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Monseigneur Henry Verjus/XI

La bibliothèque libre.
Victor Retaux (p. 269-296).

XI

LA TERRE PROMISE

RABAO

I

Le voilà donc en Papouasie, le cher apôtre ! À sa mère, à son frère, à tous, et sur tous les tons, il redit, il chante son bonheur : « Aimé soit partout le Sacré Cœur ! Vive Jésus ! Je suis en Nouvelle-Guinée[1] ! » — « Me voici au milieu d’une île complètement sauvage. Autour de moi des noirs, des noirs, et toujours des noirs. De grandes forêts vierges ; des vallées ; des montagnes… La grande mer sous mes yeux. Le bon Dieu partout. Cela me suffit. Je suis heureux. Je suis heureux d’être dénué de tout et complètement entre les mains de Dieu. Je suis heureux dans ma pauvre cabane. Mon seul regret est de n’avoir pas encore le Saint Sacrement dans le beau tabernacle que je tiens d’une main si chère, de la main de mon bien-aimé frère. Si les sauvages, ce soir, voulaient me manger, ils pourraient facilement se payer ce plaisir qui en serait un plus grand pour moi que pour eux. Mais sur nous, Missionnaires, le bon Dieu veille[2]. »

Nous avons dit que la journée du 2 juillet fut employée à faire une cabane ; bien primitive, assurément ; toute en paille. Une cabane : le mot n’est-il pas ambitieux ? C’en était plutôt, comme dit le P. Verjus, le toit posé à terre. « L’air et la plaie y sont comme chez eux. » De même les moustiques. Impossible de dormir. On se lève. On fait du feu. Les moustiques se moquent du feu et de la fumée. Vive Jésus quand même ! Dans quelques jours on bâtira, en de bonnes conditions, une vraie maison. En attendant, le Père trace à la plume le dessin de sa cabane, et il la décrit en ces termes, dans une lettre à sa mère : « L’intérieur est divisé en deux chambres. Je suis dans la première. Vous voyez ma table à écrire. C’est le fond d’une caisse mis sur quatre jambes de bois. Derrière la table, se trouve mon petit autel. Là, tous les matins avec mon bon Jésus, je demande force et courage pour la journée et des grâces abondantes pour ma chère maman et toute ma bien-aimée famille. Que de fois déjà vos chers noms ont été prononcés à mon Jésus dans notre petite cabane ! Souvent, quand je suis seul et que mes deux Frères sont allés travailler, je me tourne vers mon crucifix et je lui parle de vous : « Mon cher Jésus, lui dis-je, c’est pour vous que « j’ai quitté ma chère maman, mon cher frère, tous mes « parents et amis ; ayez soin d’eux vous-même. » Et, j’en suis sûr, il ne vous oubliera pas, le Dieu bon, et vous êtes bien entre ses divines mains[3] ! »

Le 7 juillet, le bateau qui avait amené les trois Missionnaires s’en retourne. Quelques coups de fusil sur le Gordon, auxquels les Frères répondent du haut de la colline ; le salut du drapeau que fait le P. Verjus avec la bannière du Sacré Cœur, et, les voilà seuls en Nouvelle-Guinée… « Seuls ! écrit le Père dans son Journal, je me trompe : nous avons le bon Dieu avec nous et nos saints anges gardiens. Je suis heureux, d’ailleurs, de cette solitude qui se fait autour de nous. Nous étions presque attachés à ce bateau, dernier vestige de la civilisation. Nous voici maintenant séparés de tout. Mon bon Maître, je suis heureux de me sentir entre vos mains[4]. »

Quand ils ne virent plus le voilier, leur premier soin fut de s’agenouiller devant le petit autel et de renouveler leur acte de consécration au Cœur de Jésus et à Notre-Dame du Sacré-Cœur ; puis, le Père célébra la messe en actions de grâces. « Mes bons Frères coadjuteurs, écrivit plus tard l’intrépide Missionnaire, n’en pouvaient croire leurs yeux. Ils me regardaient, ébahis, comme pour me dire : Est-ce bien vrai que nous sommes ici ? que nous y sommes seuls ? Est-ce bien là la Nouvelle-Guinée ?… Je nommai alors, continue-t-il, l’un d’eux cuisinier ; l’autre devait être charpentier avec moi, et aussitôt l’on entra en fonction[5]. »

II

Que vont-ils faire ? Ils vont entreprendre les travaux d’une installation qui, forcément, restera précaire. Comment déblayer le terrain, inextricable fouillis de hautes herbes et de broussailles ? Comment défricher ces forêts dont les arbres gigantesques s’entrelacent et se rejoignent de toutes parts ? Comment assainir les bas fonds et les marécages ? Avec quoi seulement tracer des routes ? Ils n’ont point d’animaux à leur service : un cheval triplerait leurs forces ; et peu d’instruments. L’énergie devra donc suppléer à tout. Dans une vallée proche de la mer, on abat des arbres. En une semaine, pensent-ils, nous couperons le bois suffisant pour la maison et pour la chapelle. Hélas ! cette semaine, ils la passèrent à faire des sentiers dans la forêt pour sortir les pièces abattues. Le P. Verjus admire de loin ces forêts vierges : « spectacle splendide » ; — mais, de près, il ne fait pas bon y travailler. Vous attaquez un arbre, il faut en couper six pour qu’il tombe, et, cependant, vous recevez sur le dos une pluie de fourmis rouges qui vous piquent et vous agacent, sans préjudice des moustiques qui vous dévorent. On se portait bien dans les commencements et on riait de bon cœur. Quand les bras se fatiguaient, on se disait que la maison ne serait pas longue à construire, la chapelle non plus, et que l’on vivrait sous le même toit que Notre-Seigneur. Cet espoir, bien des fois, leur remit en main la hache. Ils abattirent ainsi plus de cent cinquante arbres et ils les portèrent sur leurs épaules au sommet de la colline. Montalembert raconte que le moine Théodulphe, abbé de Saint-Thierry, près Reims, passa vingt-deux ans de sa vie à labourer, et qu’à sa mort, les paysans du voisinage suspendirent sa charrue dans leur église, comme une relique. « Noble et sainte relique ! s’écrie l’éloquent historien. Je la baiserais aussi volontiers que l’épée de Charlemagne ou la plume de Bossuet[6]. » Nous voulons espérer que les frères du premier apôtre de la Nouvelle-Guinée ont gardé, eux aussi, comme une relique, la hache du P. Verjus.

Quoi qu’il en soit, les hautes herbes, là-bas, entravent toute circulation. Elles atteignent deux ou trois mètres. Les Missionnaires songèrent donc, en même temps qu’ils abattaient des arbres, à faire des sentiers, sinon des routes. Ils commencèrent par une voie en zigzags, qui partait de la grève et montait à la colline. Les sauvages n’avaient jamais vu de chemin en lacets et ils riaient en regardant les travailleurs. « Missionnaire, disaient-ils, pourquoi ne fais-tu pas la route toute droite pour aller dans la vallée ? Ce serait bien plus court. » Quand tout fut nivelé : « Tu as bien pensé, Missionnaire ; ton chemin est plus long que notre sentier, mais il est moins fatiguant. » Et tous, depuis lors, suivaient le chemin du Missionnaire.

Les routes sont faites. Les arbres sont coupés et transportés. Il reste à creuser un puits. Ce n’est qu’après ce nouveau et rude travail que l’on pourra songer à construire la maison et la chapelle. Le P. Verjus choisit un endroit où aboutissent trois petites vallées. « Creusons, et le bon Dieu nous donnera de l’eau. »

Témoins de cette entreprise, les sauvages ne comprennent pas plus le puits, tout d’abord, qu’ils n’avaient compris le chemin en zigzags. De voir creuser ce grand trou, cela les faisait rire aux éclats. « Que veux-tu faire, Missionnaire ? — Je veux avoir de l’eau. — Mais, il n’y en pas ici. — Non, pas ici, mais là-dessous. — Qui te l’a dit ? — Personne ; mais tu verras ! » Et les sauvages branlaient la tête et ils continuaient de regarder. On creusa pendant une semaine. Ce fut une première couche de terre labourable, d’un mètre environ de profondeur ; puis un banc de terre glaise de quatre à cinq mètres. Sous la terre glaise on rencontra du gravier et du sable… L’eau jaillit, abondante et bonne. Les sauvages n’en revenaient pas et ils se disaient les uns aux autres : « Le Missionnaire voit loin ! »

III

Entre temps, le P. Verjus apprend la langue mot par mot, se fait un petit dictionnaire, et, surtout, soigne les malades. Dès les premiers jours, les sauvages, voyant qu’il avait des remèdes, accoururent en foule. Les uns étaient couverts de larges plaies, malpropres et mal soignées. D’autres avaient le feu dans le corps, — c’est ainsi qu’ils nomment la fièvre ; d’autres enfin toussaient de façon déchirante. À chacun, et avec, à défaut de langage, « force gestes pour explication », l’infirmier donnait son remède.

C’est principalement à la guérison des plaies qu’il s’appliqua. Sous ce climat brûlant, le sang se corrompt vite. Une égratignure, négligée et non couverte, s’envenime et produit l’inflammation de tout un membre. Les sauvages cautérisent les plaies des enfants avec des pierres rougies au feu. Imaginez le martyre des pauvres patients ! Comme ils ne savent pas soigner la plaie qui résulte de la brûlure, le remède est souvent pire que le mal. Avec de l’eau fraîche et de l’eau phéniquée, le P. Verjus en vint plus promptement à bout. Les sauvages comprirent que la propreté est un grand remède, et ils s’étonnaient de ne l’avoir pas deviné tout seuls. Si la maladie est interne, ils ont recours à la sorcellerie. On se réunit autour de la cabane, la nuit. Une femme prend des herbes, elle les mâche fort et longtemps ; puis elle rentre dans la maison d’un air mystérieux. Là, elle expectore sa mastication sur la partie malade et frictionne hardiment. Cependant, au dehors, les compagnons de l’empirique chantent une chanson lamentable sur un air plus lamentable encore. Si l’infirme a la fièvre, deux femmes entrent dans la hutte, et, prenant le malade, elles le pétrissent, littéralement, comme nous faisons de la pâte, des pieds à la tête. L’opération a pour but de chasser le principe morbide qui doit sortir par la bouche. Quand le patient est baigné dans sa sueur et brisé, il est, disent-elles, en voie de guérison, et elles se retirent. La bonté du P. Verjus pour les malades insensiblement lui attirait les cœurs. « Quand pourrais-je, écrivait-il, leur donner le grand remède[7], le saint baptême ? »

Ce n’est pas que, de temps en temps, les sauvages ne lui jouassent des tours. Un soir on lui déroba ses clefs. Le lendemain, c’était dimanche. Pas de clef pour ouvrir la chapelle portative. Point de messe. En désespoir de cause, le P. Verjus va se plaindre au chef. « Eh ! missionnaire, répond Raouma sans s’émouvoir, je sais bien que depuis hier tes clefs te manquent. C’est Coaé qui les a volées. » Coaé est un vieux qui demeure en face de la cabane des Missionnaires, au milieu des bananiers. Tandis que le P. Verjus travaillait au milieu de la vallée, Coaé s’était emparé du petit trousseau. « Comment, Raouma, reprit le Père, tu le sais et tu ne me le dis pas ! Tu n’es pas un chef ! » Un peu piqué, le sauvage crie à tue-tête du haut de la colline, en s’adressant à sa femme qui était de l’autre côté de la vallée. La femme répond sur le même ton et ce dialogue à distance continue assez longtemps. La conclusion fut celle-ci : la femme de Raouma avertira le vieux Coaé que son vol est connu du Missionnaire et qu’il ait à rendre les clefs sur-le-champ. Le voleur, un peu intimidé par tout ce ramage, fit porter le trousseau par son cousin Tooro ; puis, dans la journée, il aborda lui-même le P. Verjus. « Tu es mauvais, Coaé, lui dit le Père. Pendant deux jours, tu ne remettras par les pieds sur la porte du Missionnaire. » Coaé s’en alla tout confus ; mais, les deux jours écoulés, il revint et s’accroupit sur la porte comme si de rien n’était, avec un air de candeur admirable. En Nouvelle-Guinée, le voleur n’est coupable que s’il est pris, et, s’il l’est, dès qu’il a restitué, on le tient pour innocent.

IV

Après le chemin, après le puits, c’est le tour de la maison et de la chapelle. L’emplacement est merveilleux au sommet de la colline. La colline elle-même domine la moitié de Rabao. Elle ressemble assez à un camp retranché. Deux vallées, étroites et profondes, l’entourent à droite et à gauche et se réunissent en avant pour, de là, déboucher dans la mer. La vue est ravissante. Au sud-est, le port, un des plus beaux et des plus vastes de la Nouvelle-Guinée, puis la grande terre avec ses escarpements et ses montagnes qui, graduellement, s’élèvent jusqu’à treize et quatorze mille pieds. À l’ouest, la pleine mer, et, au nord-ouest encore, la Nouvelle-Guinée avec ses lointains vaporeux et fuyants.

On se met donc à l’œuvre ; mais bientôt les forces trahissent le courage. Il aurait fallu, pour résister à de pareilles fatigues, à ce travail forcé et prolongé, en plein et brûlant soleil, un régime abondant et fortifiant. Or, nos pionniers n’avaient de provisions que pour un mois à peine. Le Gordon, sitôt son arrivée à Thursday, devait revenir à Port-Léon, chargé de vivres. Un mois s’écoula et le Gordon ne revint pas. Alors ce fut le commencement de la disette. La viande d’abord, puis la farine, tout s’en alla. Il fallut se contenter des patates douces de Rabao. Mais cette nourriture était impuissante à soutenir les forces. Les Frères pâlissaient et défaillaient. La fièvre les minait. On peut dire qu’elle ne les quittera pas. L’île est donc malsaine ? Le P. Verjus ne le croit pas. Toutes ses vallées sont penchées vers la mer. Il y a bien, à l’est et au sud-est, une ceinture de palétuviers, où l’eau est stagnante à marée haute. Des miasmes s’en dégagent à marée basse. À l’ouest aussi, un large banc de corail exhale un mauvais air. Mais, plus encore que le banc de corail et les palétuviers, c’est le régime misérable auquel ils sont condamnés qui les exténue. Quoi qu’il en soit, « c’était, écrit le P. Verjus, une nouvelle épreuve que nous envoyait le divin Maître. Nous la lui offrîmes pour la conversion de notre chère Nouvelle-Guinée ». Devant l’insuffisance de l’alimentation, le Père pense au fusil et à la chasse. « Souvent, dit-il, nous eûmes l’occasion d’admirer la divine Providence. Lorsque tout nous manquait, le frère Salvatore, notre brave chasseur, revenait toujours avec plusieurs pièces de gibier, soit pigeons, soit poules sauvages ou perroquets. Mais lorsque, d’autre part, nous avions de quoi vivre, il avait beau battre la forêt, rien ne se présentait ou bien il manquait tous ses coups. » Tant que durèrent les munitions, on s’en tira ; mais la poudre s’épuisa, elle aussi, et le Gordon n’arrivait pas.

Un jour que les deux Frères étaient malades, le P. Verjus qui relevait lui-même d’une forte fièvre, se dit : « Il faut un peu de bouillon pour ces pauvres enfants. » Et il part à la chasse, à son tour. Pas d’oiseau dans les branches. Il revint à la cabane, un peu triste, se plaignant tout haut à Notre-Dame du Sacré-Cœur. « Bonne Mère, si c’était pour moi, je ne vous dirais rien ; mais il s’agit de ces pauvres enfants qui sont aussi les vôtres ! » La « bonne Mère » comprit. Le soir, une volée de perroquets s’abattit près de la hutte et deux restèrent sur place.

Il arriva que les trois Missionnaires furent au lit en même temps. Au lit !… « Au foin », disait le P. Verjus ; car, avec quoi se payer le luxe d’un lit ? Dans l’une de ces conjectures, le Père, moins malade ou plus courageux, remplit de tisane de chiendent un grand vase et le mit au milieu de la cabane. Chacun allongeait le bras et se servait comme il pouvait. Point de pot au feu, naturellement. « Système économique, disait un Frère, mais un peu bien débilitant. » Le P. Verjus appelait cela des « journées du bon Dieu », des « journées pour le Paradis[8] ».

Ce fut dans l’une de ces journées qu’un coup de vent renversa le toit de leur cabane. Nul d’entre eux n’avait la force de réparer le dommage. Ils se mirent en prière pendant quelques instants. Bientôt des sauvages, sans en avoir été requis, arrivèrent avec des feuilles de bananiers qu’ils vendirent pour un peu de tabac, et raccommodèrent eux-mêmes le toit. Heureusement ; car, cette nuit, la pluie fut abondante, et dans l’état de fièvre où ils étaient, que serait-il arrivé ?

Deux catéchistes noirs, protestants, Hénéré et Chima, eux aussi, furent bons pour les Missionnaires catholiques. Plusieurs fois ils les visitèrent et leur apportèrent des ignames et des patates. « Il me semble, écrit le P. Verjus dans son Journal[9], que ces pauvres catéchistes sont plus à plaindre qu’à blâmer. Ils sont parfaitement ignorants, pour des maîtres d’école… Tout ce qu’ils ont enseigné jusqu’ici, c’est qu’il ne faut pas travailler le dimanche. »

Cependant, avec le second mois, toutes les provisions d’Europe furent épuisées. Il fallut décidément et tout à fait se mettre « à la sauvage ». Bananes le matin, bananes et patates à midi, bananes le soir. Et plût à Dieu que ce régime continuât ! Mais, les objets de commerce qui leur servaient de monnaie s’épuisèrent à leur tour, et, comme les sauvages ne donnaient rien pour rien, les bananes elles-mêmes se firent rares.

Le P. Verjus montait souvent au sommet de la colline et il regardait du côté de la mer. Point de navire. Une fois, le cœur était plus triste et les pensées plus sombres. Le diable a tant fait, se disait le Père, pour nous empêcher d’aborder en Nouvelle-Guinée qu’il a sans doute résolu de nous faire mourir de faim. Il était perdu dans ces angoisses, quand une voile blanche se dessina dans le ciel. « Les larmes me vinrent aux yeux, écrit le Père. Mon émotion était grande. J’allais tombera genoux pour remercier Notre-Dame du Sacré-Cœur lorsque, regardant mieux cette voile qui approchait, je pus distinguer l’Ellangowan, le voilier des missionnaires protestants. » Le Père courut cependant à la maison, et, à l’entrée du bateau dans le port, il lui fit, avec le drapeau du Sacré-Cœur, les saints ordinaires de politesse, désirant aller à bord et lui remettre son courrier pour le P. Navarre lequel, sans doute combattait à Thursday pour secourir ses frères. L’Ellangowanne s’arrêta pas. Tout en marchant, il correspondit avec le catéchiste protestant qui l’avait accosté avec sa barque, puis il vira de bord et disparut.

Aux approches du 15 août, les trois religieux commencent une neuvaine pour obtenir du Ciel enfin quelque secours. Hélas ! ils ne sont pas au bout de cette cruelle épreuve. Le 14, dans l’après-midi, le Frère cuisinier dit au Père Verjus : « Père, il n’y a plus rien, absolument rien, pour ce soir et pour demain. — Comment cela ? Il n’y a que quelques jours, nous avons acheté des patates douces. — C’est vrai, Père, mais il n’en reste que trois ; après quoi, on pourra balayer la maison. — Que le bon Dieu soit béni ! Puisque nous voilà désespérés, c’est son affaire. Vous, frère Salvatore, récitez un Ave Maria, coupez quelques têtes de clous, puisqu’il n’y a plus de plomb, et partez pour la chasse. De mon côté, j’irai au village, et j’espère rapporter quelques fruits. » Chemin faisant, le pieux Missionnaire pria Notre-Dame du Sacré-Cœur de ne pas les laisser périr… Le Frère revint avec une poule et un perroquet, le Père avec un petit sac de patates. Ensemble, ils remercièrent leur chère bienfaitrice, et le lendemain, en grande liesse, ils firent fête.

Voici ce que nous lisons dans le Journal, à la date de l’Assomption : « Toutes les années, cette fête a été bonne pour moi. Cette année, je suis en Mission ; quel bonheur ! Il est vrai que la Croix du bon Jésus nous visite. Mes enfants sont malades et nos provisions s’épuisent. Encore quelques jours et ce sera la fin. Mon Dieu, malgré la terreur que cette pensée m’inspire, je suis heureux ; car maintenant plus que jamais, je suis entre vos seules mains. — Ce matin, j’ai bien prié. Ce soir, j’ai fait reposer mes enfants et, pendant ce temps, j’ai fait mon chemin de Croix. Nous sommes allés ensuite au bord de la mer pour y faire la lecture spirituelle et parler un peu de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Pour la première fois, aujourd’hui, son drapeau flotte à côté de celui du Sacré-Cœur. »

V

Quelques jours après, le Père jette le grand cri de détresse : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons[10] ! » Que faire ? Aller dans la grande terre, en pleine Nouvelle-Guinée, « chercher à manger ».

Au moment de partir, il est obligé de s’aliter, en proie à une fièvre qu’il ne peut maîtriser. « Mon Dieu, que d’épreuves ! Je suis au lit, mes deux Frères également, plus malades que moi peut-être. Domine, ad adjuvandum me festina. » Le 23, en la fête du Saint-Cœur de Marie, il écrit : « Je suis guéri, me semble-t-il. Les Frères vont mieux. Le bon Maître est admirable à nous donner jour par jour notre petite nourriture. C’est un miracle perpétuel, car nous n’avons absolument plus rien. » Puisque le bateau n’arrive pas, il faut aller sur la terre ferme et y acheter des provisions pour un mois.

Mais, deux difficultés se présentent. Point de barque et plus d’objets d’échange. D’autre part, les habits sont en lambeaux. Le frère Nicolas qui devait accompagner le Père, traîne aux pieds on ne sait quoi qui fut jadis une paire de souliers. Ses genoux passent à travers son pantalon. Son chapeau n’a ni forme ni couleur. Le P. Verjus est à peu près dans le même costume. Voilà pour les personnes. Comment s’embarquer ? Le chef Raouma avait bien vendu aux Missionnaires une vieille pirogue ; mais, s’il n’en avait plus la propriété, il s’en réservait l’usage. Or, précisément en ce moment où ils en avaient un besoin si urgent, Raouma avait pris la barque sans avertir et s’en était allé au loin, à quelque fête, avec toute sa famille. En attendant son retour, le P. Verjus s’est rendu chez le catéchiste Hénéré en vue de s’informer du mode et du lieu convenables pour avoir des provisions. Hénéré est absent. Son fils lui a fait présent de deux paquets de bananes. Enfin, Raouma est de retour. Le Père, après l’avoir chapitré d’importance, lui demande trois hommes pour l’accompagner à Bioto. Le marché est conclu. On arrange, comme l’on peut, les vêtements. On prépare la monnaie, c’est-à-dire les divers objets qui en tiendront lieu. Hélas ! il faut sacrifier une hache, une de leurs chemises, deux couteaux, un miroir, du tabac et quelques allumettes. Avec cela ils achèteront un porc, des bananes, des cocos et des taros.

Les Missionnaires sont prêts à partir, mais non les sauvages. « Le lundi, raconte le P. Verjus, Tooro était ailleurs. Le mardi, Aici n’était pas là. Le mercredi, Raouma était malade. » Le Père prend un ton sévère, et déclare qu’il s’en va chercher d’autres hommes. À cette menace, tout le monde est prêt, et le lendemain jeudi, l’on s’embarque par un beau temps et une mer calme. Laissons le P. Verjus décrire la pirogue et raconter l’expédition.

« Figurez-vous un gros tronc d’arbre, effilé des deux bouts, et creusé de manière à ne laisser qu’une épaisseur de bois de un à deux pouces. Sur ce tronc sont placées transversalement des perches, qui débordent beaucoup plus à droite qu’à gauche, et, sur ces perches, est adapté un plancher de bambou. Il y a donc deux plates-formes, l’une à gauche, qui n’a guère que 50 centimètres ; c’est là que se placent les rameurs, et l’autre à droite, qui a bien 1 m. 50 ; c’est là que l’on s’assied et que l’on dépose les bagages. Aux perches du côté droit est suspendue une petite poutre non creusée, qui sert de balancier. C’est grâce à elle que l’on peut se tenir sur la grande plateforme sans chavirer. À gauche sont les rameurs, qui rament tous du même côté, et, sur l’arrière, est un sauvage qui gouverne avec une rame. De temps en temps un enfant, avec une noix de coco, vide l’eau qui entre dans la barque. Quand le vent est favorable, ils posent deux perches dans la barque en forme de V, et, entre ces deux perches, ils adaptent une natte.

« C’est dans cet accoutrement que nous entreprîmes de remonter le fleuve Hilda, jusqu’au village de Bioto. Il y avait cinq heures que nous étions partis, et nous n’étions pas encore arrivés au fond de la baie ; mais, d’autre part, nous pouvions nous flatter de connaître toutes les sinuosités du port. Tout à coup, Raouma se déclare trop malade et incapable d’aller plus loin. Force fut alors d’entrer dans un petit cours d’eau qui conduit à la maison d’Abia, son ami. Il descendit, et nous continuâmes notre voyage. Vers une heure, nous arrivions dans la grande et unique embouchure des deux fleuves, Hilda et Ethel, qui a bien 100 mètres de largeur. Quel splendide spectacle ! Les eaux calmes, les deux rives parfaitement boisées et comme parfumées, mille oiseaux divers aux couleurs les plus brillantes chantaient en passant sur nos têtes ; des poissons par milliers, et aussi des crocodiles de toutes tailles nous regardaient passer. Nous traversâmes cette embouchure, et à peine eûmes-nous fait deux à trois cents mètres que nos sauvages, nous indiquant l’Ethel-River à notre droite, nous dirent : « Nicoura, Epa taïara, c’est-à-dire : Voilà la route pour les villages de Nicoura, Epa », etc. Puis, montrant la rivière de gauche, qui peut avoir plus de cinquante mètres de large : « Bioto taïara. Voici la route de Bioto. » Nous avions en effet, à notre gauche, l’Hilda-River, que les naturels nomment Bioto, du nom du village même où nous allions.

« Après des tours et des détours, la rivière devient large comme un grand fleuve et se bifurque en deux directions différentes. Le bras droit conduit à Inawaboui ; nous le laissons, nous promettant bien d’y faire un jour une excursion. L’autre bras conduit à Bioto ; c’est celui que nous prenons, en ayant bien soin de tenir notre frêle esquif au milieu de la rivière, car la marée descendait, le courant nous était contraire, et les arbres, couchés dans la rivière des deux côtés, commençaient à se montrer à fleur d’eau. En Europe, le premier qui eût rencontré un de ces arbres sur une rivière si fréquentée, l’aurait fait sauter avec sa hache ou autrement. Ici, pas du tout ; chacun pour soi… « Si je ne puis passer par la petite marée, disent les sauvages, je passerai par la grande… j’attendrai… et, pourvu que je passe… que les autres s’arrangent ! » Nous eûmes bientôt des preuves de ceci. Aux premiers arbres qui nous barrèrent le passage, nos sauvages descendaient sur les troncs et faisaient glisser la pirogue de l’autre côté. Mais ils se fatiguèrent vite de ce manège, d’autant plus qu’ils avaient grand’peur de laisser quelque jambe entre les dents des crocodiles.

« Arrivés à un kilomètre de Bioto, nous demeurâmes pris entre deux arbres. Il était cinq heures du soir. Les sauvages auraient voulu s’arrêter là près de six heures, pour attendre la haute marée ; mais, comme ils avaient faim, nous les décidâmes facilement à prendre la voie de terre. Deux d’entre eux allèrent en exploration et revinrent avec des bananes. C’était nous dire : Le village n’est pas loin.

« Ils nous portèrent donc à terre, et nous nous dirigeâmes, comme nous pûmes, à travers les herbes deux fois plus hautes que nous et les vieilles plantations de bananes. Après une demi-heure de chemin, on aperçut le village de l’autre côté de la rivière. On fit halte, nos sauvages s’assirent, prirent une noix de coco, râpèrent la noix avec un coquillage et s’oignirent tout le corps en s’aidant les uns les autres. Ils exhibèrent ensuite tous leurs ornements, et la toilette fut terminée. On s’avança alors en bon ordre, on passa de nouveau la rivière, et, sans mot dire, dans le plus grand silence, notre petite caravane fit son entrée dans le village.

« Une trentaine de maisons bien bâties, sur deux rangs, une rue large et bien ensablée au milieu, les deux bouts de la rue fermés par des monuments spéciaux qui attirèrent tout d’abord notre attention ; voilà le village de Bioto. Dans un de ces bâtiments, tout différents des maisons particulières, nous vîmes une réunion de vieillards. On avisa cet édifice, et, toujours en silence, s’aidant des pieds et des mains, on se hissa jusqu’au groupe qui avait attiré notre attention. « Amis, dirent nos hommes en s’asseyant, nous sommes vos amis. Ce blanc, c’est Mitsinari, « le Missionnaire. » Je m’assis alors gravement, et saluai tous ces anciens en leur demandant leur nom et leur faisant de petits présents de tabac, de perles, etc. Alors s’engagea la conversation. J’étais dans la maréa, maison de réception, où tous les étrangers ont le droit d’entrer, de dormir et d’être nourris. Tout le village était là, les hommes dans la maréa, les enfants sur les escaliers, et les femmes sur la place. Après avoir remercié tout le monde et dit combien nous étions heureux de voir les fils de Bioto, et combien nous trouvions beau leur village, je commençai à leur faire entendre le but de mon voyage, et surtout je répétai souvent avec emphase mes tarifs, c’est-à-dire les divers objets que je me proposais de donner pour ce que je leur demandais.

« Mais voilà qu’au moment où je m’y attendais le moins, on nous apporta les présents de bienvenue : cinq grands plats remplis de tout ce que les sauvages ont de plus délicat. Je fis semblant d’être ravi de la chose, car ils nous faisaient là le présent des chefs. Je goûtai un peu de tout et passai le reste à mes rameurs, qui en furent tout de bon ravis et en quelques instants firent tout disparaître. Eu renvoyant la vaisselle, je mis dans chaque plat un peu de tabac. On me trouva fort poli, et les hommes et les femmes exprimèrent leur admiration par de forts claquements de langue.

« J’aurais désiré faire les échanges tout de suite et partir dans la nuit même, à la haute marée ; mais les sauvages ne se pressent jamais, et je dus me résigner à passer la nuit à Bioto. Sous la maison on avait allumé un grand feu pour chasser les moustiques, mais la fumée devint insupportable et nos pauvres yeux, encore novices pour ce genre d’atmosphère, pleuraient, malgré nous, toutes leurs larmes. Les sauvages s’en aperçurent et firent mettre le feu de côté. Tout à coup, vers neuf heures, alors que la conversation allait grand train, elle tomba par enchantement. Une femme venue de Nicoura parlait toute seule à haute voix comme pour être entendue de tout le village. Elle annonçait la mort d’un habitant de Nicoura et en donnait tous les détails. Un silence mêlé de stupeur suivit le discours de la femme. Je fus très frappé de l’impression que fait sur ces enfants des bois la nouvelle de mort. Il était environ dix heures lorsque les sauvages commencèrent à se retirer les uns après les autres. Le silence se fit dans le village, nous étendîmes nos couvertures pour essayer de dormir, mais la nuit fut longue ; les moustiques, la fumée, et peut-être aussi les bâtons sur lesquels nous étions couchés, tout cela nous empêcha de dormir comme chez nous, et ce fut avec une vraie joie que je vis revenir le soleil. Dans la nuit, tout seul, j’avais fait une visite au village, les feux étaient éteints, je pus aller partout. Une maison perchée sur des pilotis de dix à douze mètres me frappa ; le lendemain j’en demandai la destination. On ne voulut pas me répondre. Il y a là quelque chose de mystérieux ; je soupçonne un temple ou quelque chose d’analogue.

« Vers sept heures, la rivière était pleine, à cause de la haute marée qui se fait sentir jusqu’ici ; je voulus partir, mais je n’avais encore rien obtenu. Les sauvages avaient bien envoyé les femmes aux plantations, chercher tout ce que je désirais, mais je n’en savais rien, et de plus, ce que je désirais davantage, était un peu de viande pour les deux frères Nicolas et Salvatore, un porc par conséquent, grand ou petit ; je ne voulais pas partir sans un individu de cette espèce. J’eus alors recours à une ruse. L’énumération des objets que l’on veut donner les tente beaucoup, mais les objets eux-mêmes les frappent davantage. Je fis alors dans la maréa une exposition, comme au bazar, de tous les petits riens que j’avais apportés. Oh ! alors tout le monde se mit en mouvement. On allait, on venait, on courait de tous côtés. Les hommes admiraient la hache ; les femmes les perles et le miroir ; les jeunes gens louaient le tabac et les couteaux. Enfin, l’enthousiasme fut tel qu’en moins d’une demi-heure, le porc, les bananes, les taros, les ignames et les cocos, tout était chargé sur la pirogue, et nous pouvions partir.

« Les adieux furent longs. Les femmes se retirèrent en me priant de ne pas oublier de revenir. Les hommes voulurent tous recevoir du Missionnaire une poignée de main, les enfants aussi. Je leur fis le cadeau du départ, un petit morceau de tabac à chacun, et tous, en le recevant, me disaient : « Reviens vite, Missionnaire, n’oublie pas Bioto ; sitôt que tu auras une barque blanche (un canot), reviens et porte beaucoup de tabac, beaucoup de chemises, beaucoup de hachettes, beaucoup de miroirs, et tu trouveras tout chez les fils de Bioto. » À leur grande joie, je leur promis de revenir, et même, un jour, de nous fixer au milieu d’eux. On s’achemina lentement vers la barbue : là, nouveaux saluts, nouvelles instances, et nouvelles promesses. Quelques-uns d’entre eux voulurent nous accompagner sur le fleuve. Ils nous laissèrent enfin, et nous descendîmes très vite avec la marée qui descendait aussi.

« Cependant le retour fut encore bien long. Arrivés dans le golfe, nous dûmes songer au vieux Raouma que nous avions laissé chez Abia, à Roro-Baïrara. Il nous fit attendre longtemps pour nous venir dire qu’étant encore malade, il ne pouvait partir et que, par conséquent, nous devions attendre là son rétablissement. Mais je n’entendais pas de cette oreille. Je fis comprendre à Raouma que, tout chef qu’il était, il faisait une grave faute en disposant à son gré du Missionnaire, et que j’étais disposé à partir sans lui. Il retourna alors chez Abia pour chercher son sac, puis me fit dire qu’il ne voulait plus partir. J’obligeai alors mes hommes à mettre la main aux rames, et cinq minutes après nous étions en haute mer. On hissa ma couverture de voyage comme voile, et vers huit heures du soir, nous touchions Rabao en remerciant Notre-Dame du Sacré-Cœur des grâces de la journée. »

La pensée qu’il y avait au logis une réserve de provisions fut pour le P. Verjus un allégement, mais non pas la fin des angoisses. La santé des Frères ne se refaisait point, et il craignait pour ses « pauvres enfants », comme il les appelle, la pire des maladies : le découragement. « La croix ! toujours la croix ! écrit-il dans son Journal[11]. Eh bien, vive la croix ! » Et, suivant son habitude, il se tourne vers la très sainte Vierge. Comme un petit enfant familier avec la meilleure des mères, il la nomme du nom le plus tendre : « Le pain manque, chère maman. Faites donc un de ces coups, comme vous savez en faire… Vos enfants sont sans souliers et tout à l’heure ils seront sans vêtements. Nous n’avons plus que des haillons. Bonne Mère, c’est votre heure[12]. » La Vierge semblait ne répondre aux appels de son serviteur que par un surcroît d’épreuves : « bonne Mère, est-ce donc ainsi que vous voulez nous exaucer ? Ce matin, le frère Nicolas garde le lit : fièvres, maux d’estomac, nausées, et le reste. Le frère Salvatore ne va pas mieux, et je pars seul au travail[13] ! » Le plus souvent, en effet, il était seul au chantier, élevant la nouvelle maison. Le 4 septembre, au soir, il a terminé une aile de la construction ; il se propose de la couvrir de manière à en prendre possession le jour de la Nativité. Mais, le bon Dieu, disait-il plus tard, ne fut pas de son avis[14]. Souvent il interrogeait la haute mer : il lui tardait d’avoir enfin des nouvelles du P. Navarre ; si bien que, le cœur et l’imagination aidant, toutes les pirogues qu’il apercevait, il les prenait pour des navires.

VI

Ce même soir du 4 septembre, il aperçut une voile à l’horizon. « Comme le cœur me battait ! écrit-il. Mère, voici votre secours[15] ! » Il remonte à la cabane et hisse le drapeau. Hélas ! c’était encore l’Ellangowan, le bateau de la mission protestante ; mais, cette fois, au lieu d’aller jeter l’ancre devant la maison du catéchiste Hénéré, il entre juste au beau milieu de Port-Léon. « C’est pour nous ! Je prends avec moi trois sauvages de notre pirogue, et en avant vers le voilier ! J’étais à peine à moitié chemin qu’une chaloupe se détache et vient vers nous. Voici les lettres, me dis-je. Il m’apporte au moins des lettres, sinon des Pères, et des provisions[16]. » Le Père fait halte. L’homme qui montait la chaloupe, se dresse et décline ses titres : « Je suis le capitaine Musgrave, secrétaire de son Excellence le général Scratchlez, gouverneur des colonies anglaises de Nouvelle-Guinée. » Le P. Verjus prie le capitaine de vouloir bien suivre la pirogue, et, à travers les rochers et les bancs de coraux, il le conduit à terre. A peine descendus : « Bonjour, Père Navarre, dit le capitaine. — Je n’ai pas l’honneur, monsieur le capitaine, répondit le P. Verjus, d’être le P. Navarre. Je ne suis que son représentant. » Et, tout en cheminant vers le sommet de la colline, le capitaine remet au Père une lettre du général qui disait en substance : « Je vous envoie M. le capitaine Musgrave avec plein pouvoir de traiter avec vous l’affaire de votre établissement en Nouvelle-Guinée… — C’est pourquoi, continua le capitaine, je vous conseille de suspendre vos travaux à Yule et de profiter des offres que vous fait Son Excellence d’aller vous établir sur la côte nord-est de la Nouvelle-Guinée, ou mieux encore dans les Louisiades : là, il n’y a aucune mission protestante. À cet effet, le général mettra en décembre un steamer à votre disposition pour visiter les côtes et choisir votre emplacement. Quand vous aurez arrêté votre choix, le steamer vous ramènera et sera de nouveau à votre disposition pour le transport de vos bagages en mars prochain. » À de telles ouvertures, la stupeur du P. Verjus fut grande et sa douleur profonde. Comment pourrait-il être question d’une fondation nouvelle, quand on a jeté dans les fondements de la Mission de Rabao tant de sueurs et tant de larmes ! Tout en parlant, le Père faisait visiter au capitaine les travaux entrepris : les routes, le puits, les constructions… Est-ce que tout cela ne compte pas ! Et ses deux compagnons malades, lui-même épuisé et ruiné !… Est-ce que tout cela peut être non avenu ! « Au surplus, monsieur le capitaine, je n’ai point qualité pour donner une réponse quelconque. Seul, le R. P. Navarre peut prendre la parole. Sans lui je ne puis rien, sinon vous dire que l’abandon d’Yule serait pour nous un sacrifice immense. » Sir Musgrave paraissait embarrassé. « Ce n’est pas un ordre du général, dit-il, mais un conseil. Suspendez vos travaux… Vous n’aurez rien à regretter. » Au courant de la conversation, le capitaine avoua au P. Verjus qu’on avait jeté les yeux sur l’île pour y établir une ferme-modèle d’après les plans de l’explorateur italien, Louis d’Albertis. Le Père répondit que justement ces vues étaient celles du P. Navarre. Avec le temps on ouvrira des écoles, des orphelinats et même des hôpitaux. Des religieuses viendront en aide aux Missionnaires. À ce nom de religieuses : « Vous avez donc aussi des Sœurs ? demanda le capitaine. Est-ce qu’elles ne pourraient pas venir à Port-Moresby ? — Assurément, lorsque nous nous y établirons nous-mêmes. Jusqu’ici nous n’avons pas voulu aller à Port-Moresby, afin de ne point porter ombrage aux protestants. Quand le P. Navarre m’a envoyé ici, il ignorait la présence d’un « teacher » sur la côte ». Le capitaine fut très poli et même bienveillant. Cependant, le P. Verjus comprit que le départ des Missionnaires était irrévocablement décidé.

Le lendemain il alla faire visite à sir Musgrave à bord de l’Ellangowan. Il lui demanda de l’emmener à Port-Moresby. Le plan du Père était de se ravitailler là : car, les provisions allaient manquer de nouveau ; de parler au général, d’écrire au P. Navarre, et de revenir à Yule (Rabao) attendre la réponse. Le capitaine ne consentit point tout d’abord à ce voyage. Craignait-il, comme le P. Verjus le suppose, que le contact trop immédiat des Missionnaires catholiques avec les « teachers » protestants ne lui suscitât quelques difficultés ? L’hypothèse n’a rien d’invraisemblable.

Le 5 septembre, le P. Verjus écrit dans son Journal : « Que la foi est une belle chose ! Si nous n’avions pas travaillé et souffert pour la plus grande gloire du Cœur de Jésus, on dirait de nous maintenant : In vanum laboraverunt… Cœpit ædificare et non potuit consummare[17]. Ce matin, j’avais à peine célébré la sainte messe, recousu un peu mes souliers et mes pantalons, que le capitaine Musgrave est venu me surprendre. « Je viens avant l’heure, me dit-il ; parce que j’ai pensé que vous n’aviez pas de barque. Je voulais aussi vous demander le total de vos « dépenses dans cette fondation. » Puis le capitaine montre au Père une carte de la Nouvelle-Guinée où les stations protestantes étaient marquées en rouge. Après quoi, il lui donne lecture d’une lettre d’un M. Lawes, chef de la Mission de Port-Moresby, où l’on assure expressément que Yule appartient aux protestants, vu qu’il y avait un teacher dans l’ile, depuis quelques années. Enfin, il lui fait part d’une proclamation de la reine relative à l’annexion de la Nouvelle-Guinée. Au nom du général, solennellement, il attire l’attention du Père sur le dernier paragraphe où toute acquisition de terrain, faite dans les limites du protectorat sans l’approbation de la reine, est nulle. Le P. Verjus remet alors au capitaine une réponse provisoire pour le général Scratchlez. La conclusion de ces longs pourparlers fut que, dans dix jours, le capitaine Musgrave enverrait au Père un bateau pour le conduire à Port-Moresby. De là, si, après une entrevue avec le général, le Père voit la nécessité de conférer avec le P. Navarre, il monterait sur le vaisseau de guerre qui l’ait le service entre la Nouvelle-Guinée et Townsville. Le Père accompagne le capitaine à bord de l’Ellangowan. Sir Musgrave, qui avait vu de près l’extrême indigence des Missionnaires, leur donna des provisions qu’il paya sans doute de son argent. Le P. Verjus prit congé et s’en retourna à sa cabane le cœur brisé et des larmes plein les yeux.

VII

Sir Musgrave avait dit au Père, en le quittant : « Dans dix jours je vous enverrai un bateau qui vous conduira à Port-Moresby. » Les dix jours passèrent ; les provisions s’épuisèrent, et le bateau ne vint pas.

Le 16 septembre, c’était la fête du chef de l’île. On y était venu des villages environnants, des villages lointains et des montagnes. Il y avait même des natifs de Motou-Motou, point extrême vers le nord où s’arrêtaient les connaissances géographiques des sauvages de Rabao. Enfouie, avant l’ouverture de la fête, on visita le Missionnaire et on se réjouissait fort en apprenant qu’il assisterait au mawarou. Tous les étrangers déjà le suppliaient d’aller un jour chez eux, et bientôt.

Cependant, le soir tombait. Le Père avait préparé un discours qu’il devait prononcer dans la nuit ; car, entre les danses, plusieurs orateurs prennent la parole. Les indigènes disent que les cocos sont bons, que les haches de fer coupent mieux que les haches de pierre, que les gens de tel village sont leurs amis et les gens de tel autre leurs ennemis. Le Père leur aurait annoncé la bonne nouvelle du royaume de Dieu et raconté le bien qu’il leur apportait, avec la Croix et le Cœur de Jésus, pour leurs corps et pour leurs âmes… Déjà on avait fait l’offrande d’usage : cocos et bananes, à laquelle les Missionnaires avaient répondu par une copieuse distribution de tabac. Les enfants, parés et parfumés, sautaient de joie. Les hommes achevaient de se barbouiller la figure avec de l’ocre jaune et de l’huile de coco. Les femmes revêtaient leurs plus beaux ornements : colliers blancs et colliers noirs, houppes de perroquets, oiseaux de paradis. La fête allait commencer, lorsque, tout à coup, un sauvage signale en mer l’Ellangowan. Le P. Verjus fait aussitôt son cadeau au roi, lui expose, avec les raisons qu’il a de partir, tous ses regrets de ne pouvoir assister à la fête, et il court au port. Le capitaine du bord lui remet une lettre du général pour le R. P. Navarre et un mémorandum. Sir Musgrave écrit au P. Verjus, dans une lettre particulière, que l’Ellangowan était à sa disposition pour aller, non plus à Port-Moresby, comme c’était convenu d’abord et comme le Père l’eût tant désiré, mais à Thursday directement.

Que fera le P. Verjus ? Son âme est en proie, comme jamais elle ne le fut, à toutes les perplexités. Écrire au P. Navarre, et demeurer à Yule, quand même et malgré tout, y combattre, y mourir, c’était, à première vue, ce qui lui semblait le devoir et ce qui répondait le mieux à sa nature ardente ; mais à quoi aboutirait une lettre en ces graves conjonctures ? Aller seul à Thursday ? Mais, que vont devenir les Frères, toujours malades, un peu aigris par les privations, inexpérimentés, sans vêtements et sans nourriture ? Le capitaine de l’Ellangowan a déclaré qu’il ne pouvait rien céder des provisions du bord. De plus, s’il va seul à Thursday, qui le ramènera ? Car il est impossible qu’il ne revienne pas… Et pourtant, s’il ne revenait pas, qui ramènerait les Frères et tout le matériel de la Mission ? D’autre part, il ne peut envoyer les Frères et demeurer seul : c’est évident. Reste un dernier parti, le plus douloureux et en même temps le plus raisonnable : s’en aller à Thursday avec ses Frères et emporter les pauvres bagages. Au premier mot du P. Navarre, ils reviendront, coûte que coûte, à travers tous les périls, à la conquête de ce nouveau monde. « Mon Dieu, vous voyez mon cœur. Que tout soit pour votre plus grande gloire et ma plus grande confusion[18] ! »

VII

Le 17, au matin[19], les trois Missionnaires font une visite de cabane en cabane et disent au revoir à leurs chers sauvages. Le P. Verjus a confié la maison et son petit mobilier au chef en personne. Raouma a pris le dépôt sous sa sauvegarde, moyennant, si le dépôt reste intact, une hachette et du tabac que le Missionnaire lui a promis pour son retour prochain. « Quel crève-cœur, écrit le Père, de fermer notre petite cabane !… Enfin, Dieu voit tout. Cela suffit[20]. » Un peu après midi, on descend au port. Le P. Verjus pleurait. Le catéchiste Hénéré, lui-même, était fort triste de ce départ et il ne cachait point sa peine. « Voilà cependant, disait le P. Verjus, ceux que l’on nous accuse de gêner ! » Des sauvages étaient sur la grève et, eux aussi, pleuraient. Les mariniers émus faisaient entre eux cette remarque : « Ces pauvres gens voient bien quels sont leurs vrais amis. » — « Missionnaire, disaient les sauvages, pourquoi laisses-tu Roro ? » Et ils faisaient promettre au Missionnaire de revenir bientôt. Enfin, la barque se détache du rivage ; mais ils ne voulaient pas quitter le Père. Ils entrèrent dans l’eau, dirigeant eux-mêmes la pirogue, et ils répétaient : « Reviens, Missionnaire ! Reviens vers tes enfants de Roro. — Reviens bientôt, je t’en supplie ! criait le vieux chef Raouma, tout en larmes. Reviens bientôt ! Je suis triste de ton départ et je veux te revoir… » Les femmes et les enfants sanglotaient. De grosses larmes silencieuses coulaient sur les joues des hommes. Puis, quand l’eau devint trop profonde et qu’ils ne pouvaient plus suivre la barque : « Reviens, Missionnaire ! criaient-ils encore de loin. Reviens ! N’oublie pas tes fils de Roro. » Et ils restaient là, faisant des gestes d’adieu. « Jugez, écrit le P. Verjus, si nous étions émus : ces pauvres sauvages dans l’eau jusqu’à la ceinture ; l’île, cette chère île, qui s’éloignait ; et notre pauvre cabane que nous voyons là-haut, comme plongée, elle aussi, dans la douleur ! Tout cela nous occupa tellement le cœur et l’esprit que nous prîmes à peine garde à l’embarquement. On leva l’ancre quelques instants après, et il fallut dire adieu à notre Terre Promise ! »

IX

Pendant que se jouait à Port-Léon cette sorte de drame déchirant, que devenait, à Thursday, le P. Navarre ? Depuis le départ du P. Verjus et de ses compagnons, il attendait le retour du bateau. Il comptait les jours et supputait les vents et la marée. Souvent lui et ses Frères regardaient du côté du port. Ils gravissaient même la colline pour sonder la mer, avec la longue-vue, dans la direction de Yule. Plus de quinze jours s’étaient écoulés et le Gordon ne paraissait pas.

Un jour, enfin, qu’ils étaient occupés à terminer dans leur église les travaux d’intérieur, les matelots du Gordon vinrent les surprendre. Les nouvelles qu’ils apportaient étaient bonnes : les sauvages avaient fait aux Missionnaires un accueil favorable ; on avait élevé une première maison en paille ; le P. Verjus est content ; il insiste seulement pour que le bateau retourne le plus tôt possible ; car ils n’ont de provision que pour, à peine, un mois.

À ce récit, toutes les appréhensions du R. P. Navarre tombèrent. Son cœur débordait de joie. « Nous avons pris possession, disait-il, de la Nouvelle-Guinée. La Providence a bien conduit toute chose. Jamais nous n’abandonnerons cette Terre Promise. » Et, au plus tôt, il charge le bateau de provisions. Mais, au moment du départ, surgissent de nouveaux obstacles. Les matelots ne se souciaient pas de recommencer l’aventure. Cependant, ils aimaient le P. Verjus qui avait été pour eux comme un père et qui, comme eux, parlait espagnol. Le P. Navarre leur représente que, par leur faute, le P. Verjus allait peut-être mourir de faim. Au fond, vraisemblablement, ils avaient peur de la fameuse loi, que le lecteur n’a pas oubliée sans doute, et qui interdisait tout voyage en Nouvelle-Guinée. Enfin, sur les objurgations et supplications du P. Navarre, ils demandent qu’un Frère les accompagne. Le Frère le plus apte à les fortifier et à les diriger était le frère Giuseppe de Santis ; mais il souffrait si violemment du mal de mer sur les grands bateaux que le P. Navarre hésitait à lui proposer d’accompagner les Manillois. Mais le bon Frère avait tout compris : « Mon Père, dit-il au supérieur, je vois combien votre embarras est cruel… Vos inquiétudes sont poignantes. Nos confrères vont manquer de tout. Si vous le permettez, je partirai ! » Et, sans l’autorisation du maître du port, le Gordon reprit le chemin de Rabao. Une fois encore, le P. Navarre rendit grâce à la Providence.

Mais, voilà qu’au bout de huit jours le bateau rentre à Thursday Qu’est-ce à dire ? En si peu de temps on n’a pu faire le voyage d’Yule aller et retour. Pedro, le capitaine, raconte au P. Navarre que, pendant une nuit sombre, il avait dû se mettre à l’abri derrière Long-Island. Le vent violent et la mer en fureur faisaient danser le bateau comme une coque de noix. L’ancre se brisa. Impossible de résister au courant. Impossible de se diriger dans la nuit noire. Poussé par la rafale, entraîné par la force irrésistible des vagues, le Gordon, deux fois, heurta les écueils. S’il n’eût été revêtu de lames de cuivre et d’une ossature à toute épreuve, il aurait sombré. Ils étaient depuis longtemps en proie à la tempête, quand, derechef, le bateau se précipite de l’avant contre un rocher et plonge. Le Frère et les matelots poussent des cris vers la sainte Vierge. Le Gordon se relève ; il n’a plus que deux voiles ; mais, c’est assez pour voguer. Il file à toute vitesse et, au matin, il entrait à Thursday.

Le P. Navarre, moins fâché de la perte de l’ancre que désolé d’un contre-temps dont ses pauvres confrères de Nouvelle-Guinée pouvaient être victimes, se hâta de réparer le bateau et de le pourvoir d’une ancre neuve. On était au 6 septembre. Maintenant, partez et volez au secours des Missionnaires !

Hélas ! de nouvelles difficultés, venant cette fois des étrangers et des mariniers eux-mêmes, et dont nous ne trouvons le détail ni dans les papiers du P. Verjus ni dans les notes du P. Navarre, retardèrent encore le départ. Le 7, tout était prêt. L’équipage voulut passer le 8 au port. Le lendemain, le surlendemain, il est encore là. Enfin, le 10, muni de toute autorisation officielle, il se décide ; on aurait pu encore, d’après les calculs du P. Verjus, avec de la bonne volonté, arriver à temps ; elle manqua. Le Gordon rencontra en mer l’Ellangowan qui ramenait le Père malade et les deux Frères plus morts que vifs. Quelle rencontre ! Le P. Verjus en avait eu le pressentiment. Écoutons-le racontant lui-même cet épisode émouvant :

« Le 16, vers midi, je vis une voile à l’horizon. Le bateau venait dans notre direction. On regarde la carte. « L’endroit est trop profond, dit le capitaine ; ce bateau n’est pas « là pour la pêche… Il va en Nouvelle-Guinée !… » Je priai alors de virer un peu du côté du bateau qui était sur notre gauche. On vire, en effet, et, après quelques manœuvres, on fut assez près pour parler. « Où allez-vous ? cria le « capitaine. — À Yule-Island », répondirent les Manillois. Mais le capitaine comprit Murray-Island pour Yule-Island. « C’est bien, s’écria-t-il, passez votre chemin », et il mit de nouveau le cap sur Thursday ; mais, moi qui avais bien entendu, et qui, de plus, avais reconnu le Gordon et Pedro, notre capitaine, je protestai énergiquement. Le capitaine de l’Ellangowan, qui se croyait sûr de son fait, fut un peu choqué, et ce n’est que sur de nouvelles instances qu’il consentit à un nouvel abordement, en y mettant pour condition qu’il parlerait le premier, et en anglais. On vira encore une fois, et, dès que, de nouveau, le Gordon fut près de nous : « Où allez-vous ? cria le capitaine. — À Yule-Island, « répondit alors Pedro qui put me reconnaître. Je vais porter des provisions au Père. — C’est bien, me dit alors le capitaine ; parlez vous-même maintenant en espagnol. » Je dis alors à Pedro de rebrousser chemin et d’aller pour la nuit stopper à Darnley. Nous ne pouvions plus nous entendre ; je me réservais de tout dire à Darnley même, où, d’après l’avis antérieur du capitaine, nous devions, nous aussi, passer la nuit. D’un côté, j’étais heureux de cette rencontre providentielle ; car, je me proposais de revenir avec le Gordon, sitôt mon entrevue terminée. Je comptais aussi et désirais beaucoup avoir les lettres du P. Navarre, qui eussent pu modifier l’état présent des choses. Mais, nouvelle déception ! Le capitaine de l’Ellangowan, qui m’avait assuré quelques heures auparavant devoir passer la nuit à Darnley et sur la parole duquel j’avais donné des ordres à Pedro, changea de résolution tout à coup, et, hissant le drapeau de la Mission, il cria au Gordon de le suivre. Il voulait stopper plus bas, à York-Island. Mais Pedro ne comprit pas ; il s’en tint à nos paroles et s’en alla droit sur Darnley. On passa donc la nuit à York, où demeure Mosby, qui nous a si gracieusement prêté le Gordon pour notre premier voyage. J’aurais bien désiré lui faire une visite ; la chose fut impossible ; mais lui, qui nous avait reconnus avec une longue-vue, en fut très fâché, et ce n’est que dans la suite que je puis lui faire mes excuses et lui dire combien j’ai moi-même regretté de ne pouvoir descendre au moment de mon passage. En attendant, le Gordon était à Darnley, et il y serait encore, malgré les signaux qu’on lui fit de nuit avec des fusées, si la faim ne l’eût fait revenir une semaine après.

« Le lendemain 17, on leva l’ancre de York-Island, et, vers, six heures du soir, nous étions à Thursday. »



  1. Journal, 4 juillet.
  2. Lettre à son frère, 12 juillet.
  3. 10 juillet.
  4. Journal, 7 juillet.
  5. Lettre au T. R. P. Chevalier, du 3 novembre 1885.
  6. Les Moines d’Occident, 5e édition, t.
    II
    , p. 445.
  7. Journal, 23 juillet.
  8. Journal, 11 et 14 juillet.
  9. 13 juillet.
  10. Journal, 18, 19 juillet.
  11. Le 2 septembre.
  12. Journal, 3 septembre.
  13. 4 septembre.
  14. Lettre au T. R. P. Chevalier.
  15. 4 septembre.
  16. Journal, 4 septembre.
  17. Ils ont travaillé en vain… Il s’est mis à bâtir et n’a pu achever son ouvrage.
  18. Journal, 16 septembre.
  19. C’est par erreur que l’on a imprimé le 15 dans les Annales de Noire-Dame du Sacré-Cœur.
  20. Journal, du 17 au 22 septembre.