Mon frère Yves/023

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 114-115).
◄  XXII
XXIV  ►

XXIII

Nous n’eûmes pas longtemps à dormir, cette nuit-là, mon frère et moi, dans notre lit en armoire.

Dès que le vieux coucou de la chaumière eut dit quatre heures de sa voix fêlée, vite il fallut nous lever ; nous devions être à Paimpol avant le jour, pour y prendre à six heures le diligence de Guingamp.

À quatre heures et demie, ce triste matin d’hiver, la pauvre petite porte s’ouvre pour nous laisser sortir ; elle se referme sur un dernier baiser à Yves, de sa mère qui pleure, sur une dernière pression de main à moi. Nous nous éloignons tous deux dans la pluie froide et la nuit noire, et en voilà pour cinq ans.

Dans les familles de marins, c’est ainsi.

À mi-chemin, nous entendons de loin sonner l’Angelus derrière nous à Plouherzel. Nous nous croyons en retard, et nous nous mettons à courir, à courir. Nous avons le front baigné de sueur en arrivant à Paimpol.

Nous nous étions trompés ; on avait avancé l’heure de l’Angelus.

Nous trouvons asile dans un cabaret déjà ouvert, où nous déjeunons en compagnie d’Islandais et d’autres frères de la côte.

Et, le soir du même jour, à onze heures, nous arrivons à Brest pour reprendre la mer.