Modernités/Éternité

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E. Giraud et Cie, éditeurs (p. 110-111).


ÉTERNITÉ


Évanouis les gais fantômes,
Comme un blond tourbillon d’atomes
Évoqués l’espace d’un soir
Au-dessus de Paris sinistre,
Où mon vers rageur comme un sistre,
Les a fait tordre et se mouvoir !

Au-dessus des toits et des dômes,
Évaporés les fins aromes
Exhalés de dessous troublants,
Retroussés par les mains brutales
Des gommeux sur les genoux pâles
Des belles filles aux seins blancs.

Empoignant par leurs rudes tresses
Les Modernités vengeresses,
En vain ai-je au vent secoué
Le glauque essaim des amours chauves
Et les baisers de ses alcôves
Sur Paris honteux bafoué !


Les lèvres par le froid gercées
N’ont plus de sourire et, glacées,
Les railleuses filles d’amour,
Suant la peur et la misère,
Se débattent sous l’âpre serre
De leurs amants de carrefour !
 
C’est en vain que j’ai voulu rire.
Ma joie était une satire :
Le rêve ardent, que je rêvais,
M’a laissé du sang sur la joue
Et j’ai répandu de la boue
Dans l’humble verre, où je buvais,
 
Je me suis brûlé dans la fête !
Clown ébloui tombé du faîte,
J’ai voulu rire et j’ai pleuré
Et, sous la gaîté qui me grise,
Je sais au fond qui je méprise
Dans ce livre d’homme écœuré !
 
Modernité, Modernité
Sous le sarcasme et la huée
La nudité prostituée
Saigne au fond de l’éternité.