Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 2

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Librairie Saint-Joseph (p. 14-Ill.).

CHAPITRE II

Fondation de Fontenay 1130

Pendant les douze ans qu’elle habita l’ermitage, la colonie fut dirigée par Godefroy, oncle de saint Bernard, qu’il lui avait donné pour abbé à son départ. Il eut la consolation de présider à la seconde installation, qui fut la véritable fondation de l’abbaye.

L’emplacement destiné à recevoir les constructions de la nouvelle abbaye était froid, humide, marécageux, malsain ; dix fontaines du voisinage y versaient leurs eaux. Il fallut donc assainir par de nombreux drainages et des canaux voûtes qui sillonnent le terrain. Ces eaux ont donné le véritable nom de l’abbaye de Fontenay, « qui nage dans ou sur les eaux ou fontaines, Fontenaium, Fontenaï et non Fontenetum. »

Cette explication ressort naturellement des deux inscriptions qui se lisent sur la porte d’entrée. La première est ainsi conçue : « spiritus Dei ferebatur super aquas » l’esprit de Dieu planait sur les eaux. La seconde est encore plus explicite et plus claire : Quid hic, ciator, aspicis morae inscius ? nomen requiris conditum, nantis domus aqua sua par recondita. Neque hic locus net, sed scias vires nantes hac in domo. Habebit ergo nomen « et reconditum. Hoc fonte net si quis fugax mundi mali. »

(Delessatot montbarrensi mepartu fecit 1655.)

« Que regardes—tu, voyageur impatient de tout retard ? tu cherches le nom mystérieux de cette maison qui nage sur une onde cachée. Eh bien ! sache que cette maison ne nage pas en réalité, mais que ce sont les hommes qui l’habitent qui nagent. Si, fuyant le monde pervers, tu viens nager dans cette maison, tu auras son nom, Fontenay. » (Traduction de Théophile Foisset.)

Après les premières opérations d’assainissement, comme dans les fondations cisterciennes, on commence toujours par les tombeaux pour apprendre à mourir ; on fixa le lieu du repos dans le clos Saint-Bernard. On y construisit au milieu une petite église provisoire, afin que les religieux maçons eussent Dieu près d’eux pour l’adorer au milieu de leurs travaux sans être obligés de remonter jusqu’à la chapelle de l’ermitage.

Cette petite église dédiée à Saint-Paul existait encore au commencement du xvie siècle ; elle était devenue la chapelle des morts. Puis on commença les cloitres et les autres bâtiments qui y sont annexés. Le premier abbé, Godefroy, donna de vastes proportions à ces constructions en prévision du grand développement que devait prendre cette abbaye, et se retira ensuite à Clairvaux. Il avait besoin de saint Bernard.

Le cloître est plus ancien que l’église, son style est pur roman dans toute la sévérité de la première partie du xiie siècle, tandis que la maîtresse voûte de l’église a une pointe de gothique naissant, qui annonce la seconde moitié du même siècle. Il est adossé à l’église au côté du midi ; c’est un carré qui paraît parfait, quoique deux côtés aient deux mètres de plus que les autres. Chaque galerie est composée de huit travées. Ces galeries ne sont pas comme celles de certains cloîtres surmontées d’un étage, elles n’ont qu’un rez-de-chaussée couvert par des voûtes d’arête. Les travées qui lui donnent l’air et la lumière sont formées par des arcs, plein cintre, divisés par une double arcature supportée par des colonnes accouplées. Il y en a 250, et toutes ont un cachet qui les différencie des autres.

L’ensemble de l’édifice semble lourd d’abord, mais, quand on y circule, quand on l’examine dans ses détails, on s’aperçoit vite que tout est bien entendu, bien ordonné. C’est une architecture sévère, mais monumentale. C’est bien celle de l’école cistercienne, de cette école qui, lors des réformes imposées dans l’ordre de Cîteaux par saint Bernard, et sous l’influence du grand moine, donnera à tous ses édifices ce caractère de simplicité facile à reconnaître et remarquable par la force et la durée de la construction.

Ceux qui ont étudié dans notre Bourgogne les écoles d’architecture clunisienne et cistercienne, reconnaîtront aisément en voyant Fontenay, la manière de construire imposée par l’abbaye-mère de Cîteaux à ses filles.

Dans toute leur longueur les murs du cloître étaient ornés de peinture à fresque représentant des scènes bibliques ou les principaux personnages de l’Ancien Testament. Dans leur silence mystérieux, ils faisaient entendre une prédication continuelle aux moines qui pensaient a jeter un regard sur eux. (Club alpin, 1879.)

La pièce la plus importante qui bordait le cloître à l’Est était la salle capitulaire. La porte par laquelle on y entrait du cloître était ornée de colonnes et de moulures, entre deux ouvertures ressemblant a de grandes fenêtres qui avaient ordinairement pour but de mettre la salle capitulaire en communication avec la galerie du cloître. Peut-être voulait-on, pour les Chapitres qui réunissaient, dans certaines circonstances, non seulement les moines de l’abbaye, mais en partie ceux des Prieurés qui en dépendaient, se ménager le moyen d’étendre jusqu’au préau les sièges des assistants. Cette salle est voûtée, a un rang de colonnes cylindriques avec des colonnettes groupées recevant la retombée de la voûte. Il existe encore deux parties de cette salle immense, l’autre a disparu quand Jean Frouard de Courcelles, 30e abbé, a réparé le bâtiment qui avait été brûlé vers 1490, ou peut-être plus tôt par les Écorcheurs.

Le dortoir régnait sur les salles capitulaires. Il avait 166 pieds de longueur ; un couloir de douze pieds séparait les deux rangs de lits. Le côté nord s’appuyait sur le transept de l’église, afin de donner un accès plus facile aux moines pour les offices de nuit. Le côté du midi formait un gaine agréable percé de fenêtres.

Dans les abbayes cisterciennes, le réfectoire était toujours opposé à l’église du côté du préau. Quand l’église était au Midi, le réfectoire était au Nord, comme à Fontenay. Sous le cloître, on voit encore la porte du réfectoire s’allongeant dans la direction du midi en quittant la ligne droite du cloître. De tous les bâtiments de l’abbaye, le réfectoire seul était gothique, flamboyant. On en voit encore les restes dans les gerbes de colonnes incrustées dans la maison qui servait autrefois d’enfermerie, pour ne pas dire prison. Ce réfectoire avait été bâti par Jean Frouard, quand il répara les salles capitulaires. (De Caumont.)

Au milieu du préau formé par les quatre côtés du cloître était une fontaine tombant dans une grande vasque circulaire servant de piscine. C’est là que les moines se lavaient les mains, quand ils passaient de leur travail à table.

Inutile de parler actuellement des autres bâtiments et de l’usage auquel ils étaient destinés ; il n’y a que l’église qui mérite une mention à part.


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VUE DE L’ANCIENNE ÉGLISE
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