Mirages (Renée de Brimont)/La gavotte

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MiragesEmile-Paul Frères (p. 79-80).

LA GAVOTTE

Lent Dimanche de province, lent Dimanche
qui s’allonge désespérément
des grisailles de ce lent Novembre !
… Autour de moi somnolent dans la chambre
avec leurs visages couleur du temps
les choses, les choses pleines de confidences.

Sur l’étagère une cruche à fleurs bleues
semble interroger l’eau terne du miroir.
Les murs sont à ramages… Les peluches
des fauteuils luisent… Lentement, les bûches
se consument à petit feu sournois.
De la fenêtre j’ai regardé la rue.

J’ai regardé la rue, mon front contre les vitres…
Jalouse de chaque pavé disjoint
glisse l’aigre et susurrante bise,
chassant un nuage de poussière grise ;
et j’ai vu venir — de loin, de loin…
le vieux joueur d’orgue de barbarie.

Comme jadis gambille sur son épaule
un maigre singe camard et pelé ;

ses doigts gourds tournent, tournent la manivelle…
Fausse d’un demi-ton, la ritournelle
égrène en mesure son chant enroué,
sa mélancolie désuète et niaise.

Je me souviens — j’avais alors de rondes joues
et mes cheveux en natte sur le dos…
Ma mère la jouait, la gavotte qui se trémousse !
Sur les touches ses petites mains couraient, douces ;
ses yeux se cachaient sous des cils mi-clos ;
elle fredonnait d’une voix un peu sourde…

Et voici qu’il danse sous ses robes bouffantes,
le Passé ! — Sol, do, si… Dièze ou bémol,
sous sa coiffure à brides il danse, il danse,
et son fantôme me fait la révérence…
Mi, do, ré… le Passé doux — le Passé mort !
— Ah ! ce Dimanche de province… ce Dimanche…