Mme de Rochefort, sa famille et ses amis/01

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Mme de Rochefort, sa famille et ses amis
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 79 (p. 666-707).
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Mme DE ROCHEFORT
SA FAMILLE ET SES AMIS

I.
LA COMEDIE DE SOCIETE AU DIX-HUITIEME SIECLE.

Dans une lettre souvent citée, écrite en 1766 à son ami le poète Gray, Horace Walpole passe en revue les femmes les plus considérables de la société parisienne, fit après avoir parlé successivement de Mmes Geoffrin, du Deffand, de Mirepoix, de Boufflers, arrivant à Mme de Rochefort, il nous la présente ainsi : « Mme de Rochefort diffère de tout le reste. Son jugement est juste et délicat, avec une finesse d’esprit qui est le résultat de la réflexion ; ses manières sont douces et féminines, et, quoique savante, elle n’affiche aucune prétention. Elle est l’amie décente (decent friend) de M. de Nivernois, car vous ne devez pas croire un mot de ce qu’on lit dans leurs nouvelles ; il faut ici la plus grande curiosité ou la plus grande habitude pour découvrir la plus légère liaison entre les personnes de sexe différent, aucune familiarité n’est permise que sous le voile de l’amitié, et le dictionnaire de l’amour est aussi prohibé que semblerait l’être à première vue son rituel. » Walpole soulève ici une question délicate, sur laquelle on reviendra plus loin ; contentons-nous pour le moment de faire remarquer qu’à l’époque où il écrivait ces réflexions à propos de Mme de Rochefort, celle-ci était âgée de cinquante ans, et que le duc de Nivernois avait exactement le même âge. Le président Hénault nous a laissé de son côté deux portraits de Mme de Rochefort. L’un date de la jeunesse ide cette aimable femme, et, quoiqu’il soit un peu long, il mérite d’être cité presque tout entier.


« Pour commencer par la figure de Mme la comtesse de Rochefort, dit le président, elle n’a rien de frappant ni qui surprenne, mais elle acquiert à être regardée ; c’est l’image du matin, où le soleil ne se lève point encore, et où l’on aperçoit confusément mille objets agréables. Quand elle parle, son visage s’éclaire ; quand elle s’anime, sa physionomie se déclare ; quand elle rit, tout devient vivant en elle, et on finit par aimer à la regarder, comme on se plaît à parcourir un paysage où rien n’attache séparément, mais dont la composition entière est le charme des yeux.

« On ne comprend pas comment, en arrivant dans le monde, Mme la comtesse de Rochefort a pu connaître si tôt et ses usages et les hommes qui l’habitent ; tout a l’air en elle de la réminiscence ; elle n’apprend point, elle se souvient, et tout ce qui la rend malgré cela si agréable aux autres, c’est que sa jeunesse est toujours à côté de sa raison ; elle n’a l’air sensé que par ce qu’elle dit, et jamais par le ton qu’elle y donne ; elle juge comme une autre personne de son âge danse ou chante ; elle ne met pas plus de façon à raisonner qu’à se coiffer ; aussi est-elle aussi naturelle dans ses expressions que dans sa parure ; la coquetterie est un défaut qu’elle n’aura pas de mérite à vaincre, elle ne la connaît pas plus que la recherche des pensées et le tour maniéré des expressions.

« Quelque indiscrétion qu’il y ait à oser prononcer sur le caractère des jeunes femmes, on peut quasi promettre à Mme la comtesse de Rochefort de n’être jamais malheureuse par les passions folles et inconsidérées. Si jamais un homme parvenait à lui plaire, j’ose l’assurer qu’il n’aura à craindre ni orages, ni écueils ; son âme est aussi constante que décidée. Ce qui doit le plus surprendre en elle, c’est la fermeté de son caractère ; ses résolutions sont promptes et justes ; l’expérience en fait d’esprit naît ordinairement de la comparaison qui prépare et qui assure nos jugemens, elle a su se passer de tous ces secours présentés aux âmes ordinaires ; elle jugera sûrement du premier ouvrage, tout comme elle a pris des partis sensés dans des affaires où, toute jeune qu’elle est, elle s’est trouvée obligée de se décider par son seul conseil. »


À ce portrait, il faut joindre une esquisse du même peintre représentant le même modèle à un âge plus avancé.


« Mme de Rochefort, dit le président dans ses Mémoires récemment publiés, est digne de l’amour et de l’estime de tous les honnêtes gens… Les grâces de sa personne ont passé dans son esprit, elle a fait des amis de toutes ses connaissances. Je ne sais si elle a des défauts. Il ne lui manquait que d’être riche, mais elle vivait honnêtement avec un très médiocre revenu. Elle s’avisa de nous donner un jour à souper, nous essayâmes sa cuisinière, et je me souviens que je mandai alors qu’il n’y avait de différence entre cette cuisinière et la Brinvilliers que l’intention. »


L’homme qui a tenu la plus grande place dans la vie de Mme de Rochefort et de qui l’on disait qu’il avait été quarante ans son ami et quarante jours son mari, le duc de Nivernois[1] nous a laissé également deux portraits d’elle. Le premier est celui d’une très jeune femme, on lui donne généralement la date de 1741, et il est en vers.

Sensible avec délicatesse
Et discrète sans fausseté,
Elle sait joindre la finesse
A l’aimable naïveté ;
Sans caprice, humeur ni folie,
Elle est jeune, vive et jolie ;
Elle respecte la raison,
Elle déteste l’imposture ;
Trois syllabes forment son nom[2],
Et les trois Grâces sa figure.

Quarante-cinq ans après la date de ce portrait, quand il eut perdu son amie, devenue sa seconde femme, le duc de Nivernois réunissait quelques opuscules d’elle en un petit volume publié en 1784, et y ajoutait une courte et touchante préface, adressée aux amis de la défunte, qui représente cette intéressante personne sous un autre aspect. « J’ai rassemblé, dit le duc, ces opuscules bien dignes d’être conservés comme des monumens précieux. Hélas ! c’est tout ce qui reste de la femme la plus parfaite qui ait jamais vécu. Je vous dédie ce recueil, à vous ses excellens amis, qui la pleurez presque autant que moi. Vous y trouverez à chaque ligne l’empreinte de son cœur, de son esprit, de ce caractère adorable et toujours égal qui faisait le charme de sa société et qui a fait pendant tant d’années le bonheur de ma vie. Vous ne lirez pas une seule page sans attendrissement, vous mêlerez encore vos larmes aux miennes. Je vous en remercie ; c’est la seule espèce de consolation que votre amitié puisse me donner. »

Il semble qu’une femme qui a inspiré des attachemens si vifs et si durables, dont le nom se rencontre souvent dans les mémoires et les correspondances du XVIIIe siècle, et qui, dans des conditions de fortune assez modestes, a été le centre d’une société choisie, il semble qu’une telle femme devrait être aussi connue que les autres dames notables du XVIIIe siècle, et cependant il n’en est rien. Les quelques citations que nous venons de faire représentent presque tout ce que l’on sait sur la comtesse de Rochefort. Le recueil de pensées et d’opuscules sortis de sa plume, imprimé en 1784 pour ses amis par le duc de Nivernois, fut tiré à un si petit nombre d’exemplaires qu’il est devenu excessivement rare, on ne le trouve même pas à la Bibliothèque impériale, et il nous a été plus facile de nous procurer le manuscrit qui a servi à l’impression du livre que le livre lui-même[3]. Dans un temps enfin où la littérature épistolaire s’est enrichie d’un si grand nombre de pages écrites par les dames du XVIIIe siècle, il n’a pas encore été publié, croyons-nous, une seule lettre de la comtesse de Rochefort.

Cette pénurie de documens sur une personne dont on a parlé assez pour exciter la curiosité du public et pas assez pour la satisfaire nous fait espérer qu’on ne lira pas sans intérêt sur Mme de Rochefort des détails nouveaux puisés surtout dans une correspondance inédite entre elle et quelques amis. Cette correspondance manuscrite, que le duc de Nivernois ne savait pas avoir été conservée quand il publia en 1784 le petit volume dont nous venons de parler, et dans laquelle il figure pourtant lui-même, est bien plus propre encore que le volume en question à nous faire apprécier l’esprit et le caractère de sa seconde femme ; on y trouve un grand nombre de lettres d’elle écrites au courant de la plume, sans aucune prévision de publicité et avec des indications qui sont de nature à mettre en lumière certaines nuances curieuses de la vie. intellectuelle, morale et sociale des hautes classes au XVIIIe siècle. Toutefois, comme cette série de lettres, qui commence en 1757, s’applique principalement à la seconde partie de la vie de Mme de Rochefort, nous devons d’abord réunir ici tous les renseignemens que nous avons pu recueillir sur la première.


I

Marie-Thérèse de Brancas appartenait à une famille d’origine étrangère, mais qui depuis deux siècles avait déjà conquis un rang élevé parmi la noblesse française. Les Brancas (Brancaci), originaires de Naples, établis en France sous Charles VII, sont brillamment représentés au XVIe siècle par André de Brancas, gouverneur de Rouen, amiral de France, seigneur de Villars, un des plus opiniâtres et des plus vaillans chefs de la ligue ; Sully a dit de lui qu’il était la droiture et la bravoure mêmes, mais que ses premiers mouvemens étaient d’une extrême violence. Dès le XVIe siècle, les Brancas de France étaient divisés en deux branches. L’amiral de Villars appartenait à la branche cadette, devenue bientôt, comme cela arrivait souvent, plus riche et plus notable que l’autre. L’amiral étant mort non marié, son frère, George de Brancas, obtint en 1652 l’érection de la terre de Villars en duché-pairie. C’est à cette branche cadette qu’appartenait le comte de Brancas, célèbre par ses distractions, et qui a servi de modèle au Ménalque de La Bruyère. Suivant Saint-Simon, ce Brancas, qui était le neveu du premier duc de Villars, avait été fort lié avec Mme Scarron, qui s’en souvint toute sa vie. Le neveu de celui-là, troisième duc de Brancas-Villars, ne fut célèbre que par son cynisme spirituel et désordonné. Il fut un de ces compagnons de débauche du régent connus sous le nom de roués[4]. Quant au père de Mme de Rochefort, Louis de Brancas, des comtes de Forcalquier, marquis de Céreste, chef de la branche aînée, il naquit le 19 janvier 1672, et mourut en 1750 lieutenant-général de Provence, commandant en chef de la province de Bretagne, grand d’Espagne et maréchal de France. Saint-Simon nous le peint comme un homme très distingué, brave à la guerre, habile dans les négociations et d’autant plus ambitieux qu’il était né pauvre. « Il était, dit-il, l’aîné de quinze ou seize frères ou sœurs avec 7 ou 8,000 livres de rente entre eux tous. »

Le maréchal de Brancas, marié à une Brancas-Villars sa cousine, avait une famille assez nombreuse, trois fils et quatre filles. Marie-Thérèse, qui était le sixième de ses sept enfans, naquit à Paris le 2 avril 1716. Elle fut élevée au couvent comme l’étaient alors toutes les jeunes filles de son rang. Quoiqu’elle ait composé un sermon en trois points avec des citations latines, l’épithète de savante, que lui donne Walpole, n’est pas rigoureusement exacte ; elle n’est méritée que par l’aptitude de son esprit à traiter avec la même facilité les questions les plus sérieuses et les sujets les plus frivoles. Le duc de Nivernois, qui lui avait fourni les citations de ce sermon, nous apprend que non-seulement elle ne savait pas le latin, mais, ce qui était plus rare en ce temps-là, qu’elle ne connaissait aucune autre langue que la sienne, et il ajoute : « Elle ne savait la sienne que par l’usage ou par instinct. » On verra pourtant qu’elle la savait très bien.

A l’âge de vingt ans, Mlle de Brancas fut mariée le 13 février 1736, à Jean-Anne-Vincent de Larlan de Kercadio, comte de Rochefort, que nos documens indiquent comme étant né le 2 novembre 1717, et qui par conséquent aurait eu un an et demi de moins que sa femme. C’était le fils d’un président à mortier du parlement de Bretagne. Avant son mariage, il est qualifié cornette des chevau-légers, et après son mariage mousquetaire de la première compagnie. Saint-Simon nous parle du président de Rochefort, son père, comme d’un des principaux moteurs de la résistance du parlement de Bretagne aux opérations de Law. Mandé à Paris par lettre de cachet, puis exilé à Auch, et finalement compromis plus ou moins dans la conspiration de Cellamare, il reçut ordre en 1720 de vendre sa charge. Ces Larlan de Kercadio ne paraissent appartenir ni aux anciens Rochefort-Rieux de Bretagne, ni aux Rohan-Rochefort, ni à la famille du maréchal qui porta ce nom sous Louis XIV, car il s’appelait d’Aloigny. Du reste, ce nom de Rochefort se retrouve au XVIIIe siècle chez un assez grand nombre de personnes plus ou moins notables, originaires de provinces très diverses et qui n’ont entre elles aucun lien de parenté. Il ne faut donc pas confondre la comtesse de Rochefort-Brancas, dont il s’agit ici, avec cette comtesse de Rochefort dont il est souvent question dans la correspondance de Voltaire, qui était liée avec d’Alembert, et que le patriarche de Ferney appelle en 1770 Mme dix-neuf ans, Notre comtesse de Rochefort était de beaucoup l’aînée de celle-là.

Est-ce par inclination que Mlle de Brancas épousa ce gentilhomme breton âgé de dix-huit ans et demi ? Cela paraît fort douteux, car dans les lettres assez nombreuses que nous avons d’elle, et qui appartiennent, il est vrai, à la dernière moitié de sa vie, il n’y a pas le plus léger souvenir de son mari. Était-ce un mariage d’intérêt que le marquis de Brancas, commandant de la province de Bretagne, mais plus riche de ses places que de sa fortune personnelle, avait arrange pour sa fille ? S’il en est ainsi, ce calcul ne réussit guère, puisque Mme de Rochefort, restée bientôt veuve et sans enfans, fut un instant assez pauvre pour que le marquis de Mirabeau lui écrive bien longtemps après, en 1764, faisant allusion à une période de sa jeunesse : « Je vous ai ouï dire qu’un jour ou qu’une année où vous n’aviez que deux mille livres de rente, vous riiez ni plus ni moins. » Nous n’avons pas pu déterminer au juste a quelle date Mme de Rochefort perdit son mari. L’énorme journal de cour que l’on vient de publier en dix-sept volumes sous le titre de Mémoires du duc de Luynes, ce journal, qui continue Dangeau pour le règne de Louis XV, nous apprend que le jeune comte de Rochefort existait encore deux ans et demi après son mariage, en octobre 1738, car il y est question de lui à l’occasion d’un fait qui met en relief la bonne grâce de sa femme.

Mme de Rochefort, remplaçant sa mère malade, avait accompagné et même devancé son père, qui se rendait à Rennes pour présider l’assemblée des états de Bretagne comme commandant de la province. Les dames de Rennes ne voulurent pas accorder à la fille du commandant l’honneur de la première visite, qui, suivant elles, n’était dû qu’à sa femme, « d’autant, dit le duc de Luynes, que le mari de Mme de Rochefort est Breton, et qu’en qualité de membre des états il ne lui est point dû d’honneurs. » Pour éviter l’embarras d’un conflit, elles partirent toutes pour la campagne ; mais Mme de Rochefort, au lieu de se fâcher, prit sur elle, en l’absence de son père, de passer à la porte de toutes ces dames. Cette attention de sa part, dit le duc de Luynes, réussit au mieux ; toutes revinrent chez elles avec empressement. On envoya même à Mme de Rochefort une députation du parlement en conséquence d’une délibération où il fut dit que c’était contre la règle ordinaire et par considération personnelle. Ce fut un évêque qui porta la parole. Le succès de la jeune femme alla plus loin encore, car à la clôture des états, contrairement à toutes les règles, qui voulaient, d’après le duc de Luynes, qu’on ne votât de gratification qu’à la femme du commandant et non à sa fille, et que le don ne dépassât jamais 10,000 livres, il fut voté d’enthousiasme 12,000 livres de gratification à Mme de Rochefort[5]. N’a-t-on pas là une victorieuse démonstration de l’extrême amabilité qui distinguait la comtesse dès l’âge de vingt-deux ans ? Toujours est-il qu’à partir de cette année 1738 le duc de Luynes, qui parle d’elle assez souvent, ne dit mot de son mari ; nous allons voir d’autres contemporains qui vantent l’agrément des réunions de l’hôtel de Brancas, où figure avec éclat Mme de Rochefort, garder le même silence absolu sur le mari, d’où l’on peut conclure que c’est vers cette époque, de 1739 à 1741, que la jeune femme devint veuve.

Elle commença par tenir la maison de son père, où l’on recevait beaucoup, et dont les réceptions devinrent plus brillantes encore lorsque son frère aîné, le comte de Forcalquier, eut épousé, le 6 mars 1742, la jeune et riche veuve du marquis d’Antin. « On ne peut pas être plus jolie, dit à cette occasion le duc de Luynes, que l’est Mme de Forcalquier ; elle est petite, mais fort bien faite, un beau teint, un visage rond, de grands yeux, un très beau regard, et tous les mouvemens de son visage l’embellissent. » C’est cette belle-sœur de Mme de Rochefort, redevenue veuve en 1753, dont il est question souvent dans la correspondance de Mme du Deffand, qui l’appelle la bellissima, quelquefois aussi la bêtissima, car, tout en la fréquentant beaucoup, elle ne la ménage pas plus que ses autres amies. L’intimité de Mme de Rochefort avec sa belle-sœur ne paraît pas avoir survécu à l’existence de son frère.

Durant ces dix années et surtout dans la période qui précède la mort de son père (1750), Mme de Rochefort vécut d’une existence animée dont la trace se retrouve tout à la fois et dans nos documens particuliers et dans les témoignages contemporains. Nous avons d’abord celui de Montesquieu, écrivant à Duclos, un des habitués de l’hôtel de Brancas, à la date du 15 août 1748, ce passage significatif : « Les soirées de l’hôtel de Brancas reviennent toujours à ma pensée, et ces soupers qui n’en avaient pas le titre, et où nous nous crevions. Dites, je vous prie, à Mme de Rochefort et à M. et Mme de Forcalquier d’avoir quelques bontés pour un homme qui les adore. Vous devriez bien me procurer quelques-unes de ces badineries charmantes de M. de Forcalquier que nous voyions quelquefois à Paris, et qui sortaient de son esprit comme un éclair. »

Plusieurs lettres écrites par le président Hénault à une date antérieure, en 1742, et qui ont été publiées pour la première fois en 1809, contiennent d’assez nombreux détails sur les Brancas, sur Mme de Rochefort et sur leur société, qui se réunit alors non plus à Paris, mais au château de Meudon. Le maréchal y était installé pendant l’été avec sa famille dans un appartement qui lui avait été donné par le roi. Le président Hénault, foncièrement épicurien, quoiqu’il n’aimât point à être célébré par Voltaire pour ses soupers autant que pour sa chronologie, ne s’arrange pas aussi facilement que Montesquieu du cuisinier du maréchal ; mais si la table, suivant lui, laisse à désirer, la société de Meudon lui plaît fort, les deux petites femmes, c’est ainsi qu’il nomme Mme de Rochefort et Mme de Forcalquier, ne contribuent pas peu à l’attirer ; la gaîté douce et fine de la première l’aide à subir joyeusement les inégalités, les fantaisies et les espiègleries de la seconde, dont un des passe-temps favoris consiste, par exemple, dans la fête des chapeaux, ce qui veut dire qu’elle attend les visiteurs sur la terrasse du château, s’amuse à prendre tous leurs chapeaux et à les faire voler, dit Hénault, de la terrasse en bas, d’environ cinq cents toises.

Avec le président Hénault, on voit figurer dans les réunions de Meudon le marquis d’Ussé, son ami, l’abbé de Sade, abbé très mondain, si l’on en juge par les lettres que lui adresse Voltaire, mais homme aimable et instruit à qui l’on doit un travail estimé sur Pétrarque, et qu’il faut bien se garder de confondre avec le marquis de Sade, son hideux neveu. On y trouve aussi Maupertuis, qui revenait fameux de son voyage au pôle, et qui n’avait pas encore eu à subir la redoutable animosité de ce même Voltaire, le comte de Maurepas, le plus jeune des ministres de Louis XV, qui devait après une longue disgrâce mourir le plus vieux des ministres de Louis XVI, Mme de Maurepas, le marquis et la marquise de Mirepoix, le marquis de Flamarens et sa femme, aussi vertueuse que belle, et par contraste la duchesse de La Vallière, beaucoup plus belle que vertueuse.

A ces réunions manque une autre femme qui vivait alors dans l’intimité des Brancas et particulièrement de Mme de Rochefort : c’est Mme du Deffand, âgée de quarante-cinq ans, non encore aveugle, et qui, après une jeunesse assez désordonnée pour nuire à sa considération, à une époque de tolérance excessive, s’était en quelque sorte relevée, en vertu de cette même tolérance, par une liaison quasi conjugale (quoique adultère, car son mari vivait encore) avec le président Hénault. Dans l’été de 1742, Mme du Deffand est allée prendre les eaux de Forges, et c’est pour la distraire en la tenant au courant de ce qui se passe chez ses amis que le président lui écrit des lettres qu’il s’efforce de rendre aimables, mais où elle cherche vainement ce qu’elle appelle un grain de sentiment vrai. Les siennes d’ailleurs en sont encore plus dépourvues. Les deux correspondans sont deux parfaits égoïstes, avec cette différence en faveur du président que son égoïsme est débonnaire, beaucoup moins exigeant et moins tracassier que celui de sa très spirituelle amie, dont il restera le patito jusqu’à la fin de ses jours. Il se vante cependant à son tour, ou plutôt il dissimule, lorsqu’il termine un portrait de Mme du Deffand par cette phrase : « c’est la personne par laquelle j’ai été le plus heureux et le plus malheureux, parce qu’elle est ce que j’ai le plus aimé. » Ceci fut écrit évidemment pour être lu à Mme du Deffand, car les mémoires posthumes dont nous venons de parler, où le même portrait se retrouve plus accentué en aigreur et dégagé du correctif sentimental de la fin, nous apprennent qu’en dehors d’un arrangement officiel et de convenance, maintenu uniquement par le lien de l’habitude et la crainte d’une rupture, le frivole président avait donné toute l’affection dont il était capable à une autre personne, à Mme de Castelmoron, qui, douce, bonne, dévouée, avait sur Mme du Deffand un genre de supériorité dont les femmes n’apprécient pas toujours assez la puissance[6]. En 1742, Mme du Deffand se console aisément d’être séparée de son patito ; elle trouve même qu’il a « l’absence délicieuse, » parce qu’il est un correspondant zélé qui lui donne des nouvelles de ses amis. A propos d’un accès de fièvre dont souffre Mme de Rochefort, elle écrit au président : « Je suis très inquiète de Mme de Rochefort, je serais réellement au désespoir, s’il lui arrivait le moindre mal. Donnez-moi de ses nouvelles, et voyez-la le plus que vous pourrez, » Vingt-cinq ans plus tard, en mars 1767, elle écrivait à Horace Walpole : « J’ai aimé deux femmes passionnément. L’une est morte, c’était Mme de Flamarens ; l’autre est vivante et a été infidèle, c’est Mme de Rochefort. » Comme l’intimité de Mme du Deffand et de Mme de Rochefort pourrait, aux yeux de quelques lecteurs, être une mauvaise note pour la dernière, nous ferons remarquer que le scepticisme moral de la célèbre correspondante de Walpole et les souvenirs attachés à sa jeunesse très légère ne l’ont pas empêchée d’être intimement liée avec des femmes d’une rectitude morale généralement reconnue, comme Mme de Flamarens, dont elle parle ici, et plus tard avec la duchesse de Choiseul. Reste à se demander en quoi consiste ce grief d’infidélité qu’elle prétend avoir contre Mme de Rochefort et qu’elle communique à un homme qui, nous l’avons vu, fait beaucoup de cas de celle-ci. On trouve sur ce point quelques indices dans une lettre qui fait partie du recueil publié pour la première fois en 1809, et qui, quoique non datée, est écrite après la mort de Mme de Staal et avant celle de la duchesse du Maine, par conséquent en 1751 ou 1752. Il semble d’après cette lettre que c’est vers cette époque que la liaison de Mme du Deffand et de Mme de Rochefort a pris fin, qu’il y a eu entre ces dames des piqûres d’amour-propre plutôt que des offenses graves, et que cependant c’est Mme du Deffand qui a fait une tentative de rapprochement à laquelle Mme de Rochefort ne s’est pas prêtée. La lettre est adressée à Mine du Deffand par ce spirituel conseiller du parlement de Normandie, M. de Formont, qui fut l’ami de Voltaire. Les personnes dont il s’agit ne sont désignées que par des initiales, mais ces initiales ne peuvent, à notre avis, s’appliquer qu’aux Brancas et à Mme de Rochefort. Il va sans dire aussi que M. de Formont, écrivant à Mme du Deffand, prend parti pour elle.


« Vous vous établissez donc à Sceaux, madame, avec d’Alembert ? Je suis fâché que Mme de Staal n’y puisse être en tiers : vous trois en vaudriez bien d’autres, vos conversations n’auraient sûrement pas le tour de celles des Br… (Brancas). Vous avez grande raison dans le jugement que vous en portez, ils sont toujours occupés à être fins, et les choses les plus rondes, ils les rendent pointues par les paroles, ce qui, comme vous dites, est de très mauvais goût et de plus fort aisé. C’est le tour d’esprit du temps, et surtout de leur petite académie, où l’on regarde le siècle passé comme n’étant qu’à l’enfance de l’esprit. Mme de R… (Rochefort) redeviendrait aimable entre vos mains, parce que la nature l’a faite pour l’être, et qu’elle est assez bien née pour suivre de bons guides ; mais elle n’a pas d’elle-même assez de lumières pour reconnaître le mauvais. Je conçois que vous vous êtes laissée aller au premier mouvement, mais je ne comprends pas comme elle y a résisté. Il faut que ceci soit la suite de quelque grand système de conduite, car ce sont encore de grands philosophes en fait de conduite, comme il y a assez paru. Quoi qu’il en soit, il faut attendre et très tranquillement. »


La rupture entre Mme de Rochefort et Mme du Deffand, déjà indiquée dans cette lettre, ressort plus visiblement encore d’une lettre de d’Alembert écrite en 1753 ; mais, quelles que soient les causes et la date de cette rupture, il est certain qu’en juillet 1742 Mme du Deffand manifeste beaucoup d’amitié pour Mme de Rochefort, qu’elle appelle, sans doute à cause de la différence de leur âge, du sobriquet de petit chat ou minet, et, comme elle est éloignée de son amie, le président l’informe de tout ce qui touche celle-ci. Parmi les détails qu’il donne sur elle, il en est un auquel il faut s’arrêter d’abord, car il semblerait indiquer que le cœur de la jeune veuve du comte de Rochefort serait à cette époque engagé dans un attachement qui n’a pas pour objet celui qu’elle épousera quarante ans plus tard, quoique le duc de Nivernois fasse déjà partie de sa société habituelle[7]. La première lettre du président Hénault à Mme du Deffant, datée du 2 juillet 1742, contient les passages suivans : « Nous partîmes pour Meudon, d’Ussé et moi, sur les six heures… Nous trouvâmes en arrivant cour plénière : Mme de Maurepas, Mme de La Vallière, Mme de Brancas, Céreste (frère du maréchal de Brancas), l’abbé de Sade, La Boissière, l’évêque de Saint-Brieuc, l’intendant de Rennes, M. de Menou, etc. ; mais tout cela ne resta pas, et les quatre derniers s’en allèrent… Les dames arrivèrent de la promenade… Je m’approchai de Mme de Rochefort, à qui je fis de grands reproches de ne m’avoir rien fait dire par vous : grandes amitiés de sa part, et puis ensuite grandes confidences. Je lui dis qu’Ussé commençait à prendre quelque ombrage de l’abbé de Sade. Je demandai où en était l’italien : il ne me parut pas que le précepteur ni la langue eussent fait de grands progrès. L’abbé relaie un peu le chevalier, et excepté qu’il n’a point d’habit d’ordonnance, cela est assez du même ton. »


Cette dernière phrase signifie que le chevalier relayé ou suppléé par l’abbé de Sade est le chevalier de Brancas, alors colonel de cavalerie, second frère de Mme de Rochefort, qui lui donne des leçons d’italien[8].


La situation indiquée dans la lettre du 2 juillet est dessinée plus nettement dans celle du 14, où le président annonce qu’après avoir soupe de nouveau au château de Meudon il a eu une longue conversation avec Mme de Rochefort.


« Nous avons raisonné, dit-il, de toutes ses affaires, des terreurs de d’Ussé, de leurs fondemens. J’ai fait de la morale très sévère, et d’elle-même elle m’a dit qu’elle avait eu tort de laisser trop durer une fantaisie, et de ne l’avoir pas dit d’abord à la personne intéressée. On ne peut être plus vraie qu’elle l’est, ni plus candide. J’ai parlé sur cela comme Ruyter aurait parlé d’une aventure arrivée sur la rivière de Seine en se souvenant de ses combats sur mer, car ce n’est, à dire vrai, qu’une aventure d’eau douce, et il n’y a pas de matière à douter. J’ai parlé aussi des langues étrangères (c’est-à-dire de l’abbé de Sade) : on m’a dit de bout en bout tout ce qui en était. Pour de celui-là (l’abbé de Sade), le grand chat (le frère aîné, M. de Forcalquier) s’en est avisé, tant il est fin. C’est une ressource très grande à la campagne : on s’en amuse, on s’en moque, et, comme je crois vous l’avoir mandé, il est le chevalier de votre minet[9]. » De ces lettres du président Hénault, il résulterait que Mme de Rochefort aurait été en juillet 1742 engagée de cœur avec le marquis d’Ussé, que celui-ci s’inquiétait des assiduités de l’abbé de Sade, très suspect de galanterie, et qui, sous prétexte d’apprendre l’italien à la jeune dame, aurait manifesté pour elle des sentimens qu’elle se reproche d’avoir un peu encouragés ; le frère de la dame, M. de Forcalquier, s’en est aviser tandis qu’il ne connaît pas, à ce qu’il semble, l’attachement plus sérieux qui existe entre elle et d’Ussé. Il est visible que le président Hénault, tout en se comparant assez plaisamment à Ruyter par allusion aux tempêtes qui avaient agité sa liaison avec Mme du Deffand, n’attache aucune importance au léger commerce de coquetterie entre Mme de Rochefort et l’abbé de Sade, dont s’inquiétait son ami d’Ussé ; mais jusqu’à quel point celui-ci avait-il le droit de se montrer inquiet ? Si nous nous en rapportions aux réflexions que fait Mme du Deffand sur les confidences que lui transmet son ami, quoique ces réflexions ne soient pas encore d’une précision absolue, nous pourrions croire qu’il existait à cette époque entre d’Ussé et Mme de Rochefort une liaison de même nature que la sienne avec le président Hénault. Cependant, avant d’admettre cette donnée, acceptée un peu légèrement dans un ouvrage récent[10], il faut voir si elle n’est pas contrariée plus ou moins par d’autres témoignages. Disons d’abord le peu que nous savons du marquis d’Ussé. Il était non pas gendre, comme on l’a écrit, mais petit-fils de Vauban par sa mère Jeanne-Françoise Le Prestre de Vauban, mariée en janvier 1691 à Louis Bernin de Valentinay, receveur-général des finances de Tours, et dont la terre d’Ussé avait été érigée en marquisat en 1700. Celui-ci fut un des patrons de Voltaire, qui dans sa jeunesse le consulte sur ses vers et le visite au château d’Ussé. Il paraît que lui-même, tout en s’occupant avec passion de chimie, versifiait aussi de son côté ; il envoie en 1734 à Voltaire et à Mme du Châtelet une épître, et Voltaire répond : « Mme du Châtelet a cru d’abord que l’épître était de M. votre fils, au feu brillant qui règne dans vos vers. » Ce fils est précisément celui qui nous intéresse, Louis-Sébastien Bernin. — Il aurait été, suivant La Chesnaye des Bois, marié en novembre 1718 à une demoiselle de Carvoisin, ce qui le ferait beaucoup plus âgé que Mme de Rochefort, née en 1716. Peut-être était-il veuf en 1742, car dans les lettres de cette date, où le président Hénault parle si souvent de lui, il n’est jamais question d’une marquise d’Ussé. Ce qui est certain d’après les lettres de Mme du Deffand et de la duchesse de Choiseul, c’est qu’il mourut en 1772, ou non marié, ou veuf et sans enfans. S’il était veuf en 1742, ne peut-on pas supposer qu’entre la veuve du comte de Rochefort, alors âgée de vingt-six ans, et d’Ussé, qui avait quarante-sept ans, il y aurait eu un projet de mariage que des causes à nous inconnues empêchèrent de s’accomplir[11] ? Tout ce que les amis de d’Ussé nous disent de lui donne l’idée d’un galant homme apte à faire un bon mari, quoiqu’un peu bizarre, plutôt que d’un séducteur dangereux.

« D’Ussé est un homme d’esprit, dit Hénault, d’une humeur charmante, aussi distrait que le Ménalque de La Bruyère, la bonté même ; il a une plaisante idée de lui : il s’imagine n’avoir été créé que pour les autres ; il aurait eu du talent pour la guerre ; le meilleur comédien que j’aie vu dans ce que nous appelons troupe bourgeoise, s’il avait eu plus de mémoire. » Ajoutons que dans toutes ces comédies de société d’Ussé joue invariablement le rôle des pères nobles, des Gérontes plus ou moins ridicules. Il faut remarquer aussi que le président Hénault, rédigeant ses souvenirs dans sa vieillesse, en 1762, et plaçant dans la même page d’Ussé et Mme de Rochefort, ne dit plus mot de cette affaire de cœur dont il parlait à Mme du Deffand vingt ans auparavant. S’il y avait eu autrefois entre les deux personnes qu’il associe dans ses souvenirs un arrangement à la manière du XVIIIe siècle, pourquoi dans cet ouvrage, écrit en toute liberté, le président n’y ferait-il pas même une légère allusion ? Dira-t-on que l’arrangement a pu exister, quoique éphémère. Cette supposition ne s’accorderait guère ni avec la grande différence des âges, ni avec le caractère sérieux et solide que tous les amis de Mme de Rochefort reconnaissent en elle, et que signale notamment le président Hénault dans le portrait de jeunesse cité au début de cette étude. Ajoutons enfin un dernier argument emprunté à la correspondance inédite que nous avons sous les yeux. Le marquis d’Ussé resta jusqu’à sa mort l’ami dévoué de Mme de Rochefort, il figure dans cette société qui se réunissait autour d’elle quand elle vint en 1758, âgée par conséquent de quarante-deux ans, habiter au palais du Luxembourg un appartement donné par le roi. Le marquis de Mirabeau, qui y figure aussi à cette époque où règne le duc de Nivernois, peint d’Ussé vieux, cassé, le dos en arc, disputant sur la médecine, affirmant l’existence de six mille vérités, et souvent un peu radoteur. Quand le marquis de Mirabeau se répète dans ses lettres à Mme de Rochefort, il ajoute : « Pardon, madame, prenez que ce soit d’Ussé. » Lorsque d’Ussé fut mort, en 1772, Mme du Deffand, annonçant cette nouvelle à Walpole, lui dit : « Vous rappelez-vous l’avoir vu chez le président ou chez Mme de Rochefort ? C’était un vieillard de mon âge, distrait, ennuyeux, assez fou, et qui avait de l’esprit, grand partisan de Mlle de l’Espinasse. » Si l’incident qui avait occupé Mme du Deffand trente ans auparavant avait eu de l’importance, s’il en était résulté entre d’Ussé et Mme de Rochefort des rapports tant soit peu semblables à ceux du président et de Mme du Deffand, celle-ci, au moment où elle parle de Mme de Rochefort et de d’Ussé, avec lesquels elle est brouillée, aurait-elle manqué d’écrire à Walpole quelque malice à ce sujet ? Il nous semble que le peu qu’elle dit sur d’Ussé dans cette circonstance est une probabilité de plus que l’incident de 1742, s’il signifie quelque chose, signifie tout au plus qu’à l’époque de sa jeunesse Mme de Rochefort a songé un instant à se remarier avec d’Ussé. Après cela, quand on est en présence d’un problème de ce genre, problème qui se retrouvera bientôt et plus embarrassant encore à propos du duc de Nivernois, quand on a examiné consciencieusement le pour et le contre, il faut craindre en tout temps, et surtout au XVIIIe siècle, de trop abonder aussi bien dans le bon sens que dans l’autre, et se souvenir du mot de la marquise de Lassay à son mari, qui l’impatientait en se prononçant avec trop d’énergie pour la vertu plus ou moins discutée d’une femme célèbre : « comment faites-vous, monsieur, pour être si sûr de ces choses-là ? »


II

Ce n’est pas seulement ce léger épisode de sentiment qui nous intéresse dans les lettres écrites par le président Hénault en 1742 sur la société qui se réunissait au château de Meudon. On voit cette société occupée des grandes et des petites affaires du temps. Les petites l’occupent, il est vrai, autant que les grandes. La question de savoir si le discours que vient de prononcer le duc de Richelieu, reçu à l’Académie française avant d’avoir écrit autre chose que des billets doux, est ou n’est pas du genre académique, la présentation à la cour de Mme de Forcalquier, investie par exception des honneurs du tabouret sans être duchesse, paraissent des sujets aussi importans que la triste situation de nos affaires en Allemagne, où nous sommes engagés contre l’Autriche, sur les excitations du roi de Prusse, dans une guerre qui, d’abord heureuse, tourne mal. Frédéric vient de nous abandonner en traitant séparément avec l’impératrice Marie-Thérèse ; il circule à ce sujet une lettre attribuée à Voltaire et qui fait scandale, car l’auteur y félicite agréablement notre infidèle allié du mauvais tour qu’il nous a joué. Le maréchal de Brancas est indigné, et, comme il n’aime pas Voltaire, il serait bien fâché, dit Hénault, que la lettre ne fût pas de lui ; Mme de Mailly, que sa situation auprès du roi rend très patriote, jette feu et flamme, et demande que l’auteur de la lettre reçoive une punition exemplaire. « On ne sait ce que cela deviendra, écrit le président, et on craint bien que cela ne finisse par un décampement à Bruxelles. La pauvre du Châtelet devrait faire mettre dans le bail de toutes les maisons qu’elle loue la clause de toutes les folies de Voltaire. Véritablement il est incroyable que l’on soit si inconsidéré. Pendant ce temps-là, il est porté aux nues à la Comédie, où Brutus a un plus grand succès qu’il ait encore eu. »

Consultée sur l’authenticité de la lettre en question, Mme du Deffand ne s’y trompe pas ; une seule phrase suffit pour la convaincre qu’elle ne peut être que de Voltaire, et en effet elle était bien de lui. On peut la lire à sa date, juillet 1742, dans la correspondance avec le roi de Prusse, et elle prouve, ce qu’on sait d’ailleurs surabondamment, que Voltaire faisait assez peu de cas de sa nationalité. « Vous n’êtes plus notre allié, écrit-il au ravisseur de la Silésie, qui vient de nous abandonner en gardant sa proie ; mais vous serez celui du genre humain, vous voudrez que chacun jouisse en paix de ses droits et de son héritage. » Aucun écrivain français n’oserait certainement de nos jours en pareille circonstance faire intervenir l’amour du genre humain. Du reste Voltaire se tira d’affaire avec son aplomb ordinaire, en jurant au cardinal de Fleury ses grands dieux que cette lettre n’était pas de lui, en indiquant même, mais vaguement, ceux qu’il soupçonnait de l’avoir fabriquée, et en se moquant de ce désaveu avec le roi de Prusse.

Il y a une autre affaire beaucoup plus importante que celle de Voltaire pour les habitans de Meudon en 1742, c’est celle des grands projets de comédie de société que l’on prépare pour l’hiver. Cette passion de jouer la comédie n’était point particulière à la famille de Brancas, elle régnait alors dans beaucoup d’autres maisons de Paris ; cependant c’était surtout chez les Brancas ou chez leurs amis qu’on jouait, non pas des ouvrages écrits pour le public par des auteurs de profession, mais des pièces composées tout exprès par ceux des membres de la société qui se sentaient capables de réussir en ce genre. Le principal auteur de cette troupe aristocratique était le frère aîné de Mme de Rochefort, le comte de Forcalquier. Le président Hénault, dans ses souvenirs, ne cite de lui qu’une pièce, l’Homme du bel air[12]. Il en a composé un plus grand nombre ; nous en avons six en manuscrit avec la distribution des rôles, plus un drame historique en prose, Charles VII, écrit à l’imitation du François II du président Hénault, lequel avait lui-même emprunté l’idée de ce genre de composition à une mauvaise traduction des drames historiques de Shakspeare.

Le comte de Forcalquier a écrit aussi plusieurs romans. Il avait des aptitudes littéraires très remarquables, et, s’il n’était pas mort jeune, avant quarante-trois ans, s’il n’avait pas été retenu par le préjugé aristocratique d’alors qui l’empêchait de se faire imprimer, il aurait certainement conquis en littérature une notoriété égale à celle du duc de Nivernois et même du président Hénault. Le marquis de Mirabeau, à qui Mme de Rochefort avait prêté les manuscrits de son frère après la mort de celui-ci et qui les avait fait copier, exprime pour le talent de M. de Forcalquier une admiration un peu exagérée et motivée sans doute par le désir de plaire à sa sœur, mais qui cependant n’est pas dénuée de tout fondement. « J’admire, écrit-il en avril 1757, l’abondance singulière et l’énergique facilité de l’auteur, cette fluidité de génie qui répand ses traits sur tous les objets, sur toutes les scènes : la nature n’avait point jusqu’à lui fait un homme aussi éloquent de génie et d’expression… » Dans une autre lettre, le marquis de Mirabeau va jusqu’à dire : « Voilà ce qui s’appelle un supérieur ; c’est presque le premier homme qui m’ait fait goûter une pleine et entière subordination. » Comme une sœur n’est pas obligée d’être modeste pour un frère mort qu’elle a tendrement aimé, Mme de Rochefort répond au marquis : « La manière vive, forte et touchante dont vous avez senti les ouvrages de mon pauvre frère m’a été au fond du cœur. C’est le seul sentiment de douceur que je puisse éprouver sur lui, après lui, que de graver son idée dans les âmes que j’estime et que j’aime. »

Nous ne nous occuperons ici que des comédies du comte de Forcalquier, parce que ces comédies, qui toutes ont été jouées par des acteurs et des actrices d’un haut rang (sauf Duclos, qui y joue les rôles de valet) et composées pour une société qui n’existe plus, nous donneront une idée des habitudes, des mœurs, des hardiesses parfois singulières d’esprit ou de langage qui avaient cours dans cette société, et en même temps des réserves qu’elle s’imposait par un certain raffinement de goût qui ne lui aurait pas permis de supporter les situations brutalement accusées dont se nourrit la comédie contemporaine avec la prétention plus ou moins sincère, mais souvent très mal fondée, de servir la cause de la morale.

Avant de parler de ce théâtre de société, il faut dire un mot de l’auteur. Louis Bufile de Brancas, fils aîné du maréchal, naquit le 28 septembre 1710. Pourvu en survivance de son père de la lieutenance-générale de Provence, il débuta assez brillamment dans la carrière militaire. Assistant à l’âge de vingt-trois ans au siège du fort de Kehl, il fut assez heureux pour avoir les cheveux coupés par un boulet de canon, sans autre dommage. Ce bizarre coup de canon, qui fit sensation et qui paraît invraisemblable, est constaté par un impromptu de Voltaire adressé au héros de l’aventure en 1733, et qui commence ainsi :

Des boulets allemands la pesante tempête
A, dit-on, coupé vos cheveux ;
Les gens d’esprit sont fort heureux
Qu’elle ait respecté votre tête.

Cependant la faiblesse de sa santé ne permit pas au comte de Forcalquier de se faire remarquer autant que son père dans le métier des armes ; mais il conquit de bonne heure la réputation d’un homme très distingué par l’intelligence, associant le goût de l’étude et la culture des lettres aux distractions du monde. Son genre d’esprit, à en juger par le témoignage de ses contemporains, que confirme d’ailleurs la lecture de ses écrits, était très brillant, mais un peu subtil et caustique. « Il avait, dit le président Hénault, beaucoup plus d’esprit qu’il n’en faut ; Mme de Flamarens disait qu’il éclairait une chambre en y entrant. Gai, un ton noble et facile, un peu avantageux, peignant avec feu tout ce qu’il racontait, et ajoutant quelquefois aux objets ce qui pouvait leur manquer pour les rendre agréables et plus piquans. » Mme du Deffand de son côté a tracé de lui un portrait qui paraît d’abord attrayant, mais qui tourne assez vite au désagréable, tandis que dans son portrait à elle, qu’a tracé à son tour M. de Forcalquier, elle n’est guère présentée qu’en beau.


« La figure de M. de Forcalquier, dit Mme du Deffand, sans être fort régulière, est assez agréable ; sa physionomie, sa contenance, jusqu’à la négligence de son maintien, tout est noble en lui ; ses yeux sont ouverts, rians, spirituels ; il a l’assurance que donnent l’esprit, la naissance et le grand usage du monde. Son imagination est d’une vivacité, d’une chaleur, d’une fécondité admirables, elle domine toutes les autres qualités de son esprit ; mais il se laisse trop aller au désir de briller : sa conversation n’est que traits, épigrammes et bons mots. Loin de chercher à la rendre facile et à la portée de tout le monde, il en fait une sorte d’escrime où il prend 68Û REVUE DES DEUX MONDES. trop d’avantage ; on le quitte mécontent de soi et de lui, et ceux dont il a blessé la vanité s’en vengent en lui donnant la réputation de méchanceté, et en lui refusant les qualités solides du cœur et de l’esprit. Il est la terreur des sots et un problème pour les gens d’esprit. »


Elle termine en lui reprochant d’avoir l’ambition de la fatuité sans avoir assez de confiance en lui-même pour soutenir ce rôle ; elle l’accuse de s’en rapporter trop aux gens du bel air, et elle l’engage à s’en tenir au personnage d’honnête homme, pour lequel il a, dit-elle, plus de vocation que pour celui de fat[13]


Ce portrait semble indiquer déjà un refroidissement entre Mme du Deffand et les Brancas ; mais il fallait que ce refroidissement fût déjà devenu de l’animosité pour que d’Alembert osât, douze jours seulement après la mort de M. de Forcalquier, le 16 février 1753, écrire à Mme du Deffand ces lignes cruelles à propos du défunt : « Pour celui-là, il est mort. Dieu merci ! et nous n’entendrons plus dire à tout le monde : Comment se porte M. de Forcalquier ? comme s’il était question de Turenne ou de Newton. » Il fallait aussi que d’Alembert eût reçu dans son amour-propre quelque blessure bien vive pour parler ainsi[14]. Le témoignage du duc de Luynes, toujours si modéré dans ses appréciations, ne nous permet pas de mettre en doute le principal défaut du caractère de M. de Forcalquier. « Il avait, dit-il, beaucoup d’esprit, et s’était peut-être trop livré à ces sortes de plaisanteries qui font des ennemis. » Le même témoignage, confirmé d’ailleurs par la phrase méchante de d’Alembert, prouve que le frère de Mme de Rochefort n’avait pas seulement des ennemis, puisque la maladie de poitrine dont il souffrait depuis plusieurs années occupait assez la société pour impatienter l’irascible philosophe. Nous apprenons par le duc de Luynes que, deux ans et demi avant sa mort Mme de Pompadour, qui ne le connaissait pas personnellement (peut-être même, dit le duc, ne l’a-t-elle jamais vu), entretenait avec lui un commerce épistolaire assez vif sur sa seule réputation d’homme d’esprit, et, le sachant malade, lui avait prêté une jolie petite maison qu’elle avait au-dessous du château de Bellevue, et qui portait le nom de Brimborion. Le Dangeau du règne de Louis XV remarque à ce sujet avec une malice qui ne lui est pas habituelle que Mme de Forcalquier est bien jolie, et que Brimborion est bien près de Bellevue[15].

Nous avons du reste à alléguer en faveur des bonnes qualités de M. de Forcalquier quelque chose de mieux que la sympathie intellectuelle qu’il inspire à Mme de Pompadour : c’est sa liaison avec un homme de lettres qui, sans être aussi paysan du Danube qu’il l’affectait quelquefois, n’aurait pas été d’humeur à subir longtemps les caprices d’un patricien trop présomptueux. Nous voulons parler de Duclos. Ce philosophe moraliste, historien et romancier, appartient également aux deux périodes de la vie de Mme de Rochefort. Après avoir été accueilli et patronné par les Brancas à une époque où il était encore inconnu, il resta fidèle à la personne qui lui représentait ses amis morts lorsque celle-ci eut perdu la grande existence qu’elle devait à son père et à son frère. Après l’avoir vu débuter à l’époque où nous sommes comme acteur infatigable dans des comédies de société, nous le retrouverons plus tard dans le salon du Luxembourg avec son impétuosité, ses défauts de forme, son langage un peu brutal et sa grosse voix. Le comte de Forcalquier a peint Duclos avec une sagacité affectueuse qui lui fait honneur à lui-même, car elle prouve qu’il était capable d’amitié, sans préoccupation aristocratique, et capable aussi de préférer un caractère foncièrement honnête au vernis des belles manières. Duclos, trouvant, dit-il, ce portrait trop flatté, entreprit de se peindre lui-même, et le plaisant, c’est que sans rien ajouter aux défauts que lui reproche M. de Forcalquier et en les atténuant au contraire, il précise, développe, grossit naïvement les qualités que son ami lui reconnaît. L’intimité entre eux était d’ailleurs assez grande pour que, dans cet état maladif qui rendit ses dernières années si pénibles, M. de Forcalquier acceptât en 1746 de se faire accompagner aux eaux de Cauterets par Duclos, qui assistait sa sœur, Mme de Rochefort, dans les soins qu’elle lui rendait. L’éditeur de la dernière édition des œuvres complètes de Duclos, imprimée en 1821, a publié quelques fragmens de lettres adressées à cette date par Mme de Forcalquier, qui était restée à Paris, à sa belle-sœur et à son mari. Elles nous montrent avec quelle ardeur les Brancas, après avoir aidé Duclos à entrer à l’Académie des Inscriptions avant qu’il eût aucun titre à cette distinction[16], s’occupent de le faire arriver à l’Académie française. Duclos n’avait encore publié que deux romans de peu de valeur, dont un très licencieux, et son Histoire de Louis XI, qui fit un certain bruit, mais qui n’a point survécu ; il échoua. Cependant quelques mois après il fut élu, et prononça un discoure qui donnait beau jeu à Louis XV pour dire à propos de Duclos un mot que toutes les biographies répètent : « Pour celui-là, il a son franc parler. » Il l’avait en effet, car il n’hésitait pas à employer en l’honneur de Louis XV la qualification, très nouvelle alors, de roi citoyen ; bien plus, il appelait ce triste roi un prince supérieur à la gloire même. C’était sans doute pour se donner dans l’avenir de la marge comme censeur que Duclos commençait ainsi par pousser l’adulation jusqu’aux dernières limites. Malgré ces accès de courtisanerie qui tranchent parfois chez lui avec une humeur habituellement indépendante, il avait dû principalement à l’estime de Rousseau, qui ne la prodigue pas et qui dans ses Confessions le peint d’un trait : droit et adroit, de se maintenir jusqu’à nous avec la réputation d’un galant homme, un peu bourru, peu châtié dans son langage, capable d’habileté dans sa conduite, mais incapable de déloyauté et de bassesse. C’est seulement en 1818 que la publication des mémoires de Mme d’Épinay est venue mettre en question son honnêteté. Un juge redoutable, l’auteur des Causeries du Lundi, séduit d’abord par Mme d’Épinay, avait commencé par prononcer contre l’infortuné Duclos cette dure sentence : « il ne laissera plus désormais que l’idée d’un ami dangereux, d’un despote mordant, cynique et traîtreusement brusque ; on aura beau faire et dire, le faux bonhomme en lui est démasqué, il ne s’en relèvera pas. » Heureusement pour Duclos, la sentence a été révisée et adoucie par le juge lui-même aussitôt qu’il a pu se dérober à l’influence de ces grâces et de ces mollesses voluptueuses que Rousseau refuse à Mme d’Épinay, mais que Diderot, bon juge, dit M. Sainte-Beuve, lui accorde. En changeant de sujet, c’est-à-dire en passant de Mme d’Epinay à Duclos, il est arrivé à l’éminent critique ce qui arriva au cardinal de Bausset, qui dans son Histoire de Fénelon penche involontairement pour Fénelon contre Bossuet, et subit l’attraction inverse dans son Histoire de Bossuet.

Dans l’excellent et substantiel travail qu’il a consacré à Duclos, M. Sainte-Beuve réduit les torts de celui-ci envers Mme d’Épinay à des torts d’impolitesse et de brusquerie. Quant au grief de duplicité, il le tient pour douteux, et, s’appuyant sur l’autorité d’une personne très distinguée qui probablement a traité la même question[17], il conclut avec elle « que ce ne serait que dans quelques occasions où Duclos était en lutte qu’il aurait eu du calcul et de la ruse, mais que la plupart du temps il est évident qu’il s’abandonnait. » Le second jugement nous paraît de beaucoup préférable au premier, et nous pourrions montrer dans la partie des mémoires de Mme d’Épinay où l’auteur prétend raconter jour par jour ses rapports et ses conversations, soit avec Jean-Jacques Rousseau, soit avec Duclos, plus d’un indice de fausseté. Ce journal, auquel d’ailleurs nous sommes convaincu que Grimm a mis la main, est d’autant plus perfidement arrangé que le ton des personnages et surtout celui de Duclos, quoique chargé, est assez bien imité, et que les propos qu’on lui prête ont été fort souvent tenus par lui, mais presque toujours défigurés dans la forme, de manière à le rendre tantôt odieux, tantôt ridicule, et parfois l’un et l’autre. Nous ne citerons qu’un exemple de ce genre d’artifice, non qu’il soit le plus saillant, mais parce qu’il nous ramène à notre sujets dont la figure de Duclos nous a un peu détourné, c’est-à-dire aux comédies jouées à l’hôtel de Brancas.

Il est précisément question de ces comédies dans le journal de Mme d’Épinay. C’est en 1755, autant qu’on en peut juger, non par le journal, où les années ne sont point indiquées, mais par la correspondance de Rousseau. On joue la comédie à La Chevrette ; Duclos y assiste, et voici ce que Mme d’Épinay lui fait dire : « Nous avons joué aussi la comédie dans une société. J’étais très bon, je faisais les valets, il y avait une petite soubrette qui était, par Dieu, charmante. Voilà pourquoi je jouais les valets. J’en étais amoureux, moi, de la soubrette, qui était charmante, et… (en souriant et me regardant fixement) nous jouions bien notre rôle tous les deux. (Un moment de silence, et puis, continuant de rire) : Il m’est arrivé de singulières aventures dans ma vie,… mais je dis uniques,… à ne pas croire. » Duclos n’en dit pas davantage dans le journal sur cette affaire. Il est évident que le propos a été bien réellement tenu par lui, car Mme d’Épinay, inférieure par la condition sociale aux Brancas, et qui n’avait aucun rapport avec eux, ne pouvait savoir que par Duclos qu’il avait joué chez eux les valets de comédie, et par conséquent le journal est exact quant au fond ; mais est-il admissible que Duclos, présenté si souvent dans ce journal comme le plus vaniteux des hommes, ait poussé la modestie au point de se contenter de dire qu’il jouait dans une société en laissant supposer qu’il s’agit peut-être de bourgeois de la rue Saint-Denis, tandis qu’il jouait, ainsi qu’on le verra tout à l’heure, avec les plus grandes dames et les plus grands seigneurs de France ? Est-il probable, puisque l’arrangeur de ce discours lui prête un ton de fatuité brutale, qu’il n’aura pas même osé dire, s’il ne nomme pas la soubrette, qu’elle était une personne d’un très haut rang ? (C’est en effet la jolie comtesse de Forcalquier qui jouait les soubrettes, tandis que Duclos jouait les valets). N’est-il pas visible que ce discours a été arrangé à plaisir pour ridiculiser Duclos en supprimant ce qui pourrait le faire valoir ? Peut-être Mme d’Épinay avait-elle commencé par écrire plus exactement la conversation, puis son ami Grimm, ennemi de Duclos comme de Rousseau, et qui revoyait son manuscrit, sera venu, en un tour de main, ôter ce qui pouvait-être flatteur pour Duclos, et disposer le reste de manière à lui donner l’attitude et les intonations d’un sot grossier. Or, s’il était parfois grossier, il est trop reconnu qu’il n’était pas un sot pour que l’on s’en rapporte sur lui aux peintures suspectes de Mme d’Épinay ou de Grimm.


III

Revenons maintenant aux comédies de société représentées à l’hôtel de Brancas, et donnons la liste générale des acteurs et des actrices en commençant par celles-ci. Nous rencontrons d’abord la comtesse de Rochefort, qui joue les rôles d’ingénue. Ceux de grande coquette sont remplis par la marquise, depuis duchesse et maréchale de Mirepoix, personne charmante de figure, d’esprit et de caractère qui a inspiré à Montesquieu des vers enthousiastes, quoique assez médiocres d’exécution. Restée veuve très jeune du prince de Lixin, tué en duel par Richelieu, remariée par goût au marquis de Mirepoix, irréprochable dans sa conduite privée, elle fut malheureusement entraînée par l’amour conjugal et, après la mort de son mari, par le désir de faire avancer sa famille, à des actions peu honorables qui avaient alors à peu près la même signification que certaines bassesses politiques d’aujourd’hui, lesquelles sont souvent aussi le résultat d’une application immorale de l’esprit de famille. C’est elle qui, dame du palais de la reine, tendrement aimée de cette princesse, se laissa séduire par l’amitié plus avantageuse de Mme de Pompadour, et conquit ainsi pour son mari la charge de capitaine des gardes. C’est elle enfin qui plus tard, pour se maintenir en crédit, ne craignit pas de descendre jusqu’à courtiser Mme Du Barry, méritant ainsi le jugement sévère que porte sur elle son amie Mme du Deffand dans une lettre à Walpole du 21 février 1771. « La pauvre Mme de Mirepoix joue un rôle pitoyable….. Rien n’est plus digne de compassion. Une grande dame, une très bonne conduite, beaucoup d’esprit, beaucoup d’agrément, toutes ces choses réunies, ce qui en résulte, c’est… d’être l’esclave d’une infâme. »

Il est plus que probable que Mme de Rochefort désapprouva, quoique moins durement sans doute, l’attitude de Mme de Mirepoix ; mais l’affection très intime qui les unissait n’en fut point altérée, car nous retrouverons en cheveux gris au Luxembourg les deux amies de jeunesse. Au moment où nous sommes, Mme de Mirepoix est surtout pour nous l’une des plus séduisantes actrices de l’hôtel de Brancas. Après elle vient la comtesse de Forcalquier, qui joue les soubrettes dans les comédies de son mari. Dans une seule pièce, elle est remplacée comme soubrette par la duchesse de Luxembourg ; ce n’est pas celle qui, après avoir eu sous le nom de duchesse de Boufflers une jeunesse scandaleuse, devint dans sa vieillesse, et remariée au maréchal de Luxembourg, la terreur des femmes trop légères et la protectrice de J.-J. Rousseau. Il s’agit ici de la première femme du maréchal, fille du marquis de Seignelay. « Elle était, dit le président Hénault, d’une figure charmante, dansait admirablement, et jouait la comédie avec beaucoup de feu et d’intelligence. » À cette liste d’actrices de l’hôtel de Brancas, il faudrait ajouter, d’après le président, Mme du Deffand ; mais nous ne la trouvons point parmi les dames qui jouent dans les six comédies dont nous avons le manuscrit sous les yeux. Elle a probablement figuré dans les pièces que le président composa de son côté pour l’hôtel de Brancas[18]. Dans la notice sur Mme du Deffand qui précède sa correspondance avec la duchesse de Choiseul, M. de Sainte-Aulaire parle d’un divertissement inédit, sous forme de comédie, intitulé l’Apothéose de M. de Pont-de-Veyle, joué le 1er mars 1741, où figure comme actrice, avec Mmes de Rochefort et de Luxembourg, Mme du Deffand ; mais si celle-ci a joué quelques rôles, nous sommes porté à croire, d’après une lettre du recueil publié en 1809, qu’elle a peu pratiqué ce genre d’amusement, parce qu’elle n’y réussissait pas. Dans cette lettre, qui n’est pas datée, M. du Châtel, le père de Mme de Choiseul, explique à Mme du Deffand avec beaucoup de complimens pourquoi ses talens d’actrice ne se développeront pas. « Vous êtes faite, lui dit-il, pour attraper la nature du premier bond : aussi propre qu’elle à créer, vous n’entendez rien à imiter. » — Les acteurs sont un peu plus nombreux. Nommons d’abord le marquis d’Ussé, que nous connaissons déjà, et qui joue les pères nobles. — Les rôles d’amoureux et de petit-maître sont tenus par le duc de Nivernois, alors fort jeune, ensuite par le duc de Duras, le marquis de Gontaut, le marquis de Clermont d’Amboise, le marquis d’Adhémar et le comte de Forcalquier, qui joue dans une de ses pièces. C’est Duclos qui figure presque toujours dans les rôles de valet.

La première comédie, en trois actes, intitulée les Blasés, roule sur un genre de ridicule qu’on ne s’attendrait pas à rencontrer en France entre 1740 et 1745. Le mot lui-même n’est pas absolument nouveau, puisqu’il se trouve dans les poésies de Mathurin Régnier ; mais il s’y trouve avec un sens exclusivement matériel, tandis qu’il paraîtrait, d’après la comédie de M. de Forcalquier, que ce mot commence seulement alors à être adopté avec la signification d’une maladie morale. Voici le canevas de la pièce. Géronte-d’Ussé a deux nièces ; l’une, l’aînée, Chloé-Mme de Mirepoix, jeune veuve du marquis de Saint-Phar, est engagée depuis longtemps pour un second mariage avec le jeune seigneur Lindor-Nivernois. Les deux amans ne peuvent se décider ni à se séparer, ni à se marier, parce qu’ils sont tous deux blasés, Géronte, fatigué de leur hésitation, signifie à sa nièce qu’il faut qu’elle se marie le soir même, ou qu’elle quitte la maison, parce qu’il ne veut plus se charger de sa garde. La sœur cadette de Chloé, Lucette-Mme de Rochefort, qui est loin d’être blasée, voyant son oncle si pressé de marier sa sœur, se jette dans ses bras et lui déclare qu’elle ne demande pas mieux, quant à elle, que de se marier tout de suite, et elle lui apprend alors à sa grande surprise qu’elle aime passionnément le jeune Mémiscès[19], qui l’aime d’une passion égale, et qui est prêt à l’épouser. Cette révélation inattendue met en fureur le bonhomme, qui veut bien marier l’aînée de ses nièces, mais nullement la cadette. Il déclare à celle-ci qu’il la mettra au couvent ; elle trouve son procédé très perfide, et elle invoque l’appui de la soubrette Agathe-Mme de Forcalquier et de Mémiscès. La lutte s’établit dès lors entre Géronte et les deux couples, dont l’un refuse de se laisser marier par lui, et dont l’autre veut se marier malgré lui. Le contraste entre la liaison engourdie et ennuyée des deux blasés et la tendresse naïve et agitée des deux ingénus donne à cette pièce un agrément qui, s’il était accompagné d’un peu plus d’habileté dans l’intrigue, suffirait encore de nos jours à l’a faire réussir sur un théâtre. Mémiscès a vainement supplié Lindor de venir à son secours, tandis que Lindor non moins vainement cherche à le convertir à ses idées sur le néant du bonheur. Il s’introduit alors déguisé en fille et comme une cousine de la soubrette dans la maison de Géronte, qui, ne le connaissant pas, le charge précisément de garder sa nièce Lucette. La soubrette a obtenu de Chloé qu’elle promettra d’épouser Lindor, tandis que Frontin, valet de Lindor, travaille de son mieux à décider son maître au mariage. Toutefois, Géronte persistant toujours à ne pas vouloir marier Lucette, Agathe se décide à lui avouer la supercherie dont elle s’est rendue complice. Géronte s’indigne, mais les deux couples se présentent devant lui également décidés cette fois à s’épouser, tous implorent le vieillard, qui se laisse fléchir à la condition que les deux mariages s’accompliront simultanément, et la pièce finit sur ce mot de Lindor : « allons tous souper sous promesse de mariage. » Essayons par quelques citations de donner au moins une idée du ton et du style de cette comédie. Écoutons Frontin-Duclos et Agathe-Forcalquier nous annoncer la maladie morale de Lindor et de Chloé.


FRONTIN.

Ma chère Agathe, je suis charmé de te trouver pour causer à mon aise avec toi et pour te confier mes peines.

AGATHE.

Qu’as-tu ? Est-ce que tu n’es pas content de l’a condition ?

FRONTIN.

Ah ! mon enfant, je me considérais comme un futur fermier-général en entrant chez Lindor, si je devenais le confident du seigneur de la cour le plus singulier et le plus fêté ; mais quel mécompte ! Je trouve un homme jeté dans la misanthropie par l’insensibilité, inquiet, égaré, qui a gardé pour lui les airs, pour moi les fatigues de la bonne fortune, et qui en a abjuré les agrémens pour lui, et les profits pour moi. Il fait des impertinences et des folies de sang-froid. Attaché comme un criminel au char du plaisir qui l’évite, le cœur gros de soupirs, il suit la routine d’un état que l’ivresse seule et la gaîté peuvent justifier.

AGATHE.

En contant les malheurs, tu contes mon histoire. Je crus, en m’attachant à la marquise, que j’allais nager dans un torrent d’or et de délices, si j’étais admise à sa familiarité. Dès le premier mois, elle m’abandonne tous ses secrets ; mais que vois-je ? Une affaire réglée qui laisse son cœur vide, du dérèglement d’imagination sans chaleur, une vanité paresseuse sans aucun revenu pour moi, une tristesse qui va jusqu’au désespoir, et qui est contagieuse au point que j’ai toujours envie de pleurer.

FRONTIN.

Mais c’est un mal que nos maîtres se sont donné. Cela est bien indigne à celui qui a été malade le premier.

AGATHE.

Vraiment, c’est un mal qui a un nom. Cela s’appelle être bla… bla… blasonné.

FRONTIN.

Non, blasé ; car mon maître répète sans cesse dans ses exclamations : « Oui, je suis blasé ; cela est bien cruel, je suis blasé ! »

Frontin n’est pas moins comique lorsqu’il cherche à guérir son maître de sa maladie. Il commence par le rudoyer. Oh ! monsieur, je ne puis me contenir ; vous êtes incompréhensible. Vous rechignez pour épouser une maîtresse que vous aimez, qui vous adore, que toutes les femmes maudissent, que tous les hommes lorgnent et que personne n’a.

LINDOR.

Tout le piquant de cette aventure est émoussé, mon pauvre Frontin. J’éprouve d’avance depuis six mois presque tous les dégoûts du mariage. Ma bonne fortune est publique au point qu’on la respecte, et que personne ne daigne plus la traverser.

FRONTIN.

Eh ! monsieur, le mariage vous procurera peut-être tout le manque de respect que vous pouvez désirer ; vous ignorez le pouvoir du sacrement.

Et comme dans la suite de la scène Lindor prononce cette phrase, assez singulière pour l’époque : « il m’est venu cent fois l’idée de me tuer ; j’y aurais succombé, si cela n’était pas platement pillé des Anglais, » Frontin répond : « Tant mieux que cette idée soit venue ; il n’y a plus rien à en craindre, elle a perdu l’attrait de la nouveauté. Vous ne mourrez jamais de cette main (lui touchant la main), mon cher maître. »

Mettons maintenant les deux blasés en présence. Il s’agit de savoir ce qu’ils résoudront au sujet de la sommation matrimoniale qui leur a été faite par l’oncle Géronte.

LINDOR.

J’allais aux pieds de ma souveraine éclaircir ma destinée et le message de M. Géronte.

CHLOÉ.

Frontin a dû vous en rendre compte. Eh bien ! qu’en pensez-vous ?

LINDOR.

Mais c’est sur cela que j’attends l’ordre de vos sentimens. Vous pouvez bien penser qu’un amant tel que moi se précipitera de premier mouvement dans les moyens les plus bizarres d’être uni à ce qu’il aime. La délicatesse peut-être en murmure, mais elle serait trop dangereuse Il écouter.

CHLOÉ.

Il est certain que la manière de mon oncle est un peu prompte, mais votre délicatesse me semblerait un peu déplacée, si je ne trouvais moi-même bien à réfléchir sur le fond de l’affaire.

LINDOR.

Il est donc vrai, madame, qu’il n’y a personne au monde d’assez intrépide pour aborder le mariage d’un pas ferme ?

CHLOÉ.

Vous êtes sans contredit l’homme de la cour le plus brillant et le plus applaudi ; je vous ai arraché à trente rivales : il semble que je vous ai fixé. Je suis riche, libre, jeune, assez jolie, puisque vous m’aimez ; voilà l’hymen au service de notre amour. Vous voyez que je sens tout le prix de ma position.

LINDOR.

Marquise, serait-ce là le préambule de mon congé ?

CHLOÉ.

Qu’osez-vous penser ? Non, Lindor, j’ai besoin d’un épanchement avec vous. J’imagine que je retrouverai dans une confidence singulière ce que je cherche inutilement depuis quelque temps.

LINDOR.

De grâce expliquez-vous.

CHLOÉ.

Je viens de vous détailler tous mes avantages. Vous l’avouerai-je ? Avec tout cela, je ne suis point heureuse. Environnée de tout ce qui compose le bonheur, le bonheur me manque, je le cherche, je l’appelle en vain ; j’y renonce, puisque la possession de votre cœur ne me l’a point procuré.

LINDOR.

Tout autre que moi, marquise, soupçonnerait de l’artifice dans un tel discours ; mais une disposition toute pareille à la vôtre me donne la clé de l’énigme. Vous m’enhardissez à un aveu que rien sans cela ne m’aurait arraché. Je le vois, nous sommes affectés de la même sorte : une confiance mutuelle peut nous soulager. Je ne vis que pour vous, je vous adore ; vous joignez toutes les qualités à tous les charmes. Je devrais défier la gloire et les plaisirs des dieux ; cependant, je le confesse, je ne suis point heureux.

CHLOÉ.

Rien n’est si singulier que cette sympathie, elle m’était absolument nécessaire pour me faire entendre.

LINDOR.

Oh ! je vous entends à merveille. C’est une langueur de l’esprit, c’est un engourdissement de l’âme qui laisse aller la machine à l’exercice de ses fonctions, sans s’en mêler, sans y entrer pour rien.

CHLOÉ, vivement.

Oui ! cœur desséché, goût flétri !

Et les deux blasés décident qu’ils resteront au point où ils en sont. — La fin de la scène offre un trait de caractère bien saisi. Lindor demande à Chloé si elle est disposée à s’intéresser au mariage de sa sœur Lucette. Chloé répond : « Ne m’en parlez pas. »

LINDOR.
Son mariage ne vous convient donc pas ?
CHLOÉ.

Son mariage m’est assez indifférent, quoiqu’elle soit furieusement enfant pour y songer.

LINDOR.

Qu’est-ce donc qui vous irrite si fort ?

CHLOÉ.

Dites-moi, monsieur, est-il rien de si choquant, dans l’état d’insipidité dont je viens de vous faire l’aveu, que de voir une petite créature aussi animée ? Ce sont toujours des désespoirs ou des extases, tous les grands mouvemens. Elle vient de m’étaler tous les chagrins qu’elle redoute, les plaisirs qu’elle espère, avec un feu, une éloquence que le sentiment fournit. Il n’y a rien de si révoltant qu’un pareil spectacle, et certainement je ne la servirai point. »

Avec ses airs langoureux, Chloé est une maîtresse femme qui abuse de son ascendant sur son oncle, et le traite avec la plus élégante impertinence. « Oui, mon oncle, lui dit-elle, tous vos principes sont du dernier bourgeois. Une femme comme moi déshonorée parce qu’un homme de sa sorte est amoureux d’elle, qu’on a pénétré qu’elle a du goût pour lui, et que le mariage ne s’ensuit point sur-le-champ ! »

GÉROTSTE. Apparemment. Et qu’est-ce qui déshonore donc, si ce n’est le soupçon d’un concubinage public ?

CHLOÉ.

Oh ! mon oncle, vous avez un dictionnaire par trop étrange. Nous ne valons peut-être pas mieux au fond, et certainement nous ne sommes pas plus grands seigneurs que nos pères ; mais il faut convenir que par la différence des tours et du langage nous ne paraissons pas être de la même pâte.

GÉRONTE.

Ma foi, la simplicité, la franchise de nos discours et de nos manières valaient mieux que vos grands airs et vos galimatias ; mais ce n’est point de quoi il est question. Dites-moi, s’il vous plaît, est-ce que les règles de l’honneur sont démodées ?

CHLOÉ.

Non, mais elles sont différentes pour les différentes conditions. Votre honneur est de la place Maubert, mon oncle, et cela me fait de la peine.

À la fin de la pièce, Lucette et Mémiscès se jettent aux genoux de Géronte et lui parlent avec la candeur de leur caractère et de leur âge. — Ne rejetez pas, monsieur, lui dit Mémiscès, un fils qui serait si soumis et si tendre. — Il ne nous resterait, dit à son tour Lucette, qu’une seule affaire au monde, mon cher oncle, qui serait de vous adorer et de vous divertir. — Ici intervient la soubrette Agathe, qui ajoute : Et de vous faire des petits-enfans qui seraient si sages, si sages, si bien morigénés ! — Géronte s’attendrit. — Eh ! mon oncle, s’écrie Lucette, votre cœur s’ouvre pour nous, laissez-le agir. Chloé parle à son tour et dit : Voila qui est terminé, je connais mon bon oncle. Jeunes amans, abrégeons les lieux-communs. Lindor, il serait plaisant que le mariage nous ressuscitât.

Dans le Père raisonnable, autre comédie en trois actes, l’auteur associe aux nuances piquantes, légères et gracieuses de la pièce précédente une nuance philosophique qui est aussi dans l’esprit du temps. Le père, représenté encore par le marquis d’Ussé, est cette fois un père philosophe d’une naissance distinguée, qui vivait assez pauvre en province lorsqu’il a fait un héritage considérable. Il est venu à Paris avec ses deux fils, et se fait passer pour leur intendant afin de leur laisser toute liberté de se conduire à leur fantaisie. Son fils aîné, le comte de Sancerre-Nivernois, s’est d’abord laissé engager dans un brusque projet de mariage avec une marquise très-brillante qu’il n’aime pas. C’est son père, son intendant supposé sous le nom de M. de la Montagne, qui a arrangé ce mariage avec l’intendant de la marquise, et celle-ci, un peu piquée de la froideur du comte de Sancerre, a immédiatement accepté le projet des deux intendans, en feignant d’ailleurs la plus grande indifférence pour le comte. Le mariage doit se faire le soir même ; mais, au moment de conclure, le comte s’aperçoit que son cœur appartient tout entier à la suivante de la marquise, à Céphise, dont le rôle ingénu et non pas égrillard est ici confié à Mme de Rochefort, Il croit que Céphise, qui se trouvera à la fin de la pièce appartenir à une grande famille, est de basse condition ; mais cet obstacle ne l’arrête pas, et comme elle est aussi candide que charmante, il est résolu à l’épouser en rompant son mariage avec la marquise. Quand Céphise lui dit : « Un homme de votre rang ne serait-il pas déshonoré dans le monde en épousant une fille de ma sorte, il répond : En quittant le pays des chimères, on rentre dans les droits de l’humanité. Je vous estimerais assez pour vous proposer notre retraite en province dès que nous serions mariés ; mais, si je n’écoutais que mon cœur, loin de céder à ces vains préjugés, je mettrais ma gloire à les braver, et je les aurais bientôt soumis en vous faisant paraître.. »

CÉPHISE.

Puis-je ajouter foi à de pareils discours ? Quel plaisir prenez-vous à vous jouer si longtemps de ma crédulité ?

LE COMTE.

Ah ! Céphise, je n’ai plus de ressources contre votre méfiance. La vérité s’appuie-t-elle par des sermens ? Je ne suis point surpris qu’une femme du beau monde se méprenne entre une passion et une plaisanterie ; mais vous que j’adore parce que vous ressemblez si peu à ces femmes ridicules et méprisables, vous qui ne voyez qu’à travers la candeur et la naïveté, l’amour sincère n’a-t-il pas un caractère marqué pour vous ? Le mystère d’un cœur simple et tendre est impénétrable à l’œil exercé par l’usage du monde, mais il se dévoile d’abord aux yeux de l’innocence.

Cependant, par une combinaison un peu forcée, il se trouve que la marquise a rencontré souvent dans le monde le chevalier de Plaisance, qui est, sans qu’elle s’en doute, le frère cadet du comte de Sancerre, et dont le caractère joyeux, léger et libertin est l’opposé de celui de son frère. Le chevalier, qui ignore de son côté que son frère connaît la marquise, vient la voir chez elle pour la première fois précisément le jour où elle doit se marier. Leur conversation nous semble assez intéressante pour être reproduite. Les auteurs de nos jours ont souvent essayé d’imiter le ramage élégant de la galanterie au XVIIIe siècle. On ne sera peut-être pas fâché d’entendre ici ce ramage au naturel avec toute sa vivacité et sans discordance. C’est le marquis d’Adhémar, un des habitués de l’hôtel de Brancas, qui joue le rôle du chevalier, et c’est Mme de Mirepoix qui fait la marquise.

LA MARQUISE.

Pardon, monsieur le chevalier, de vous avoir fait attendre. J’étais à ma toilette, où j’ai été assassinée de toute sorte d’affaires.

LE CHEVALIER.

Vous ne pouvez, madame, avoir qu’une affaire à votre toilette, mais elle est capitale : c’est de bien considérer pendant ce moment-là ce qui fait l’occupation et les délices de l’univers. Tout le reste de la journée vous ne pouvez voir votre visage dans votre miroir, et voilà le désavantage singulier que vous avez avec tous ceux qui vous rencontrent.

LA MARQUISE.

Réellement, chevalier, vous avez un tour particulier qui me divertit, je suis ravie que vous soyez entré. Savez-vous qu’il y a bien des gens qui à ma place auraient fermé aujourd’hui leur porte au public ?

LE CHEVALIER.

Avez-vous quelque partie mystérieuse ?

LA MARQUISE.

Oh ! point du tout, mais c’est que je crois que je me marie ce soir.

LE CHEVALIER.

Ce soir ! et cela n’est pas su ! Voilà le premier mot que j’en entends dire.

LA MARQUISE.

Vraiment non, cela n’est point répandu, je n’en savais pas un mot moi-même ce matin ; c’est une aventure assez plaisante. Je vous conterai cela quelque jour.

LE CHEVALIER.

Expliquez-moi de grâce tout à l’heure une énigme aussi incompréhensible.

LA MARQUISE.

Rien n’est plus réel, la noce était pour ce soir ; mais, à vous dire la vérité, cela est différé, il est survenu quelques difficultés.

LE CHEVALIER.

Ah ! je respire, je vois que c’est une plaisanterie.

LA MARQUISE.

Non, vous dis-je. Les difficultés ne roulent pas sur le fond de l’affaire ; mon collier ne saurait être monté pour ce soir, je n’ai point de domino[20].

LE CHEVALIER.

Eh ! quel est donc l’heureux époux ?

LA MARQUISE.

Le comte de Sancerre.

LE CHEVALIER.

Mon frère ! qu’entends-je ?

LA MARQUISE.

Vous êtes fol, votre frère ? et vous ne portez pas seulement le même nom ?…

LE CHEVALIER.

Je porte celui d’une terre,… mais je n’en reviens point. D’où connaissez-vous mon frère ? depuis quand ? Est-ce un mariage d’inclination ? qui a traité cette affaire ?

LA MARQUISE.

Personne. Cela s’est fait on ne sait comment ; beaucoup de froideur du côté de votre frère, un peu de répugnance de ma part, au surplus beaucoup de convenances, à ce qu’on dit.

LE CHEVALIER.

Vous, ma belle-sœur ! ah ! quel titre, divine marquise ! il blesse mon cœur autant qu’il flatte ma vanité.

LA MARQUISE.

Mais voilà une déclaration d’amour dans toutes les formes.

LE CHEVALIER.

Jamais on n’a joué ce tour-là à un galant homme d’être sa belle-sœur aussi mal à propos.

LA MARQUISE.

Vous extravaguez, chevalier. Je prends mon air imposant, entendez-vous ?

LE CHEVALIER.

Il est dur, madame, d’avoir à bouleverser tous ses sentimens en une minute..

LA MARQUISE.

Il ne faut point tant de remue-ménage, car vous êtes obligé de m’aimer fort tendrement. Vous soupirez ; oh ! ne prenez pas ce ton-là ; gardez votre gaîté, j’en aurai besoin, car votre frère n’a pas été traité en aîné sur cet article.

LE CHEVALIER.

C’est-à-dire que vous me chargez des plaisanteries de la noce. En vérité, marquise, vous êtes impitoyable, vous abusez de vos droits.

LA MARQUISE.

Finissons ce persiflage. Voulez-vous, mon cher petit beau-frère, que je vous mène à l’Opéra ? C’est ma semaine, il faut bien y faire un tour. Vous avez le meilleur goût du monde, nous repasserons chez les marchands, vous verrez mes emplettes, (Elle parle à ses gens.) Il faudra dire au comte, quand il viendra, les raisons qui me font différer le mariage de quelques jours, et qu’il revienne souper ce soir.

C’est précisément le chevalier qui finit au troisième acte par se marier avec la marquise. Lorsqu’elle apprend que le comte aime et veut épouser sa suivante Céphise, elle est d’abord indignée, quoique Céphise soit reconnue une fille de condition, et quand le père des deux jeunes gens lui propose le chevalier en échange, elle répond : « Votre fils cadet à une femme comme moi ! » Mais aussitôt que le père a levé la difficulté en philosophe, c’est-à-dire en déclarant qu’il fait à chacun de ses fils une part égale de ses biens, elle répond à son tour philosophiquement : « Je me dois la juste vengeance d’accepter vos offres, et je préfère le chevalier, dès qu’il est aussi riche que son frère. »

Nous glisserons sur les deux comédies qui suivent celle-ci. La Vénitienne, qui contient aussi des détails curieux, nous semble un peu embrouillée. La pièce en un acte intitulée les Chevaliers de la Rose-Croix est une farce un peu forcée, mais assez amusante, où l’auteur tourne en ridicule les folies de l’illuminisme, qui conservait encore des adeptes avant que Cagliostro vînt raviver leur ferveur C’est là que brille Duclos dans le rôle d’un valet qui s’appelle Rémond, parce qu’il descend, dit-il, du grand Raymond Lulle.

La cinquième comédie, le Jaloux de lui-même, est le fruit d’une sorte de rivalité du comte de Forcalquier avec le président Hénault. Tous deux ont traité le même sujet avec le même titre, mais d’une manière toute différente. La pièce du président, qui a été publiée, est mieux intriguée que celle du comte de Forcalquier ; mais elle est moins originale et elle n’est pas la traduction exacte du titre. Son jaloux est un jaloux ordinaire, et il ne peut être qualifié jaloux de lui-même qu’en ce sens que les incidens propres à le convaincre qu’il est aimé deviennent à ses yeux autant de preuves de trahison. Ce n’est là qu’un des effets habituels de la jalousie. Le thème du comte de Forcalquier est plus singulier. Un jeune homme, le comte d’Amille, a été passionnément aimé par une jeune personne, Mlle Deran, à une époque où il portait le nom de Vareil. Par une suite de circonstances un peu invraisemblables, celle-ci croit que son amant a été tué en duel, elle se retire auprès d’un oncle au fond d’une province et passe cinq ans à le pleurer. Au bout de cinq ans, il reparaît sous un autre nom, et se présente devant elle comme un autre homme, avec l’idée assez cruelle d’éprouver s’il pourrait la rendre infidèle à sa mémoire. Par un hasard peu vraisemblable aussi, Mlle Deran ne le reconnaît pas ; mais sa ressemblance avec l’homme qu’elle a aimé fait naître en elle pour lui un mélange de tendresse et d’aversion dont l’expression est souvent très touchante. Quant à lui, il est également partagé entre la double jalousie qu’il s’inspire à lui-même, soit quand il s’imagine que son amour sous un nouveau nom fait des progrès dans le cœur de Mlle Deran, soit lorsqu’il reconnaît qu’il ne peut pas effacer de son cœur le souvenir de celui qu’elle croit mort. Quand il se décide enfin à se faire reconnaître, Mlle Deran, outrée de son procédé, refuse de l’épouser, et le quitte en déclarant qu’elle ne veut plus penser qu’à l’homme loyal qu’elle a aimé autrefois sous le nom de Vareil.

Ces nuances, on le voit, sont un peu subtiles, mais conformes au tour d’esprit des Brancas, et surtout de M. de Forcalquier : aussi cette pièce sans action est celle dont le style est peut-être le plus travaillé. L’élément comique, représenté par le valet et la soubrette, figure à peine, elle est surtout pathétique. Le rôle le plus considérable, celui de Mlle Deran, exigeait, pour être bien rendu, un vrai talent. C’est la comtesse de Rochefort qui le remplissait, et comme la pièce a été représentée plusieurs fois à d’assez longs intervalles avec des changemens parmi les autres acteurs, nous en concluons qu’elle aimait à jouer ce rôle, et qu’elle le jouait bien.

La dernière pièce qui complète ce théâtre de société est intéressante comme tableau de mœurs. Sous ce titre : le Bel Esprit du temps ou l’Homme du bel air, l’auteur a refait en prose dans un petit cadre, et en la transformant pour l’appliquer aux ridicules de l’époque où il vivait, la comédie des Femmes savantes. Amalasonthe, femme de M. Géraste, est une Philaminte du XVIIIe siècle, qui aime aussi les petits vers galans et la physique, qui oblige sa fille Angélique à s’occuper dans la même matinée de traduire de l’anglais, de faire de la musique, de la géométrie et deux logogriphes ; mais ce que Mme Amalasonthe apprécie surtout, c’est l’esprit philosophique. Elle entend par là le dédain de toutes les opinions reçues combiné avec le bel air, et c’est ce qui fait qu’elle veut absolument donner sa fille à Alcidor, type excellent du genre de fatuité qui la charme. M. Géraste n’est pas si facile à effrayer que Chrysale. Il tient tête à sa femme avec un peu plus de courage, et comme il est plus calculateur que Chrysale, il a choisi pour candidat à la main de sa fille un jeune financier, Nicandre, brutal et sot, mais qui est de la compagnie des Indes et en passe de devenir très riche. Angélique aussi a fait son choix, c’est un jeune colonel honnête homme, nommé Clindor, qui ressemble assez au Clitandre de Molière, avec cette différence qu’il a gagné le cœur de Mme Amalasonthe en se présentant à elle sous un faux nom, avec l’humble qualité de précepteur, et sans autre prétention que celle d’enseigner à sa fille toutes les sciences. « C’est un hasard unique, dit Amalasonthe, et qui m’était dû, de trouver toutes les connaissances imaginables réunies dans un seul homme. Enseigner à la fois la musique, la géométrie, l’histoire, la physique ! Cet universel est né tout exprès pour moi, car il n’est point connu dans Paris, je ne lui sais point d’écolières. » Au dernier moment, Clindor profite de l’aversion égale que chacun des deux autres candidats inspire soit au père soit à la mère pour dévoiler sa condition et faire ratifier par eux le choix de leur fille.

Le personnage le plus original et le mieux réussi de cette comédie, quoiqu’il soit un peu chargé, c’est Alcidor, type de fatuité paradoxale et ironique. Montrons-le dans une scène avec M. Géraste. Son langage, parfois singulièrement audacieux, bien que toujours élégant, offre des nuances qui ne seraient probablement pas acceptées aujourd’hui sur la scène ; mais c’est précisément parce qu’il n’effarouchait point le noble auditoire réuni à l’hôtel de Brancas que nous devons le reproduire. Le duc de Nivernois, très habile acteur, joue ce rôle spirituel et impudent, et, comme toujours, le marquis d’Ussé fait Géraste, le père d’Angélique, Sur les instances de sa femme, il a consenti à avoir un entretien avec Alcidor, qui se propose pour épouser sa fille.

GÉRASTE.

Il est vrai, monsieur, que j’ai besoin de beaucoup d’éclaircissemens avant que de songer à vous donner ma fille.

ALCIDOR.

Je vous croyais au fait, monsieur, des diverses convenances qui ôtent à mes desseins tout vernis de présomption.

GÉRASTE.

Je connais parfaitement votre naissance ; votre bien suffit avec de l’économie. Je vous suppose très volontiers de la probité, puisque vous n’avez pas prouvé le contraire, et je sais de reste que vous avez de l’esprit.

ALCIDOR.

Eh ! monsieur, vous en savez là, pour un seul mariage, plus qu’il n’en faut pour marier toute une ville. Qui peut donc vous arrêter ?

GÉRASTE.

Votre caractère, que j’ignore, votre langage, que je n’entends pas, votre conduite, qui ne me plaît point.

ALCIDOR.

Comment donc ?… Qu’entends-je ?… Vous me ravissez… En vérité, monsieur, je n’avais point cette idée-là de vous.

GÉRASTE.

Qu’est-ce à dire ?

ALCIDOR.

Je faisais cas de votre vertu, de votre candeur, même de vos manières négligées, car tout cela me plaît, et suffisait pour me rendre votre alliance précieuse.

GÉRASTE.

Eh bien ?

ALCIDOR.

Mais je ne vous soupçonnais pas le style épigrammatique. Savez-vous bien que vous m’avez servi là d’une tirade de naïveté aussi fine, aussi piquante que j’en aie jamais entendu ?

GÉRASTE.

Je ne croyais pas être aussi plaisant.

ALCIDOR.

Revenons, monsieur, je vais tâcher de vous répondre. Mon caractère est franc, et je vous le prouverai. Mon âme, tout en dehors, ne craint point le grand jour, je me montre, le parterre siffle ou applaudit, il a tort ou il a raison, je n’en suis ni humilié, ni enorgueilli. Je suis homme, je n’ai présenté qu’un homme, il faut bien qu’il ait les vices et les vertus de l’humanité.

GÉRASTE.

Je n’aime pas trop cette indifférence pour le jugement du public. Voilà apparemment ce que vous appelez, vous autres, de la philosophie. Que faites-vous donc de la réputation ?

ALCIDOR.

Oh ! la vieille réputation est une idole brisée par les réaliseurs[21]. Glissons, monsieur, je vous prie, cette dissertation nous mènerait trop loin ; avec un peu de temps, je vous ferai toucher au doigt et à l’œil les nouvelles vérités.

GÉRASTE.

Ah ! quel homme ! quel homme !

ALCIDOR.

A l’égard de mon langage, qui ne vous est pas clair, cela vient de ce que les inventions des mots, des tours singuliers partent de moi, ou du moins c’est à moi qu’en arrivent les premières nouvelles. Quand nous serons logés ensemble, vous vous trouverez à la source,

GÉRASTE, à part.

Je consens qu’on m’y noie.

ALCIDOR.

Quant à ma conduite, monsieur, je vous supplie de vous expliquer davantage.

GÉRASTE.

Volontiers. Est-il possible qu’un homme de votre nom, à vingt-cinq ans passés, n’ait aucune charge, aucun emploi dans le monde que celui de bel esprit, de charmant inutile ? Espérez-vous d’entrer à ces titres dans aucune famille honnête et sensée ? Quel est le système qui dispense de servir sa patrie par son courage ou par ses talens ?

ALCIDOR.

Oh ! je vous déclare que vous ne me verrez jamais aucune profession. Ce serait être trop ingrat envers la nature.

GÉRASTE.

Ho ! ho ! qu’est ceci ?

ALCIDOR.

Elle m’a placé dans cet ordre d’hommes au profit de qui les autres agissent, Juges des travaux, ils les apprécient et les récompensent par leur suffrage. Appelé uniquement à éclairer le monde et à faire les délices de la société, je ne me précipiterai point dans les classes subalternes des manœuvres de l’univers… Il y a dans ce que je dis, monsieur, un air d’orgueil qui vous révolte… Oui, je m’en aperçois fort bien, et je n’en suis, pas surpris ; mais songez que je n’épanche, que je vous initie aux plus intimes mystères, enfin que je vous donne le dernier mot de la philosophie.

GÉRASTE.

Il est vrai que je songeais, monsieur, dans cet instant à avertir au plus tôt votre famille.

ALCIDOR.

Oui-dà ! .Voilà le sort de la raison dans sa première rencontre avec le préjugé !

GÉRASTE, à part.

Poussons-le jusqu’au bout. Ceci devient curieux, (Haut.) Mais, monsieur, avec un bien médiocre et en jouissant toute votre vie de cette oisiveté si respectable, quel sera le sort de vos enfans ?

ALCIDOR.

Mes enfans ! Eh ! je n’en aurai point, je n’en veux point avoir.

GÉRASTE.

Comment, c’est en me demandant d’épouser ma fille que vous me faites cette déclaration !

ALCIDOR.

Il semble que cela implique contradiction. N’est-il pas honteux qu’un homme comme vous ait l’esprit suffoqué de toutes les idées populaires. Comment ! n’êtes-vous pas charmé de voir votre fille préservée du risque des couches et de l’embarras de la marmaille qui en résulte ?

GÉRASTE.

Voilà un homme incroyable !

ALCIDOR.

Je vous rends grâce, monsieur, pour ma postérité. Au surplus, quand vous déchirerez le voile d’erreurs qui offusque en vous la nature même, cette seule confidence m’assurera dans votre cœur la préférence sur tout rival.

GÉRASTE.

Quoi ! un mari et une femme jeunes qui doivent s’aimer vivront ensemble et… je n’en dirai pas davantage, vous me feriez lâcher quelque sottise.

ALCIDOR.

Passons à mon bien. Comptez hardiment sur le double de ce que vous m’en présumez.

GÉRASTE.

Est-ce que vous comptez le placer à un denier usuraire ? Cette manière est-elle encore de la nouvelle philosophie ?

ALCIDOR.

Non ; mais j’ai calculé, n’en déplaise aux collatéraux, que j’ai un bien suffisant pour me conduire décemment et magnifiquement jusqu’à la vieillesse la plus impossible en mangeant mon fonds et celui de ma femme avec intelligence et arrangement.

GÉRASTE.

A merveille ! Et cette femme, dont absolument vous ne voulez point avoir d’enfans, vous la rendrez d’ailleurs fort heureuse.

ALCIDOR.

Oh ! parfaitement. Je ne me soucie point d’un grand esprit, j’en demande la monnaie à votre fille en bonne humeur, des manières nobles, de l’instinct pour les choses de bon goût, qu’elle sache tenir une table élégante, qu’elle ne soit point contraire à la bonne compagnie, qu’elle ne l’éloigne point ; c’est mon affaire, à moi, de l’attirer.

GÉRASTE.

Fort bien !

ALCIDOR.

Au regard de sa conduite, pourvu qu’elle ne soit pas délabrée au point du méchant air pour elle et d’une contenance embarrassante pour moi dans le public, j’en serai plus que content.

GÉRASTE.

Grand merci de votre indulgence !

ALCIDOR.

Dans le courant de la vie, d’elle à moi, des politesses d’occasion, des égards de rencontre, liberté suprême. Entre nous deux, monsieur, souveraine commodité, trois mois sans nous voir, à moins que les affaires ou le plaisir ne nous joignent.

GÉRASTE.

Nous n’aurons donc pas la même table ?

ALCIDOR.

Pardonnez-moi, mais cela ne fait pas qu’on mange ensemble ; on ne dîne point ; chacun a ses heures, on se fait porter un morceau dans sa chambre. Je vous crois au moins désabusé par l’aimable Amalasonthe des civilités puériles de l’étiquette de père, d’enfant, etc.

GÉRASTE.

J’entends. Oh ! çà, monsieur, me voilà suffisamment instruit, vous pouvez aller éclairer le monde.

Quoique l’histoire des mœurs du XVIIIe siècle prouve que le personnage d’Alcidor n’est pas imaginaire, il est certain qu’il est un peu forcé, et qu’il dépasse même un peu la mesure du libertinage d’esprit qu’on tolérait en ce temps-là sur le théâtre. Il n’en est que plus curieux, à notre avis, de voir l’élite de la société d’alors s’amuser à huis clos de ces paradoxes impudens ; mais il faut reconnaître aussi que M. de Forcalquier ne cherche nullement à nous intéresser à ce personnage : en le rendant spirituel, il a soin de le peindre en même temps ridicule. Il n’en est pas moins vrai que dans cette pièce, comme dans les autres du même auteur, le persiflage licencieux de l’état conjugal n’est pas rare. Nous aurions même pu citer en ce genre, et dans la bouche d’une ambassadrice, représentée encore par Mme de Mirepoix, des propos aussi libres que ceux qu’on vient de lire. Il s’agit d’une scène de la comédie intitulée la Vénitienne, où cette ambassadrice explique à une jeune fille de Venise, représentée par Mme de Rochefort, comment les gens de qualité entendent le mariage en France. Nous devons ajouter que cette même ambassadrice qui parle si librement reste irréprochable dans le cours de la pièce à travers les épreuves que lui fait subir la jalousie d’un mari aimé de sa femme sans qu’il s’en doute, et qui de son côté aime sa femme sans vouloir en convenir. Cet amour-propre mal entendu, qui les fait se tromper sur leurs sentimens mutuels, est également dans l’esprit de la comédie française au XVIIIe siècle ; mais quand on étudie cette comédie, soit dans le théâtre de société que nous avons sous les yeux, soit dans le répertoire du Théâtre-Français, il est difficile de ne pas remarquer que, si le mariage y est souvent persiflé par les petits-maîtres et les valets, l’intérêt principal porte presque toujours sur un amour honnête couronné par un mariage, et que, si l’adultère y est parfois indiqué en perspective à l’état de possibilité, comme dans la petite pièce de Rochon de Chabannes intitulée Heureusement, ou bien à l’état de supposition comique, quoique d’assez mauvais goût, mais invraisemblable, comme dans les scènes du cinquième acte du Mariage de Figaro, il n’y est jamais étalé comme de nos jours dans sa réalité la moins équivoque et la plus brutale. C’était, si l’on veut, par bienséance plus que par vertu que les hautes classes d’alors, qui exerçaient sur le théâtre une incontestable influence, n’y admettaient pas volontiers l’adultère en fait, puisque c’était surtout parmi elles qu’à cette époque le lien conjugal était le moins respecté. Toujours est-il que les bienséances théâtrales s’imposaient encore avec assez de sévérité pour que Beaumarchais, dont la pudeur n’avait rien d’excessif, crût devoir déclarer dans sa préface du Mariage de Figaro qu’il se serait considéré comme coupable de mettre Chérubin sur la scène, si ce personnage avait seulement dix-huit ans. Et en effet, lorsque plus tard il entre le premier dans la voie où il devait trouver depuis tant d’imitateurs, dans la voie de la comédie pathétique au moyen de l’adultère et de ses conséquences, l’auteur de la Mère coupable cherche à éviter autant que possible l’avilissement de la femme en supprimant au moins le complice de sa faute. Vingt ans se sont écoules depuis la mort de Chérubin ; la gravité de cette faute d’un moment, atténuée déjà par les circonstances qui en furent l’occasion, l’a été encore davantage par les vingt ans de vertu et de repentir qui l’ont suivie. La pièce à la vérité pèche par d’autres côtés ; mais l’unique scène d’explication entre le mari jadis outragé et l’épouse coupable est bien plus délicatement touchée que les scènes analogues du théâtre contemporain, et cependant, si l’on en croit La Harpe, le public de 1792 trouva cette scène trop forte.

Le public de nos jours n’a plus les mêmes scrupules : sauf quelques trop rares exceptions où il s’est montré justement sévère, il semble disposé à accepter avec la même facilité toutes les formes sous lesquelles on lui présente l’adultère. Il va jusqu’à le supporter pratiqué en quelque sorte sous ses yeux. On lui présente une femme qui prétend l’intéresser en se partageant avec chagrin depuis sept ou huit ans entre deux hommes. On lui présente un pauvre petit enfant avec son angélique innocence compromis et confondu dans cette promiscuité. Il est bien vrai que, si ce spectacle était offert au public avec les allures grossièrement facétieuses qu’il avait dans l’ancienne comédie française du XVIe siècle, ou même dans celle des prédécesseurs de Corneille, le public ne le tolérerait pas. Il faut lui rendre cette justice, il prend généralement le mariage au sérieux et il aime qu’on lui en parle sérieusement, même quand on le lui peint défiguré et profané ; c’est donc par un emploi habile de la phraséologie sentimentale et des combinaisons romanesques qu’on lui fait supporter des dissonances morales poussées parfois jusqu’à la discordance la plus aiguë. Il s’agit presque toujours de personnes qui ont une belle âme, qui souffrent, qui pleurent, qui se proclament très coupables, et qui se résignent à vivre dans des situations ou qui emploient des moyens incompatibles avec le sentiment le plus élémentaire de délicatesse et de dignité.

La même recherche d’effets nouveaux par l’abus de la dissonance qui a produit certaine musique dont Rossini disait : « Si c’était de la musique, elle serait bien mauvaise, » a fait naître les deux thèmes favoris de la comédie contemporaine, — la réhabilitation de la fille perdue et la dégradation attendrissante de la femme mariée. Le premier de ces deux thèmes commence pourtant à passer de mode. Nous pensons que le second ne tardera point à s’user également. Au point de vue de l’art, il est stérile, parce qu’il ne se prête qu’à un très petit nombre de combinaisons tolérables sur un théâtre, et au point de vue moral il est presque toujours répugnant pour quiconque supporte difficilement d’être ému par des scènes dégradantes et des caractères avilis. Cette répugnance, qui n’atteint pas encore la foule, finira par se communiquer à elle. Ce qui est certain, c’est que, si nous voulions résumer ici avec précision quelques-unes des situations les plus scabreuses de certaines comédies de notre temps, ce résumé dépasserait de beaucoup en indécence les saillies les plus impertinentes du fat Alcidor. Nous ne prétendons pas d’ailleurs exagérer la valeur des comédies du comte de Forcalquier. Si moralement elles en ont peu, elles n’ont pas non plus une signification directement contraire à la morale. Quoique le dénoûment y soit toujours plus édifiant que le dialogue, il est visible qu’elles ne tendent guère qu’à divertir les spectateurs et les acteurs eux-mêmes. Sous le rapport dramatique, il est manifeste aussi qu’elles sont faibles de contexture. L’auteur n’a pas pris le temps de les disposer de manière à former un ensemble d’effets bien gradués. Ce sont des traits de mœurs et de caractère qu’il a saisis au vol dans le milieu où il vivait et arrangés rapidement en scènes plus ou moins détachées ; mais il nous paraît difficile qu’on puisse méconnaître ce qu’il y as dans son style de vivacité incisive et d’élégance originale marquée du double cachet de l’époque et de l’homme.

La mort de M. de Forcalquier, en 1753, termine la première période de la vie de sa sœur, Mme de Rochefort. En très peu d’années, elle avait successivement perdu sa mère, son père et ce frère aîné auquel elle était tendrement dévouée. Un autre de ses frères et ses trois sœurs avaient cessé d’exister à une époque antérieure. Il ne lui restait plus que son second frère, devenu le marquis de Brancas, qui avait fait un riche mariage, mais avec lequel elle ne vivait pas, et qui d’ailleurs n’avait pas maintenu les réunions de l’hôtel de Brancas. Sa fortune était modeste, celle de son père consistant principalement dans le produit de ses places, lequel s’élevait, d’après le duc de Luynes, à soixante-seize mille livres par an ; elle possédait cependant après la mort du maréchal, outre une pension de quatre mille livres obtenue du roi, des ressources personnelles un peu plus grandes que ne le ferait supposer une phrase déjà citée du président Hénault. Celui-ci estimait la fortune des autres relativement à la sienne, qui était énorme, et quoique nous retrouvions Mme de Rochefort établie au Luxembourg avec deux chevaux, deux voitures et un train de maison qui indique une certaine aisance, l’opulent président ne voit guère dans cette aisance que de la pauvreté. Mme de Rochefort n’aurait pas pu en effet donnée des soupers aussi somptueux, que ceux de l’auteur de l’Abrégé chronologique, mais l’attrait de ses qualités suffisait amplement pour maintenir et accroître le nombre de ses amis. Aux affections anciennes qui lui restent toujours fidèles, nous verrons donc d’ajouter des affections nouvelles. C’est elle qui sera maintenant le personnage principal du tableau. Jusqu’ici nous ne la connaissons que par le témoignage d’autrui. Nous la connaîtrons bientôt par elle-même dans une série de lettres où elle se peint et où elle peint ceux qui l’entourent avec une grâce et une vivacité de jeunesse, indépendantes de l’âge et de la maladie (car elle était souvent malade), et qui prouvent qu’elle appartenait à cette catégorie d’êtres privilégiés chez lesquels le cœur et l’esprit dominent tout le reste et ne vieillissent jamais.


LOUIS DE LOMENIE.

  1. Mme de Rochefort mourut mariée en secondes noces au duc de Nivernois ; mais comme elle ne porta ce nom que très peu de jours, du 14 octobre au 5 décembre 1782, nous lui laissons le nom sous lequel elle a été connue au XVIIIe siècle.
  2. Mme de Rochefort s’appelait Thérèse de son nom de baptême.
  3. Nous devons la communication de ce manuscrit à la gracieuse obligeance de Mme la duchesse de Noailles, arrière-petite-fille du duc de Nivernois. Il est intitulé Opuscules de divers genres, par Mme la comtesse de Rochefort, depuis duchesse de Nivernois.
  4. La pointe de bizarrerie plus ou moins déréglée particulière à cette branche des Brancas s’est perpétuée et reproduite avec éclat à la fin du XVIIIe siècle dans la personne du comte de Lauraguais, l’excentrique amant de Sophie Arnould, mort sous la restauration duc de Brancas.
  5. Voyez les Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV, t. II, p. 263 et 282.
  6. Ces mémoires, où l’ami officiel de Mme du Deffand nous dit, à la date de 1761 : « Mme de Castelmoron a été depuis quarante ans l’objet principal de ma vie, » rendent vraisemblable l’anecdote piquante que Grimm a mise le premier en circulation. Il raconte que quelques jours avant la mort du vieux président Mme du Deffand, se trouvant dans sa chambre avec plusieurs personnes et le voyant très assoupi, imagina pour le tirer de son engourdissement de lui crier dans l’oreille : « Vous rappelez-vous Mme de Castelmoron ? » Celle-ci était morte depuis neuf ans. « Ce nom, dit Grimm, réveilla le président, qui répondit qu’il se la rappelait fort bien. Elle lui demanda ensuite s’il l’avait plus aimée que Mme du Deffand. Quelle différence ! s’écria le pauvre moribond imbécile ; puis il se mit à faire le panégyrique de Mme de Castolmoron, et toujours en comparant ses excellentes qualités aux vices de Mme du Deffand. Ce radotage dura une demi-heure en présence de tout le monde, sans qu’il fût possible à Mme du Deffand de faire taire son panégyriste ou de le faire changer de conversation. Ce fut le chant du cygne ; il mourut sans savoir à qui il avait adressé un parallèle si véridique. » (Grimm, Correspondance littéraire, 2e partie, t. Ier, p. 353.)
  7. Il est absent de Paris à cette date, mais on parle assez souvent de lui dans la correspondance de 1742, et nous voyons dans nos documens particuliers que dès 1738 il jouait avec Mme de Rochefort dans les comédies représentées à l’hôtel de Brancas. En 1742, on pourrait croire qu’il est, pour employer un mot du temps, embarqué avec Mme de La Vallière, car Mme du Deffand écrit en parlant d’elle, à la date du 20 juillet 1742, cette phrase : « le Nivernois ne la hait pas, et je crois qu’il n’en aime point d’autres. »
  8. Quant à l’assertion du président que l’italien ne fait pas de progrès, elle est confirmée, non-seulement par le témoignage déjà cité de M. de Nivernois, mais par une lettre de Mlle Pitt, grande amie de Mme de Rochefort dans la dernière moitié de sa vie, et qui constate que celle-ci ne comprenait pas l’italien.
  9. C’est-à-dire il remplace le chevalier de Brancas dans ses fonctions de maître d’italien.
  10. Nous voulons parler d’une notice détaillée sur Mme du Deffand et sa société, placée en tête d’une réimpression complète du recueil de 1809 et du recueil des lettres à Walpole. L’auteur de cette notice, M. M. de Lescure, rencontrant sur son chemin le fait relatif à Mme de Rochefort et au marquis d’Ussé, a naturellement tranché la question dans le sens indiqué par les mœurs du XVIIIe siècle ; mais on comprend que nous éprouvions le besoin d’y regarder de plus près.
  11. Mme du Deffand dit dans une de ses lettres que d’Ussé était du même âge qu’elle ; mais je vois dans l’annonce de sa mort, faite par la Gazette de France en 1772, qu’il était âgé de soixante-dix-sept ans. Il avait donc deux ans de plus que Mme du Deffand, et par conséquent vingt et un ans de plus que Mme de Rochefort. Cette grande différence d’âge, compatible encore avec un projet de mariage, ne l’est plus autant, on en conviendra, avec l’hypothèse d’une liaison galante.
  12. Le vrai titre est le Bel esprit du temps.
  13. Il va sans dire que le mot honnête homme doit être pris ici uniquement avec la signification qu’on lui donnait alors pour définir le contraire d’un fat. On jugera tout à l’heure si l’homme qui a si bien persiflé tous les genres de fatuité pouvait être aussi imprégné de ce défaut que le dit Mme du Deffand.
  14. La lettre n’indique cependant d’autre méfait de la part de M. de Forcalquier envers d’Alembert que de n’avoir pas, à ce qu’on dit (car cela même n’est pas sûr) goûté un récent ouvrage de celui-ci publié sous le titre d’Essai sur la Société des gens de lettres et des grands ; mais il semble difficile d’admettre que ce grief suffise pour qu’un philosophe se réjouisse sans scrupule de la mort d’un homme.
  15. Le château de Bellevue était alors habité par Mme de Pompadour, et par conséquent le roi y allait.
  16. Ce ne fut en effet qu’après avoir conquis le titre que Duclos s’occupa de le mériter en écrivant pour cette académie sur des matières d’érudition plusieurs mémoires qui ont du mérite.
  17. Mme Guizot (Pauline de Meulan).
  18. Les comédies du président Hénault ont été publiées sous l’anonyme, en 1770, en un volume avec ce titre : Pièces de théâtre en vers et en prose.
  19. Ce nom, très bizarre pour un nom de comédie, a peut-être été choisi pour quelque motif particulier à la société de L’hôtel de Brancas ; le rôle était joué par M. de Duras.
  20. Ce mot s’explique par une description assez étrange qu’on nous fait dans la pièce de la manière dont se mariaient les gens du bel air. « On se rassemble le soir tout à l’ordinaire, on fait un excellent souper en bonne et petite compagnie. On se garde bien de rassembler une sotte famille qu’on ne connaît point. On évite de parler de la platitude qu’on va faire. Après souper, on se rend à une petite église particulière, où toute la France se trouve, hors les parens ; on va de l’église au bal dans une mascarade d’invention. Le lendemain, on prend une espèce de congé de son mari en prenant son nom et sa livrée. On court à Versailles exciter la curiosité et réveiller l’attention sous un nouveau titre. »
  21. On aura peut-être de la peine à croire que ce mot et la phrase entière ont été écrits et prononcés de 1710 à 1743. Rien n’est plus vrai cependant, et nous copions textuellement le manuscrit.