Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 3
III.
UNE VISITE.
— Est-ce aujourd’hui que nous allons à Pontanges ? dit le lendemain madame d’Auray ; le château est superbe, admirablement bien conservé : c’est tout le moyen âge ; le pont-levis, les tourelles, rien n’y manque.
— Pas même le fou, dit l’homme d’argent, heureux de lire et fier d’une érudition tardive.
— C’est à deux lieues d’ici ; il fait beau, nous partirons à trois heures, si vous voulez.
— Il pleuvra dans la journée…
— Non, la grenouille est au beau temps.
— Ne parlez pas de votre grenouille, elle n’indique que le temps qu’il fait, dit Lionel : c’est le temps qu’il fera que je veux savoir.
— Jeune homme, le présent n’est rien pour toi, c’est l’avenir seul qui t’inquiète ! s’écria le héros de l’Empire, — époque où l’on abusait singulièrement du passé, du présent et de l’avenir.
Et l’on convint de se réunir à trois heures pour aller visiter le château de Pontanges.
La société de madame d’Auray se composait de son mari, — du général Rapart qu’elle avait, disait-on, beaucoup aimé, — de M. Bonnasseau qu’elle aimait encore, — et de Lionel de Marny qu’elle avait déjà bien peur d’aimer. Et tous ces gens vivaient entre eux en fort bonne intelligence, je vous jure ; et madame d’Auray recommençait naïvement ses gentilles mines et coquetteries pour séduire Lionel de Marny devant ces trois vétérans de son armée, qu’elle avait séduits de la même manière.
Il était quatre heures lorsqu’on arriva au château de Pontanges.
— Madame la marquise, voilà une visite ; j’aperçois une voiture dans l’avenue.
— Fanny, descendez vite dire que je n’y suis pas, et que l’on peut visiter le château.
— C’est madame d’Auray ! je reconnais sa livrée.
— Ah ! c’est elle, je puis la recevoir. Fanny, relevez mes cheveux ; dites que je vais descendre à l’instant.
— La voiture est encore loin, j’ai bien le temps de coiffer madame la marquise. D’ailleurs, madame Ermangard et M. le curé sont dans le salon.
Et madame de Pontanges sourit en se figurant son élégante voisine se confondant en phrases gracieuses auprès de sa vieille tante et du bon curé, qui n’entendaient rien au beau langage de Paris.
Madame d’Auray, suivie de ses trois attachés, entra dans le salon.
— Ma nièce va venir à l’instant, dit madame Ermangard en allant au-devant de madame d’Auray.
— Non ! je ne veux pas qu’elle se dérange pour moi, s’écria madame d’Auray ; ce n’est pas elle que je venais voir aujourd’hui, c’est le beau château de Pontanges que je voulais faire admirer à ces messieurs, qui n’ont point l’honneur d’être connus d’elle et qui craindraient de l’importuner.
Madame d’Auray avait ses raisons pour parler ainsi : elle n’était nullement empressée de présenter M. de Marny à sa belle voisine.
— Ma nièce a fait une toilette pour vous, madame, dit la vieille tante, et ce serait la désobliger que de partir sans la voir.
Madame d’Auray sourit avec malice : — En vérité, dit-elle, madame de Pontanges a tort de faire une toilette pour moi, car je suis venue en peignoir et sans façon.
— Oh ! ce n’est pas une grande parure ; ma nièce ne pouvait rester telle qu’elle était ; ce pauvre marquis avait rempli sa robe de confitures, et puis il s’amuse toujours à lui tirer les cheveux, de manière qu’elle est obligée de se faire coiffer trois ou quatre fois par jour. Vraiment, ma nièce est trop bonne de supporter avec tant de patience les caprices de ce crétin.
— Et le bavardage de cette tante ! pensa M. de Marny.
— C’est un ange ! dit le curé.
En cet instant, la porte du salon qui communiquait aux appartements s’ouvrit, et l’on vit entrer la marquise de Pontanges.
— Toujours la même robe ! pensa madame d’Auray en regardant la marquise.
— C’est un port de reine, pensa l’homme de l’Empire.
— C’est absolument la nièce de madame Boullard… j’en reviens toujours à ma ressemblance, pensa l’homme d’argent.
— Oh ! que je la trouve belle ! pensa l’homme positif.