Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Le foie du lapin

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LE FOIE DU LAPIN

Il y avait autrefois dans la profondeur de l’Océan Pacifique un merveilleux Royaume sous-marin dont le souverain vivait au milieu d’une magnificence inouïe. Son Palais était en diamants, entouré de toutes les splendeurs possibles et imaginables.

Un jour la fille unique et adorée de Sa Gracieuse Majesté tomba gravement malade. Nulle prière et aucun médecin ne pouvaient la guérir. Cependant l’état de la princesse devint de plus en plus grave, puis désespéré !

Le malheureux Roi tenta alors un ultime effort pour sauver son unique héritière bien chérie : Il invita en un conseil tous les docteurs et les savants les plus réputés de son Royaume afin de discuter le cas de la maladie de sa fille.

De longues discussions, aussi logiques qu’inutiles, se poursuivaient sans aboutir à rien. Soudain un vieux médecin de la cour entra dans la salle de Conseil et dit au Roi :

— « Sire, je viens d’examiner l’Auguste malade. Et je ne connais qu’un seul remède. Cependant la difficulté ou la presque impossibilité de se procurer ce remède m’empêche de vous en dire le nom. »

Le Roi, heureux d’entendre enfin qu’il y a tout de même un remède à la maladie de sa fille, l’invita aimablement à s’expliquer.

— « C’est, Sire, le foie d’un animal de la terre qui s’appelle le LAPIN. »

— « Puisque c’est le seul remède qui me soit conseillé jusqu’à présent, dit le Roi, je voudrais au moins l’essayer. Mais qui parmi vous pourrait aller sur la terre et me procurer un foie de Lapin ? »

À ce moment une tortue se leva :

— « Sire, je ne suis au monde que pour vous être utile et pour vous plaire. Ordonnez-moi que j’y parte. Cependant une fois sur la terre, comment reconnaîtrais-je le Lapin ? puisque je ne l’ai jamais vu. »

— « Eh bien ! on te donnera un portrait détaillé du Lapin et tu n’auras qu’à questionner chaque fois que tu rencontreras un animal terrestre que tu n’as jamais vu auparavant », lui répondit le Roi tout en louant le courage de la Tortue.

Aux ordres du Roi, un artiste fournit aussitôt un superbe portrait d’un lapin. La tortue partit armée de ce portrait et d’une foule de conseils et de renseignements indispensables.

Elle arriva donc sur la terre où le printemps prodiguait, à ce moment-là, partout la vie et la gaîté.

Au loin sur le doux versant d’un plateau tapissé du gazon printanier, la tortue aperçut un étrange animal qui se promenait au milieu des jolies fleurettes. À son allure sautillante, à ses oreilles longues et pointues et enfin à sa queue courte et tondue, la tortue reconnut le lapin. Elle consulta le portrait : la ressemblance fut trop frappante pour qu’il y ait encore quelque incertitude. Tout heureuse, la tortue s’en approcha aussitôt, puis en lui présentant ses hommages, elle fit la connaissance du lapin.

Je suis heureux de faire votre connaissance, dit le lapin, cependant pourrais-je savoir quel est votre pays d’origine ? Car dans notre monde montagnard nous ne vous connaissons pas. Vous venez sans doute d’un pays bien lointain ! »

— « En effet, répondit la tortue, je viens d’un Royaume sous-marin de DONG-HAI. C’est au cours de mon voyage sur la terre que j’ai entendu parler de votre haute personnalité. Et je suis très fière, croyez-moi, d’avoir fait votre connaissance ! »

— « Je suis vraiment touché de votre amabilité, et je vous en remercie bien vivement. Vous m’êtes un hôte rare et cher. Quant à moi, n’étant jamais sorti de notre montagne, j’ignore totalement les choses de la mer. De grâce, racontez-moi un peu votre vie sous-marine. »

— « Vous avez bien raison de me la demander. Notre vie sous-marine n’a rien de commun avec votre vie terrestre. Sur la terre vous n’êtes jamais tranquille vous avez des hommes qui cherchent toujours à vous tuer et une foule d’autres animaux féroces qui ne vous veulent que du mal. N’est-ce pas vrai aussi qu’il y a sur la terre des mauvaises saisons où vous êtes obligé de mener une vie de misère : le froid, la faim, voilà ce que nous ne connaissons pas chez nous. Cependant dans notre vie sous-marine, il n’y a qu’une saison éternelle : c’est le printemps. Partout vous trouverez l’herbe tendre et grasse avec des fleurs parfumées. On ignore chez nous la misère et la crainte, car enfin pourquoi la misère ? quand tout le monde vit dans l’opulence ; et pourquoi la crainte ? quand on est tous frères ! »

Le lapin, brûlant d’envie soupira tristement :

— « Quel heureux sort que le vôtre ! Combien je vous envie ! que ne puis-je aller dans votre pays ! »

— « Il ne tient qu’à vous ! Notre pays vous est tout ouvert ! Et vous serez toujours le bienvenu. »

— « Cependant comment pourrais-je aller sur l’eau ? »

— « Si vous le désirez, je pourrai vous rendre ce service. Montez sur mon dos, je vais vous conduire jusque chez nous. »

Le lapin accepta la proposition de Tortue tout en la remerciant de tout son cœur. La Tortue quitta donc la terre avec le lapin sur son dos. Quand ils furent au milieu de l’Océan où le lapin n’avait plus aucun moyen de s’échapper, la Tortue éclata de rire tout à coup d’un air malin :

— « Ha, ha ! mon pauvre lapin, tu es bien maintenant en mon pouvoir. Tout ce que je t’avais raconté tout à l’heure est faux ! À la vérité il nous faut le foie d’un lapin pour sauver la fille de notre Auguste Roi gravement malade. Voilà pourquoi je te cherchais, ha ha ! »

À ces mots le lapin fut terrifié, et une colère impuissante montait à sa tête. Mais il la dissimula avec toutes les peines du monde.

— « Quelle coïncidence ! tout de même ! je n’ai pas mon foie sur moi. Étant un lapin sacré, je dois sortir mon foie tous les huit jours afin de le laver dans des eaux fraîches et propres. Et je dois le remettre à sa place après l’avoir bien séché. C’est justement ce matin que je l’ai sorti et lavé ! et je l’ai laissé sécher sur un rocher. Il faut retourner tout de suite pour le reprendre, et nous reviendrons après. »

La tortue était très crédule, cependant elle hésita. Le lapin repartit en soulevant son derrière :

— « Regardez mon derrière, il y a trois trous dont un est justement réservé pour sortir et remettre mon foie. »

La Tortue ne savait d’abord que faire. Pourtant elle se décida à la fin, à retourner sur la terre pour reprendre le foie. Quand ils furent revenus sur la terre, le lapin sautant lestement du dos de la Tortue sur un petit rocher, éclata tout à coup d’un rire bruyant et moqueur :

— « Ha, ha ! ma pauvre Tortue, je n’ai jamais rien vu d’aussi sot que toi ! Quel est l’animal de ce monde qui puisse vivre sans foie même une seconde ? Tout ce que je t’avais dit tout à l’heure est faux. Il a bien fallu que je mente pour sauver ma vie ! »

La Tortue était trop honteuse pour trouver une réponse.