Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Maship, la bonne bête

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MASHIP, LA BONNE BÊTE

Maship était un pauvre bûcheron qui vivait laborieusement dans un petit village montagnard. Bon et sans artifice, il était simple et crédule dans sa vie. Aussi ses compatriotes le surnommèrent « la bonne bête ». Cependant tout le monde enviait l’heureux sort de cette « bonne bête » d’avoir une très belle femme qui l’adorait pour ainsi dire. Tout le monde se demandait ce qui pouvait attirer cette belle femme intelligente vers Maship, un pauvre et vulgaire bûcheron qui vivait au jour le jour en vendant ses fagots au marché. Pourtant nul dans le pays ne paraissait plus heureux que ce couple bûcheron.

Un jour d’hiver, n’ayant plus de bois à abattre aux environs il alla en chercher plus loin au fond de la montagne. Sur son chemin, au bord d’une clairière, il trouva à sa grande surprise, un jeune chasseur à moitié mourant de faim et de froid. Maship le chargea sur son dos et revint à toute vitesse chez lui. Là, durant des jours le couple Maship lui prodigua des soins les plus attentifs. Le jeune chasseur reprit bientôt toute sa santé. C’était un jeune homme élégant et froid.

— « Je suis le fils aîné du seigneur de ce pays. Je me suis égaré l’autre jour dans cette montagne au cours d’une partie de chasse. Pendant que je cherchais mon chemin, la nuit, la faim et le froid m’ont surpris tout à coup. Voilà comment je fus recueilli par vous le lendemain matin dit-il d’un ton quelque peu hautain qui étonna le bon couple Maship !

Cependant des jours passèrent sans que le jeune fils du seigneur songeât à partir, et Maship n’osait pas dire de s’en aller à une personne à qui il donnait l’hospitalité. Chaque fois que Maship partait dans la montagne pour abattre les bois le jeune homme sortait avec lui en disant qu’il allait chasser. Mais il rentrait bientôt seul chez Maship et cherchait visiblement à entrer en conversation avec la femme du brave bûcheron. En vérité le jeune seigneur frappé de la beauté extraordinaire de cette femme en tomba follement amoureux. Si bien qu’il préférait la maigre cuisine et le grossier grabat de cette pauvre chaumière aux mets fins et variés et au lit moelleux du foyer paternel. Il attendait un moment propice pour faire à la jeune femme une déclaration solennelle. Un jour, alors que Maship était parti comme d’habitude, au travail, le jeune chasseur ingrat fit part brusquement de son amour à la femme de son sauveur. Tout en lui promettant insolemment beaucoup de fortune et de bonheur, il la supplia de le suivre.

— « Vous êtes trop belle et trop intelligente pour vivre misérablement avec un bûcheron aussi pauvre que simple ».

Il croyait déjà avoir gagné la partie quand, à sa grande stupéfaction, la jeune femme indignée se dressa devant lui, rouge de colère.

— « Sortez d’ici, grossier personnage ! Si c’est là toute l’éducation que vous avez reçue, votre espèce seigneuriale ne vaut même pas le pied de mon mari. Hors d’ici, monstre ingrat ! » gronda-t-elle tout en lui montrant du doigt la porte de sortie.

Le jeune chasseur effronté pris d’une violente colère et de honte voyait son projet manqué. Il s’enfuit aussitôt tant il craignait justement les sévères leçons de Maship qui ne tarderait pas à rentrer. Mais il se jura d’enlever cette femme tôt ou tard.

Un jour, à peine un mois après sa fuite, le jeune chasseur ingrat revint dans le village de Maship avec une véritable armée de domestiques. Il fit enlever de force la femme de son sauveur dans une chaise à porteurs. Indigné, le pauvre bûcheron voulait se défendre, mais la force était trop inégale, il ne reçut pour tous ses frais que de terribles coups de bâton.

— « Ô jeune seigneur chasseur, s’écria-t-il tout en se jetant aux pieds de son ravisseur, rappelez-vous bien que c’est moi qui vous ai sauvé la vie. Comment pouvez-vous m’insulter ainsi. Sans moi, vous ne seriez peut-être plus depuis longtemps sur la terre ! Seigneur, ayez pitié ! » gémit-il tout en le suppliant de lui laisser sa femme.

— « Si je ne suis pas mort c’est que le Grand Ciel ne l’a pas voulu ! ricana cyniquement le jeune ingrat. Cependant je te rendrais ta femme si tu creusais par tes propres moyens un tunnel de cinquante kilomètres à travers ce bloc de rocher que tu vois-là ! » dit-il tout en montrant l’immense masse de granit qui garnissait le flanc de la montagne.

À moins d’un miracle, comment peut-on creuser un tunnel de cinquante kilomètres à travers une telle masse de granit ! Le pauvre Maship était surtout inconsolable à l’idée qu’il ne reverrait plus jamais sa femme. Pourtant il se disait :

— « Puisque je n’ai d’autre moyen de la revoir qu’en creusant un long tunnel à travers cette montagne, je vais commencer dès maintenant. Celà me donnera l’illusion d’un espoir qui me rendra au moins la vie supportable. »

Il se mit donc aussitôt à piocher au beau milieu de cet immense rocher malgré les sages conseils de tous ceux qui connaissaient la crédule et innocente nature de Maship, de renoncer à sa stupide tentative. On s’apitoyait non pas tant sur son malheureux sort que sur son entêtement.

Un jour un vieillard du village exaspéré de voir ce malheureux simple s’épuiser vainement contre cet immense bloc de granit, lui dit d’un ton à la fois ironique et bourru :

— « Tu as raison ! mon ami, creuser un tunnel de cinquante kilomètres à travers une montagne de granit, c’est un jeu d’enfant ! Continue donc frappe fort ! tu y parviendras certainement en moins de cent jours ! cria-t-il tout en s’éloignant.

Vraiment, en moins de cent jours ? » s’écria soudain le pauvre Maship les yeux illuminés de joie. Il redoubla, dès ce moment, les coups de pioches en allongeant tous les jours la journée du travail. Les cent jours touchaient à leur fin sans que l’idiot de Maship eut pu creuser un mètre de profondeur dans ce bloc de granit. Il en était d’ailleurs fort déçu. Le centième jour, il commença à désespérer. Cependant il se mit à creuser, ce jour là dès très bonne heure. Mais ses bras n’avaient plus l’énergie des jours précédents. Un moment donné il fut à la fois tellement énervé et désespéré qu’il souleva en l’air son immense pioche et piqua de toute sa force dans le granit qu’il creusait ! Il y piqua si fort que le bout de sa pioche se brisa. Mais ce fut un coup miraculeux, car juste à ce moment un énorme bloc de granit se détacha du rocher y faisant ainsi un large et profond trou. C’était un véritable tunnel ! Maship plus émerveillé que surpris, y pénétra précipitamment et marcha tout au fond de cette voie souterraine. Au bout d’une longue course, il sortit, ô bonté infinie du Juste Ciel ! dans le jardin même du Seigneur ravisseur. Là il trouva sa femme prosternée à l’ombre d’un vieux chêne, priant Dieu pour revoir son mari Maship. Celui-ci l’enlaça dans ses bras et s’enfuit par le trou du tunnel tout en criant de toute sa force :

— « Oh ! monstre ingrat, j’emmène ma femme par le tunnel ! »

Les gardes et les domestiques du Seigneur surpris s’enfoncèrent eux-aussi dans le tunnel à la poursuite du fuyant. Mais le tunnel s’écroula ensevelissant ainsi les méchants pourchasseurs. Le Seigneur très irrité se mit aussitôt à la tête d’une petite armée de cavalerie qui vint se poster à l’entrée du tunnel, en attendant la sortie du couple Maship. À la grande exaspération du Seigneur ravisseur, le couple Maship ne sortit pas pendant plusieurs jours. C’est alors que le méchant seigneur ordonna qu’on allumât un grand feu à l’entrée du tunnel, croyant obliger ainsi les Maship à sortir. Mais soudain à la surprise générale un flot énorme jaillit de l’entrée du tunnel et l’eau envahit si brusquement les alentours que les gens du Seigneur et le seigneur lui-même y furent tous noyés.