Mon âme elle est là-bas (Verhaeren)

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Les Ailes rouges de la guerreMercure de France (p. 57-61).

MON ÂME, ELLE EST LÀ-BAS…


Mon âme elle est là-bas,
Mon âme en joie et en alarmes,
Elle est là-bas
Où l’on s’élance, où l’on se bat,
Mon âme elle est là-bas,
Dans les clameurs et dans les armes.

Elle s’exalte et pleure et rit au long du jour.
L’annonce des combats lui est lueur et flamme ;
Mon âme,
Au long des heures et des jours,
N’est plus qu’une pensée et n’est plus qu’un amour.


Mon âme ? — elle est ardente et rayonnante.
Elle fouille sa mémoire
Pour y ressusciter l’orgueil enseveli
De la légende et de l’histoire.
Elle est ardente et frissonnante ;
Elle se cache et se blottit
En vos grands plis,
Drapeaux, qui promenez sur le monde la gloire.

Elle guette votre venue,
Tambours qui débouchez du fond de l’avenue,
Battants au clair, dans la lumière.
Mon âme ? — Elle sonne et vibre tout entière
Au rythme de vos pas,
Soldats,
Qui chantez en passant vos chansons familières.

Mon âme ? — elle est déjà
Là-bas,
Dans la clarté de la victoire.
Tout lui devient ou signe ou geste évocatoires.


Elle est volante au vent
Vivant
Qui frôlera le front
De ceux qui reviendront,
Avec l’épaule en sang ou la main mutilée,
Des corps à corps de la mêlée.
Elle est l’ardeur, elle est la foi.
Elle trépide et crie et follement acclame,
Car l’avenir lui parle et lui chante à la fois,
Et pleurante d’émoi,
Elle écoute, mon âme !