Mirages (Renée de Brimont)/Soir près du feu

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MiragesEmile-Paul Frères (p. 77-78).

SOIR PRÈS DU FEU

Intimes, sournoises, coites, feutrées,
à travers la vitre sont entrées
une à une, les ombres du soir.
Elles ont tramé comme des plis de doute
sur les eaux vives du miroir,
et j’ai vu peu à peu dissoutes
les choses dans l’incertitude…
Et je suis demeurée avec ma solitude.

Heure trouble ! — Je ris à la lampe, rose lune
qui veille, douce, auprès de l’âtre agonisant,
alors que mes songes, chemin faisant
s’égarent, s’attardent, s’apaisent
aux légendes muettes racontées par la braise.
Ah ! Soirs d’enfance évoqués peu à peu
dans ce miracle intime des cendres et du feu,
de la bûche crissante et rongée !

Voici : le palais brûlant de la Fée
s’érige… Mille nains rouges, dansants et fous,
s’acharnent à sa toiture de nuages…
mais la forêt où chemine le page

se décompose irrésistiblement,
et les voiles bleuâtres des princesses captives
vont, en spirales diluées,
se fondre avec la nuit sur de brumeuses rives…

Et le visage s’est nimbé des choses :
la coupe de jade aux laiteux reflets
sur la commode ancienne en bois de rose ;
les livres clos, rangés ainsi que des valets,
debout dans leur sobre livrée ;
l’ample bergère avec une dentelle aux manches,
et le cristal de ce vase élancé,
et cette gerbe de tulipes blanches…

Soir pareil aux Soirs de jadis ! Soir brouillé,
lourd de fantômes éveillés,
parfums, échos, vains rires tendres…
Pareil et dissemblable, et si brouillé de cendres !
L’horloge au tic tac monotone a sonné ;
la lampe s’éteint par degrés — rose lune
sous son frêle abat-jour nocturne,
et le conte s’achève avant que d’être né…

Et les choses retournent dans l’incertitude,
et je demeure seule avec ma solitude.