Miss Mousqueterr/p1/ch3

La bibliothèque libre.
Boivin et Cie (p. 27-47).


CHAPITRE III

UN BASTIDOU INHABITÉ


À minuit treize minutes, le tramway déposait Max Soleil à son terminus de la route d’Aubagne.

Le jeune homme perdit quelques instants à rouler une cigarette, opération laborieuse, car tous les autres voyageurs avaient disparu quand il l’eut achevée.

Il constata avec un sourire qu’il était seul, et sans hâte, il s’engagea sur la chaussée poudreuse qui, malgré l’obscurité, traçait une blancheur au milieu des clos, jardins et champs baignés d’ombre.

— Environ un kilomètre à parcourir, murmura-t-il…, un bois d’olivier et ensuite les murs du jardin Loursinade… crêtés de faïences bleues de Vallauris… Oh ! le garçon d’hôtel m’a minutieusement renseigné.

Au bout de cinq cents mètres, il reconnut le lot d’oliviers annoncé.

Il le longea de très près, comme s’il voulait se confondre dans ses ténèbres plus opaques.

Un instant même, il se jeta sous les arbres. Une légère voiture passait au trot allongé d’un vigoureux cheval.

Max remarqua que les lanternes du véhicule n’étaient point allumées.

— Voilà des gens qui se dirigent vers la ville, grommela-t-il… Ils vont trouver une contravention.

Il avait à peine exprimé sa pensée, que la voiture tourna dans un chemin latéral, qui semblait côtoyer le fourré d’oliviers sur sa face perpendiculaire à la route.

— Non, ils n’entrent pas en ville… Moins imprudents que je ne pensais.

Pourquoi le romancier s’occupait-il de ces passants inconnus… ? Par cette raison que l’homme, seul dans la campagne, éprouve le besoin de fixer son attention sur un objet quelconque. L’oisiveté complète de la faculté d’observation est, en effet, une souffrance que l’on combat inconsciemment.

Max avait repris sa marche. Les oliviers restaient en arrière. À peu de distance en avant du promeneur se profilait vaguement la silhouette régulière d’un mur de clôture.

— Ce doit être là, murmura-t-il.

En approchant, il reconnut qu’il ne s’était pas trompé… C’était bien la maçonnerie, portant au sommet les terres vernissées que lui avait annoncées le garçon de l’hôtel.

Pas très haut ce mur, de deux mètres à peine… ; facile à escalader pour toute personne possédant des éléments de gymnastique.

— Voyons, reconnaissons les lieux.

Et lentement, le jeune homme fit le tour de la propriété.

Au jugé, il estima que le jardin enclos devait figurer un parallélogramme presque carré de cinquante mètres en longueur sur environ quarante-cinq dans l’autre sens. À l’intérieur, le mur devait être bordé d’arbres taillés, au feuillage très épais ne permettant pas d’apercevoir la maison d’habitation.

Sur la route seulement une grille laissait le regard distinguer vaguement au bout d’une pelouse, ceinturée de massifs d’arbustes, la toiture du logis.

— C’est la demeure de gens qui tiennent à échapper aux curiosités du voisinage, se confia le romancier.

Et, promenant ses regards autour de lui :

— Un voisinage pas très inquiétant cependant. Le bois d’oliviers d’une part…, ce verger vis-à-vis sur la route, ce hall d’une fabrique quelconque, isolent le bastidou du reste du monde. Ma parole, on aurait voulu un endroit retiré, aux portes de la ville, que l’on n’aurait pu trouver mieux.

Cela était vrai. De quelque côté qu’il portât ses regards, sa vue était arrêtée à peu de distance par des obstacles naturels ou artificiels.

Il fallait être appuyé à la grille pour reconnaître l’emplacement de la maison… et encore au moyen du toit qui, seul, dépassait les verdures masquant le logis.

— À la rigueur, s’affirma Max, on pourrait fort bien emménager et déménager sans être remarqué par personne. Une voiture chargée de meubles arrive, je suppose, vers cette heure-ci. La grille est ouverte. Le véhicule entre dans le jardin, disparaît derrière les massifs…

Et cent promeneurs passeront sur la route, sans soupçonner que l’on charge ou décharge des meubles, tentures ou autres. Il s’est écoulé huit jours entre l’arrivée de l’Oxus et la découverte des jeunes femmes sur la promenade de la Corniche. Le ou les individus qui se sont joués de leur bonne foi, ont eu, par suite, tout le temps de « truquer » le bastidou à leur guise.

Il affirma d’un mouvement de tête volontaire.

Une satisfaction montait en lui. Cette joie de sentir que l’on s’avance sur un terrain solide. Toute son argumentation, tous ses calculs de probabilités se développaient normalement, sans infirmer l’hypothèse que la duchesse de la Roche-Sonnaille avait pu dire la vérité.

— Maintenant, murmura le jeune homme, il s’agit de pénétrer dans la place.

Et avec un sourire :

— Escalade, peut-être effraction… Cas grave… ; par bonheur le logis Loursinade est inhabité et non meublé… Donc…

Néanmoins, par mesure de précaution, le romancier décida de franchir la clôture dans sa partie la plus éloignée de la route.

De cette façon, il avait la certitude à peu près complète que nul n’aurait vent de sa bizarre expédition.

Bizarre n’est point trop fort. Il est certain que, le jour où paraîtra le volume que prépare Max Soleil, le jour où sa Préface apprendra au public de quelle façon le jeune auteur s’est documenté, a vécu le roman…, les malins qui, n’ayant jamais accompli un travail consciencieux, nient la conscience des autres, crieront à l’invraisemblance, au bluff.

La réflexion traversa, l’esprit de Max, sans rien modifier du reste de sa décision.

Il fila le long du mur, atteignit le point qu’il s’était désigné, exécuta un saut qui permit à ses mains de s’agripper au sommet de l’obstacle. Une traction, un rétablissement, et il se trouva à califourchon sur les faïences bleues de Vallauris.

Passer la jambe à l’intérieur, se laisser glisser, tomber sur le sol en fléchissant sur les jarrets, fut, pour le curieux auteur, l’affaire d’un moment.

Il se releva. Il était dans le jardin de la maison mystérieuse. Une émotion le pénétra… Jusqu’à ce moment, il avait marché vers le secret qu’il pressentait tragique ; maintenant, il entrait dans le drame, dans le décor qui l’avait vu se dérouler.

Mais, ainsi qu’il advient fatalement chez l’écrivain de race, Max était avant tout un homme d’action. L’exécution d’une œuvre littéraire n’est pas comme on le croit généralement à tort, une opération de rêve. Pour créer, il faut agir… ; le rêveur ne produit pas… L’auteur vrai est une sorte de machine vivante apte à transformer la pensée en action.

Donc, Max fouilla dans sa poche, en tira une petite veilleuse électrique automatique, s’assura que son revolver glissait facilement dans la poche ad hoc de son vêtement, puis se lança dans les sentiers étroits qui serpentaient au milieu des massifs.

Comme on le voit, il avait bien préparé son expédition.

Deux minutes plus tard, il s’arrêtait devant la façade postérieure du bastidou. Précédée d’un perron de deux marches, une petite porte de service se découpait à droite, presque à l’angle du bâtiment. Il s’en approcha…, actionna sa lampe et en dirigea le rayon sur la serrure.

Une couche épaisse de rouille la recouvrait, foisonnant en mousse rougeâtre, ainsi que cela se présente lorsque le métal est, selon l’expression technique, pourri ; en d’autres termes, quand le fer est oxydé à ce point que l’on ne saurait plus l’utiliser, quelque nettoyage auquel l’on procède.

De toute évidence, la porte n’avait pas été ouverte depuis fort longtemps.

Max introduisit la lame de son canif dans la serrure, tâtonna un instant et le pêne glissa sans claquement, avec un bruissement cotonneux. Cette absence de toute détente confirmait la première impression du visiteur.

Le battant ayant tourné péniblement sur ses gonds, le romancier aperçut, un étroit couloir, entre les parois duquel s’élevait un escalier de quatre marches, aboutissant à une seconde porte.

Celle-ci, ouverte à son tour, au moyen d’un simple bouton de cuivre vertdegrisé, l’explorateur se trouva dans une salle carrelée, que l’évier à la pierre usée et noire, et le fourneau aux faïences sales, lui firent reconnaître pour la cuisine.

Sur le sol, la poussière du temps, lentement accumulée, avait conservé des traces de pas. Le jeune homme les examina, mais presque aussitôt il se releva avec un haussement d’épaules.

— Les pas des policiers qui vinrent, il y a quatre mois, contrôler les assertions de la duchesse… Parbleu ! Ceux qui ont enlevé les meubles, ne sont pas des naïfs… Ils auraient évidemment fait disparaître des traces aussi apparentes.

Et, promenant autour de lui un regard aigu :

— Non, rien, allons plus loin. Cette entrée vitrée doit conduire aux appartements.

Il désignait une porte dont le panneau supérieur était remplacé par deux vitres, abominablement encrassées.

— Mâtin, murmura encore l’écrivain… Si la duchesse a exprimé la vérité… ses ennemis se sont donné bien du mal pour resalir comme cela, après leur coup fait.

Les carreaux, en effet, apparaissaient tellement maculés qu’ils en étaient, complètement opaques :

— Comme la poussière s’amasse en quatre mois dans ce pays marseillais, plaisanta le jeune homme. Elle va bien la poussière de Marseille.

Et hochant la tête :

— Il est vrai qu’il s’agissait de démontrer que le bastidou était inhabité depuis une année…

Il ouvrit, allongea au dehors la main tenant l’ampoule électrique, et examinant le verre par transparence :

— C’est bien cela… On a mouillé les vitres avec de l’eau légèrement gluante…, probablement de l’eau contenant un peu de farine… Et là-dessus, on a projeté de la poussière fine… ; on a laissé sécher, puis on a frotté avec un chiffon, un papier, peu importe, afin de détacher les grumeaux… Il rit silencieusement.

— Seulement, on n’a pu ainsi faire disparaître les lignes liquides tracées par l’éponge, dont on s’était servi pour « coller » la surface des carreaux… La police n’y a rien vu… C’est qu’il fallait regarder par transparence… Et elle n’a pas pris cette peine, parce que, aussitôt avisée du décès antérieur du docteur Rodel, elle avait admis, ipso facto, que le bastidou n’avait pas été habité depuis. Allons, allons, madame la duchesse, la faculté et la police vous tiennent pour insensée ; mais un simple auteur vous croit très raisonnable… Cela n’a l’air de rien, c’est cependant quelque chose.

Derrière la porte vitrée s’allongeait un couloir tapissé d’un papier en lambeaux, moiré par l’humidité et présentant de nombreuses solutions de continuité. Max ne s’y arrêta pas.

Au centre de la paroi de droite, une porte, recouverte d’une couche de peinture écaillée, lui donna accès dans une pièce assez spacieuse, qu’à la disposition des boiseries, il reconnut être une salle à manger.

Soudain, il demeura immobile cloué sur place.

La lumière de sa lampe dessinait un cercle de clarté sur le plancher poussiéreux, où se marquait une empreinte de pied.

Ah ! un pied qui ne pouvait être confondu avec ceux dont il avait constaté le passage dans la cuisine.

Celui-ci, chaussé sans doute de pantoufles de feutre, apparaissait petit, cambré, élégant. La netteté de la trace permettait d’affirmer que ce pied se posait légèrement et résolument sur le sol, qu’il était alerte, mutin même.

Une femme de taille à peine moyenne, ou un jeune garçon avaient pu seuls révéler ainsi leur passage.

Max se pencha sur l’empreinte. Oh ! évidemment elle était plus récente que les autres, car le rebord de poudre qui la cernait, avait conservé ses arêtes aiguës… Le pourtour ne s’était point arrondi par le lent glissement des molécules sur la pente du modelage en creux.

— On est venu ici depuis la visite de la police… Qui diable se livre à pareille expédition ?

Et regardant mieux, le romancier s’aperçut que l’empreinte était précédée et suivie d’autres traces analogues.

Leur propriétaire était entré par une porte située en face de celle par laquelle Max avait pénétré dans la salle.

Il avait marché jusqu’au milieu de la pièce, s’était arrêté là un instant ; des marques plus profondes, plus accentuées le démontraient, puis il était revenu sur ses pas pour sortir.

Mû par une curiosité soudainement éveillée en lui, Max suivit la piste. À la porte, une surprise l’attendait. Celle-ci s’entrebâillait. Le visiteur ou la visiteuse n’avait pas pris le soin de la refermer ; il ou elle l’avait simplement tirée sur ses talons.

Max se pencha sur l’empreinte.
Max se pencha sur l’empreinte.


— Qui cela peut-il être ?

Murmurant la question, l’auteur fit tourner le battant… Il arriva ainsi dans le vestibule ; à sa droite, l’entrée principale, réservée dans la façade regardant la route, le lui indiquait.

Mais cette entrée, elle, n’était point close. L’un des battants s’ouvrait au large, ramené contre la muraille où se fixaient ses gonds.

Et le dallage conservait encore les traces mystérieuses.

Elles traversaient franchement le vestibule et disparaissaient derrière une porte, sise exactement vis-à-vis celle de la salle à manger.

Max comprit que le bastidou avait été construit suivant la distribution classique des petites propriétés de banlieue. Vestibule au centre, d’un côté, la salle à manger, de l’autre le salon.

L’être inconnu s’était donc introduit dans cette dernière pièce. Qu’allait-il y faire ?

Ma foi, ses empreintes parleraient pour lui… Les suivre était le plus sage. Mais rien n’est parfois plus difficile que les choses qui semblent aisées.

À peine Max Soleil mettait-il la main sur la poignée de la porte du salon, que celle-ci s’ouvrit brusquement. Une silhouette humaine, en qui l’écrivain crut reconnaître un jeune garçon, bondit dans le vestibule, fit sauter en l’air la petite lampe électrique qui s’éteignit, et se précipita au dehors par l’issue principale, laquelle se referma avec une résonnance sourde qui se répercuta dans toute la maison vide.

Un instant surpris, Max s’élança à la poursuite de l’apparition inconnue ; mais la porte du jardin était fermée… Son couteau eut facilement raison de la serrure, seulement quelques instants furent perdus ainsi.

Quand le jeune homme sortit, le visiteur avait disparu.

Cependant, en prêtant l’oreille, il lui sembla discerner le bruit à peine perceptible d’une course légère. Cela, venait du fond du jardin, du côté opposé à la route. Sans hésiter, Max se lança dans cette direction.

Il avait à peine parcouru vingt mètres, quand un fracas se produisit… On eût cru entendre une pierre tombant et se brisant sur le sol.

— Il escalade le mur… Il a fait glisser une des plaques vernissées de la crête.

Et le jeune homme redouble de vitesse. Voici le mur. Mais il n’y a plus personne. À terre, on distingue les fragments d’une des plaques bleues de Vallauris.

Max s’élance. Ses doigts saisissent la crête. Il n’achève pas de se hisser. À peu de distance, le roulement d’une voiture résonne dans la nuit. Un éclat de rire passe dans l’obscurité.

Il se laisse retomber sur le sol du jardin. Il a compris. Le fugitif est en sûreté. Un véhicule l’emporte à grande allure, il n’est pas possible de le rejoindre.

Malgré lui, le jeune homme songe à cette voiture, aux lanternes non allumées, qu’il a remarquée sur la route d’Aubagne. Y a-t-il un rapprochement à faire entre ceci et cela ? Mais il a un haussement d’épaules.

— Rentrons… les traces de ce singulier promeneur m’indiqueront peut-être ce qu’il cherchait dans cette maison abandonnée.

De nouveau, Max traverse le jardin. Il rentre dans le vestibule. Une allumette qu’il enflamme lui fait retrouver sa lampe électrique, qui a roulé jusqu’au fond de la salle.

Chance inespérée ! L’ampoule n’est pas brisée. La « Veilleuse » a dû tomber sur sa garniture métallique. Le « poussoir » fonctionne, l’incandescence se produit ; l’écrivain peut poursuivre ses recherches.

Il est dans le salon maintenant. Le personnage qui l’intrigue ne paraît pas s’y être arrêté. Évidemment, ce qu’il cherchait ne se trouve pas dans cette pièce. Il l’a traversée d’un pas ferme, sans la moindre hésitation… Oui, mais dans le local voisin il n’en est plus de même. Ici, il a séjourné, ses traces se croisent et s’entrecroisent.

Qu’est-ce que c’est que cette pièce ? Une bibliothèque… ; sans doute la bibliothèque du défunt docteur Rodel.

Le papier, en mauvais état comme dans tout le reste de la maison, a conservé la trace de rayons.

Le docteur Rodel devait être un homme laborieux ; il ne possédait pas une bibliothèque fermée, meuble de luxe de ceux qui ne vivent pas dans la société aimée du livre. Non, tout autour de la muraille, courent des marques de rayons, telles, des coupures jaunies… Ils s’arrêtaient ici, de chaque côté de la fenêtre, aux épais volets pleins hermétiquement clos.

En face de la fenêtre, deux colonnes de fonte, éloignées de la paroi de trente centimètres à peine, étaient enclavées dans les rayons de la bibliothèque.

Ce sont évidemment des colonnes de soutènement. Un affaissement a dû se produire autrefois dans la bâtisse. On y a remédié par ces « béquilles » de métal assurant l’équilibre du bastidou.

C’est évident. Et cependant, cette explication si simple, l’inconnu que Max suit à la trace ne semble pas se l’être donnée.

Autour des colonnes, les empreintes se croisent et s’entrecroisent. Le visiteur a tourné autour des cylindres de fonte. La position des pieds, conservée par la poussière du sol, paraît indiquer que ce « jeune garçon » palpait, auscultait, en quelque sorte, les piliers de métal. Pourquoi ?

Le romancier ne comprend rien aux allures de l’être inconnu. Distraitement, il heurte le fût des piliers.

— Ils sonnent creux, murmure-t-il. Naturellement… Pour une construction légère comme celle-ci, il était inutile d’employer des colonnes pleines.

Et avec une nuance d’agacement :

— Qu’est-ce que cet individu cherchait ici ?

Le jeune homme n’a pas le temps de répondre à sa propre question. Sa lampe lui est brusquement enlevée. Elle s’éteint. Dans l’obscurité devenue opaque, des mains nombreuses le saisissent. Il essaie de résister. En vain. La disproportion des forces est trop grande. Il se sent tiré, poussé, entraîné. Il a conscience que ses agresseurs l’adossent à l’un des piliers de fonte. Avec une dextérité de professionnels ils l’enveloppent d’un réseau compliqué de cordes.

— Que me voulez-vous ?

Sa voix est assurée ; Max Soleil n’est point de ces personnes nerveuses que le moindre imprévu affole. Son esprit logique lui a fourni une explication de l’aventure.

Il se trouve dans une maison inhabitée… Rien à voler en pareil lieu… Ce ne sont donc pas des cambrioleurs qui l’entourent… Alors qui donc ? Eh parbleu, des vagabonds, des pauvres diables sans asile, que sa présence inopportune a fait trembler pour le refuge dont ils usent peut-être depuis longtemps. Et, comme on ne lui répond pas :

— Qui êtes-vous ? Si vous croyez que j’appartiens à la police, vous vous trompez.

Même silence. Pourtant des êtres sont là ! Des bruissements d’étoffe, des glissements de pas le démontrent.

— Enfin… vous m’avez garrotté, pourquoi ?

Cette fois, une voix, évidemment déguisée, se fait entendre.

— Pour vous donner un avertissement.

— Un avertissement ?… Lequel ?

— Admettez-vous que vous êtes absolument à notre discrétion ?

— Cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

— Bon ! Il nous plairait de vous supprimer que rien ne nous serait plus facile.

Et Max courbant la tête sous l’argument jeté par cette bouche invisible dans l’obscurité, la voix insista :

— Est-ce vrai ?

— Eh parbleu, oui, c’est vrai. Il est bien inutile de me le faire déclarer.

Une légère pause suivit, puis l’organe résonna de nouveau :

— En vous épargnant, nous nous montrons cléments…

— Cléments, sapristi !…
Max distinguait trois silhouettes.

— Oui, cléments, car vous vous êtes engagé dans un chemin, au bout duquel on ne peut trouver que la mort.

L’intonation était si farouche que l’écrivain ne put réprimer un petit frémissement. Toutefois, il voulut faire bonne contenance, et d’un ton ironique :

— De quel chemin prétendez-vous parler ? demanda-t-il.

Mais la raillerie s’éteignit sur ses lèvres. Un organe plus rude avait répliqué :

— De la route d’Aubagne, qui conduit au bastidou Loursinade.

— Où nous sommes ? balbutia-t-il au comble de la surprise.

— Où nous sommes, répéta la voix rude. Au surplus, assez de détours. Vous êtes sur la piste d’un secret qui ne doit pas être divulgué…

— Mais je suis curieux, moi.

Sans tenir compte de l’interruption, l’interlocuteur invisible continua :

— Cela ne vous touche en rien. Vous ignoriez notre volonté, c’est pourquoi nous vous faisons grâce de la vie. Si vous persévériez après cela, nous n’aurions plus de raison de vous épargner.

— Qui donc êtes-vous ?

Max, très désorienté par la marche inattendue de son enquête, avait prononcé ces mots au hasard, pour dire quelque chose.

Au fond, ses idées se heurtaient, en plein désarroi. Ce bastidou le stupéfiait. Tout le monde le déclarait abandonné, inhabité, et, cette maison vide lui semblait aussi fréquentée que la Canebière.

À chaque pas, il rencontrait, des personnages mystérieux, dont la présence épaississait autour de lui le mystère qu’il s’était flatté d’expliquer. Et ce lui fut une stupeur d’entendre prononcer ces paroles :

— Tu désires nous connaître, soit, mais souviens-toi que l’on ne nous voit qu’une fois. À la seconde entrevue, nous accompagnons la mort.

La mort, ah ! le romancier s’en souciait peu maintenant. Un cri de triomphe avait failli jaillir de ses lèvres.

Au moins ceux-ci, il les verrait. Ils ne s’évanouiraient pas dans la nuit comme l’agile gamin, à peine entrevu tout à l’heure.

Mais il frissonna de la tête aux pieds. Une clarté emplissait la salle. Max reconnut sa lampe électrique aux mains de l’un de ces inconnus.

Complaisamment, ce dernier promena le faisceau lumineux sur lui-même, sur ses compagnons.

Et les yeux hagards, ayant l’impression de vivre un cauchemar, le jeune homme regardait.

Ses ennemis étaient en face de lui… Qu’étaient-ils ? Impossible de le préciser. Leur race, leur profession, leur sexe même, demeuraient douteux.

Max distinguait trois silhouettes humaines, dont les formes se faisaient imprécises sous des espèces d’amples blouses blanches tombant jusqu’aux pieds. Sur le crâne des chapeaux de paille, affectant la forme des « cabriolets » de la Restauration, dissimulaient la partie postérieure de la tête.

Quant aux visages, ils étaient d’une teinte jaune, ambrée, immobiles, comme figés. Dans cette immobilité effrayante les yeux seuls semblaient vivre.

— Des masques, murmura le prisonnier.

L’obscurité se fit de nouveau. Du fond de l’ombre, la première voix entendue résonna lentement :

— Tu nous as vus… Aie patience jusqu’à ta délivrance, mais une fois sorti d’ici, souviens-toi bien que nous revoir, ce serait mourir.

Un bruit singulier ponctua la phrase. On eut cru que l’on traînait une étoffe de soie sur le sol. Puis le léger claquement de la porte refermée, puis plus rien. Max sentit qu’il restait seul, assujetti par ses liens à la colonne de fonte.

Que signifiait cela ? Pourquoi ses adversaires inconnus l’abandonnaient-ils ? Ils ne lui voulaient point de mal. Ils l’avaient affirmé, et, dans leur accent, Max avait reconnu une indéniable sincérité.

Alors pourquoi l’avoir garrotté ? Pourquoi le laisser ainsi dans les ténèbres, impuissant à faire le moindre mouvement.

Car tout geste lui était interdit.

Le dos fortement appliqué au pilier de métal, les bras ramenés en arrière et maintenus contre le fût de fonte, la corde s’enroulant autour du col, des épaules, du torse, des jambes le maintenant étroitement, le jeune homme avait l’impression de faire corps avec son support.

Ah ! les inconnus devaient avoir une certaine habitude de ligoter des captifs. Les liens étaient enchevêtrés avec un art parfait. Ils ne blessaient point le romancier, mais ils l’obligeaient à l’immobilité absolue.

Qu’étaient donc ces gens-là ?

Les ennemis de la duchesse de la Roche-Sonnaille, de Mona Labianov… Ils l’avaient presque avoué en proférant leurs menaces de mort contre quiconque chercherait à percer le mystère. À quel propos cette inimitié ? Inutile de chercher la réponse. Max verrait la duchesse à la maison de santé Elleviousse ; il lui dirait ce qu’il avait fait, ce qu’il avait vu ; il offrirait ses bons offices et la pseudo-aliénée lui expliquerait toute l’affaire. S’il continuait à se demander :

— Que sont ces gens ?

C’était à cause de leur habileté à le ligoter, à cause de leur déguisement bizarre : la longue blouse blanche, le chapeau-capeline, le masque jaune. Ces précautions pour dissimuler leur identité n’indiquaient-elles pas qu’ils s’attendaient à le rencontrer, lui, Max Soleil, qui, le matin même de ce jour, ignorait que, le soir, il respirerait dans les rues de Marseille.

Comment avaient-ils pu… ? Ce jeune homme était trop logique pour dire : deviner ; mais comment avaient-ils pu être prévenus de son voyage, de ses intentions ?

Une sensation douloureuse donna un autre cours à ses pensées. Ses poignets étaient maintenus en arrière de la colonne. Plusieurs tours de corde les appliquaient l’un contre l’autre, leur interdisant de se séparer, mais ses mains restaient libres, si toutefois l’on peut considérer comme libres des mains ainsi disposées.

Ce mot prétend seulement exprimer que les doigts pouvaient se mouvoir et que, machinalement, ils profitaient de cette faculté, pour battre une marche sur la surface arrondie du pilier.

Battre une marche est une occupation, dans laquelle tombe fatalement tout homme isolé ; qui attend un événement quelconque, derrière les vitres d’une fenêtre, derrière une porte, ou en face d’une table… Max constata, non sans un sourire, que les colonnes de fonte incitaient aussi les doigts à cet exercice machinal.

Mais il le constata de douloureuse façon.

L’un de ses ongles se prit dans une fente, un défaut probablement du cylindre de fer ; la main, ainsi arrêtée, eut un mouvement instinctif pour se dégager, et l’ongle se cassa net, au ras de la spatule charnue qui terminait la phalange supérieure.

Cela fit mal au prisonnier. Et sa pensée, ainsi détournée du fait principal de sa présence en ce lieu, fut confisquée par le détail, le petit fait nouveau.

— C’est singulier, grommela Max. Une colonne est une surface courbe mais polie ; comment ai-je pu y accrocher mon ongle ?

Les esprits superficiels ne comprendront pas cette réflexion en pareil cas ; mais les observateurs savent qu’il n’est point de petits problèmes pour l’être de raisonnement.

Il est certain qu’une surface parfaitement polie ne doit pas accrocher un ongle, ainsi qu’une surface rugueuse.

Et pourtant le fait s’était produit. De l’anomalie naissait tout naturellement un pourquoi, auquel Max se sentit aussitôt un désir immodéré de répondre.

Au prix d’efforts obstinés, dont le premier résultat fut de faire entrer les cordes dans ses poignets, il réussit à promener quelque peu ses doigts sur le pilier qui l’immobilisait. Enfin, après quelques instants, il remarqua, précisément sous l’ongle mutilé, une légère boursouflure du métal.

— Bon, se dit-il…, c’est là.

Mais il se mordit les lèvres pour arrêter une exclamation. L’extumescence, sous la pression inconsciente de sa main, s’enfonçait dans la colonne, à la façon d’un bouton d’appel.

Une minute, le prisonnier demeura stupéfait. Puis, dans un souffle, il murmura :

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

Et par association d’idées :

— C’était peut-être cela que cherchaient les petits pieds autour des colonnes de métal !

Mais déductif, il poursuivit :

Ils ne savaient pas que cela existait… ces petits pieds, mais ils supposaient que quelque chose de semblable pouvait être. Oui, oui, leurs traces me révèlent cela. Ils cherchaient, sans être certains. En cas de certitude, ils fussent allés tout droit à ce bouton, à ce ressort. Leur hésitation démontre qu’ils obéissaient seulement à une hypothèse.

Il eut un sourd grondement.

— Mais alors, alors, ces petits pieds-là se livraient donc à une enquête, tout comme moi. Serait-ce la même ?

Oubliant ses liens, Max voulut hocher la tête, mais la corde lui meurtrit le cou et il s’empressa de réappliquer sa nuque sur la paroi du pilier.

— Je n’ai point d’éléments suffisants pour dégager cette inconnue du problème. Abandonnons-la pour l’instant. J’ai, sous les mains, c’est le cas de le dire, une autre inconnue. Tâchons de l’expliquer.

Un instant, il demeura pensif, concentrant toutes les énergies de son intellect.

— Et mais, fit-il tout-à-coup, Ceci prouve que la maison a été habitée depuis le décès du brave docteur Rodel.

Ses doigts se serrèrent, seul mouvement que ses liens lui permissent. En tout autre temps, Max se fût frotté les mains, indice universel de grande satisfaction.

— Ce bouton mobile, je ne sais pas au juste ce qu’il est ; mais un poussoir sert toujours à établir la communication, entre un individu placé dans la pièce et un ou plusieurs autres qui sont à l’extérieur. Je ne puis pas observer dans l’état où je suis, mais je puis admettre que ce bouton commandait à tout le moins une sonnerie d’appel. Or, une sonnerie doit être d’abord commode. On installe une sonnerie pour s’en servir fréquemment ; on ne la place donc pas dans un endroit où l’on ne saurait l’atteindre. Ceci posé, cet appareil ne pouvait exister du vivant du docteur Rodel, puisque l’examen des murs démontre que les piliers de fonte se trouvaient encastrés dans les rayons de la bibliothèque. Une sonnerie, exigeant le déplacement de plusieurs volumes : une sonnerie tournée, non pas vers le centre de la salle mais vers le mur, cela ne pouvait entrer dans l’esprit de personne. N’ayant pas de raison d’être, cela n’était pas.

Dans le noir, il eut un sourire. Son raisonnement le satisfaisait de tout point.

— Bon, fit-il après avoir vainement cherché l’objection. Examinons maintenant, le cas où, dans un but que j’ignore, des personnages mystérieux auraient meublé clandestinement le bastidou, avec l’intention, arrêtée à l’avance, d’attirer ici la duchesse et sa jeune amie. — Ceux-là, j’ai vu leurs agents tout à l’heure, je suis ficelé par eux, je puis donc me certifier qu’ils sont réels, — ceux-là ont pu avoir intérêt à communiquer entre eux, à l’insu de leurs victimes, à posséder un signal ignoré, invisible. De là, ce bouton d’appel, face au mur, masqué par l’épaisseur de la colonne. Ce qui eut été absurde chez Rodel, devient logique pour eux. Ils ont donc certainement installé ceci après la mort du premier.

Longtemps, le romancier réfléchit ainsi. Plus il agitait les données du problème, plus la conviction pénétrait en son esprit.

Cependant les heures s’écoulaient. Depuis combien le jeune homme était-il garotté ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais un commencement de courbature très pénible l’incitait à supposer, que son involontaire faction dépassait les bornes de la résistance humaine, quand une sensation étrange le bouleversa soudain.

Il lui sembla que ses liens le comprimaient moins étroitement, qu’ils se relâchaient.

Avant qu’il eût pu s’assurer de la réalité du fait, la corde se tendit violemment sur sa poitrine, puis elle glissa rapidement autour de lui, telle un serpent qui se déroule. Il y eut un sifflement dans l’air, quelques fouettements sur la muraille, puis plus rien.

Et Max, étendant les bras, se tâtant, s’aperçut qu’il était libre. La corde avait disparu.

Il se baissa, faisant descendre sa main le long de ses jambes, palpant le sol autour de ses pieds. Rien, plus de corde. Comment était-elle partie ? Personne n’était entré dans la pièce. Si léger que fut le pas d’un visiteur, Max l’eût entendu. Dans tous les cas, il se fut aperçu que l’on détachait ses liens. Il est impossible d’assurer le ligotement d’un individu, sans un ou plusieurs nœuds.

Avant tout, il fallait voir. Prenant, sa boîte à allumettes, il en frotta une.

— Bravo, s’écria-t-il.

À deux pas de lui, sa lampe électrique gisait, à terre. Heureusement il n’avait pas marché, car il l’eût écrasée sous son pied.

Il la ramassa avec une joie très grande. Elle était en bon état. Sans doute ses adversaires l’avaient, déposée, en ce point, ne voulant rien emporter qui lui appartint.

La lampe actionnée, le jeune homme regarda autour de lui. Deux choses le frappèrent simultanément. D’abord, l’absence totale d’empreintes des trois personnages qui s’étaient révélés à lui de manière si fantastique. Mais une sorte de chemin uni, tracé sur la poussière et gagnant la porte, lui donna le mot de l’énigme.

Il se souvenait du bruit d’étoffe de soie, perçu par lui, lorsque ses persécuteurs s’étaient retirés. Les assaillants avaient traîné derrière eux un lé d’étoffe qui avait effacé les traces.

Ce point expliqué, il constata que, entre la colonne où il avait été attaché et le mur, soit sur un espace de trente centimètres, la poudre du plancher avait été fortement fouettée. En regardant de plus près, il reconnut les traces d’une corde tirée violemment.

Et dans la paroi, qui n’était qu’une simple cloison séparant la bibliothèque du salon, une ouverture circulaire, de la dimension d’une pièce de cinq francs argent, le renseigna sur le mode de disparition de ses liens.

Évidemment les hommes aux masques jaunes les avaient enroulés suivant, une méthode déterminée. Les extrémités de la corde devaient passer par cette ouverture et être retenues par un nœud spécial. Un de ses goêliers s’était donc tenu dans le salon, puis, l’instant fixé pour la délivrance du captif étant venu, il avait dénoué et ramené la corde à lui.

Pour corroborer ses déductions, Max ouvrit la porte. Il retrouva l’ouverture de l’autre côté de la cloison. Juste au-dessous, la poussière avait été fortement déplacée, puis une allée unie filait vers la porte du vestibule.

Ici encore, l’homme avait traîné une bande d’étoffe derrière lui pour recouvrir ses traces.

— Ces gaillards-là sont très forts, murmura Max…, très forts ! Ils ne négligent rien.

Et, avec un haussement d’épaules :

Une ouverture circulaire le renseigna.
Une ouverture circulaire le renseigna.

— Ils doivent être loin maintenant. C’est la duchesse qui me mettra sur leur piste. Pour l’instant, occupons-nous du bouton mobile du pilier.

Pas une seconde, le jeune homme n’eut l’idée d’abandonner la partie. Ses agresseurs l’avaient menacé de mort s’il persévérait dans son enquête, et lui, aussitôt libre, la reprenait sans paraître soupçonner que cette obstination, en de telles circonstances, devenait tout simplement héroïque.

Seulement, il avait été surpris une fois, il prit ses précautions pour ne pas l’être une seconde.

La porte fermée, la clef rouillée glissée dans sa poche, Max revint au pilier de fonte. Il ne s’était pas trompé. Un bouton-poussoir dessinait sa convexité sur le cylindre de métal. Il le poussa, doucement d’abord, puis plus fort.

Singulier poussoir ; il s’enfonçait toujours ; à quoi pouvait-il servir ? La course d’un bouton de ce genre est toujours très limitée. Pourquoi celui-ci, était-il doué d’une pareille faculté de déplacement. Max prit son canif, et avec la lame étroite d’un poinçon, poussa le ressort.

La lame acérée disparut entièrement dans la colonne, et brusquement, il se produisit une sorte de déclic ; le canif et la main du romancier furent rejetés en arrière.

Un cri stupéfait jaillit des lèvres du jeune homme. Au lieu du « poussoir » venait d’apparaître une courte tubulure, dont l’extrémité se développa en disque de fort parchemin tendu sur un cercle d’acier articulé.

— Ma parole, on dirait un parleur de téléphone !

Et tout interloqué de sa découverte :

— Oui, le fil conducteur dans la colonne, absolument caché. Mais où va-t-il ce conducteur ? Montons.

Courant, le jeune homme s’élança hors de la bibliothèque. Il traversa le salon, le vestibule, se jeta dans l’escalier accédant au premier et unique étage, parvint dans la salle située juste au-dessus de celle qu’il venait, de quitter.

— Encore les colonnes de fonte.

C’était vrai. Deux piliers identiques à ceux du rez-de-chaussée se dressaient du plancher au plafond.

— Parbleu, monologua le romancier. Je me trompais. Ce ne sont pas là des colonnes de soutènement. Elles ont été placées uniquement pour enfermer des conducteurs.

Puis par réflexion.

— Moyen coûteux, inaccoutumé. Il était donc bien important d’avoir une communication secrète.

Mais il eut beau tourner, heurter, explorer les colonnes, leur surface ne lui montra aucune solution de continuité. Elles sonnaient le creux au choc, voilà tout. Ah ça, se continuaient-elles au grenier ?

Sur cette réflexion, Max reprit ses investigations.

Un petit escalier étroit et raide, véritable échelle, aboutissait à une trappe, seule entrée des combles. Max souleva la planche et pénétra dans le grenier bas, formant un seul compartiment sur toute la longueur de la villa, les constructeurs ayant jugé inutile de le diviser par des cloisons.

Néanmoins, l’explorateur trouva sans peine l’emplacement correspondant aux salles inférieures qui l’intéressaient.

Ici plus de colonnes de fonte, mais des piliers de maçonnerie légère, donnant l’impression de cheminées de conduites à feu. Max eut un éclat de rire.

— Très ingénieux, une cheminée sur des colonnes ! Voilà qui doit assurer un bon tirage !

Mais redevenant sérieux :

— Il est vrai que si ces messieurs ne m’avaient pas mis, malgré moi, en posture de découvrir le secret du poussoir, je ne me serais douté de rien.

Et après une inspection rapide des fausses cheminées :

Il appuya fortement sur le tube.
Il appuya fortement sur le tube.

— Non, rien. Ce conducteur traverse le toit ; mais dehors, impossible de dissimuler les fils ! Enfin, allons voir, tout ce que je pourrais dire ne vaudra pas un coup d’œil.

Deux lucarnes-tabatières étaient, ménagées dans le plafond du grenier.

Quoique éperonné par une curiosité croissante, le jeune homme prit le temps de les considérer attentivement.

L’une n’avait pas été ouverte depuis de longs mois. Son armature de fer avait perdu sa couche de peinture, la rouille l’avait envahie, et il fallait un effort violent pour la faire tourner sur ses charnières.

La seconde, bien qu’oxydée également, fonctionnait avec une facilité relative.

— C’est, donc, par celle-ci que passaient les habitants mystérieux du bastidou, se dit Max. Suivons le même chemin.

Sur ce, il ouvrit la lucarne et se hissa sur le toit.

La pente était peu marquée. Il fut donc aisé au romancier de gagner les cheminées postiches, continuant les colonnes de fonte intérieures.

Mais ni sur le piédestal de maçonnerie, ni sur les tubulures céramiques, il ne découvrit, la moindre agrafe pouvant servir d’attache à des fils, susceptibles de conduire au loin les signaux transmis de la bibliothèque, au moyen du parleur téléphonique.

Et cependant la voix devait porter au delà. Il était inadmissible que l’interlocuteur du personnage parlant au rez-de-chaussée de la villa, ne pût correspondre avec lui qu’en se perchant sur le toit.

Pour arriver à un pareil résultat, il eût été ridicule de procéder à une installation aussi compliquée, aussi dispendieuse.

Comme toute cheminée qui se respecte, celle qu’observait l’écrivain se terminait, par un cylindre de terre cuite rouge.

— Cette terre est « isolante », murmura soudain le jeune homme. Le point de contact, doit donc être au-dessous d’elle. C’est évident.

Et d’un mouvement machinal, il appuya fortement sur le tube. Il le sentit, remuer sous sa main.

Il pressa plus vigoureusement, et le tuyau, pivotant sur un invisible point d’appui, démasqua l’orifice intérieur de la cheminée.

Max eut un cri de joie. Dans le tuyau il distinguait des anneaux implantés contre la paroi et dominant des plaques métalliques qui vibraient incessamment.

— Un renforçateur !

On sait que l’on désigne ainsi l’appareil qui, grâce à l’excessive vibratilité de minces lamelles, multiplie le son, de façon à rendre perceptibles des bruits que l’oreille n’enregistrerait, pas sans lui.

Le renforçateur est à l’ouïe ce que le microscope est à la vision.

Et servant de support aux véritables « anches », qui transformaient le tuyau en un condensateur de sons, Max discerna une sorte de console métallique, fichée comme un butoir dans le prolongement de l’axe des anneaux fixes.

Le centre même était plus pâli que le reste de la surface, semblant indiquer qu’en ce point des frottements s’étaient produits.

— On glissait une tige par les anneaux, s’expliqua l’auteur, et elle s’appuyait sur ce taquet. Pourquoi cette tige ?

Et brusquement, il se frappa le front.

— Je suis idiot ! Pas de conducteurs apparents ; donc utilisation des propriétés telluriques.

La tige était une antenne dé télégraphe-téléphone sans fil !

Les idées se succédant impétueusement dans son cerveau :

— Parbleu ! C’est cela. Le sans-fil par lequel a été expédié le télégramme dont on n’a, par suite, relevé aucune trace au bureau normal de Marseille. Voilà un des faits contrôlés pour ce brave agent Landré, dit Dodo…

Et avec une joie profonde :

— Mais cela me met sur la piste de deux au moins des « visages jaunes » qui m’ont surpris ici. L’un est évidemment celui qui a joué le rôle du docteur Rodel défunt ; le second est le faux télégraphiste qui a apporté la réponse au télégramme. Aussi, aucun des agents des postes n’a-t-il pu affirmer avoir remis un message à ce bastidou Loursinade. Second point vérifié par Landré. Bravo ! Ma conviction est faite… Rentrons à l’hôtel.

Déjà il se dirigeait vers la lucarne, quand une voix le fit s’arrêter comme pétrifié. Cette voix semblait, monter des ténèbres du jardin.

— Le bastidou a été construit sur une ancienne carrière. Il va s’y engouffrer avec l’indiscret qui a méprisé l’avertissement des Masques Jaunes !

— Qui parle ?

On ne répondit pas à la question. Mais sous ses pieds, Max pensa percevoir une détonation sourde, lointaine, venant des profondeurs du sol. Et comme il se demandait ce que cela pouvait être, la toiture sembla frissonner sous lui, une oscillation étrange secoua la maison, puis un craquement sinistre retentit.

Le jeune homme eut l’impression que le bâtiment s’effondrait sous lui, l’entraînant dans une chute soudaine ; il courut vers le bord du toit, avec l’intention instinctive de sauter.

La pensée confuse qu’un saut de huit mètres, quoique dangereux, n’est pas impossible, s’était fait jour en son cerveau.

Mais les craquements redoublèrent, la chute s’accéléra. Max ressentit un choc violent et il perdit la perception des choses, ignorant s’il entrait dans la mort ou dans un simple évanouissement.