Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 11

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Librairie Saint-Joseph (p. 67-71).

CHAPITRE XI

Justice de Fontenay


L’abbé de Fontenay avait la justice haute, moyenne, et basse sur toutes les terres dépendantes de l’abbaye, soit qu’elles eussent été défrichées, achetées ou reçues en donation. Le bienfaiteur qui accordait une portion de son terrain, faisait aussi ordinairement l’abandon de la justice. Cependant l’omission de cet abandon de la justice dans l’acte {{Corr|authenthique|authentique} de la donation engendrait quelquefois des procès longs et dispendieux.

Ainsi quand ils cédèrent à Fontenay une partie du Carmet ou Petit-Jailly, l’évêque d’Autun et le duc de Bourgogne ne s’étaient pas prononcés clairement sur la justice ; l’abbé se croyant en jouissance de ce droit voulut en user, mais l’évêque et le duc soulevèrent un procès qui fut tranché par le Parlement de Paris contre l’abbé qui en supporta les frais. (Arch. d’Autun.)

Le cellérier du couvent rendait la justice au nom de l’abbé, il avait à sa disposition les fourches patibulaires, la prison, l’amende et quelquefois l’exil.

Les fourches patibulaires étaient souvent la marque de la puissance, et de la sévérité du seigneur. Il y avait cinq classes de fourches patibulaires. Le simple seigneur haut justicier n’avait que deux piliers ou poteaux à sa potence ; le châtelain, trois ; le baron, quatre, ainsi que les ducs ; les rois, cinq, comme à Paris, à Montfaucon. C’est là que Charles IX allant voir le cadavre de l’amiral de Coligny, le considéra avec plaisir quelque temps, et pendant que ses courtisans s’éloignaient en se bouchent le nez il leur dit cette parole peu royale : « le corps d’un ennemi mort sent toujours bon. » (Dict. de la Pénalité IV.)

Pour se conformer à la prescription mosaïque qui renvoyait toujours les exécutions capitales hors du camp, ces fourches étaient ordinairement aux confins du territoire, sur une voie publique, afin d’inspirer la crainte au voyageur, et lui dire : ne faites pas de crimes qui vous amèneraient au gibet.

On choisissait toujours un lieu élevé pour ajouter encore au supplice du patient en l’exposant à un horizon plus étendu, afin qu’il fut vu de plus loin et qu’il fût mieux le jouet des vents et la proie des bêtes sauvages, car souvent il n’avait pas d’autre sépulture.

Deux seigneurs ne devaient pas placer leurs fourches tr0p rapprochées les unes des autres, sans doute pour ne pas être accusés de cruauté, si on venait à les attribuer au même seigneur. C’est pour cela que l’abbé de Fontenay intenta procès au maire de Montbard pour l’obliger à porter le gibet de la ville au delà des Ormes sur lesquels l’abbaye avait droit de Justice. Celles de Fontenay étaient à l’entrée des bois sur la route de Châtillon dans un champ qui est encore appelé la Justice. (Arch. comm.)

Les cartulaires de Fontenay contiennent seulement trois exécutions capitales aux fourches. La première est celle d’un assassin nommé Millière ; de la prison de Marmagne où il avait été enfermé, il en avait appelé au tribunal du Duc mais en vain ; le duc n’avait plus de droit sur Marmagne, la sentence du Cellérier fut accomplie. (Cart. Font.) La seconde est celle de Perrot, dit chat de Touillon. Il avait tué un homme dans le jardin ; à ce propos, il y eut un procès qui dura 252 ans entre l’évêque d’Autun, le duc et l’abbé. Soixante-quatorze parchemins furent exhibes dans le cours de cette cause. Le duc réclamait la haute justice en qualité de protecteur du couvent ; l’évêque, parce qu’il avait donné le terrain. Le Parlement de Paris prononça en faveur de l’abbé. Enfin la troisième d’un habitant de Fresne qui avait donné la mort a un Mathieu de Montbard, au Pressoir, ferme de l’abbaye. Pierre de Damas, sire de Marande et seigneur du Fain, réclamait la Justice pour lui, parce que le Pressoir avait été donné en 1332 par Béatrix, demoiselle du Fain. Sa réclamation fut rejetée et l’abbé maintenu dans son droit. (Cartul. de Font.)

Raoul, seigneur de Bussy, et l’abbé Renaud, en 1300, se promettent de ne pas pendre à leurs fourches leurs hommes, quand même ils auraient commis des crimes sur les territoires de Bussy, de La Villeneuve et d’Étormay. Les fourches de Bussy ne devaient pas être vues depuis La Villeneuve et Etormay. On montre encore la place de la potence des seigneurs de Bussy ; depuis longtemps celle de Fontenay est ignorée. (Cart. Font.)

Chaque village dépendant de Fontenay avait sa prison particulière ; celle de Marmagne tenait à la maison des convers dans le voisinage du moulin à l’entrée du pays. Celle de Poiseul-la-Grange renferma pendant plusieurs semaines un certain Baussy qui avait interrompu, pendant la messe du Dimanche, le curé son oncle. (Cart. Poiseul.) Il y en avait aussi une dans l’abbaye pour les religieux ou convers indisciplinés. Par euphémisme elle s’appelait enfermerie comme l’indique l’écusson qui montre encore les bâtiments destinés à cette fin.

Les coupables qui ne passaient pas par la prison pouvaient être condamnés à l’exil. Un Dunoyer et sa femme furent exilés pendant sept ans du territoire de Poiseul-la-Grange pour avoir exposé à Dijon leur enfant de 18 mois. (Just. de Poiseul, aux arch.)

Dans ces temps reculés, la Justice monacale punissait même les animaux qui avaient fait du mal. M. Petit de Vausse, dans son Avallonnais, 185, dit qu’une truie fut tuée parce qu’elle avait mordu un enfant au berceau.

La haute Justice donnait au seigneur le droit de connaître les crimes comme ceux rapportés plus haut ou (le condamner a une amende de 60 livres. La moyenne Justice s’appliquait aux vols, aux injures, aux tutelles, aux amendes, qui ne pouvaient excéder 60 livres ou sous. Des habitants de Saint-Remy ayant emporté un cerf tué sur les terres de Fontenay furent obligés de le rendre ou de payer une amende que la Justice moyenne aurait imposée.

La basse Justicc connaissait des droits dus au seigneur, des dommages causés par les animaux, des délits dont l’amende ne pouvait dépasser 7 sous 6 deniers. Un habitant de Montbard ayant volé sur le territoire du Petit-Jailly dix moutons, fut condamné à les ramener où il les avait pris, et de les rendre en. criant à haute voix: « Je vous rends vos moutons ». Cette restitution ne l’empêcha pas d’être appréhendé et jeté en prison.

Quelques animaux ayant été trouvés dans un taillis qui n’était pas défensable, furent vendus sur la place publique de Montbard ; le maître n’osa pas les réclamer dans la crainte de l’amende.

Dans le courant du mois de Mai, la Justice abbatiale tenait ses Grands—Jours successivement dans les villages qui dépendaient de l’abbé. Il entendait les réclamations des Justiciables. Tous les habitants étaient obligés de s’y rendre; sous peine d’une amende de quelques deniers au profit de l’abbé. (Cart. de Font, arch. de St.-Remy.)


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