avait à bord une image, venant du trésor de la chapelle impériale de Tsarkoië-Selo. Il la fit monter sur le pont. L’équipage s’agenouilla, et l’on courut droit sur l’ennemi. En vain les Nippons ouvrirent contre le vaisseau russe un feu infernal, pas un obus ne toucha le navire, qui traversa la ligne ennemie et s’échappa, sans avoir perdu un homme, sans avoir subi la moindre avarie.

C’est par des contes de cette envergure que le saint synode cherchait à endormir l’opinion russe.

Lisbe ne protesta pas.

Sans doute, l’expérience lui avait appris qu’il ne fait pas bon lutter contre les superstitions d’un peuple encore enfant.

Mais elle se leva.

— Je m’habille pour aux ordres-transmis-obéir.

— C’est cela même, Macelle Lisbe. Dans dix minutes, je vous attendrai ici.

— Il est rencontre-convenue.

La lourde personne quitta aussitôt la salle. Quant à Mona, elle se précipita en tempête dans sa chambre, réunit plusieurs rouleaux de roubles or ; un portefeuille bourré de billets de banque, divers papiers.

Le tout s’engouffra dans une poche profonde dissimulée sous sa jupe.

Puis elle se coiffa à la diable, mit chapeau, gants, à mouvements rapides, pressés, de même que si elle était avare de minutes trop courtes.

Enfin elle fut prête.

Alors elle regarda autour d’elle. Il y eut comme un attendrissement dans ses yeux, à mesure qu’ils se posaient sur le lit blanc aux rideaux transparents, retenus par des nœuds de ruban, sur les sièges, la table, les icônes, les livres, les mille riens qui encombrent une chambre de jeune fille.

Mais elle fit un mouvement brusque.

On eût dit qu’elle chassait cette faiblesse passagère.

— Après tout, murmura-t-elle entre haut et bas ; cela ne débutera pas d’une façon triste.

La réflexion lui arracha un petit rire grelottant, où il y avait de l’ironie et de la peur.

— Lisbe hausse les épaules, quand je lui parle des images sacrées ; elle pourra mesurer leur puissance.

Elle rit de nouveau, puis pensive :

— Après, je serai seule… et le chemin à parcourir est si long.

Mais frappant le plancher du pied.

— Il faut que je les sauve. Il m’a donné le laissez-passer pour cela, j’en suis sûre, autrement, m’eût-il dit qu’une mission lointaine… quelle mission, je l’ignore, le tiendrait, éloigné durant six mois… Si Sakhaline succombait avant qu’il fut de retour… Oh ! je veux penser à cela pour avoir du courage.

Le regard fixe, le pas assuré maintenant, elle revint à la salle de travail, où déjà Macelle Lisbe l’attendait.

Sans un mot, elle entraîna l’Allemande, descendit au rez-de-chaussée, traversa la cour, et ouvrant elle-même une porte basse, percée dans le mur à côté du grand portail, elle parvint avec son institutrice sur la Perspective.

À vingt pas de là, une forme féminine se tenait adossée à un réverbère.

Mona la vit et fit un geste.

L’inconnue quitta aussitôt son poste, et d’une allure rapide s’éloigna.

Macelle Lisbe n’avait rien vu.

De son pas lourd, se dandinant sur les hanches ainsi qu’un canard, elle déambulait à côté de son élève.

À haute voix, elle exprimait sur les piétons, sur les équipages qu’elle croisait des observations d’une finesse germanique, agrémentées de ces barbarismes dont elle savait si bien émailler son étrange français.

La jeune fille l’approuvait du geste, de sourires discrets, et Lisbe, peu accoutumée à pareil succès, redoublait de verbiage.

Ce lui fut une surprise quand Mona, indiquant une petite maison, d’apparence modeste, déclara :

— Nous sommes arrivées.

— Déjà ?

— Vous le voyez.

Sur la porte de bois, recouverte d’une teinte vert sombre, se détachait une plaque émaillée multicolore, sur laquelle on lisait :

Ignavus, pope et prêcheur.
Toute heure doit être consacrée à l’orthodoxie.

Au-dessous, un marteau de bronze indiquait de quelle façon on pouvait provoquer l’ouverture de l’huis.

Devançant son institutrice, Mona souleva le heurtoir et le laissa retomber par deux fois.

Une minute se passa.

Puis une clef cliqueta dans la serrure. Le battant tourna sur ses gonds, démasquant une servante, petite, à la face jaune trouée par deux yeux de jais, vifs et mobiles.

Elle eut pour les visiteuses un regard indéfinissable, et empressée, obséquieuse :

— Je suis seule à la maison. Un mourant a réclamé la présence de mon révérend maître.

— Oh ! s’empressa de répondre Mona, voilà, qui est fâcheux.

— Vous désirez lui parler ?

— Oui, il a promis à ma tante Olga des images saintes…

La servante leva les bras au ciel.

— Oh ! si ce n’est que cela, votre visite ne sera pas inutile.

— Comment ?

— Elles sont ici, et le doux pope, prévoyant peut-être votre venue, m’a bien recommandé de vous faire choisir.

Elle s’effaçait en parlant ainsi, son attitude invitant les promeneuses à pénétrer dans le logis du pope.

Délibérément Mona profita de la permission tacite, et Macelle Lisbe fut obligée de la suivre en grommelant :

— Il aurait mieux valu revenir.

— Pourquoi donc ?

— Parce que votre pope aurait lui-même désigné les icônes. Je ne suis pas de l’Église grecque, moi, et je n’entends rien à ces choses.

— Mais j’en suis, moi…

— Sans doute, sans doute. Seulement à votre âge, êtes-vous certaine de procéder à un choix susceptible d’obtenir l’agrément de votre très noble parente ?

Mona haussa les épaules et marcha dans les traces de la servante, qui, la porte refermée, avait traversé le vestibule, montrant le chemin aux nouvelles venues.

Derechef, Macelle Lisbe dut emboîter le pas à son élève, sous peine de demeurer seule au milieu du vestibule.

Oh ! ce ne fut pas sans se lamenter en français et en allemand ; mais ses paroles n’influencèrent aucunement celle qui les motivait. Mona semblait décidée à ne tenir aucun compte de la mauvaise humeur de son institutrice.

On traversa le salon, puis on pénétra dans un petit cabinet transformé en chapelle, et dont les murs disparaissaient presque sous les images de piété.

On eût cru se trouver dans un magasin d’imagerie sacrée. Vélins enluminés, émaux, miniatures, triptyques, s’alignaient, se superposaient.

— Si ces dames veulent bien prendre la peine de faire un choix ? murmura respectueusement la domestique.

— Oh ! ma bonne Macelle Lisbe, venez à mon secours, s’écria Mona.

Il y en a trop, jamais je ne me déciderai.

— Ah ! Ah ! J’avais donc raison. Et moi, qui ne connais rien à ces choses-là…

— Vous vous calomniez…

— Je n’oserai jamais désigner pour Mme Olga.

Mona parut prête à pleurer.

— Et je serai grondée.

— Pourquoi ? Il n’y a pas de votre faute, si le pope est sorti.

— Certes non, mais tante est très inquiète de ce qui se passe en Mandchourie, et elle veut, ce soir même, commencer les prières qui appelleront la protection sur ceux que nous aimons.

Puis s’adressant à la servante qui assistait, imperturbable, à ce débat :

— Toutes ces images sont saintes ?

— Et bénies par le procurateur du Saint Synode.

Mona eut un cri de triomphe :

— Là, Macelle Lisbe, vous voyez. Toutes sont également bonnes pour la prière. Le choix est simplement une opération de goût, et comme vous avez un goût excellent…

Lisbe daigna sourire.

Mal lui en prit, car Mona, certaine à présent de ses bonnes dispositions, la saisit par la main, l’entraîna au fond de la petite salle, et la plantant face au mur, devant la légion de saintes Figures :

— Macelle Lisbe, je vous en prie, désignez celles qui vous plaisent davantage.

Flattée de l’importance que lui attribuait son élève, si indisciplinée d’ordinaire, la lourde personne s’arma de son face-à-main, et consciencieusement se mit à examiner les images.

De temps à autre, elle en désignait une (et il faut bien le reconnaître, celle-ci était toujours des plus brutalement enluminées) en disant :

— En voici une qui tout à fait attrayante à mon regard apparaît.

Cinq fois elle répéta le geste et la phrase, sans qu’une réponse lui parvînt.

Un peu surprise, elle se retourna enfin en murmurant :

— Ne partagez-vous pas mon avis ?

Mais elle resta saisie. Elle était seule à présent dans la petite salle, dont la porte avait été refermée avec soin.

Elle eut un sourire ironique.

— Ah ! cette petite Mona ! Elle paresse-aime. Dans le proche-salon-assise, sans doute, où mon opinion-attendant.

Et avec l’intention de gourmander quelque peu la jeune fille, elle alla à la porte et tourna le bouton.

La porte ne s’ouvrit pas.

Lisbe tourna plus fort, poussa le panneau de bois.

Efforts inutiles, le battant demeura immobile dans son encadrement, et l’institutrice, vaguement inquiète, s’étant penchée vers la serrure, constata qu’elle était enfermée à double tour.

Qu’est-ce que cela voulait dire ?

Avait-on voulu la séparer de son élève ?

Prise de peur, elle appela, frappa. Rien ne répondit. Alors Lisbe s’affola, se répandit en cris de plus en plus rauques, jusqu’au moment où, hors d’haleine, la voix faussée, une sueur froide inondant sa face, elle se laissa tomber sur un siège en gémissant :

— Je suis morte !

Pas un instant il ne lui vint à l’esprit qu’elle était tout simplement victime d’un plan machiavélique ourdi par son élève.

En effet, tandis que l’Allemande s’absorbait dans l’examen des icônes, Mona, entraînant la servante du pope, était sortie sur la pointe des pieds. Sans bruit, elle avait repoussé la porte, donné un tour de clé, et, surcroît, de précaution, prouvant le sang-froid, compagnon ordinaire de la préméditation, l’espiègle Mona fixa minutieusement un verrou.

Lisbe était dorénavant prisonnière. Elle ne sortirait du réduit du pope que lorsqu’il la délivrerait.

Ceci fait, la jeune fille regarda la servante, qui, impassible, avait suivi tous ses mouvements.

— Jorda, nous pouvons partir.

— Quand il vous plaira, Monaïtza.

Par la terminaison ïtza, diminutive du nom, la domestique démontrait qu’elle était originaire de l’Est-Sibérien, car ce suffixe n’est usité que parmi les populations vivant entré Baïkal et Pacifique.

Elle rit silencieusement en découvrant des dents blanches.

— La « professeur » a des images à regarder, elle ne s’ennuiera pas.

— Certes, répliqua la jeune fille sur le même ton… Mais le pope rentrera.

— Demain matin.

— Nous serons déjà loin de Saint-Pétersbourg.

— Le train quitte la gare dans une heure.

Mona approuva de la tête.

— Tu t’es occupée de tout ?

— De tout : Couchettes, couvertures, etc.

— Ah ! Jorda… Je suis bien contente de t’avoir rencontrée. Sans cela, je ne sais vraiment comment j’aurais pu réussir à m’échapper et à rejoindre mon père.

— Vous voulez toujours, Monaïtza ?

— Plus que jamais.

— Alors, ne perdons pas de temps, sinon nous manquerions le train.

Toutes deux regagnèrent l’antichambre et se glissèrent dans la rue en refermant soigneusement derrière elles la porte de la maison, où elles laissaient Lisbe prisonnière et terrifiée, incapable de deviner les causes de l’aventure dont elle était victime.

Vite, pressant l’allure, elles se dirigèrent vers la station.

Comment la jeune fille et l’étrange servante avaient-elles fait connaissance ?

Oh ! de la façon la plus simple.

Huit jours plus tôt, Macelle Lisbe qui avait découvert un compatriote allemand parmi les ingénieurs des usines Poutiloff, célèbres entre toutes en Russie, s’était empressée de solliciter de celui-ci la permission de visiter l’exploitation.

Elle avait naturellement emmené Mona, afin de lui expliquer dans un jargon français-allemand, la machinerie, les transformations physiques et chimiques.

Or, comme elles parcouraient un atelier de triage, elles se rencontrèrent avec d’autres visiteurs, le pope de la rue Ovstroski et sa servante Jorda.

De là conversation, empressement du pope en apprenant que Mona était la nièce de haute dame Olga, hôtel particulier sur la Perspective.

Un instant, Mona demeura en arrière.

La servante s’approcha d’elle et la voix abaissée, murmura à son oreille :

— Le général Labianov m’avait chargée de rapporter ses paroles à sa fille.

— Mon père… ! s’écria l’a jeune fille.

— Chut ! interrompit la femme au teint ambré. Je dois les dire à vous seule. Je me suis présentée plusieurs fois à la maison de la Perspective ; on ne m’a pas laissée entrer.

— Parlez.

— Pas ici.

— Où donc alors ?

— Chez mon maître, le saint pope.

— Eh ! comment y puis-je venir ?

— Il a une collection d’images sacrées. Le pauvre homme en fait commerce pour subvenir à ses besoins. Vous avez entendu parler de ces images qui portent avec elles le bonheur…

Mona inclina la tête, elle avait compris.

Fine, mutine, surexcitée par la pensée d’avoir des nouvelles de son père, elle fit tant et si bien qu’elle parvint à décider Lisbe à l’accompagner chez le pope.

Ce jour-là, le brave desservant, flairant une cliente d’importance, se confondit en amabilités, et alla même jusqu’à offrir aux visiteuses un grog, thé et vodki.

Bien entendu, Mona refusa, en manœuvrant de telle sorte que Lisbe fût contrainte d’accepter.

Et tandis que le pope et l’institutrice s’installaient en face de la boisson aromatique, la jeune fille, éprouvant décidément une passion désordonnée pour les icônes, se tenait, avec Jorda, dans la petite salle où elles étaient exposées.

Là, absorbées en apparence par la contemplation des images, elles causaient à voix basse.

— Jorda, vous avez vu mon père.

— Il y a un mois ; j’étais à son service. J’y suis entrée le lendemain de votre départ, à ce que l’on m’a dit.

— Ah !

— J’avais vu votre portrait sur le bureau du gouverneur général… Car il s’y trouvait toujours.

— Cher, père, murmura la jeune fille émue.

— Je crus que c’était le regret d’une morte qui hantait le maître, et un jour que je le surpris, considérant la photographie avec des yeux humides, j’osai lui dire : Maître, on est plus heureux auprès du Très-Haut que parmi les hommes. Il ne se fâcha pas de ma liberté, car il me répliqua dans un triste sourire : « Ce n’est pas une morte, Jorda ; mais hélas ! je crains que bientôt ce ne soit une orpheline.

— Une orpheline, répéta Mona en pâlissant.

— Oui. Les succès des Japonais ne laissent aucun doute. Avant peu, Sakhaline serait attaquée par des forces supérieures… et le général Labianov étant résolu à défendre jusqu’à la mort le pays dont le tzar lui avait confié le gouvernement…

— Oui, oui, mon père ne se rendra jamais.

La servante hocha la tête d’un air pénétré, puis d’un ton grave qui impressionna son interlocutrice :

— Voyez-vous, Monaïtza, ce court entretien me laissa une préoccupation profonde. Chez nous, quand un danger nous menace, qu’il vienne de la colère des éléments, des hommes ou des fauves, nous nous réunissons tous dans la même isba (maison), pour lutter côte à côte, vaincre ensemble… ou partir en même temps vers ce paradis que nous a ouvert Celui qui est mort sur la croix.

— Ah ! vous avez bien raison.

— Les anciens le croient, et je le crois comme eux. Alors, j’ai pensé que le général, que vous-même, seriez heureux d’être réunis en ces circonstances critiques. Lui, ne pouvait pas venir à vous… je résolus de venir vous chercher… j’ai volé pour faire le voyage… le pope a eu ma mère à son service, j’étais sûre de n’être pas sans asile en arrivant à Pétersbourg… Et tout s’est arrangé… Un peu de difficultés jusqu’à Kharbine, les Japonais occupant la voie ferrée.

— Bon ! nous n’en aurons pas au retour, car j’ai un laissez-passer… avec lequel peut-être, à l’heure suprême, je pourrai sauver mon père…

Elle levait les yeux au ciel, toute sa petite âme concentrée dans ce désir de dévouement filial. Aussi, ne vit-elle pas le sourire énigmatique qui passa, rapide comme l’éclair, sur la physionomie de son interlocutrice.

Dès lors le départ était résolu dans l’esprit de Mona.
soudain un cri les cloua sur place.

À force d’adresse, elle parvint à faire partager à sa tante son engouement subit pour les icônes du pope.

Et l’on vient de voir comment, se débarrassant de Lisbe, la jeune fille allait quitter Saint-Pétersbourg, certaine qu’avant le lendemain matin, on ne s’inquiéterait pas de son absence.

Or, le lendemain, à neuf heures, quand le pope, rentrant à son domicile, délivra l’institutrice allemande, il y avait exactement treize heures que Mona s’éloignait dans un train, à raison de trente-cinq verstes à l’heure. Elle était donc à quatre cent cinquante-cinq verstes, ce qui, à raison de 1.077 mètres l’une, équivalait à 490 kilomètres 35 mètres.

Ce voyage sur cet interminable ruban d’acier qui s’étend entre Pétersbourg, Moscou, l’Oural, Irkoutsk, le lac Baïkal, Kharbine et Vladivostok, fut monotone, sans incidents.

À partir de Kharbine, la voie était gardée par les troupes japonaises, mais le laissez-passer, naguère remis à Mona par Dodekhan, levait tous les obstacles.

À Vladivostok, il n’en eût pas été de même. Aussi la jeune fille et sa compagne ne pénétrèrent-elles pas dans la ville assiégée.

Elles gagnèrent la côte, à travers des campements nippons, firent prix avec un pêcheur, qui les transporta à Sakhaline.

Les croiseurs japonais arrêtèrent l’embarcation à trois reprises ; mais sur la présentation du laissez-passer, ils la laissèrent libre de poursuivre sa route.

Enfin, on entra dans le petit port d’Aousa.

Comme l’aspect en avait changé, depuis le départ de Mona.

Des redoutes s’élevaient sur les hauteurs, et de temps à autre, des détonations sourdes ébranlaient l’atmosphère, disant la riposte des artilleurs russes aux ennemis qui entouraient le pénitencier et ses défenses, d’un cercle de feu.

Mona et Jorda avaient débarqué.

Soudain un cri les cloua sur place.

— Mademoiselle Mona !

Elle regarda. En tête d’un piquet de cosaques, le lieutenant Vas’li, le même qui naguère l’avait accompagnée à Khabarovsk, se tenait tout droit sur son cheval, les bras étendus en un geste de surprise.

— Je ne me trompe pas, reprit-il, mademoiselle Mona, ici, en un pareil moment. Ah ! Son Excellence sera bien chagrine.

La jeune fille tressaillit à ce reproche indirect.

— Chagrine, pourquoi ?

— Parce que nous sommes à bout de munitions… Les forçats se sont joints aux assiégeants ; ils leur ont fourni tous les renseignements utiles sur les points faibles de la position. Nous restons cinq cents hommes valides. Au premier assaut, nous nous ferons tuer, et puis ce sera fini.

Elle courba la tête.

Mais elle se souvint du laissez-passer, et de nouveau l’espoir rentra dans son jeune cœur.

— Vous me ferez donner une carabine, Vas’li. Je suis revenue pour ne pas quitter mon père, quoi qu’il arrive.

Le lieutenant salua la jeune fille.

— L’hôtel du gouvernement a été transféré à l’ancienne infirmerie du pénitencier.

— Pourquoi ?

— Parce que ce point est dissimulé aux vues de l’ennemi, et qu’il a été épargné par le bombardement.

Mais s’interrompant, l’officier ajouta :

— Excusez-moi, petite Excellence, je porte des ordres qui ne souffrent aucun retard.

Sur ce, il rendit la main à son cheval et s’éloigna avec son escorte de cosaques.

Mona, elle, entraîna Jorda vers l’avenue du Gouvernement.

Les brèves paroles de Vas’li lui avaient donné une curiosité… celle de se rendre compte des résultats de ce bombardement dont elle venait de recevoir la nouvelle.

Sa curiosité lui réservait une surprise pénible.

Les sapins qui bordaient l’avenue étaient brisés et déchiquetés, comme s’ils eussent subi la rage d’un bûcheron géant. Les pavillons des fonctionnaires n’étaient plus que des monceaux de ruines, au milieu desquelles se dressaient des pans de murailles branlantes, trouées, écrêtées, par les projectiles ennemis.

Mona se sentit le cœur serré.

Un instant, elle demeura pensive devant l’amoncellement de débris marquant la place de l’ancien hôtel du Gouvernement, puis avec un geste de décision, elle s’adressa à Jorda :

— Continuons.

La servante suivit sans observation.

Sa face jaune, alors que Mona ne l’observait pas, s’épanouissait. Il y avait dans ses yeux noirs comme une irradiation de triomphe.

À l’endroit où s’élevaient naguère les baraquements des forçats, il ne restait rien que quelques pieux à demi consumés et un sol noirci. L’incendie avait passé par là.

Toute émue, Mona s’était arrêtée sur un tertre dominant de quelques pieds le vallon d’Aousa. Ses yeux erraient sur ce spectacle de désolation.

À ce moment, un cosaque s’approcha de Jorda, restée au pied de l’éminence.

La servante le salua d’un petit signe de tête.

Il répondit de même et se rapprocha encore.

Il frôla presque la domestique au passage, puis continua sa route, sans qu’un mot eût été échangé. Seulement les mains de l’homme et de la femme jaune s’étaient furtivement serrées.

Il disparut bientôt derrière un bouquet d’arbres.

Là, un autre personnage vêtu en bouriate (indigène de la région) semblait attendre.

— Eh bien ? fit celui-ci.

— Vu Jorda, répondit laconiquement le cosaque.

— T’a-t-elle remis le laissez-passer ?

— Oui, le voici.

Le soldat russe tendit au Bouriate le papier précieux.

— Elle a donc réussi à le dérober à la jeune fille ?

— C’est sûr. Jorda d’ailleurs fait ce qu’elle veut. Or, il fallait que la petite Excellence fût privée de cela.

— Enfin, c’est fait. Quand le Maître doit-il être parmi nous ?

— Demain se terminent les six mois qu’il a indiqués.

— Demain…

— Que t’importe d’ailleurs ?

— Il m’importe beaucoup. Je vais au camp japonais, et il ne faut pas qu’ils attaquent avant l’heure fixée.

— Bah ! les Russes ne peuvent résister.

— C’est pour cela.

Et le cosaque considérant son interlocuteur d’un air ahuri, celui-ci haussa les épaules et ricana :

— Tu n’as pas besoin de comprendre. Retourne parmi les tiens, et dors tranquillement cette nuit. Vous ne serez attaqués que demain.

Cependant Mona, ayant rempli ses regards du tableau de désolation étendu à ses pieds, avait descendu la pente, et rejoignant Jorda, l’entraînait vers l’ancienne infirmerie du pénitencier, cachée au fond du ravin d’Aousa.

À son esprit se représentait la promenade de nuit, effectuée six mois plus tôt, alors que son père, elle-même, allaient surprendre Dodekhan au chevet de la « Française » mourante.

Elle revivait cette heure étrange.

Elle entendait la voix du Turkmène disant :

— Je serai libre demain. Et je parie une discrétion. Dans six mois je reviendrai pour délivrer le général Labianov.

Le délivrer ? Le sens de ces paroles lui avait échappé alors ; maintenant elle comprenait la menace renfermée dans ces mots.

Du village des fonctionnaires, des baraquements des condamnés, il ne restait que des décombres.

Le général avait dû se réfugier dans la cabane où la « Française » avait rendu l’âme.

Comment Dodekhan avait-il prévu tout cela ?

Et dans le souvenir de la jeune fille, l’étrange personnage grandissait aux proportions d’un géant, d’un demi-dieu.

Soudain elle s’arrêta, le cœur bondissant dans sa poitrine.

Elle venait de contourner une roche, qui masquait le fond du vallon, et à vingt mètres d’elle se dressait l’humble maisonnette de bois que sa pensée évoquait à l’instant.

Et au dehors, assis devant une petite table pliante, sur laquelle était déployée une carte, le général Labianov se tenait, entouré d’officiers.

Ah ! les jours écoulés avaient marqué sur le gouverneur.

Sa face colorée avait pris des tons de cire ; ses cheveux, sa barbe, étaient devenus presque complètement blancs.

Toute sa personne exprimait la désillusion, l’envol des ultimes espérances.

Et cependant il parlait d’une voix nette, qui, dans le silence, parvenait aux oreilles de Mona.

— Messieurs, au premier assaut, nous succomberons. Nous avons rempli notre devoir jusqu’au bout, et nous pourrons fermer les yeux en nous disant : Il nous était impossible de faire davantage pour Dieu, pour la sainte Russie, pour notre père, le Czar.

Puis plus doucement :

— Tous, officiers ou soldats, nous avons là-bas, au bout de ce long chemin d’acier du Transsibérien, des êtres chers : mères, sœurs, fiancées, épouses, enfants. Avant le dernier combat, laissons-leur notre dernière pensée. J’accorde une heure à la garnison pour écrire ses adieux. Les correspondances seront centralisées ici, enfermées dans un sac, et l’un de nos blessés sera chargé de les remettre à l’ennemi vainqueur, avec prière de les faire parvenir. Allez, messieurs.

Frissonnante, Mona avait tout entendu.

Cette décision de mort la remplissait pour son père d’une admiration douloureuse.
Au premier assaut nous succomberons.

Elle comprenait qu’il songeait à elle ; que c’était pour elle qu’il allait tracer sur le papier l’adieu du soldat marchant au combat sans espoir.

Et emportée par la situation, les yeux obscurcis par les larmes, elle courut à lui les bras tendus, criant éperdument :

— Père !

À sa voix, Labianov s’était dressé. Comme égaré, il balbutia :

— Toi, Mona, que viens-tu faire ici ?

— Je viens mourir avec, toi ; si je ne puis te sauver.

Comme les yeux du gouverneur se fixaient sur Jorda :

— Tu la reconnais… Elle a quitté Sakhaline, en te volant de l’argent. Pardonne-lui elle en avait besoin pour venir me chercher, pour me ramener auprès de toi, afin que, quoi qu’il advienne, nous ne soyions plus séparés.

Puis la voix changée :

— Ne gronde pas ; rien n’est perdu peut-être. Éloigne tes officiers, je veux te parler, te prouver que ma folie, — car c’est ainsi que tu qualifies mon retour, — que ma folie, dis-je, ne manque pas déraison.

— Stanislas Labianov la tenait dans ses bras. Elle sentait un frissonnement de tout son être, et dans la poitrine de l’officier, il lui semblait percevoir comme un long sanglot intérieur.

Il murmura, s’adressant aux officiers qui considéraient la jeune fille avec une surprise presque superstitieuse.

— Allez, messieurs, vous avez entendu mes ordres. Que dans une heure, les adieux soient faits, afin que l’on n’ait plus à songer qu’au devoir.

Et d’un pas lent, comme si ses jambes s’étaient raidies sous l’empire de l’émotion, il entraîna Mona à l’intérieur de la cabane.

La jeune fille ne put se défendre d’un trouble profond, en repassant ce seuil qu’elle avait franchi six mois auparavant.

Malgré elle, ses yeux cherchèrent le lit sur lequel était morte la « Française », ce lit au chevet duquel se tenait Dodekhan, alors forçat… aujourd’hui disparu, mais triomphant, puisque ses affirmations d’antan se trouvaient presque réalisées.

La couchette avait disparu.

Mais la paroi de bois conservait encore les écorchures creusées par les montants de fer.

— Eh bien ! enfant, dit tout à coup le général, nous sommes seuls… Gronder, à quoi bon ? Plus rien ne saurait être changé… Et puis cela est, donc cela devait être… Seulement tu as parlé de raison, je sais bien que, dans ta petite cervelle, il y a souvent plus de raison qu’on ne le croirait… Explique-toi donc et fais-moi connaître tes motifs.

— Merci, père, de me recevoir ainsi. En venant, j’avais peur surtout de vos reproches.

— Je les dissimule, Mona.

— Et moi, je plaide ma cause.

Puis souriante à travers ses pleurs, se pelotonnant dans les bras de son père :

— Je suis forcée de vous conter toute une histoire, père, et de reprendre
Le général Labianov apparaît dans l’entre-bâillement.
à l’époque de mon départ. Car c’est de là que date la première raison de mon retour.

— Que dis-tu ?

— La vérité. Tu vas en juger.

Et successivement, elle dit sa sympathie pour le forçat 12, sa joie intime en apprenant qu’il s’était évadé ; puis le traîneau l’emportant sur le détroit glacé de Sakhaline, la poursuite des loups, la chute de Vas’li, la soudaine apparition de Dodekhan, caché dans l’étui de peau de phoque, où la jeune fille croyait enfermées les pelleteries destinées à sa tante Olga.

Le visage du gouverneur décelait la surprise.

— C’est un hardi coquin, grommela-t-il entre haut et bas.

Elle secoua la tête avec énergie.

— Non, père.

— Comment non ?

— J’ignore son véritable nom ; j’ignore ce qu’il est ; mais un coquin n’aurait pas ses traits loyaux, son regard clair, sa voix sincère. Écoutez du reste, je n’ai pas fini.

Et le récit fut repris.

Elle narra au général, de plus en plus étonné, comment, après l’avoir sauvée des loups, Douze avait disparu à Khabarovsk ; comment elle avait reçu sa lettre à Vladivostok, comment il avait reparu en institutrice anglaise, en Mrs Mary Maryly, juste à point pour tirer, et elle Mona, et ses compagnons des mains des Japonais.

Elle décrivit le reste du voyage, le don du laissez-passer fait par l’ex-forçat, laissez-passer qui, alors qu’elle revenait vers Sakhaline, avait déblayé sa route de tout obstacle, puis la séparation à Saint-Pétersbourg : elle se rendant chez sa tante avec Lisbe, lui continuant son voyage vers l’Allemagne, en tête à tête avec le policier Kozets.

Labianov, très intéressé, ponctuait ses phrases d’exclamations.

Évidemment l’ex-forçat prenait, pour lui aussi, l’apparence d’un homme supérieur, d’une audace, d’un courage et d’un sang-froid exceptionnels.

— Or, conclut Mona dont les yeux brillaient de plaisir en voyant les préventions du gouverneur se fondre peu à peu ; voici la raison déterminante qui me vaut le bonheur d’être auprès de toi.

Et se serrant davantage contre la poitrine de son père.

— Ce papier qui m’a protégé, te protégera aussi. Quand la lutte sera finie, que tu auras fait tout ce que la patrie russe peut exiger du soldat, redeviens père, et laisse-moi tâcher de me conserver mon cher papa bien-aimé.

Quel père eût résisté à de telles paroles ?

Le général Labianov embrassa tendrement sa fille, pardonna à la servante Jorda, et les deux femmes, installées tant bien que mal dans le campement qui avait remplacé le pénitencier ruiné, le digne gouverneur s’absorba dans les soins multiples de la préparation du combat suprême.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Rendez-vous !

— Sans conditions ?

— Rendez-vous. Ne nous obligez pas à vous massacrer. Toute résistance est inutile, vous êtes cernés.

Ces ordres sont clamés pour un officier japonais, dont les soldats entourent la cabane de bois, où se sont réfugiés le général Labianov, Mona, Jorda, le lieutenant Vas’li et une douzaine de combattants russes.

C’est le lendemain de l’arrivée de Mona.

Dès le matin, l’artillerie nippone a fait pleuvoir une grêle d’obus sur les soldats du czar.

Puis l’infanterie du mikado est entrée en action.

Un à un, les points occupés par les Russes ont été enlevés, et les divers détachements, refoulés de façon constante, ont convergé vers le ravin d’Aousa.

Ils ont résisté avec le courage du désespoir, semant le sol de cadavres, fondant sous le feu d’un ennemi dix fois supérieur en nombre.

Et maintenant, il ne reste debout que les quatorze hommes, qui se sont groupés autour du drapeau et de cette petite Mona, venue là avec l’espoir de sauver son père.

La fusillade s’est tue de chaque côté.

L’officier japonais s’est approché encore, sans souci du danger. Il est près de la porte de la chaumière.

Sans doute, de l’intérieur, on a pu suivre ses mouvements, car la porte s’ouvre ; le visage du général Stanislas Labianov apparaît dans l’entrebâillement.

— Monsieur, dit-il, accordez-nous un quart d’heure d’armistice.

— Un quart d’heure ?

— C’est, peu ; mais nous ne pouvons nous échapper, n’est-ce pas ?

— Certainement non.

— Si je demande cette courte trêve, c’est pour tenir conseil avec ceux des miens qui vivent encore.

Le Japonais salue militairement.

— J’attendrai un quart d’heure.

Et il rejoint ses hommes, pensif, pénétré de ce respect frissonnant qu’inspire le malheur.

Les Nippons, à son ordre, posent l’arme au pied, et ils demeurent immobiles, les yeux fixés sur cette cabane de bois, où sont enfermés, ainsi qu’en une souricière, les rares survivants de la garnison d’Aousa.

Pourtant, leurs visages n’expriment pas la joie du triomphe.

Pour le combattant, après l’écrasement d’un adversaire trop inégal en nombre, il reste une tristesse. Le succès laisse une amertume, car l’héroïsme, le droit à la gloire appartiennent aux vaincus.

Cela, en leurs cerveaux frustes, les petits soldats jaunes le sentent confusément.

Certes, ils ont remporté la victoire. Aousa, le dernier point occupé par les Russes, est maintenant en leur pouvoir. Sakhaline, cette île qui prolonge, au nord, l’archipel du Japon, va faire retour à l’Empire du Soleil Levant.

Oui, mais on a combattu cinq mille contre cinq cents, et dans chaque mort rencontré sur leur route offensive, les Nippons ont cru voir un témoin de la courageuse obstination russe, un témoin de ce qu’ils appellent, eux, tout bas, leur lâcheté.

Cela est ainsi. Ces soldats jaunes, à la bravoure indomptable, sont froissés d’avoir été envoyés si nombreux contre un ennemi ne pouvant mettre en ligne que des effectifs restreints.

Il y a là un sentiment chevaleresque, inexprimé peut-être, mais ressenti par ces représentants d’une jeune et ardente armée, que la campagne de Mandchourie vient de révéler au monde.

De là, le désir d’épargner la poignée de braves qui survivent.

De là, la démarche du chef de la première ligne ; démarche que tous ont approuvée, qui leur a été comme une douceur.

Maintenant ils attendent, les regards anxieusement fixés sur la cabane.

Pourvu que les Russes ne s’entêtent pas à une défense inutile.

À l’intérieur de la chaumière, un drame se déroule.

Mona a poussé un cri de joie, lors de la proposition de l’officier nippon.

Elle a tiré son père en avant, lui disant d’une voix entrecoupée par l’émotion :

— Un armistice, père, je vous sauverai tous.

Et Labianov a demandé quinze minutes.

Cependant Mona a glissé sa main dans son corsage. Dans la doublure elle a ménagé une petite pochette, où elle gardait précieusement le laissez-passer que lui remit naguère Dodekhan.

Elle songe au jeune homme, à ce forçat N° 12, qui, même absent, la protège, elle et les siens.

Mais soudain, une pâleur envahit, son visage.

Sa main tremblante explore la pochette cachée.

Que se passe-t-il donc ?

Une chose horrible, inattendue, déchirante. C’est une épouvante ! C’est un écroulement !
Le papier… Je ne le retrouve pas !

La poche est vide. Le laissez-passer a disparu.

Mais elle cherche, fouille dans ses vêtements, regarde autour d’elle d’un air affolé.

Rien, rien qui ressemble au papier libérateur.

Elle a perdu ce chiffon de parchemin, qui était la vie, la liberté pour ceux dont elle est entourée, pour son père debout auprès d’elle.

— Qu’as-tu, Mona ?

D’une voix sourde, frissonnante, elle murmure :

— Le papier je ne le retrouve pas.

Cette phrase si simple sonne comme un glas aux oreilles du général.

Tout à l’heure, il a ouvert ; il a répondu au parlementaire nippon, parce que sa fille lui a dit :

— Nous sortirons d’ici avec notre drapeau, avec les honneurs de la guerre.

Il a accepté avec joie, car il n’admet pas que l’on remette dans d’autres conditions à l’ennemi une forteresse qui a été confiée par le czar à l’un de ses sujets.

Une grande joie inondait son cœur.

Du même coup, il éviterait à sa chère Mona le trépas ou la captivité.

À présent tout était remis en question.

— Cherche, cherche encore, fait-il.

Lui-même se met en quête. Les coins et recoins de la baraque sont explorés.

Peine inutile. Le papier sauveur ne se montre nulle part.

Personne ne saurait deviner que Jorda l’a dérobé à sa jeune maîtresse, qu’elle l’a remis la veille à un agent japonais, et que, à cette heure, le laissez-passer est entre les mains du commandant en chef de l’expédition contre Sakhaline, lequel, à quatre kilomètres en mer, suit les opérations du pont de l’Ossiouma, croiseur cuirassé, où il a établi son quartier général.

Oh ! la désespérance plus atroce après quelques minutes d’espoir.

Labianov sent des larmes ardentes monter à ses paupières. Il étreint sa fille dans ses bras, ne trouvant à dire d’une voix gémissante que ces mots :

— Mona ! ma petite Mona !

Tout ce que peut souffrir un père est enfermé en cela.

Mais la jeune fille se redresse :

— Père, avec le parchemin, nous étions certains d’obtenir les honneurs de la guerre, mais il est perdu. Cependant vous avez combattu jusqu’à l’extrême limite, vous avez forcé l’admiration de nos ennemis. Comme condition de votre reddition, demandez la liberté de vous retirer avec armes et bagages.

— Bien minces les bagages, soupire Labianov.

— Raison de plus pour qu’ils fassent droit, à votre demande.

— Et s’ils refusent ?

Elle a un léger frisson, mais elle domine son émotion :

— Alors, père, je suis la fille d’un brave soldat. Nous ferons notre devoir jusqu’au bout… pour la Sainte Russie.

Il a un gémissement. Son étreinte se fait plus étroite.

La jeune fille murmure :

— Père, le quart d’heure est près de finir. Il ne faut pas qu’ils voient votre trouble.

Ces paroles lui rendent son énergie.

Mona a raison. Sa douleur doit être cachée au vainqueur. D’un pas ferme, il va à la porte, l’ouvre et se montre au dehors.

Aussitôt l’officier japonais vient à lui.

— Eh bien ! général ?

— Nous accepterons la vie avec l’honneur, monsieur.

— C’est-à-dire ?…

— Qu’ayant bien combattu, nous souhaitons nous retirer avec nos armes, notre drapeau…

Le Nippon hoche la tête :

— Je ne puis prendre sur moi de vous accorder cela.

Puis par réflexion :

— Mais je puis prolonger l’armistice… pendant que j’en référerai au commandant en chef.

Le général Labianov s’incline.

— J’accepte… et je vous remercie de votre courtoisie.

Ce à quoi le Japonais répond :

— Je souhaite ardemment épargner un adversaire qui a toute mon estime.

Et il regagne la ligne de ses soldats, tandis que Stanislas Labianov rentre dans la cabane, et que, prenant Mona dans ses bras, il s’abandonne enfin à la douloureuse douceur des larmes.

Des heures s’écoulent.

C’est l’attente anxieuse.

Les soldats, Vas’li, partagent l’angoisse du général. Eux, parbleu, ils ont fait le sacrifice de leur vie ; mourir leur semble naturel ; mais à la pensée que Mona, que cette fillette, apparue parmi eux à cette heure tragique, va partager leur sort, il leur apparaît que le déchirement de la défaite est plus affreux.

La jeunesse, la gentillesse de la jeune fille leur rappellent celles qui, au loin sur le sol de la patrie, leur ont donné, au départ, le baiser d’adieu.

La cabane, où agonisent ces vaillants, se remplit d’images de femmes : mères, sœurs, fiancées, amies, parentes. C’est le grand défilé des pensées, des souvenirs, des espoirs, que la voix grondante du canon, le crépitement de la fusillade avaient en quelque sorte engourdis.

Sur les visages une même émotion se lit.

Et soudain tous sursautent.

Un coup sec vient de retentir contre la porte. Un soldat ouvre. L’officier japonais est debout sur le seuil, une enveloppe à la main.

Personne ne l’a vu approcher, car tous regardaient en dedans d’eux-mêmes.

— Réponse du commandant en chef, dit-il.

— Fait-il droit à ma requête ? questionna Labianov.

— Je ne sais, général. Il m’est enjoint de vous remettre cette missive, d’en prendre connaissance avec vous et d’agir conformément aux ordres ci-inclus.

Le général rompt le cachet d’une main hésitante ; puis, le Nippon auprès de lui, il lit lentement à haute voix :

« À bord du croiseur Ossiouma.

« Général, votre valeur m’eût fait incliner à vous accorder la capitulation la plus honorable. Malheureusement, durant la guerre, plusieurs détachements japonais, surpris par les troupes russes, se sont vus refuser toute satisfaction de ce genre.

« Mon souverain a dès lors interdit à ses soldats tout acte de courtoisie qui, n’étant pas payé de retour, pourrait, être taxé de faiblesse.

« Je vous refuse donc, à mon grand regret, les honneurs de la guerre.

« Toutefois, et afin de vous démontrer mon bon vouloir, mon désir sincère d’épargner cette poignée de braves que vous commandez, je vous donne jusqu’à demain pour prendre une décision.

« Je vous prie, en mon nom personnel, de ne pas persister dans une résistance complètement inutile. Vous avez fait le possible ; votre mort, qui affligerait vos adversaires eux-mêmes, n’ajouterait rien à leur admiration.

« Recevez, général, l’expression émue de ma très haute considération.

« Signé : Togo fils. »

Un grand silence suivit cette lecture.

Enfin, l’officier nippon murmura :

— Vous avez vingt-quatre heures, mon général.

Labianov haussa les épaules.

— À quoi bon ! Dans vingt-quatre heures, je penserai exactement comme à présent.

Le Nippon eut un sourire mélancolique.

— Qui sait, mon général ? Les Japonais de Kiou-Siou ont un dicton :

Aujourd’hui, le ciel est de cendre grise, demain il est de tissu d’or. Qui sait ?

Puis Labianov secouant obstinément la tête, il continua :

— Je dois, en tous cas, me plier aux ordres du commandant en chef. Donc, mon général, notre armistice se trouve prolongé d’un jour. Et comme, durant une suspension d’armes, aucun règlement n’interdit aux belligérants de se rendre de bons offices, vous me permettrez de vous faire tenir des vivres pour vous et vos soldats.

— Cela de grand cœur, car nous en sommes complètement dépourvus.

Et avec un sourire :

— Seulement, songez qu’ainsi vous augmenterez notre vigueur pour le dernier combat.

— S’il doit avoir lieu, mon général ; je souhaite que vous disposiez de tous vos avantages.

— Ma foi, monsieur, on ne saurait être plus noblement ennemi.

Labianov serra la main de son interlocuteur, qui se retira pour revenir bientôt avec plusieurs petits soldats jaunes, portant en des corbeilles toutes les provisions que l’on avait pu réunir.

Au moins les assiégés ne connurent pas la faim.

La journée, puis la nuit s’écoulèrent. Le lendemain commença. Avec une impatience angoissée, tous comptaient les heures qui coulaient une à une, rapprochant sans arrêt l’instant où ces vaillants allaient mourir.

Midi.

Encore trois heures.

Qu’elles furent lentes pour ces hommes !

À deux heures cinquante, le général Stanislas Labianov se rencontra une fois encore avec l’officier nippon. Les deux chefs échangèrent ces quelques mots :

— Deux heures cinquante, mon général.

— Oui, monsieur, le feu reprendra dans dix minutes.

— Rien ne peut faire fléchir votre résolution ?

— Rien, n’insistez pas, vous me désobligeriez.

— Alors, mon général, permettez-moi de vous serrer la main.

Et d’un ton Impossible à rendre, le Nippon conclut :

— Mon général, je vous souhaite une blessure qui me permette encore de vous sauver.

Sur ce, ils se séparèrent, chacun rejoignant ses soldats.

À l’intérieur de la cabane, chaque combattant occupait son poste de combat. Dans les troncs d’arbres formant les parois, faible obstacle contre la pénétration des balles modernes, des meurtrières avaient été ouvertes, et les tireurs se tenaient auprès, fusil chargé, prêts à jouer le dernier acte de la sanglante tragédie.

Mona vint à son père, l’embrassa longuement.

— Adieu ! père.

— Non, pas adieu  ;… toi, tu n’es pas un soldat, tu peux être sauvée.

Elle arrêta Labianov.

— Je suis la fille du général, gouverneur d’Aousa, mon père… et vous m’insultez en m’offrant de vivre quand vous allez mourir.

Puis la voix changée :

— Trop tard d’ailleurs… la trêve est terminée.

Se penchant à une meurtrière, le général vit les Nippons se former en tirailleurs et s’aplatir sur le sol, le fusil menaçant.

— Attention, enfants, clama-t-il, l’ennemi va attaquer.

Et les soldats, épaulant leurs armes, répondirent d’une voix tranquille :

— Oui, petit père !


  1. Ce « miracle » a été relaté très sérieusement par les organes de la presse russe les plus réputés.