Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 9

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Librairie Saint-Joseph (p. 58-62).

CHAPITRE IX

Influence de Fontenay sur l’adoucissement des mœurs de ses serfs


Outre les dix villages sur lesquels il exerçait les droits de seigneurie, Fontenay avait encore sous sa dépendance immédiate trois sortes de personnes, les convers, les Deodati ou Oblati et les serfs.

Ces personnes étaient nécessaires pour exploiter ses terres. Tant que ces bras se recrutèrent, l’abbaye prospéra ; l’appauvrissement au contraire commença à la diminution de ses serviteurs, au milieu du xve siècle.

On appelait convers les serviteurs que l’Ordre de Cîteaux s’agrégeait avec la permission des évêques, et qui participaient à tous les avantages spirituels et temporels de la communauté, ne différant en rien des moines, sinon en ce que leurs vœux étaient simples et non solennels; sans cesse en contact avec le peuple, formant une sorte d’intermédiaire entre le cloître et le monde.

Après un an de noviciat, ils faisaient leur profession à genoux, leurs mains dans celles de l’abbé, en disant : promitto obedientiam in bono usque ad mortem ; l’abbé répliquait : Dominus det tibi perseverantiam usque ad mortem, et toute la communauté répondait : amen ! Par ces vœux. ils avaient droit d’assister à tous les exercices claustraux, de s’asseoir à la mense conventuelle, d’y prendre la même nourriture que les religieux. « Ils valent, dit l’auteur du livre des Us, ce que nous valons, le prix du sang d’un Dieu. De quel droit établirions—nous une différence de régime, puisqu’il est certain qu’ils sont nos égaux, sous la loi de grâce et de rédemption? Serait-ce parce qu’ils sont plus simples ou plus ignorants que nous ? Mais la raison nous conseille d’en prendre plus de soin et de pitié. »

Ces convers étaient des fils de pauvres laboureurs, de malheureux manœuvres, des serfs persécutés qui se sauvaient du despotisme cruel de la féodalité pour respirer à l’ombre du cloître l’air de la liberté. Les enfants des barons, des chevaliers et des écuyers formaient la majeure partie des religieux profès ; par les frères convers, ils donnaient la main aux pauvres enfants des manants, les attiraient, les élevaient jusqu’à eux; de la sorte les deux extrémités sociales se trouvaient reliées et égalisées dans le cloître. (Morimond.)

Sous la direction d’un prieur, ces frères lais cultivaient les terres de l’abbaye et habitaient ordinairement les métairies où le Pape Martin V leur avait permis de faire les offices quand ils étaient trop éloignés du couvent.

Pour entrer dans la communauté, ils s’offraient ad conversionem, comme un Haymon de Marmagne.

Il faut distinguer des frères convers qui entraient de leur propre consentement au couvent, les Deodat, les Oblati ou Donati. Ceux—ci étaient ou des enfants, qui, dés leur bas âge, avaient été voués par leurs parents a la vie monastique, ou des adultes qui se donnaient avec tout leur avoir au couvent et devenaient moines ou frères lais. D’autres donnaient leurs biens à condition qu’ils seraient reçus sitôt qu’ils le demanderaient. D’autres enfin se consacraient, eux, leur famille, leurs descendants, leurs biens au service d’un couvent, et, sans devenir religieux, participaient à toutes les dévotions et à toutes les bonnes œuvres monastiques. Ces Donati, par leur travail, purent être une cause de prospérité, mais en même temps l’origine de la décadence morale dans les abbayes. (Goschler. v.)

Au moyen âge, quand la loi du servage était encore dans toute sa vigueur, le serf suivait le sort de la glèbe sur laquelle il naissait et à laquelle il était attaché comme travailleur. Dans la vente d’un bien, était ordinairement comprise la valeur du serf. Si un seigneur donnait quelques manses, il abandonnait en même temps les serfs qui les cultivaient comme nous en avons de nombreux exemples dans les donations faites à notre abbaye.

Au xie siècle, Haymon de Grignon, donne à Flavigny l’Atrium de l’église de Marmagne, une portion de ses dîmes, et son homme Dodone. En 1220, Guy, fils de Bernard, seigneur d’Époisses, vend à Fontenay pour 18 livres provins, toutes ses propriétés sises à Marmagne, et ses hommes. En 1239, Jean, chevalier de Montbard, donne à l’abbaye 6 journaux de terre, et son homme Richard avec ses descendants. À la même époque, M. Richard de Spiriaco, cède quelques manses de Courcelles et son homme Beraldus ainsi que sa progéniture. Jeanne de Riégo, dame de Sombernon, pour avoir quelques messes abandonne à l’abbé quatre familles serves de Sombernon. (Cart. de Font. passim.)

Les enfants nés d’une mère serve étaient également serfs sur les terres abbatiales comme dans les manses féodaux, d’autres devenaient serfs par la misère, les dettes ou les guerres sans cesse renaissantes entre les châteaux voisins. Les victimes de ces guerres prenaient la fuite et se retiraient de préférence dans les couvents où ils avaient l’espérance de trouver le calme, un traitement plus doux et un moyen de taire leur salut mieux qu’ailleurs. Cette espérance n’était pas trompée, surtout à Fontenay, renommé par sa clémence pour ses serviteurs.

En effet, pénétrés de l’esprit de l’Église, aux yeux de laquelle nous sommes tous égaux, parce que nous avons tous le même père, que nous sommes tous rachetés par le même sang divin, connaissant tous les canons portés par de nombreux conciles pour recommander la douceur a l’égard des serfs, mettant en pratique la doctrine de saint Paul aux Galates, « Non est neque Judæus, neque Græcus, neque servus, neque liber ; omnes enim vos unum estis in Christo Jesu » nos religieux traitaient leurs serfs avec plus de bonté que les seigneurs qui n’avaient pas encore quitté la dureté des mœurs romaines et gauloises. Ils s’étaient engagés par un pacte avec les seigneurs de Bussy à ne pas pendre haut et court leurs hommes, quand même ils auraient commis des crimes. Un pacte pareil à cette époque est la marque la plus sensible d’un grand adoucissement dans les mœurs. Aussi beaucoup de serfs des Bourgeois, trouvant leur servitude trop rude, venaient frapper a la porte de Fontenay, pour profiter du droit d’asile ou vivre sous une autorité plus paternelle.

Ces différents serviteurs de Fontenay se croyaient ennoblis à leurs propres yeux à cause de la considération dont ils étaient environnés de la part des religieux. Leur dévouement était récompensé et soutenu par l’espérance de la sépulture avec les prières réservées à un moine ; l’avenir ne leur offrait aucune inquiétude, ils avaient devant eux le monastère qui leur promettait l’entretien in victu, in vestitu, la nourriture et le vêtement ; ils pouvaient amasser un petit pécule personnel avec lequel ils acquéraient quelques parcelles de terre ; ainsi les champs de la Fontaine-Ferrée et de Saint-Laurent furent achetés par des hommes de l’abbaye à laquelle ils furent cédés plus tard ; ils pouvaient se marier avec les serves des autres seigneurs, ils portaient le nom de serfs, mais ils avaient pour ainsi dire tous les droits des hommes libres.

Cette douceur vis-à-vis les convers, les Donati et les serfs préludaient naturellement à leur affranchissement qui leur fut accordé aussitôt que les religieux crurent qu’ils étaient mûrs pour jouir de ses avantages et éviter ses inconvénients.

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