Monsieur de l’Étincelle, tome II/Chap XIII
Behold, there stand the caskets, noble prince :
If you choose that where I am contain’d,
Straight shall our nuptial rites be solemnized ;
But if you fail, without more speech, my lord
You must be gone from hence immediately[1].
Paul se mit en route, à la recherche de son portefeuille, et sa seconde visite le conduisit à la pension d’Isabelle. Ce fut madame Duravel qui le reçut. — Je vous attendais, dit-elle ; vous venez chercher le portefeuille que vous avez laissé tomber hier dans la cour, et qu’une de ces demoiselles a ramassé. J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je l’ai ouvert, pour tâcher d’y découvrir par quelque adresse de lettre à qui il pouvait appartenir ; mais je ne vous garantis pas que vos secrets aient été religieusement respectés par l’espiègle à qui vous devez cette restitution…. Cependant il est une lettre dont le cachet est resté intact, ajouta l’institutrice avec une petite moue à la fois sévère et ironique.
Paul se souvint qu’avec le papier sous enveloppe, le portefeuille contenait le premier billet par lequel la danseuse l’invita à dîner.
Allons ! pensa-t-il, me voilà mis à l’index de la pension parce que la scrupuleuse madame Duravel suppose que j’écris des billets doux à mademoiselle Maria Balai et que j’en reçois d’elle. La célébrité de ce nom a franchi la porte du pensionnat ; voyons jusqu’à quel degré je me suis compromis dans la bonne opinion de la grave matrone, et faisons-lui une confidence qui me justifie.
— C’est justement ce pli cacheté, dit Paul, qui m’a fait apercevoir que j’avais égaré mon portefeuille. Il n’y a qu’un nom sous cette enveloppe, mais c’est le mot d’une énigme qui décidera de la destinée de trois personnes lorsqu’il sera connu.
— Mais le mot de cette énigme, vous le connaissez, vous, monsieur Paul ?
— Non, madame, et cependant c’est moi qui l’ai écrit.
— Autant dire oui et non.
— Oui et non en effet. C’est une histoire qui a bien amusé ma tante et que je veux vous conter, madame.
— Pardon, monsieur Paul, mais sans pousser la dignité d’institutrice jusqu’à un ridicule rigorisme, permettez-moi de vous demander si je puis écouter dans le salon d’une pension de demoiselles une histoire dont une danseuse de l’Opéra est l’héroïne, à en juger par les noms écrits de votre main, pour servir de suscription à cette lettre…
— Fort bien, se dit Paul, j’ai contre moi un janséniste en jupe, mais peut-être n’est-ce qu’une ironie ; continuons. Et il raconta l’histoire de mademoiselle Maria comme la chose la plus simple du monde, en appuyant beaucoup sur la réputation de vertu de sa compatriote ; mais plus il célébrait les bonnes mœurs de la danseuse, plus madame Duravel se disait tout bas que notre jeune avocat la régalait d’un roman de sa façon. On sait que s’il est un lieu au monde où l’on ne puisse pas croire à la sagesse des actrices, c’est dans un pensionnat de demoiselles. Paul comprit qu’il aurait plus que jamais besoin des bons offices de son ami don Antonio de Scintilla, et il ne remporta pas son portefeuille avant d’avoir été lui rendre une visite. Le grave maître d’espagnol ne put s’empêcher de sourire des soupçons de madame Duravel, et promit de se faire garant à l’occasion de la bonne conduite de notre jeune avocat, sinon de celle de la danseuse dont il n’était pas aussi sûr. « J’ajouterai même, mon cher Paul, dit-il, au risque de faire un peu le mentor, que le salon d’une princesse de théâtre n’est pas précisément celui que je voudrais voir fréquenter à un stagiaire. Les coulisses sont encore plus dangereuses, et si vous m’en croyez, votre curiosité une fois satisfaite, cherchez ailleurs vos premiers clients. »
Ces conseils furent donnés avec une si franche cordialité, que Paul les prit en fort bonne part, quoiqu’à son âge on ne subisse pas des amitiés si prêcheuses. Mais où ferait-on de la morale si on n’en faisait pas dans une maison d’éducation ? se dit-il. Il alla donc sans scrupule apprendre à mademoiselle Maria Balai que son portefeuille était retrouvé, et de là il rentra chez sa tante, qui rit de bon cœur avec son neveu de la grimace pudique de madame Duravel et des sermons que lui avait valus la connaissance d’une danseuse.
Trois jours après, le boudoir de mademoiselle Maria réunit de nouveau lord Suffolk, M. Bohëmond de Tancarville et Paul Ventairon, qui remit enfin le papier fatidique à la bayadère arlésienne. Cette fois encore lord Suffolk proposa son pari de quatre mille guinées ; il y tenait en véritable Anglais. Avant que le sort eût parlé, M. Bohëmond de Tancarville eut la bonne inspiration de persister dans son refus ; le sort avait décidé que Mion Escoube ou Maria Balai serait milady Suffolk. Le pauvre Bohëmond s’éloigna de fort mauvaise humeur avec l’unique consolation de n’avoir pas perdu le même jour cent mille francs et la femme dont il était ou se croyait amoureux. L’assurance avec laquelle lord Suffolk avait renouvelé sa gageure lui fit soupçonner probablement que Paul s’était entendu avec lui, car il ne rencontra plus celui-ci sans lui rendre son salut d’un air de froideur et de rancune.
Le premier mouvement de lord Suffolk fut de demander une plume, de l’encre et du papier. Il rédigea lui-même la nouvelle de son prochain mariage avec la circonstance du pari refusé, afin de l’envoyer par le courrier du lendemain au Morning-Post. Selon l’usage anglais, il eut soin de ne mettre que les initiales des personnes nommées dans l’article, espérant bien que la sagacité des lecteurs habituels de la presse de Londres le reconnaîtrait dans cet épisode de sa vie excentrique.
- ↑ Regardez, voici les trois cassettes, noble prince : si vous choisissez celle où je suis contenue, aussitôt notre mariage sera célébré ; mais si le sort vous trahit, sans plus de discours, monseigneur, vous vous éloignerez immédiatement.