Monsieur de l’Étincelle, tome II/Chap VIII

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CHAPITRE VIII.


Il fait bon avoir des amis un peu partout. — Bonne
recommandation vaut bonne conduite.




He must be one with manners like her own,
His life unquestion’d, his opinion known ;
His stainless virtue must all tests endure,
His honour spotless, and his bosom pure ;
She no allowance made for sex or times,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
He at all times his passions must command,
And yet possess — or be refus’d her hand[1].

Crabbe.


Paul, quelque amoureux qu’il fût devenu à la première vue, ne se dissimula pas qu’il devait s’imposer une grande discrétion à l’égard de sa belle cousine, et qu’on ne lui permettrait pas d’aller souvent parler d’amour dans un pensionnat. Il eut donc la patience d’attendre toute une semaine avant de retourner chez madame Duravel. Madame Duravel y était cette fois, et ce fut elle qui lui dit qu’Isabelle prenait une leçon : il eut l’hypocrisie de ne pas paraître très contrarié, de prétendre même qu’il n’était pas fâché de consacrer une partie de sa visite à la grave institutrice dont il avait trop entendu vanter l’esprit et la bonté pour ne pas désirer le plaisir de sa conversation, puisqu’elle daignait l’inviter à s’asseoir et à causer avec elle.

Madame Duravel lui répondit gracieusement qu’elle avait elle-même ouï parler très avantageusement de M. Paul Ventairon, et qu’elle avait bien regretté d’être sortie la semaine précédente lorsqu’il était venu voir sa cousine. Après ces mutuels compliments, commença l’interrogatoire dont madame Babandy avait prévenu son neveu. Madame Duravel y procéda avec adresse. Habituée qu’elle était à sonder les consciences et à examiner les progrès intellectuels des jeunes demoiselles qui ont bien autant de finesses et de détours, quand elles veulent, qu’un jeune avocat, elle ne craignit pas d’entrer en discussion avec le nôtre. Elle était un peu bel-esprit, comme toutes les institutrices qui se piquent de savoir leur métier ; elle se croyait surtout très forte dans la dialectique, et se flattait de connaître le cœur humain aussi bien qu’un confesseur. Catéchisé par madame Babandy, Paul chercha d’abord à placer à propos une ou deux remarques judicieuses qui prouvèrent à madame Duravel qu’il n’était pas un sot, et puis il eut l’humilité de paraître se défier de son inexpérience et de déplorer sérieusement qu’un jeune homme ne pût pas se mettre sous la tutelle d’une seconde mère avant d’entrer dans le monde ; une institutrice seule pouvant compléter l’éducation des colléges et des écoles de droit, ce qui équivalait à peu près à dire que, dans notre système universitaire, on devrait introduire des pensions de demoiselles pour les hommes ; mais Paul Ventairon se garda bien d’exprimer son idée par cette formule bouffonne ; aussi elle eut du succès auprès de madame Duravel, et il lui sembla que cette dame n’approuvait pas moins le bon sens que l’esprit du cousin de son Isabelle. Comme il ne parla pas trop et qu’il la laissa briller, condescendance qui, selon lui, devait avoir son prix de la part d’un jeune avocat, il fut invité à venir demander des conseils si jamais il en avait besoin. La seconde mère d’Isabelle n’en était pas avare, et c’était ce qui avait peut-être impatienté dans le temps une grande pensionnaire comme madame Babandy : aussi déjà commençait-elle à en distribuer libéralement au docile Paul, lorsque la cousine entra, et l’entretien dut changer.

— Voilà ma fille, dit madame Duravel en souriant ; elle vient de prendre sa leçon d’espagnol… Voici ton cousin, petite ; dis-moi si ton maître est encore dans sa chambre ?

— Non, maman, le voilà qui traverse la cour.

— Eh bien ! je te laisse et je vais lui parler, reprit madame Duravel, dont la confiance alla jusqu’à faciliter ainsi un premier tête-à-tête à M. Paul ; mais celui-ci, tout en baisant la main de sa cousine, ne put s’empêcher de regarder par la fenêtre dans la cour pour voir si le maître d’espagnol était jeune ou vieux…. Les cousins amoureux ont nécessairement un peu de curiosité…… Paul crut reconnaître le don Antonio Scintilla de la diligence, l’ami du généralissime Mazade.

— Êtes-vous déjà forte en espagnol ? demanda-t-il à Isabelle.

— Pas très forte encore, répondit-elle ; il n’y a pas huit jours que j’ai commencé cette langue. Avez-vous appris l’espagnol, mon cousin ?

— Non, ma cousine, mais j’ai toujours eu envie de l’apprendre, et aujourd’hui plus que jamais. Je préférerais votre maître à tout autre. — Savez-vous son adresse ?

— Je doute qu’il veuille augmenter le nombre de ses leçons ; du reste, il loge dans la pension même, et vous le connaissez ; il nous a dit avoir voyagé avec vous depuis Lyon.

— Quoi ! ce serait don Antonio de Scintilla ?

— Lui-même.

— Ah ! c’est un homme fort distingué, instruit, de bonnes manières, qui cause fort bien et en bon français même, un peu grave, qui rit quelquefois cependant. Venait-il donc à Paris pour être maître de langues ? Je l’ai aimé tout d’abord. Je le croyais un colon riche. Je serais désolé qu’il fût réduit à cet état par suite des torts de la fortune.

— Je crois, dit Isabelle, qu’il l’a choisi plutôt par goût que comme un moyen d’existence… N’est-ce pas, bonne maman ? nous parlons de mon maître d’espagnol, ajouta Isabelle en s’adressant à madame Duravel qui reparaissait en ce moment… Mon cousin désirerait lui demander aussi des leçons.

— Je doute que M. Scintilla, dit madame Duravel, consente à prendre un grand nombre d’élèves. Cependant il nous a parlé de monsieur Paul en des termes si flatteurs que, par amitié, il pourrait faire une exception en sa faveur. M. Scintilla est un philosophe fort retiré qui n’est venu dans notre maison que pour y vivre obscur et oublié du monde ; ce serait le désobliger que d’aller le préconiser au milieu des salons, et Dieu sait cependant s’il y a dans aucun pensionnat, que dis-je ? dans aucune académie, un professeur capable d’enseigner comme lui, non seulement l’espagnol, mais encore la géographie et les mathématiques.

— Et l’histoire, et la botanique et la chimie ! ajouta Isabelle.

Je ne m’étonne plus, pensa Paul pendant ce panégyrique, si madame Duravel m’a si bien accueilli ; j’avais été recommandé par le flambeau de son pensionnat ; et moi qui croyais avoir tout à l’heure conquis par ma seule éloquence ses bienveillantes dispositions ! Soyons plus modeste, et surtout soyons reconnaissant envers mon ami don Antonio, que j’avais un peu oublié depuis huit jours.

— Madame, dit-il à l’institutrice, je disais justement à ma cousine que je m’estimais heureux d’avoir voyagé avec cet homme remarquable qui a daigné m’honorer de son amitié. Je doute en effet qu’il y ait à l’Institut un savant de sa force, et j’ai gardé des notes sur tout ce que j’ai appris dans sa conversation. Il paraît trop sérieux peut-être au premier abord, mais c’est la douce gravité des sages qui n’exclut pas une gaieté aimable dans l’occasion. Je respecterai toutefois sa retraite et ne l’importunerai pas souvent, quoique je tienne à le visiter de temps en temps pour cultiver une sympathie qui flatte ma vanité de jeune homme. À quelle heure peut-on le voir sans être trop indiscret ?

— Il vient d’être obligé de sortir pour affaires, répondit madame Duravel, et il m’a chargé de vous en exprimer son regret, vous sachant ici, mais il reste assez généralement chez lui toute la matinée ; venez de meilleure heure la semaine prochaine.

— À bon entendeur, salut. On ne veut me voir que tous les huit jours, pensa Paul, qui pesait les moindres mots échappés à celle qu’on lui avait désignée comme l’arbitre de sa destinée.

On ne parla pas que de don Antonio sans doute dans cette seconde visite de Paul à sa cousine. Cependant quand sonna la cloche des études et qu’il fallut prendre congé de la savante institutrice et de son élève favorite, ce qui préoccupa le plus Paul, ce fut de joindre le philosophe espagnol pour s’en faire un ami. Il alla donc faire une visite intéressée au général Mazade qui le lui avait fait connaître, et eut la mortification d’apprendre que celui-ci était parti le matin même pour une excursion de cinq à six jours en Normandie.




  1. L’homme de son choix devait avoir les mêmes mœurs qu’elle, une vie à l’abri de la censure, des opinions connues, une vertu à toute épreuve, un honneur sans tache, un cœur pur ; elle n’accordait rien au sexe ni aux circonstances……. En tout temps il devait commander à ses passions, ou elle lui refuserait sa main.