Monologues en prose/À la Grâce de Dieu

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Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 87-88).


À LA GRÂCE DE DIEU !


Quelle idée, quelle folle idée d’aller chasser aux Champioux par un temps de pluie !

Pourquoi me suis-je laissé surprendre par la nuit, une nuit noire, plus noire que de l’encre noire, plus noire qu’un chapeau noir de croque-mort, plus noire que l’âme d’un récidiviste ?

Si la lune montrait seulement la pointe argentée de son croissant, je découvrirais les collines de Sannois, le moulin d’Orgemont et le clocher d’Argenteuil ; je verrais là-bas, là-bas, le mont Valérien, qui semble un gigantesque chameau agenouillé dans le désert !

Ô lune, montre la pointe argentée de ton croissant !

Holà ! j’aperçois quatre peupliers et le pignon très pointu d’une maison.

Par saint Hubert, elle est habitée, car un mince filet de lumière s’échappe par la fente d’un volet !

Toc, toc, holà ! hé ! Où suis-je, brave homme, car en chassant je me suis égaré ?

À la grâce de Dieu ! monsieur le chasseur, répond le brave homme.

Une vieille paraît à son tour.

À la grâce de Dieu ! glapit la vieille.

— Encore une fois, où suis-je ? Où conduit cette route ?

À la grâce de Dieu ! reprennent en chœur le brave homme et la vieille.

La porte se referme : plus de brave homme, plus de vieille !

Et les quatre peupliers s’inclinent en gémissant : À la grâce de Dieu !…

Étrange pays ! Drôles d’habitants !

Je recommence à errer dans la nuit, en fredonnant sur un air connu :

Adieu, adieu,
À la grâce de Dieu !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme je passais hier matin par le même chemin, je reconnus la maison au pignon très pointu et les quatre peupliers.

C’était une auberge, et sur la vieille enseigne qui se balançait au soleil, je lus ces mots, tracés en grandes lettres noires :

À LA GRÂCE DE DIEU !